On peut se poser des questions sur la nature et l’importance des échanges économiques au sein d’une société martienne naissante, disons entre 1.000 et 10.000 habitants. J’ai mes idées là-dessus et je voudrais vous en faire part dans deux articles que je vais publier cette semaine (les contraintes, les activités vitales et les hommes) et la suivante.
Tout d’abord considérons les contraintes
- Les Martiens seront coupés physiquement du reste de la communauté humaine pendant 26 mois avec, en plus, un décalage de 6 mois de voyage si l’on considère la date limite d’embarquement des « fournitures » terrestres. NB : si des hommes avaient été installés sur Mars et qu’on ait oublié une pièce essentielle pour faire fonctionner la mission Insight partie de la Terre début mai 2018, on n’aurait pu l’embarquer qu’en juillet 2020 et on n’aurait pu l’ajuster aux équipements arrivés sur Mars fin novembre 2018, qu’au plus tôt en février 2021 puisque la fenêtre de lancement depuis la Terre suivant celle de Mai 2018 ne s’ouvrait qu’en juillet 2020.
- Les Martiens auront en permanence toutes les télécommunications possibles avec la Terre mais ils seront irrémédiablement en décalage temporel, décalage qui évoluera le long du cycle synodique, entre environ 3 et 22 minutes (distance entre les deux planètes / vitesse de la lumière).
- Les Martiens auront à disposition dans leurs « datacenters », tout le stock de données de la communauté terrestre dont ils auront besoin, du moins ceux pour lesquels ils auront droit d’accès, ainsi que tous les logiciels dont ils pourront avoir besoin et droit d’accès et/ou qu’ils pourront payer.
- L’environnement martien sera hostile dans la mesure où l’atmosphère sera irrespirable, trop peu dense (610 pascals en moyenne), et les radiations spatiales trop fortes pour être supportées continument sans protection. Le sol sera totalement stérile et, de plus, couvert d’une couche de sels de perchlorates.
- Cependant cet environnement aura aussi des aspects positifs puisque l’atmosphère offre des éléments exploitables (carbone et oxygène) et donne une certaine protection (équivalent d’une colonne d’eau de 20 g/cm2). Les Martiens en plus de cette ressource auront à disposition dans le sol, de l’eau (sous forme de glace) et les mêmes éléments chimiques que sur Terre (même si la minéralogie n’a pas autant évolué et ne s’est pas autant diversifiée que sur Terre).
- Les Martiens auront besoin de générer des revenus pour payer les équipements importés de la Terre. L’établissement sur Mars doit s’avérer profitable, sinon les financements initiaux se tariraient après quelques années.
Voyons, dans ce contexte, les activités vitales qu’il faudra assurer
Les hommes devront non seulement travailler sur Mars mais aussi y vivre (autonomie minimum compte tenu d’un retour sur Terre 30 mois après en être parti.). C’est-à-dire qu’ils devront se nourrir, se vêtir, utiliser toutes sortes d’objets et maintenir leurs espaces viabilisés en bonnes conditions d’hygiène et de confort. Se nourrir cela signifie pratiquer une agriculture sous serres intensive, de l’algoculture et de la pisciculture ou de la crevetticulture en bassins, un petit élevage en habitats dédiés (pour le lait et les oeufs – pourvu qu’on puisse transporter des embryons de gallinacés congelés? – sinon pour la viande – la viande synthétique serait une alternative préférable). Se vêtir c’est fabriquer vêtements et chaussures à partir de fibres synthétiques (éléments minéraux) mais aussi à partir de déchets végétaux (les fibres) ou animaux (fibres, os, peau). C’est aussi réparer tout ce qui peut l’être, collecter les déchets alimentaires, les vieilles chaussures et les vieux vêtements et recycler tout ce qui peut l’être car sur Mars, coupés du reste du « Monde », les hommes ne devront rien gaspiller, surtout pas les matières organiques parce qu’ils devront les produire eux-mêmes et ne pourront le faire qu’à petite échelle. Utiliser toutes sortes d’objets cela veut dire les fabriquer sur place mais plus vraisemblablement reproduire les objets terrestres par impression 3D avec de la matière première martienne. Maintenir les espaces viabilisés en bonnes conditions, c’est contrôler et entretenir la structure des bulles et des corridors viabilisés, enlever périodiquement la poussière ultrafine (et collante !) de tous les hublots et de toutes les parties critiques des équipements utilisés à l’extérieur, c’est (de retour à l’intérieur) contrôler et rééquilibrer la pression atmosphérique ou la composition en gaz de l’atmosphère et repérer et remédier à l’éventuelle présence d’agents pathogènes. C’est contrôler et réparer le système électrique (certaines pannes pourraient être mortelles). C’est contrôler et réparer le système de chauffage, c’est contrôler et réparer la tuyauterie apportant l’eau propre et récoltant l’eau usée. C’est purifier cette eau pour la remettre en circulation dans des tuyauteries chauffées permettant que l’eau reste liquide. C’est nettoyer régulièrement et fréquemment toutes les surfaces internes des habitats, mêmes celles qui sont en locaux privatifs ou qu’on ne voit pas parce qu’elles sont dissimulées par parois, meubles ou objets, pour éliminer toute plaque de champignons ou de bactéries.
Qui dit vie dit reproduction. Il y aura des hommes et des femmes sur Mars et il y aura donc des enfants et il y aura aussi, malheureusement, des personnes inaptes au travail pour lequel elles seront venues sur Mars. Les enfants seront des désirs assumés ou des « accidents » mais de toute façon une grande joie pour la communauté puisqu’un gage de pérennité, et une responsabilité qu’il faudra assumer. Le seul problème c’est que les enfants (comme d’ailleurs les femmes enceintes) ne pourront pas revenir sur Terre avant la fin de leur adolescence car les radiations auxquelles ils seraient exposés pendant le voyage Terre / Mars seraient trop dangereuses pour leur organisme en développement. Une petite population, les enfants avec au moins un de leurs parents, resteront donc sur Mars au-delà du cycle synodique au début duquel ils sont arrivés. Les enfants ne seront évidemment pas des producteurs mais les personnes inaptes, le plus souvent parce que malades, ne le seront pas non plus. Dans la mesure du possible, ces derniers effectueront des tâches non assumées par les autres résidents mais cependant utiles à la communauté (par exemple s’occuper des enfants). S’ils sont gravement malades et inaptes à toute production, ils seront naturellement pris en charge par la communauté qui leur fournira les soins que toute société décente doit assurer à ses membres mais la société martienne ne pourra se permettre le luxe d’être une société « sociale ». Pour ces personnes inaptes à la production, le retour sur Terre sera inévitable lors du prochain départ, sauf bien sûr si leur santé ne le permet pas ou si elles peuvent assumer financièrement leur coût (dans ce cas-ci, pourquoi ne pas rester). Il n’y aura pas de chômage de convenance sur Mars. Toute personne capable devra fournir à tout moment un service utile aux autres en échange de l’aide qui lui sera accordée, à moins (comme dit plus haut) que financièrement elle puisse assumer son inactivité.
Enfin, compte tenu du nombre de personnes impliquées et de la complexité d’une vie en société, un minimum de coordination sera nécessaire, un arbitrage en cas de conflit, peut-être un service d’ordre. Comme dans un orchestre de chambre, un musicien jouant l’instrument principal peut donner le tempo mais pour un fonctionnement plus fluide il faut une petite équipe administrative spécialisée avec direction et assistants. Ce sera très probablement le cas. Il y aura aussi nécessité de protéger les installations financées par les investisseurs terriens et utilisés bien évidemment localement. Il y aura encore nécessité de constater les besoins généraux et d’en faire part aux mêmes aussi bien qu’aux personnes sur place, afin de permettre toutes sortes de prévision et de planification des développements.
Voyons ensuite les hommes qui devront les exercer
Il faudra « faire tout cela » et les Martiens ne seront pas nombreux (le voyage coûtera toujours cher, les volumes viabilisés dans les vaisseaux spatiaux seront peut spacieux, les infrastructures d’accueil mettront un certain temps à pouvoir être construites et sécurisées). Il y aura donc beaucoup de robots, autant que nécessaire. Mais il faudra aussi des hommes pour les diriger. Il y aura des agronomes, des algologues, des ichtyologues, des carcinologues, des spécialistes des petits animaux, qui non seulement les étudieront pour les adapter toujours le mieux possible à leur environnement clos « un peu » particulier, mais qui aussi s’occuperont d’eux pour les faire naître et les faire croître, les récolter ou les tuer (donc des poissonniers et des bouchers si on décide de consommer de la viande prélevée sur des animaux plutôt que de la viande synthetique), les stocker, les conserver, les préparer pour la consommation (des cuisiniers), les servir puis récolter tous les restes (personnel de restaurant), les recycler (ingénieurs spécialisés). Il y aura des couturiers, des bottiers et des cordonniers, des commerçants de toute sorte. Il y aura des médecins dans toutes les spécialités nécessaires, des microbiologistes pour maintenir l’environnement propre et des pharmaciens (et bien sûr une petite industrie pharmaceutique). Il y aura des planificateurs urbains (il sera vital de penser l’implantation des habitats, des lieux de production viabilisés et des volumes sociaux les uns par rapport aux autres), des architectes, des ingénieurs-structures, des producteurs de verre, d’acier, de métaux divers, de produits chimiques divers, à partir de la matière brute qu’il faudra repérer, extraire, transporter, stocker, raffiner, stocker. Comme par ailleurs, la population de robots sera importante, que les télécommunications avec la Terre seront permanentes et qu’il faudra pouvoir tout contrôler et réparer aussi vite que possible, il y aura une multitude de capteurs, envoyant constamment leurs données à des centres de contrôle puissamment équipés en informatique et qui disposeront d’un dispositif de stockage de données considérable et dupliqué pour redondance (sécurité !). Il y aura aussi une partie de la population qui sera responsable des transports physiques entre la Terre et Mars, même si ceux-ci auront une cyclicité très forte (les fameux 26 mois !) et comme ils ne seront pas employés à temps plein, ils devront aussi s’occuper des transports planétaires distants effectués par fusées à moyenne portée (un autre moyen d’amortir le Starship par économie d’échelle !). Enfin il faudra télécommuniquer entre Martiens et entre Martiens et Terriens, donc beaucoup de personnes seront dédiées aux télécommunications et à toutes leurs complexités.
Je n’oublie pas les enfants. Les élever ne sera pas facile au début, surtout qu’ils « prendront » nécessairement du temps aux parents ce qui représentera un coût important, pour eux et la communauté. Ils devront très vite être pris en charge par un personnel spécialisé. S’ils ne sont pas nombreux « les uns et les autres » s’en occuperont avec une solidarité minimum pour que les mères puissent assurer le travail pour lequel elles seront venues sur Mars. Mais à partir d’une petite douzaine, il y aura des éducateurs professionnels et des personnes chargées de la coordination de leur enseignement en utilisant les capacités des nombreux spécialistes présents sur Mars (je vois l’établissement martien tout entier comme une sorte d’Université).
Et pour faire fonctionner tout cela il y aura des producteurs d’énergie, des gens qui capteront les rayonnements du Soleil avec des panneaux importés de la Terre (il faudra « un certain temps » pour pouvoir obtenir sur place la pureté du silicium nécessaire), d’autres qui entretiendront les réacteurs nucléaires (il faudra « un certain temps » avant de pouvoir construire leur cœur sur Mars), d’autres qui repéreront les sources géothermiques et les exploiteront d’une manière ou d’une autre (ce serait dommage de ne pas le faire !), d’autres qui s’occuperont de la distribution de l’énergie secondaire ou du résidu « chaleur » et veilleront à une utilisation aussi rationnelle et précautionneuse que possible (compte tenu de l’environnement, la capacité de production énergétique sera primordiale et on s’efforcera d’éviter tout gaspillage).
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