TGO, nouvel observateur de Mars, prêt au départ

Trace Gas Orbiter (« TGO »), la sonde que l’ESA s’apprête à lancer ce 14 mars pour atteindre la planète rouge en octobre prochain, est la seconde grosse mission de la NASA vers Mars après MarsExpress qui a été placée en orbite en décembre 2003 et qui continue à nous fournir régulièrement ses observations précieuses. Avec MAVEN, la sonde de la NASA évoluant depuis fin 2014 dans l’environnement martien, on cherche à comprendre l’échappement de l’atmosphère. Avec TGO on va rechercher une « trace d’activité » sur Mars, ce qu’on n’a pas vraiment fait depuis les sondes Viking dans les années 70. L’expression « recherche d’activité » est une expression prudente pour indiquer que l’on va chercher à savoir s’il y a aujourd’hui une vie sur Mars ou à défaut une simple activité interne de la planète ayant une expression atmosphérique, chimique ou volcanique. Il s’agit en effet d’analyser les gaz à l’état de traces dans l’atmosphère (moins de 1% en volume) qui pourraient être cette expression.

On sait maintenant grâce à Curiosity, que Mars a été habitable mais on ne sait absolument pas si une activité biologique existe même si certains indices, faibles, peuvent être interprétés en ce sens. Il est possible soit que les conditions n’aient jamais été remplies sur Mars pour permettre l’éclosion de la vie, soit que les conditions aient existé au début de l’histoire de Mars mais qu’elles n’ont pas eu le temps d’aboutir à la vie, soit que les conditions aient existé, que la vie soit apparue et qu’elle n’ait pas résisté aux conditions extrêmement hostiles ayant prévalu en surface pendant la plus grande partie des 3,8 milliards d’années suivant la période la plus favorable à son éclosion, soit enfin que la vie ait émergé mais que, étant donné les conditions de surface, elle se soit abritée dans le sous-sol de la planète où elle se trouve encore aujourd’hui dans un état extrêmement peu actif.

Je privilégierais moi-même cette dernière hypothèse. En effet le moins que l’on puisse dire c’est que les rejets métaboliques d’une telle vie supposée, ne sont pas spectaculaires. La vie est un processus de transformation de la matière et l’on voit assez mal quelles transformations seraient induites aujourd’hui par sa version martienne. Pour aller plus loin nous avons bien besoin des deux missions ExoMars dont TGO est l’un des deux instruments clés, le second étant le rover Pasteur qui sera lancé en 2018, muni d’un dispositif de forage qui va pouvoir aller examiner le sol à une profondeur de deux mètres c’est-à-dire sous la couche de sol irrémédiablement irradiée par les ondes et particules solaires et galactiques depuis des milliards d’années.

Pour commencer cette recherche, TGO va être positionné sur une orbite située à 400 km d’altitude (plus bas que l’ISS par rapport à la Terre) et va observer l’atmosphère avec ses spectromètres (« NOMAD » pour Nadir and Occultation for Mars Discovery). Parmi les gaz étudiés, il y a surtout le méthane dont l’origine sur Terre est à 90 % biologique mais qui à hauteur de 10% ne l’est pas ! Par ailleurs, le méthane se dissout assez rapidement (quelques centaines d’années) et il témoigne ainsi d’une activité récente. C’est donc un gaz passionnant et on a besoin d’y voir plus clair en ce qui le concerne car l’histoire de son observation est pour le moins déroutante.

On l’a décelé à partir de la Terre en 2003 puis de l’orbiteur Mars Global Surveyor de la NASA, entre 1999 et 2004. Très curieusement il présentait une évolution saisonnière, apparaissant avec la chaleur et disparaissant avec le froid ; rien à voir avec les 300 ans de sa durée de vie supposée ! Lorsque les mesures ont repris, au sol, avec l’instrument SAM de Curiosity (en fait son laser « TLS »), le méthane avait disparu. Plus rien ! On disait que les quantités étaient en dessous du seuil de sensibilité du TLS, alors qu’il était encore plus sensible que les précédents instruments utilisés. Puis, nouveau coup de théâtre, le même appareil détecte des émissions très brèves (et très petites, jusqu’à 11 ppbv). Alors que se passe-t-il ? Il se pourrait que des molécules de méthane piégées dans de la glace d’eau (des « clathrates ») du sous-sol immédiat, se trouvent libérées par la chaleur. Mais quelle est leur origine ? Si elles étaient liées à de l’olivine, elles pourraient résulter d’un processus naturel connu, celui de la serpentinisation. Sinon, serait-ce un processus biologique ?

TGO va nous permettre d’avancer car il va pouvoir non seulement détecter ces gaz très ténus mais aussi, grâce à CaSSIS, un instrument mis au point en Suisse*, repérer l’origine géologique de l’émission et le site de son absorption (disparition). CaSSIS sera complété par FREND, un instrument russe qui dressera la carte de l’hydrogène dans le sous-sol immédiat (jusqu’à un mètre de profondeur) qui en est un complément essentiel.

Nous attendons donc beaucoup de ces instruments mais nous devons aussi compter d’abord, « tout bêtement », sur le succès du lancement de TGO. Malheureusement, pour des raisons d’économies, l’ESA a choisi de lancer l’orbiteur avec une fusée russe, Proton, dont les deux derniers lancements (notamment Phobos Grunt fin 2011) ont lamentablement échoué lors de l’injection en orbite transplanétaire. La deuxième partie du mois de mars sera donc critique (il s’écoulera quelques jours entre la mise sur orbite terrestre et cette « injection »)!

*CaSSIS est l’acronyme de « Colour And Stereo Surface Imaging System » dont le responsable scientifique est le professeur Nick Thomas de l’Université de Berne. Les algorithmes de traitement des images et la calibration de l’instrument sont sous la responsabilité de eSpace, Space Engineering Center de l’EPFL, .

eSpace a organisé un événement, ouvert au public (16 mars, 18h00 à 19h30), à l’occasion du lancement de la mission. J’ai été invité par le Dr. Anton Ivanov, chercheur enseignant à eSpace et co-investigateur de CaSSIS, à y donner une conférence. Je parlerai sur le thème « The Search for Life on Mars, Context and Recent News » (en Anglais).

Image à la Une, vue d’artiste (crédit NASA) de la sonde TGO à l’approche de Mars. L’orbiteur est un gros engin de 3,2m x2m x2 m ; avec les panneaux solaires déployés il a une envergure de 17 mètres. Il a une masse de 3732 kg dont 112 kg d’instruments scientifiques. C’est un peu plus que la masse des instruments embarqués sur Curiosity (75 kg).

Lien: Article très complet d’Olivier Dessibourg dans le journal Le Temps, publié sur internet le Vendredi 11 Mars et sur papier le Samedi 12 mars: “L’Europe relance l’enquête de la vie sur Mars”

 

 

Un seul médecin et les moyens du bord

Les astronautes en voyage dans l’espace profond vont, par définition, s’éloigner de plus en plus de la Terre. Cela va avoir des conséquences non seulement pour leurs contacts physiques avec « nous » mais aussi pour leurs télécommunications. Pour une mission sur Mars, les contacts physiques ne seront plus possibles jusqu’à leur retour, c’est-à-dire 30 mois après leur départ, à la fin d’un cycle synodique repositionnant les planètes en situation adéquate pour un transit optimal de l’une à l’autre, en termes de temps, d’énergie et de masse transportée.

Sur les 30 mois, l’équipage sera 18 mois sur Mars et 2 fois 6 mois en transit interplanétaire. Pendant ces deux périodes, on suppose a priori que l’habitat bénéficiera d’une gravité artificielle par force centrifuge. Dans le cas contraire certains soins médicaux seraient plus difficiles. Sur Mars, la gravité naturelle de 0,38g sera suffisante pour exécuter tous soins dans les mêmes conditions que sur Terre.

Pendant toute la mission (les 30 mois), les astronautes devront vivre et se soigner avec leurs seules ressources. Elles seront limitées en raison des capacités d’emport du vaisseau spatial. Les équipements pouvant aider à la formation du diagnostic médical seront peu nombreux et peu massifs mais des caméras avec zoom et émissions de rayons pénétrant de faibles longueurs d’ondes (à utiliser exceptionnellement vu l’exposition forte aux radiations spatiales) pourront transmettre leurs images à la Terre. Les données que les instruments embarqués pourront recueillir seront (presque) immédiatement transmises à la Terre. Le matériel médical sera lui aussi limité en masse. Il faudra bien choisir ce que l’on emportera de la Terre en matière de seringues, bistouris, pinces, fils, etc…Les astronautes prendront avec eux des médicaments mais il faudra encore bien les choisir au départ puisque le réapprovisionnement sera impossible.

On peut imaginer, un jour, que certains médicaments soient fabriqués sur Mars, à partir d’éléments chimiques martiens. En effet, on trouvera sur cette planète les mêmes éléments chimiques que sur Terre. On pourra aussi faire des analyses de sang ou des transfusions sanguines et fabriquer des prothèses grâce à l’impression 3D, pourvu qu’on dispose des matériaux nécessaires – que là encore on pourra trouver sur Mars (métaux et matières plastiques). On pourra faire de même pendant le voyage, même utiliser une imprimante 3D qui fabriquerait des instruments médicaux à partir de matière brute embarquée.

Pour effectuer les soins, l’équipage comptera un médecin qui aura de fortes connaissances en (exo)biologie ou un (exo)biologiste qui aura de fortes connaissances en médecine. La nécessité d’une double spécialisation résulte de ce que, pour les premières missions sur Mars, on ne pourra embarquer au mieux que 4 personnes (et plutôt 3!) compte tenu des problèmes de capacité d’emport de masse des vaisseaux. Les autres passagers seront sans doute un mécanicien, un pilote et un géologue. Chacun aura une formation de secouriste et d’assistant au médecin mais cette formation ne pourra être très poussée (les opérations et anesthésies ne pourront donc être que légères). Le rôle du médecin / biologiste sera de faire respecter strictement les règles sanitaires, d’examiner régulièrement ses collègues à la recherche des symptômes de pathologies diverses pouvant les affecter, d’exercer sa vigilance pour détecter aussitôt que possible les situations à risques (psychologiques par exemple), d’intervenir dans des situations d’urgence (accident, crise cardiaque, AVC, etc…), de soigner « avec les moyens du bord », éventuellement de pratiquer des opérations chirurgicales simples (ou des actes de dentisterie), enfin de superviser des rééducations après intervention.

Son action individuelle sera appuyée, confortée, par ses télécommunications avec la Terre. La télémédecine sera donc incontournable. Les astronautes porteront des vêtements munis de multiples capteurs qui transféreront leurs données aussi bien à un ordinateur du vaisseau qu’à la Terre, vers une équipe médicale diversifiée. Les données recueillies par ces instruments seront complétées périodiquement par des analyses de fluides ou de matières, et les radios, effectuées sur place.

Il faut bien voir, et c’est la seconde difficulté, que plus on s’éloignera de la Terre plus les interventions terrestres ne seront possibles qu’avec un décalage dans le temps. Ce « time-lag » incontournable résultera de la distance. Mars évolue à une vitesse différente sur une orbite différente et cela conduit les deux planètes à s’approcher ou s’éloigner de 56 à 400 millions de km. Pour faire ce trajet la lumière met entre 3 et 23 minutes. Il faut évidemment le double pour avoir la réponse à une information envoyée. La télémédecine sera donc immédiate à l’intérieur du vaisseau mais elle sera différée avec la Terre. Il faut être clair, il ne pourra pas y avoir d’intervention télécommandée depuis la Terre. Outre les échanges audio et video en différé*, on peut penser que le médecin aura à sa disposition toute une bibliothèque numérisée sur les différents cas sur lesquels il pourrait avoir à intervenir mais pendant ces missions il sera seul en « première ligne » et il subsistera pour tous les astronautes un risque sanitaire certain, plus élevé que sur Terre (notamment en cas de défaillance du médecin !). Ils devront être prêts à le prendre.

NB :*A noter que tous les 26 mois, lorsque Mars sera (pour nous sur la Terre) en conjonction avec le Soleil (« derrière » le Soleil), les communications avec la Terre seront impossibles pendant une quinzaine de jours que j’appellerais les « jours cachés ».

Image à la Une : L’astronaute Karen Nyberg (USA), ingénieure de vol de l’expédition 36 de l’ISS (mai à septembre 2013), procède à un examen oculaire sur elle-même (fond de l’œil, avec un fondoscope). Image, crédit NASA.

Microbes et pénuries, deux risques à prendre en compte

Exigüité (3/3). Les problèmes que posent ces risques me semblent beaucoup plus sérieux que les problèmes psychologiques.

Voyons d’abord les risques microbiens.

On pourrait dire qu’ils résulteront d’une insuffisance de « buffer effect » (qu’on pourrait traduire – mal – par « effet masse »). Les astronautes ne seront pas les seuls passagers de leurs vaisseaux. Ils emporteront avec eux des milliards de bactéries et d’archées sans oublier quelques virus, « inoffensifs » ou offensifs dormants, et ceci quels que soit les mesures d’asepsie qui seront prises. On peut juste éviter par une isolation et une surveillance stricte avant embarquement, qu’un astronaute monte à bord avec une maladie sur le point de se déclarer ou avec des salissures potentiellement dangereuses subsistant sur les parois où les équipements du vaisseau. Il y aura stérilisation de tout ce qui peut l’être mais pas des astronautes eux-mêmes ! Une fois embarqués leurs différents germes vont se mélanger, certains prospérer, d’autres s’affaiblir. Les matériaux dont sont constitués les divers équipements vont aussi évoluer, se dégrader, se mélanger aux fluides embarqués. Les systèmes de recyclage des gaz et des liquides (« ECLSS ») donneront une possibilité de contrôle mais présenteront aussi un risque de « mauvais mélange » et de propagation.
Dans un volume important comme celui de l’atmosphère terrestre, les micros déséquilibres locaux sont corrigés par les (des)équilibres voisins ou par l’intervention de l’homme avec des moyens biochimique. Le rééquilibrage naturel se fera très mal pendant la mission habitée par insuffisance ou absence de ce « buffer effect » propre aux grands volumes. L’équilibre biochimique existant au départ va petit à petit évoluer et il faudra le surveiller de manière à corriger activement, mais avec les seuls moyens du bord, tout déséquilibre naissant. Pour renforcer les moyens de détection au niveau d’un petit nombre de molécules et agir (dans la mesure du possible) avant que les dérives ne deviennent incontrôlables, L’ESA a développé en partenariat avec Biomérieux, un appareil nommé « MiDASS » (« Microbial Detection for Air System in Space ») qui sera, sur le plan biologique, un élément essentiel du voyage, avec, bien sûr, des éléments chimiques correcteurs. A noter qu’on voit bien les applications terrestres (hôpitaux) qui peuvent bénéficier de ces recherches.

Voyons ensuite les risques de pénuries.

Ils dérivent des choix que l’on doit faire concernant les hommes, les instruments et les consommables compte tenu de l’exigüité et de l’éloignement. Comme dit plus haut, les premiers équipages ne pourront comprendre que quatre personnes (ou même trois ?) et celles-ci ne pourront détenir toutes les qualifications. Ainsi en raison du volume limité de l’habitat, il n’y aura qu’un seul médecin/biologiste à bord. Les médicaments, les instruments médicaux, les machines et outils divers seront peut-être insuffisants malgré les précautions qu’on aura prises à prévoir les besoins. La nourriture sera peu variée même si on peut s’organiser pour qu’elle soit biologiquement adéquate.

On s’efforcera de pallier ces insuffisances par les communications avec la Terre mais ce ne pourront être que des télécommunications (notamment télémédecine même si les interventions directes seront impossibles) et, pour certains outils et objets, l’impression 3D. Cette dernière sera plus facile sur Mars que pendant le vol puisqu’on disposera alors de plus de matériaux (mais pas de tous les matériaux élaborés par l’industrie terrestre). Faute de place, la culture sous serre ne pourra être vraiment pratiquée que sur Mars (et au début seulement à titre expérimental).

Il faudra donc bien remplir la bulle car il n’y aura aucun réapprovisionnement possible. C’est un défi majeur de l’entreprise.

Liens :

http://planetaryprotection.nasa.gov/file_download/97/MIDASS-ESA.pdf

Image à la une: l’astronaute Sunita Williams, Commandante de l’expédition 33 de l’ISS (sept. à nov. 2012) en train de participer à un “nettoyage du dimanche”. Comme on le voit très bien ici, le problème est l’accessibilité de toutes les surfaces et tous les volumes de l’habitat. Photo NASA.

Ne surestimons pas les problèmes psychologiques des astronautes!

Exigüité (2/3).

Le fait que pendant le voyage, il n’y aura pas ce que j’appellerais un« extérieur habitable » est un inconvénient incontestable. Pas question en effet de se « dégourdir » les jambes en allant se promener « ailleurs », pas question de contempler un paysage changeant et « vivant » (aussi belles soient-elles, les étoiles ne bougeront pas dans le ciel), pas question de quitter la promiscuité des autres. Chacun sera réduit à vivre à l’intérieur de « quatre murs » (en l’occurrence la paroi d’un cylindre), avec toujours les mêmes partenaires. A noter que la situation sera différente une fois arrivé sur Mars car, si la « société » y sera toujours aussi réduite, l’aspect « extérieur habitable » sera totalement différent. En effet les quatre astronautes disposeront alors de la surface entière de la planète (en fonction du moins des possibilités de mobilité et de la nécessité de ne pas trop s’exposer aux radiations).

Pour atténuer le problème du confinement pendant le vol, il faudra certainement que chacun exerce la plus grande prudence dans ses interactions avec les autres (afin d’éviter le piège de l’« enfer » sartrien). La vie privée devra être très strictement respectée ; les contacts avec les proches ou les collègues restés sur Terre, aussi fréquents que possible (pour améliorer la diversité des échanges) même si le « time-lag » sera de plus en plus prononcé au fur et à mesure que le vaisseau s’éloignera de la Terre (de 3 à 23 minutes lumières, dans un seul sens, une fois sur Mars) ; l’accès aux divertissements (jeux ou films, plateformes d’échanges) devra évidemment être libre.
Ceci dit il ne faut pas exagérer la difficulté. Il n’y aura ni temps mort, ni ennui pendant une mission habitée car les astronautes seront des personnes extrêmement motivées. Ils auront par nécessité le souci du fonctionnement le plus parfait possible de leur vaisseau et de leurs équipements divers. A l’aller ils seront aussi très occupés par la préparation de leur mission sur le sol de Mars, au retour par l’interprétation des observations et des donnés qu’ils auront recueillies et, tout le temps, par leurs communications avec la Terre.

De ce point de vue je pense que les simulations qui ont eu lieu sur Terre (« Mars 500 », achevée en Novembre 2011) n’ont absolument pas pu recréer les conditions d’une mission habitée. Les hommes enfermés pendant 520 jours (du 3 juin 2010 au 4 novembre 2011) dans les locaux de l’IBMP (Institut des problèmes biomédicaux) à proximité de Moscou, ne pouvaient ignorer qu’ils étaient sur Terre et qu’ils pourraient sortir en cas de besoin extrême ; par ailleurs leur simulation en « bac à sable » ne pouvait absolument pas restituer l’espace martien du fait de ses très petites dimensions. Enfin l’isolement pour des motifs beaucoup moins exaltants que l’exploration d’une autre planète, pouvait générer l’ennui ce qui pouvait induire toutes sortes de friction sociales et de stress. Cela met en évidence que les simulations lorsqu’elles demandent de supposer une réalité trop différente, peuvent n’avoir aucune utilité.

Image à la Une : l’astronaute Scott Kelly au travail dans un module de l’ISS (image : crédit NASA). Il est sur le point de boucler (Mars 2016) une mission de 342 jours dans l’espace (la plus longue étant celle de Valeri Polyakov, 437 jours à bord de MIR, terminée en 1995). On peut imaginer que l’habitat utilisé pendant le voyage vers Mars sera tout autant « encombré » que celui de l’ISS et que les taches de vérification et d’entretien  seront constantes.

Les explorateurs de l’espace seront confinés dans une bulle

Exiguïté (1/3)

Les astronautes partant pour Mars se lanceront dans un espace immense mais ils devront le faire à l’intérieur d’un cocon protecteur qui maintiendra leurs fonctions vitales et qui ne sera qu’une petite bulle de leur environnement natal. Ce cocon sera forcément exigu. Cette situation pose problèmes, d’autant que les voyages seront longs (6 mois de vol !) et que, compte tenu de l’évolution des planètes sur leur orbite respective, les réapprovisionnements seront impossibles avant 26 mois.

Mais de quels volumes, pressurisés, parle-t-on ?

A l’aller, les astronautes devront « faire avec » quelques 100 m3, soit un cylindre de type « boite de thon » de 8 mètres de diamètre et de 5 mètres de hauteur (cf image ci-dessous, crédit Mars Society). Au retour ils pourront disposer d’un volume plus important, par exemple d’un module gonflable de 330 m3 (volume pressurisable de l’élément gonflable « B330 » de la Societé Bigelow Aerospace, cf “image à la une”). Les deux vaisseaux pourront être emportés chacun par un lanceur SLS lourd de la NASA (130 tonnes en orbite basse terrestre, « LEO ») mais, si l’on veut éviter un assemblage complexe et coûteux en LEO puis un désassemblage en orbite martienne, il faut prévoir que le véhicule habité utilisé à l’aller, descende sur Mars pour y servir d’habitat de surface. Or, la faible densité de l’atmosphère martienne est telle que l’on ne peut pas envisager un « EDL »(pour « Entry, Descent, Landing ») de plus de 20 tonnes dans un volume compact si l’on veut pouvoir utiliser cette atmosphère pour se freiner un tant soit peu (ou, vu autrement, si l’on veut que le transport de l’énergie nécessaire à la descente ne soit pas trop consommateur de masse et de volume au détriment de la « charge utile »). C’est à cette exigence que répond la « boite de thon ».

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Au retour la situation est différente car on peut parquer le vaisseau spécifique en orbite martienne pendant toute la durée de la mission (sans le faire descendre en surface). Les astronautes le rejoindront, après 18 mois de séjour au sol quand la fenêtre de retour sur Terre sera ouverte. On peut donc se permettre un volume plus grand (les 330 m3 du Bigelow B330 mentionné plus haut) mais pas trop grand (comme le serait celui d’un Bigelow Ba2100 de 2250 m3,) car il faudra pouvoir le freiner pour le positionner sur l’orbite d’attente martienne et que le freinage le plus économique suppose l’utilisation de l’atmosphère. Même s’il s’agit des plus hautes couches de l’atmosphère de Mars, la vitesse rendra quand même sensible l’aérofreinage.

Il faut comparer ces volumes pressurisés à celui de la Station Spatiale Internationale (ISS) qui fait 840 m3.

Le « vaisseau-retour » ne sera donc pas inconfortable mais celui de l’aller (trois fois plus petit) le sera certainement puisqu’on envisage d’envoyer (et de faire revenir!) trois ou quatre astronautes lors des premières missions. Dans le « vaisseau-aller », 25 m3 par personne cela fait l’équivalent d’une chambrette de 10 m2 en supposant un plafond à 2,5 m. De plus, l’espace vraiment disponible dans le véhicule (« aller » mais aussi « retour ») sera plus réduit que le volume total pressurisé car la paroi extérieure sera tapissée (à l’intérieur !) par les réserves d’eau et d’aliments (protectrices des radiations par leur contenu en eau, c’est à dire en hydrogène), par le dispositif d’isolation thermique et de chauffage, enfin par l’équipement de purification et de régénération de l’atmosphère. Par ailleurs le module emportera toutes sortes d’équipements nécessaires à la vie et à l’activité physique et intellectuelle des passagers. A noter qu’une grande partie des équipements nécessaires à l’exploration aura été envoyée par un lancement effectué lors de la fenêtre de tir précédant le vol habité.

Au retour comme à l’aller, le vol devrait plutôt s’effectuer en mode gravité artificielle (rotation du couple du lanceur et de l’habitat reliés par un filin) mais il se pourrait malgré tout qu’il soit effectué en apesanteur (choix ou panne) et dans ce cas il n’y aurait ni plafond ni plancher. Il faut de toute façon imaginer un espace commun, l’équivalent d’un « habitat paysage » (comme on dit « bureau paysage »), avec des niches individuelles privatives.

L’exigüité étant ainsi définie, je vous parlerai des problèmes qu’elle pose dans mes deux prochains billets.

Lien :

http://bigelowaerospace.com/B330/

 Image à la Une: représentation de l’intérieur d’un module Bigelow “« Transhab ». Crédit: Bigelow Aerospace. Un tel module pourrait faire le voyage de Mars vers la Terre (donc vol retour), avec gravité artificielle (le filin le joignant au lanceur partirait vers la droite). A noter qu’il est différent du module “B330” présenté dans mon billet “plan du voyage”. En réalité, le module qui pourrait servir au retour d’une mission habitée sur Mars serait un mixte des deux: un volume égal à celui du B330 et une organisation intérieure du type Transhab. Le cylindre au centre dont les parois seraient renforcées, pourrait servir d’enceinte de protection lors d’un événement solaire ((« SPE »). 

On peut espérer que l’apesanteur ne soit pas une contrainte incontournable

L’apesanteur, agréable en rêve mais très nuisible à la santé, doit et peut être évitée.
Après les radiations, l’apesanteur est le deuxième « health hazard » des voyages spatiaux. Apesanteur cela veut dire absence de poids, la masse du corps n’étant accélérée par aucune force de gravité, qu’elle résulte de la proximité d’une masse planétaire ou de l’accélération de la vitesse du vaisseau*. Rappelons que dans le système de propulsion interplanétaire chimique, « classique », le déplacement de ce dernier ne résulte que de l’impulsion initiale, donnée pour quitter l’orbite de parking terrestre vers le lieu de destination. Il n’y a donc aucune accélération pendant le voyage et les masses n’ont aucun poids.
Pour la santé de l’homme, cette absence de poids peut être considérée comme agréable (qui n’a rêvé de voler!) mais elle est aussi porteuse de (gros) risques : notamment perturbation de la circulation sanguine, pertes musculaires, pertes osseuses. En effet le cœur n’a plus besoin de lutter contre la gravité et pompe moins vigoureusement le sang qui est par ailleurs moins bien réparti dans le corps (afflux à la tête). Le danger est une certaine paresse du muscle cardiaque et le développement d’une accoutumance à une pression artérielle basse. Pertes musculaires : n’ayant plus d’efforts à fournir pour se mouvoir, les muscles fondent comme ceux d’un malade alité. La perte peut atteindre 20% sur un vol de 11 jours (donc beaucoup plus après un voyage de 6 mois vers Mars). Pertes osseuses : les os qui, dans un environnement soumis à une force gravitationnelle, portent le squelette ne portent plus rien dans l’espace et ils perdent en densité (11% sur 6 mois). Et cela n’est pas tout, les risques vasculaires augmentent, l’immunité est affaiblie, les bactéries gagnent en virulence et en pouvoir pathogène, la circulation libre des poussières peut provoquer des lésions à l’œil dont par ailleurs le volume se déforme (et l’acuité visuelle peut en pâtir), les fonctions digestives et d’excrétion sont perturbées. Enfin la modification des repères sensoriels captés par le corps peut donner le mal de l’espace avec effets durables.
Ces diverses détériorations corporelles sont de lourds handicaps pour une mission habitée vers une planète où la gravité reprendra ses droits. A la surface de Mars elle est de 0,38g ce qui n’est pas négligeable et les astronautes devront pouvoir y faire face immédiatement après 6 mois de voyage, d’autant que la masse du scaphandre et des équipements qu’ils porteront, restituera un poids à transporter sur leurs jambes équivalent à celui qu’ils portaient sur Terre (le centre de gravité étant toutefois différent). Le risque est un risque de fracture des os les plus sollicités, notamment ceux des hanches. Par ailleurs le cœur devra battre plus vigoureusement pour donner une pression artérielle plus forte ce qui entraînera un risque de syncope.
Les membres de l’équipage d’une mission habitée sur Mars devront donc lutter contre cet affaiblissement pendant le voyage. La première solution pour le contrer sera l’exercice physique. Cependant même avec un exercice physique intense (deux heures par jour), les astronautes de la Station Spatiale Internationale ont perdu de 0,4 à 1% de leur masse osseuse par mois (et cela ne traite pas tous les problèmes). On peut aussi envisager absorber des compléments chimiques pour renforcer l’assimilation / conservation du calcium. Les études préconisent l’absorption de bisphosphonate associé à de la vitamine D.
En changeant de paradigmes, la contre mesure la plus efficace serait la gravité artificielle. Elle est recommandée depuis le début des années 1990 par Robert Zubrin, président fondateur de la Mars Society. Pour la créer, il faudrait relier par un filin (tether) le dernier étage du lanceur à l’habitat du vaisseau spatial. Une fois l’impulsion transplanétaire donnée à partir de l’orbite de parking terrestre, les deux éléments se sépareraient, le filin attaché au deux éléments se déroulerait sur une longueur sensiblement plus grande que nécessaire et de petites fusées latérales aux deux masses impulseraient une rotation minime au couple, immédiatement suivie d’un rembobinage lent du filin qui se tendrait et dont le raccourcissement accentuerait la vitesse de rotation (cf le repli des bras d’un patineur faisant « la toupie »). Deux rotations par minutes pour deux corps séparés de quelques 170 mètres (bras de levier de 86 mètres) permettraient de restituer une gravité de type martien (0,38g) dans l’habitat. Il faudrait éventuellement une longueur de câble plus importante pour éviter un différentiel de gravité trop fort entre les pieds et la tête et pour également réduire les effets de la force de Coriolis qui se manifesteraient de façon trop prononcée dans un système centrifuge trop petit. Ceci dit, sur le principe, la solution est séduisante car elle ne requiert que très peu d’énergie.  En effet dans l’espace rien ne freine un mouvement qui a été initié et la rotation impulsée se maintiendrait indéfiniment.
La théorie existe; on attend les vérifications de faisabilité. Un petit test sur la mise en rotation a été mené avec succès par des étudiants de l’Ecole Centrale de Lille sous le contrôle de l’Association Planète Mars en 2013, dans le cadre d’un vol en apesanteur. Il faudrait également tester le déroulement du long filin, la stabilité du système (serait-elle perturbée par l’activité à l’intérieur de l’habitat ?) et les manœuvres d’arrêt de la rotation à l’approche de l’objectif.
Image à la Une: un vaisseau spatial à l’approche de Mars et toujours en rotation (mais sur le point de l’arrêter car la gravité martienne risque de bientôt perturber le mouvement!). Illustration Philippe Bouchet (Manchu) pour Association Planète Mars (branche française de la Mars Society).
* Renvoi du premier paragraphe:
En fait on devrait plutôt parler de chute libre, sans accélération, dont la cause est la gravité et la conséquence, l’apesanteur.  A proximité de la Terre on est sous influence gravitationnelle de la Terre et lorsqu’on s’en éloigne, on entre dans un espace ou l’influence gravitationnelle dominante est celle du soleil mais cette influence est faible. En orbite autour de la Terre, le vaisseau spatial tombe vers la Terre sans jamais l’atteindre. Sorti de l’emprise gravitationnelle de la Terre, le vaisseau spatial, comme la Terre ou Mars, tombe vers le soleil sans jamais l’atteindre, en suivant une orbite proche à celle de ces deux astres.

Les radiations et la vie

Radiations 4/4.

Implications des radiations pour l’exobiologie et la vie humaine.

Par leur impact et leur effet ionisant, les radiations particulaires spatiales détruisent les liens des molécules impactées notamment ceux des molécules organiques et en particulier des molécules organiques biologiques, longues et complexes. Les rayons ultraviolets (surtout les UV”c”), radiations électromagnétiques à courtes longueurs d’onde, et surtout les rayons gamma résultant du choc des particules spatiales les plus énergétiques (“HZE”), sont également agressifs pour la vie.

Comme on l’a vu dans les billets précédents, la surface de Mars bénéficie d’une protection naturelle contre les radiations (socle planétaire et atmosphère). Cependant cette protection est insuffisante pour qu’on y mène une vie « tranquille », comme sur Terre. Il n’y a pas de couche d’ozone dans l’atmosphère pour filtrer les rayons ultraviolets (la surface de Mars reçoit jusqu’à 600 fois les doses terrestres au niveau de la mer) et la faible densité des gaz composants l’atmosphère laisse passer une grande partie du rayonnement particulaire.

Pour ses missions longues, l’homme pourra se protéger des radiations en utilisant le régolite ou l’eau martienne comme bouclier mais la vie martienne qui a pu naître en surface ou dans le sous-sol immédiat à des époques où l’atmosphère était plus épaisse, n’a très probablement pas pu y subsister, en raison précisément des radiations. En dépit des fantasmes et des craintes, la surface de Mars est très probablement stérile.

On estime ainsi que même les bactéries terrestres résistantes aux radiations comme Deinococcus radiodurans (image à la une), pourraient séjourner quelque temps en surface à l’état de spores, mais qu’elles y seraient assez rapidement tuées. Elles ne pourraient survivre en profondeur sous cette forme, à environ 1 m (selon la densité et la composition de la roche), que si elles ont pu bénéficier de répits à l’issue de périodes n’excédant pas quelques 450.000 ans. Cette périodicité relativement courte sur le plan géologique n’est pas impossible compte tenu des changements d’inclinaison périodiques de l’axe de rotation de la planète à l’occasion desquels les glaces peuvent fondre et l’atmosphère s’épaissir. Cela a été également possible dans le passé à l’occasion des événements volcaniques qui ont enrichi l’atmosphère (de moins en moins fréquemment). On verra bien ce que nous montreront les échantillons de forages à deux mètres que doit effectuer le laboratoire mobile (rover) “Pasteur” de la mission “ExoMars” que l’ESA projette de lancer en mai 2018 (si elle arrive à boucler son financement). De toute façon, on ne pourra trouver aujourd’hui en surface que des fossiles et ces vestiges de vie seront dénaturés par les radiations (et de ce fait difficiles à identifier en termes biochimiques).

Tant que l’on ne creuse pas profondément, on peut être rassurés pour la vie des astronautes et l’on ne devrait pas s’inquiéter du risque qu’ils rapportent sur Terre des germes martiens (« back-contamination »). Une installation permanente (au-delà d’un cycle de mission de 18 mois sur place) pose par contre potentiellement un problème puisqu’elle imposera l’utilisation du sol. C’est lui (régolite ou glace d’eau) qui devra servir de bouclier pour protéger la vie. Auparavant les premiers hommes sur Mars, dans l’intérêt de leur survie (éviter une agression biologique) et pour l’intérêt de la Science, devront impérativement « tirer au clair » l’histoire d’une hypothétique “vie martienne”. A-t-elle abouti, par des chemins parallèles aux nôtres mais forcément différents du fait d’une histoire différente ? A-t-elle échoué mais jusqu’à quel stade le processus prébiologique a-t-il progressé ? Si cette hypothèse se vérifie, l’avancement du processus a-t-il abouti à des molécules complexes, nocives pour la vie terrestre (comme peuvent l’être des prions, même si elles sont moins complexes) du fait de leur « intérêt » pour quelques éléments rares sur Mars dont nous serions porteurs (l’eau, le carbone, par exemple) ?

Le débat reste ouvert jusqu’à ce que l’exploration, robotique et humaine, nous apporte les éléments de réponses. Peut-être les pics de méthane faibles et rares observés par Curiosity dans le cratère Gale et provenants de son sous-sol, sont-ils les premières manifestations de ce danger et/ou phénomène extraordinairement passionnant?

Image à la Une: bactérie Deinococcus radiodurans. l’être vivant (terrestre) le plus résistant aux radiations. Si le processus de vie a abouti sur Mars, des êtres comparables (mais génétiquement différents) pourraient exister dans les profondeurs du sol.

 

La Neuvième planète est elle la Cinquième ?

Parmi les commentaires suscités par l’article des deux chercheurs du CalTech, Mike Brown et Konstantin Batygin, sur l’hypothèse de la « neuvième planète » de notre système solaire, celui d’Alessandro Morbidelli, astronome de l’Université de Nice qui a lancé l’hypothèse du « Grand Tack » qu’on peut traduire par « Grande virée de bord », renforce la nouvelle proposition en donnant plus de poids à l’hypothèse de la « cinquième planète ».

Pour comprendre il faut reprendre l’histoire racontée par Alessandro Morbidelli en 2011, belle histoire mais étayée tout de même par des simulations informatiques très convaincantes. Ainsi, après que la lumière du jeune Soleil se soit allumée au centre de son nuage primitif de poussières et de gaz en rotation, les planètes commencèrent à se former autour de tourbillons du nuage, loin du centre, là où la matière n’avait pas été trop raréfiée par la constitution du Soleil lui-même et au-delà de la « Limite de Glace » où les éléments les plus légers et l’eau avait été rejetés par la chaleur et les radiations intenses. Ainsi les noyaux des astres qui allaient devenir Jupiter, Saturne, Neptune, Uranus et (c’est l’hypothèse de la cinquième géante gazeuse) une autre planète, que l’on peut nommer « X », située entre Saturne et Neptune, commencèrent à accréter toute la matière qui se trouvait dans leur environnement en fonction de la force de gravité croissante qu’ils exerçaient sur elle. Il ne restait en dessous de Jupiter que des anneaux de roches asséchées et encore inorganisées, là où, un peu plus tard, après que le jeune Soleil se soit un peu calmé, se formeraient les planètes telluriques, dont notre très chère Terre.

Dans leur spirale continue vers le Soleil, c’est la matière en direction du Soleil qui était accrétée et insensiblement Jupiter s’en rapprochait, jusqu’à descendre en dessous de la Limite de Glace dans ce qui est aujourd’hui la Ceinture d’Astéroïdes et même dans la région occupée aujourd’hui par la future planète Mars. Si la planète géante avait continué, notre système se serait finalement stabilisé comme la plupart des autres caractérisé par la même métallicité, avec un « Jupiter chaud » dans la région de Mercure ou encore plus près du Soleil. Heureusement et c’est notre chance, un des nombreux hasards extraordinaires qui en fin de compte font que « nous sommes là », Jupiter était suivi dans sa descente infernale par Saturne et au bout d’un moment les deux planètes se trouvèrent dans un système de résonnance particulier qui fit qu’elles se stabilisèrent puis repartir vers l’extérieur du système. La matière de la Terre, Vénus et Mercure, qui commençaient à se structurer, était sauvée ; celle de la Ceinture d’Astéroïdes et de Mars était considérablement appauvrie, ce qui explique en particulier que Mars n’ait qu’une masse égale à 1/10ème de celle de la Terre.

Mais le mouvement de balancier du couple Jupiter / Saturne, devenues énormes et avides de toujours plus de matière, continua son rebroussement bien au-delà de son point de départ et Saturne vint empiéter dans le territoire des autres géantes gazeuses extérieures. Neptune qui se trouvait avant Uranus fut expulsée au-delà de cette dernière, dans une région très riche en petits corps glacés qui, déstabilisés, se mirent à pleuvoir par milliards vers le Soleil, rapportant aux planètes telluriques l’eau dont elles avaient été privées. Selon David Nesvorny et Alessandro Morbidelli, ce pourrait être un peu avant cet événement spectaculaire que la planète X, confrontée directement à Saturne, aurait subi une expulsion encore plus violente et disparu totalement « du paysage ».

On se demande maintenant si, au lieu de partir errer dans l’espace interplanétaire, loin de toute étoile (le cas existe), la planète X, la cinquième géante, n’aurait pas été rattrapée quand même « par les cheveux » d’une gravité juste suffisante et maintenue in extremis dans le système. Ce serait évidemment notre « neuvième planète » !  On voit bien sur l’« image à la une » l’équilibre qu’elle restaurerait, en opposition, on pourrait dire en « contrepoids », à toutes les autres petites planètes-naines transneptuniennes dont les orbites se déploient de l’autre côté du Soleil. Elles « tirent » toutes d’un côté et la grosse planète X tire de l’autre.

La géographie de notre système solaire apparaît ainsi de plus en plus clairement, comme une image informatique floue qui peu à peu se précise. La Neuvième Planète serait la pièce manquante du puzzle qui donnerait au reste de la figure géométrique de notre système stellaire tout son sens. Il nous reste à distinguer sa faible lueur sur une orbite qu’elle doit parcourir en 10.000 ans tant elle est longue et qu’elle est lente. Il nous faudra peut-être à nous aussi très longtemps pour la voir mais si nous la trouvons grâce au raisonnement impeccable de nos astronomes assistés d’ordinateurs surpuissants, nous vivrons un grand moment de l’histoire des sciences, digne de ceux que connurent nos prédécesseurs lors de la découverte d’Uranus et de Neptune.

Références / Liens :

“Evidence for a distant giant planet in the solar system”, in The Astronomical Journal, 151 :22 (12pp), de Février 2016, par Konstantin Batygin et Michael Brown

« A low mass for Mars from Jupiter’s early gas-driven migration » in Research Letter, Nature, doi:10.1038/nature10201, 14 juillet 2011 par Kevin Walsh, Alessandro Morbidelli, et autres.

“Young solar system’s fifth giant planet?” in “the Astrophysical research letters” 742:L22 (6pp), 1 décembre 2011, par David Nesvorny, Dept of Space Studies, SW Research Institute, Boulder, Colorado.

Image à la Une: schéma des orbites observées des planètes-naines transneptuniennes et de l’orbite hypothétique de la planète X.

La Neuvième Planète (1/2)

La Neuvième planète, une probabilité de plus en plus forte ce qui ne veut pas dire une certitude.

Je comprends bien l’engouement du public pour la nouvelle mais toujours hypothétique « Neuvième Planète » (rang qui était celui de Pluton jusqu’à ce qu’elle soit rétrogradée à la qualité de « planète-naine » en 2006). Il est inspiré par le goût du mystère et de l’étrange. L’existence potentielle de cet astre se trouve depuis très longtemps dans l’esprit des astronomes puisque très vite après la découverte de Neptune par Urbain Le Verrier en 1846, une perturbation avait été notée dans l’orbite de cette dernière. On a cru, un moment furtif, que Pluton était la réponse. Las ! Sa masse était insuffisante pour fournir une explication exhaustive. Ce fut ensuite dans les dernières dizaines d’années (depuis 1992) la découverte d’une série d’autres « objets » transneptuniens, localisés dans la ceinture de Kuiper, comme Sedna, Quaoar ou Eris…

A chaque fois, on nous a annoncé LA découverte qui aller « boucler » l’explication du système solaire et à chaque fois on a été déçu car chacun des astres décelés s’est avéré n’être qu’une planète-naine, du genre Pluton, dont la masse était insuffisante et l’orbite « anormale ». Petit à petit cependant un schéma nouveau se dessine qui suggère des probabilités de moins en moins flous pour les masses dont ils restent à préciser la localisation. De fait, les ellipses des planètes-naines de la Ceinture de Kuiper, s’étendant toutes du même côté du soleil, appellent une sorte de « contrepoids », invisible, nécessaire à leur équilibre instable. C’est ce qu’on « vu » deux chercheurs du CalTech, Mike Brown et Konstantin Batyguin, et ce sont des personnes dont la parole a du poids car Mike Brown, spécialiste des objets transnuptoniens, est le scientifique qui a convaincu ses pairs de la logique de la rétrogradation de Pluton, après qu’il ait découvert Eris.

Le premier problème pour aller plus loin c’est que ce contrepoids, étant très loin du soleil, on suppose entre 200 et 1200 « UA » alors que Pluton évolue entre 29 et 49 UA (1 UA égale la distance Terre / Soleil), se déplace très lentement sur une orbite extrêmement longue (on estime à 10.000 à 12.000 ans le temps nécessaire à la parcourir). Le deuxième problème c’est que la quantité de lumière reçue du Soleil à cette distance est extrêmement faible (juste un peu plus que celle d’une grosse étoile) et que la lumière réfléchie vers notre région centrale du système solaire est d’autant plus faible. Le troisième c’est que le volume de l’astre est relativement petit ; on parle d’une planète gazeuse (type Uranus) d’une quinzaine de masses terrestres. Comme les astronomes distinguent les planètes des étoiles par le mouvement relatif de leur image sur la voute céleste, la difficulté pour la repérer est énorme. Enfin il n’est pas du tout sûr qu’il n’y ait qu’un seul astre ; un petit nombre de masses d’une somme égale à cette unique planète et dont les orbites seraient situées du même « côté » du soleil, pourrait aussi « faire l’affaire ».

Alors ?

Nous avons besoin d’un coup de chance, l’occultation d’une étoile répertoriée par exemple, ou encore la détection entre deux clichés, du déplacement infime d’un point de lumière presqu’imperceptible. Ce n’est pas « gagné » mais, si nous n’avons pas ce coup de chance, « on y arrivera » quand même, petit à petit, en détectant les uns après les autres les objets relativement massifs restants de la Ceinture de Kuiper, jusqu’à ce que le schéma des orbites se complète de façon satisfaisante pour l’équilibre général des masses. Le pas le plus récent a été fait en Novembre 2015 par l’identification de « V774104 » (voir image à la Une), un astre de 500 à 1000 km de diamètre (la moitié de Pluton), le plus distant observé à ce jour, à 103 UA du soleil.

A supposer que cette matière soit concentrée dans un seul astre, quel sera son intérêt « touristique »? Faible, car elle sera pratiquement inaccessible à nos fusées les plus puissantes (plusieurs dizaines d’années de voyage). Si on accède à sa surface (s’il est confirmé qu’elle n’est pas gazeuse) on ne pourra pas s’y mouvoir compte tenu d’une gravité beaucoup trop forte sauf si le plus important des « morceaux » de cette masse était de l’ordre de celui de la Terre. Auquel cas on y retrouverait la gravité terrestre mais la température serait inférieure à -200°C et le jour aussi noir que la nuit. Cela dégagerait toutefois une magnifique voûte étoilée.

Les chercheurs du CalTech ont loué du temps d’observation au télescope japonais Subaru situé au sommet du Mont Mauna Kea de l’ile de Hawai. Ils doivent couvrir à peu près un quart de l’orbite présumée de la planète (le segment d’arc le plus lointain). Nous leur adressons tous nos vœux de réussite. En attendant, cette « neuvième planète » restera un objet de discussions avec un contenu de plus en plus précis, donc moins de rêves et de fantasmes.

Image à la une : vue d’artiste de la planète-naine V774104, crédit : NASA/JPL-CalTech

Mars, l’endroit le mieux protégé de l’espace, après la Terre

Les radiations (3/4)

Que se passe-t-il une fois sur Mars?

Lorsque l’on réalise que l’organisme humain accumule les radiations reçues (c’est-à-dire qu’il est durablement impacté par elles), il devient évident que l’homme ne peut, aujourd’hui, supporter de voyages interplanétaires plus longs que quelques mois sans dommages, le premier étant d’être privé de pouvoir répéter ces voyages de nombreuses fois. La durée « normale » d’un trajet jusqu’à Mars, six mois environ, est sans doute le maximum raisonnable. C’est un motif important pour ne pas chercher à mener des missions habitées plus lointaines en l’état actuel de nos technologies.

Mais que se passera-t-il une fois arrivés sur Mars ? On le sait assez bien aujourd’hui directement grâce à l’instrument « RAD » (pour « Radiation Assessment Detector ») embarqué à bord du rover Curiosity et indirectement grâce à l’orbiteur MAVEN (de la NASA) qui étudie actuellement la haute atmosphère martienne (entre 6000 et 125 km).

Le premier fait à noter, mais il est valable pour toutes les planètes où l’on pourrait se poser, c’est que la masse planétaire fait écran à la moitié du rayonnement spatial et, la nuit, à la totalité du rayonnement solaire, puisqu’on a cette masse sous les pieds.

La particularité de Mars est ailleurs, dans son atmosphère (de CO2). Elle est équivalente à une colonne d’un poids d’environ 20 g/cm2 (contre 1 kg/cm2 pour l’atmosphère terrestre). C’est peu mais suffisant pour arrêter les particules énergétiques solaires (« SeP ») d’une énergie inférieure à 150 MeV (en fait les particules “normales”). Attention cependant, il ne faut pas oublier que la densité de l’atmosphère varie avec l’altitude et cela est très sensible sur Mars où elle est ténue. Ainsi la pression passe de 611 pascal (0,006 bar) au niveau moyen (« Datum », équivalent du niveau de la mer), à 1150 pascal au fond du plus profond des bassins d’impact (Hellas) et à 30 pascal seulement au sommet du Mont Olympus (21 km au-dessus du Datum).

Malheureusement la planète Mars, contrairement à la Terre, n’a plus de dynamo interne donc pas de champ magnétique global piégeant une grande partie des radiations les plus énergétiques dans l’équivalent d’une Ceinture de van Allen. Elle dispose tout au plus d’une sorte d’ombrelle, l’onde de choc qu’elle génère par la vitesse de son déplacement par rapport au Soleil et, en dessous, d’une zone de concentration de particules magnétisées et ionisées. Ces voiles percés renforcent un peu mais pas beaucoup le bouclier atmosphérique.

Le résultat de ces conditions contradictoires, c’est qu’à l’altitude du Datum et au niveau de la moelle osseuse de l’homme, les résultats en « dose équivalente » de radiations étalés sur la durée normale d’un séjour sur Mars (18 mois) seraient de 12 rem pour le rayonnement galactique, « GCR », (mais de 18 rem à 12 km d’altitude). Il ne faut pas oublier d’y ajouter les doses équivalentes provenant des tempêtes solaires, les « SPE » (constitués de beaucoup de SeP très denses) mais celles-ci ne se produisent que sporadiquement. Pour exemple, le SPE de février 1956 a produit une dose équivalente de 6,6 rem à l’altitude du Datum (mais de 10 rem à 12 km d’altitude) et celui d’août 72 a produit 3 rem à la même altitude (NB : sur un séjour de 18 mois, il est raisonnable de prévoir deux SPE mais on peut en avoir zéro ou trois). Bien entendu on ne parle pas ici des rayons ultraviolets dont on peut se protéger beaucoup plus facilement (par le tissu épais d’un scaphandre ou la simple coque d’un module habitable transportés depuis la Terre, par exemple).

Si on prend en compte le flux normal de GCR (de 180 à 225 micro Gy/jour), on voit que les doses équivalentes totales reçues pour un séjour de 500 jours à la surface de Mars seraient égales aux doses reçues pendant les deux voyages de 6 mois Terre / Mars et Mars / Terre, un peu plus de 0,3 Sievert. On voit bien que ces quantités sont importantes mais acceptables par rapport au plafond fixé par les règles internationales de 1 à 4 sievert sur une « carrière » selon l’âge et le sexe (et au risque de cancer accru de 3%, seulement, qui en est la base). 

Vu sous un autre angle, on peut dire que les rem reçus en surface de Mars (au Datum), ne sont pas supérieurs à ceux reçus dans l’ISS, avec un bémol cependant, la forte force de pénétration des HZE des GCR (à étudier davantage).

Il ne faut pas oublier par ailleurs que le débit de dose (la quantité reçue pendant une durée déterminée) est aussi important que la dose. Autrement dit, un verre de vodka tous les jours pendant un mois n’a pas la même nocivité que la même quantité ingérée dans une seule soirée. De ce point de vue ce sont surtout les SPE dont il faudra se protéger et cela n’est pas trop difficile.

Il est de toute façon intéressant pour les séjours longs de prévoir des protections plus sérieuses que celles des vêtements ou des coques métalliques des modules habitables. A ce stade il y a deux solutions, le régolite martien ou l’eau martienne. Du fait des radiations secondaires (qui résultent de l’éclatement des noyaux atomiques de numéro atomique élevé, les « HZE ») sous l’impact des radiations primaires, l’épaisseur de régolite doit être beaucoup plus grande que celle de l’eau. Il faudrait 2 mètres de régolite ou 40 cm d’eau pour restituer un environnement radiatif de type terrestre. Mais pour les séjours relativement courts (18 mois, entre deux conjonctions des planètes favorables pour un voyage entre Mars et la Terre) on pourrait se contenter de 20 cm de régolite ou d’une dizaine de cm d’eau qui pourraient réduire déjà de 25% les doses équivalentes. (NB: cette observation implique que le sous-sol immédiat -le premier mètre en tout cas- ne contient pas de vie martienne nocive pour l’homme.)

Pour l’eau, cela tombe bien puisqu’on peut assez facilement en obtenir sur Mars (à partir de l’atmosphère ou à partir du sous-sol qui contient souvent de la glace d’eau, ou même des banquises enterrées en nombreux endroits des zones « tempérées » (sans compter les calottes polaires). Ces boucliers ne seraient pas trop difficiles à réaliser. L’eau pourra être stockée dans des sacs en plastique et, pour « profiter » du régolite, plutôt que de l’excaver et de le transporter, on pourrait aussi creuser des habitats dans des falaises ou équiper des cavernes. Evidemment on ne pourra rester tout le temps sous cette protection lourde mais les déplacements en scaphandre ou dans des véhicules en surface ne seront pas très dangereux compte tenu de leurs durées forcément limitées (on peut toujours envisager de se protéger temporairement davantage en cas de SPE).

Enfin, à l’intérieur des habitats, on pourra porter des vestes anti-radiations du type AstroRad de la société StemRad (voir ici mon article à ce sujet). Cela aurait l’effet positif annexe d’ajouter du poids aux personnes et donc de rendre leur réaccoutumance à la gravité terrestre moins difficile. Accessoirement, ce pourrait même devenir un article de mode!

Il faut bien voir que l’environnement radiatif martien est considérablement moins défavorable que celui des autres astres voisins, notamment de la Lune qui ne bénéficie d’aucune atmosphère (et qui est plus proche du soleil).

Mars peut donc bien être considéré comme l’endroit le plus sûr de l’espace en dehors de la Terre.

Lien : http://authors.library.caltech.edu/42648/1/RAD_Surface_Results_paper_SCIENCE_12nov13_FINAL.pdf

Image à la une : vue d’artiste du CME de Mars 2015. La projection de matière coronale solaire atteint Mars. Crédit NASA Goddard Space Flight Center 

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légende graphe: mesure sur quelques heures, le 7 août 2012, des radiations en surface de Mars par l’instrument RAD à bord de Curiosity. La moyenne (200) est celle prévalant dans l’ISS soit la moitié des doses absorbées dans l’espace profond. Les pics sont provoqués par des impacts d’ions lourds (HZE). 

Credit: NASA/JPL-Caltech/SWRI