Danger de la mauvaise foi

Ce qui pourrit les relations humaines et met en danger la démocratie, c’est la mauvaise foi, aussi appelée abus de droit.

On ne peut accuser de cela les Parlementaires fédéraux qui, en toute clarté, ont bricolé une loi sur la RFFA dont les éléments manquaient certes d’unité. En effet, rien n’était caché aux citoyens : les débats étaient publics, le référendum a pu être demandé et chacun savait exactement le contenu du « paquet » proposé au vote. Le mécanisme démocratique était parfaitement respecté, même si on n’apprécie pas les « paquets » législatifs. Les parlementaires avaient pris le « risque » de présenter un tel « paquet ».

En revanche, que certains citoyens – ou certains groupes politiques, ici le POP – puissent annoncer vers la fin de la campagne de vote qu’ils se prévaudront du manque d’unité de matière propre au « paquet » dans l’hypothèse où le résultat du vote leur déplairait correspond au cas d’école de ce que l’on enseigne en première année de droit au sujet de l’abus de droit, c’est-à-dire de la violation du principe de bonne foi.

Celui qui connaît le vice entachant à ses yeux une procédure doit s’en prévaloir dès que possible afin d’éviter le déroulement de cette procédure et d’en limiter les dégâts. En effet, pendant la campagne de vote, il s’agit de recourir contre le vice que l’on connaît afin d’éviter éventuellement d’en arriver au scrutin et de risquer de faire annuler la volonté populaire exprimée. On ne peut pas attendre de voir si le résultat du vote plaît ou déplaît. Ce serait se moquer de la volonté populaire.

Dans l’affaire neuchâteloise que le POP invoque actuellement à tort à l’appui de son recours contre le résultat du vote sur la RFFA, le défaut de clarté de la question soumise au vote des Neuchâtelois à l’époque était connu dès le début de la campagne et les recourants ont alors exercé leur droit de recours aussitôt et obtenu l’annulation de la procédure de vote avant que le scrutin ait lieu : il n’y a eu aucune atteinte à la volonté des citoyens puisqu’ils n’ont pas eu à se prononcer ; l’affaire était renvoyée au Parlement neuchâtelois qui dut revoir sa copie, laquelle pouvait à nouveau être soumise au référendum etc…

Dans l’affaire de la RFFA, le prétendu vice selon le POP, soit le contenu du « paquet », était connu de très longue date. Ceux qui voulaient s’en prévaloir devaient, dès la publication de la convocation des citoyens pour le 19 mai, recourir en demandant la suspension de la procédure. Ils auraient alors exercé leur droit de recours sans risquer de porter atteinte au résultat du vote ultérieur.

La « judiciarisation » de la démocratie, chancre de celle-ci, n’est que la conséquence de l’abus de droit commis par certains citoyens ou certaines formations politiques. Par bonheur, la constitution fédérale exige que chacun exerce ses droits en respectant la bonne foi et la loi suisse ne protège pas l’abus manifeste d’un droit. Qu’on se le dise !

Une nouvelle forme de chantage

Il paraît que des mouvements de gauche qui s’opposent à la RFFA ont déjà annoncé que, si l’objet était approuvé en votation, ils déposeraient un recours au Tribunal fédéral pour motif de manque d’unité de la matière, cause, selon eux, de l’impossibilité pour les citoyens de se former un avis clair.

En effet, on peut être favorable à la solution fiscale et défavorable à la solution pour l’AVS et vice versa.

La « menace de recours » émanant de ces formations de gauche révèle une lourde ignorance du mécanisme législatif et peut-être un soupçon de mauvaise foi. 

Les lois ne sont pas soumises au principe de l’unité de la matière

Le législateur a pour mission d’élaborer des solutions de mise en œuvre des multiples tâches que la constitution lui impose. Or les solutions pratiques impliquent toujours la recherche de consensus entre les différentes formations politiques du Parlement. En effet, s’il est relativement aisé de trouver un accord sur un principe, c’est dans les moyens d’application et de concrétisation des principes abstraits que le diable se loge. Le législateur doit trouver des solutions et il le fait souvent en combinant différents objets, afin d’obtenir une majorité au sein du Parlement. Le législateur recourt alors parfois à ce que l’on appelle  un « paquet », groupant des objets différents mais qu’il lie les uns aux autres parce que cela permet de satisfaire des exigences politiques opposées donc d’obtenir un résultat pratique.

En général, les citoyens n’aiment pas les « paquets » car cela les oblige, par un seul OUI ou un seul NON, d’accepter ou de refuser des solutions dont une partie seulement leur plaît. Comme les parlementaires, le citoyen doit choisir entre deux solutions (acceptation ou rejet) dont aucune ne l’enchante car il en voit les inconvénients dans les deux hypothèses. Il doit donc se prononcer pour « le moindre mal » à ses yeux. Le « paquet » que le législateur lui a ficelé est à double tranchant. Le législateur prend le risque, en ficelant un « paquet » qui a obtenu de ce fait une majorité parlementaire, de rendre une acceptation plus difficile en votation populaire en cas de referendum : le citoyen va devoir se torturer les méninges pour peser le pour et le contre (cette situation s’est déjà présentée à plusieurs reprises en matière fiscale notamment et il est arrivé que le paquet soit refusé, précisément à cause de sa complexité). C’est un risque à prendre et un argument de campagne légitime des opposants

Un soupçon de mauvaise foi

Lorsque le législateur a ficelé un « paquet » et qu’un référendum aboutit, les opposants tirent principalement argument de la complexité de la question et de la difficulté de choisir une seule solution alors que deux solutions distinctes auraient été souhaitables. Mais jamais encore à ce jour – à ma connaissance – une formation politique n’avait procédé à un chantage, une semaine avant le scrutin, en menaçant d’un recours sous prétexte d’un manque d’unité de la matière ou d’une impossibilité pour les citoyens de voter sur deux questions à la fois. Il est clair que l’arrêt récent du Tribunal fédéral annulant un vote pour cause de fausse information donnée officiellement aux citoyens a excité l’imagination des maîtres chanteurs. Ils auraient toutefois pu se prévaloir dès le début de la campagne de ce défaut qu’ils estiment grave puisqu’il est d’origine et non pas survenu en cours de campagne comme dans l’affaire annulée. En outre, il n’y a, à aucun moment, tromperie des citoyens puisque l’amalgame du paquet proposé est celui débattu et voté par le Parlement en débats publics. 

Le « paquet législatif », un acte purement politique

Créer un « paquet législatif » est un acte politique du législateur ce que n’est nullement une information erronée (volontairement ou non !) en cours de campagne. On relèvera d’ailleurs qu’il en va de même en ce qui concerne le principe de l’unité de la matière pour une initiative constitutionnelle populaire. C’est la raison pour laquelle la nullité dans ce dernier cas est prononcée par le Parlement – organe politique – et non pas par le Tribunal fédéral. Ce dernier n’est pas compétent sur ce point car ce serait lui conférer une tâche strictement politique, ce que nos institutions ne veulent pas ; le gouvernement des juges est une menace démocratique.

Dans le cas de la RFFA, les chances de succès en cas de recours après le vote pour cause de “paquet” sont proches du zéro absolu parce que le Tribunal fédéral ne revoit pas le choix politique des lois et les maîtres chanteurs le savent bien.