A deux reprises, en page Débats, respectivement le mercredi 20 et le mardi 26 avril, Le Temps a publié l’avis pondéré et nuancé d’un spécialiste en immunologie de transplantation, M. Vincent Aubert, et d’un théologien éthicien, M. Denis Müller, au sujet de la loi sur la transplantation, objet du vote référendaire du 15 mai prochain. L’un comme l’autre déplorent, sur le plan éthique, l’affaiblissement de la notion de « don » contenue dans la disposition légale nouvelle. Ils relèvent d’ailleurs très justement que la nouvelle législation ne va pas faire disparaître la pénurie d’organes et se demandent dès lors s’il est éthiquement normal de sacrifier la belle notion de don, acte volontaire et conscient, au profit d’une solidarité un peu « forcée », parce qu’on ne peut exclure quelques « pressions externes ».
Cherchons plutôt à développer le goût du don conscient et informé, donc, dirais-je, du « don joyeux » et non pas du don « héroïque », encouragé par Swisstransplant, si j’en crois M. Aubert.
Acquise personnellement à l’idée du don conscient et volontaire (et porteuse d’une carte dont l’utilité pour autrui diminue hélas au fur et à mesure que je vieillis), j’apprécie infiniment leur réflexion et voudrais développer encore un peu la dimension éthique du problème.
Nos corps ne sont pas d‘abord une réserve de pièces de rechange
Un des aspects troublants, à mon sens, de cette modification du droit de la transplantation, c’est qu’elle fait apparaître les corps comme des espèces de réserves de pièces de rechange dans lesquelles on peut venir se servir à moins d’une opposition claire. Cette tendance existe dans un certain monde médicalo-scientifique, si l’on pense en effet aux discussions scientifiques relatives au clônage de foetus qui pourraient servir précisément d’une telle réserve pour un nourrisson souffrant d’une maladie incurable.
Une telle démarche est exclue par le droit suisse, de nos jours, mais l’est-elle dans tous les pays ? J’en doute fort, sachant la facilité avec laquelle on admet la fabrication de bébés sur catalogue (voir les Etats-Unis), l’utilisation légalisée des mères porteuses (voir les articles récents sur les mères porteuses ukrainiennes !) et même, dans certains Etats, la mutilation d’enfants ou de jeunes, parfois contre argent, parfois par violence, pour fournir des « cœurs, foies, reins etc… de rechange » à certains chirurgiens peu scrupuleux.
Entendons-nous bien, ce n’est pas l’esprit du droit mis en votation le 15 mai. Mais toute altération d’une volonté libre, fût-elle minime – comme celle proposée le15 mai – finit toujours par être un premier pas vers les abus.