Mars notre premier pas vers la Liberté + lien vers présentation d’Elon Musk du 28 septembre

Aller sur Mars n’est pas une fin en soi, c’est entreprendre de vivre en dehors de notre planète avec l’espoir que cela conduise notre espèce humaine à fleurir un jour partout dans l’Univers, repoussant au plus loin possible notre mort certaine. Nous le valons bien !

Beaucoup de critiques de l’exploration de Mars par vols habités, disent que les robots « feraient beaucoup mieux » ou, pour les plus conciliants, « aussi bien » que l’homme, le travail de recherche scientifique que certains partisans de cette exploration humaine mettent en avant pour justifier leur exigence d’aller sur place. Ils ont tort car l’homme avec le robot aurait beaucoup plus d’efficacité que le robot sans l’homme. N’oublions pas le problème de la distance entre les deux planètes qui impose absolument, du fait de la finitude de la vitesse de la lumière, un décalage (« time-lag ») entre le moment où l’on donne un ordre à une machine et le moment où il est exécuté et ensuite celui où l’on reçoit l’information sur ce qui a été exécuté. Mais là n’est pas le vrai problème et la vraie motivation du vol habité car on est bien obligé pour les « terres » plus lointaines que Mars de recourir aux seules machines et on obtient quand même des résultats intéressants même s’ils le sont moins et qu’on les obtient plus lentement que si ces machines étaient « accompagnées ». Non, le vrai problème est que la seule exploration scientifique pour l’accroissement de nos connaissances ne nous fait pas nécessairement « sortir de notre berceau » comme le disait le fondateur de l’astronautique, Konstantin Tsiolkovsky au début du XXème siècle et que ce que nous voulons, nous les « Martiens-terrestres », c’est bien que l’humanité sorte de son berceau.

Cela ne veut pas dire que nous voulons demain que des hordes de Terriens en surnombre sur leur planète s’embarquent pour la planète Mars, la « terraforme » et la couvre de maisons (on dit des « habitats »), d’usines et de routes, pour le simple plaisir de continuer ailleurs ce que nous faisons sur Terre et de détruire Mars comme nous avons déjà pas mal endommagé la Terre (bien que la trajectoire semble aujourd’hui infléchie par une prise de conscience générale). Ce n’est pas si simpliste et de toute façon ce ne serait pas possible car le transport coûtera toujours cher et les « facilités de vie », absolument nécessaires compte tenu des conditions extrêmes imposées par l’environnement martien, ne seront pas si « faciles » à construire et qu’il faudra beaucoup de temps pour le faire.

Non ! Ce qu’on peut envisager c’est une lente progression de notre installation sur Mars et, au début du moins, une sélection très exigeante des candidats pour y participer. Il faudra en effet que les gens soient d’abord compétents car le « support-vie » de toute vie sera extrêmement coûteux et on ne paiera que le voyage de ceux qui seront indispensables au fonctionnement de la « Cité ». Il faudra qu’ils soient aussi ingénieux, adaptables et inventifs car ils devront faire face à toutes sortes de situations inévitablement imprévues avec des moyens limités sans pouvoir recourir à l’aide matérielle de la Terre. Il faudra aussi qu’ils aient un caractère d’acier, non parce qu’ils seront « loin de la Terre » mais parce qu’il sera capital de faire face avec sang-froid à ces problèmes sans être inhibés par leurs difficultés ou les dangers qu’ils impliquent. Et il faudra encore que la personne qui bénéficie de la sélection ait un sentiment de responsabilité qui dans tous les cas la pousse à donner en retour un service aussi bon que ses capacités lui permettent ; ce sera absolument indispensable au fonctionnement de la colonie puisque, la population étant très réduite, très peu sinon lui seul, pourront le fournir.

Mais cette installation sur Mars ne pourra pas être simplement une prouesse technologique. Elle le sera indubitablement mais si elle n’était que cela, elle ne pourrait pas avoir de continuité dans la longue durée. C’est sans doute en partie la raison pour laquelle l’aventure lunaire a été sans lendemain (à ce jour). Ce que nous voulons c’est que les hommes que nous enverrons sur Mars soient des fondateurs avec une vision. Cette vision c’est celle qu’avec Carl Sagan on peut faire germer puis cultiver dans son esprit en se retournant vers la Terre quand on s’en éloigne, en réalisant que toute l’humanité, passée et présente, est là sur ce pâle petit point bleu. Cela peut donner le vertige et cela générer sans doute de l’inquiétude si ce n’est de l’angoisse mais cela peut aussi donner de la fierté et de la force. Comment ne pas être fiers de certains, nombreux, accomplissements de l’homme et comment accepter que tout ce qu’on a créé de sublime sur Terre puisse disparaître un jour du fait de la vulnérabilité de ce petit point bleu ou plutôt de sa cognosphère* qui sur une période très brève, quelques milliers d’années, infime fraction de temps au regard des 4,567 milliards d’années de notre histoire planétaire, s’est développée à sa surface. Comment accepter qu’un jour personne ne puisse plus ressentir l’émotion et les sentiments suscités par la musique de Vivaldi, un poème de Baudelaire, une tragédie de Shakespeare, la lecture des Evangiles, celle de l’Odyssée ou simplement la beauté d’un coucher de soleil sur une dune plantée d’ajoncs au bord de la mer avec à ses côtés la femme qu’on aime (vous avez le droit de remplacer les miennes par vos propres justifications, selon votre sensibilité et votre culture) ?!

*ensemble des individus conscients et communicants.

C’est donc notre devoir en temps qu’êtres humains de porter cette flamme pour la conserver aussi longtemps que nous le permettront nos forces, comme nos ancêtres préhistoriques portaient leurs braises dans un petit réceptacle de pierre et de bois dur et qu’il nourrissait sans cesse de peur qu’elles ne s’éteignent. Ce ne sera pas facile et ce ne se fera pas sur un chemin rectiligne et déjà tracé. A chaque époque cela dépendra des progrès de notre technologie et de notre envie de continuer à vivre.

Cela doit commencer par Mars parce que tout simplement c’est la seule planète où l’on puisse envisager aujourd’hui de le faire compte tenu de la distance accessible malgré le danger des radiations et compte tenu des ressources qu’elle peut nous offrir. Mais cela ne doit pas s’arrêter à Mars. Un jour nous pourrons aller plus loin et il faudra aller plus loin. Un jour nous pourrons construire des îles de l’espace comme en a rêvé Gerard O’Neill et il faudra construire ces îles. Un jour nous pourrons nous embarquer pour aller ailleurs, vers une autre planète orbitant une autre étoile dans la ceinture habitable de notre Voie Lactée et peut-être un jour, inimaginable aujourd’hui, encore plus loin et il faudra aller toujours plus loin. Nous serons partout, toujours plus inventifs et plus créatifs. Il y aura des échecs et il y aura des drames mais il y aura aussi des merveilles et mille fleurs écloront dans l’espace. Nous avons un potentiel extraordinaire. Nous sommes sans doute ce que la Nature a produit de plus complexe, de plus intelligent et de plus sensible (et si ce n’est pas exact, nous devons faire « comme si »). Nous avons donc un devoir vis-à-vis d’Elle (certains l’appellent autrement et je n’ai pas de problème avec ça) et vis-à-vis de tous ceux qui nous ont porté jusqu’ici, et nous devons absolument honorer cette obligation.

Alors un jour « nos descendants » qui ne seront sans doute plus « humains » au sens où nous l’entendons aujourd’hui car à chaque génération l’évolution empoigne nos gênes animés par l’ardente nécessité de survivre et de transmettre, et les triture et les transforme dans ce processus complexe sinon étrange que l’on comprend mieux maintenant avec la prise de conscience de la force homéostatique qui l’anime, mais « nos descendants » tout de même dans la mesure où ils auront gardé l’aptitude aux sentiments que nous leur aurons transmis et qui auront essaimé sur une multitude de planètes, chacune devenue autonome et différente, se retourneront vers leur passé qui se perdra dans les brumes du Temps et, à la lueur du magnifique spectacle de notre Soleil transformé en géante rouge et enflée au maximum avant de se transformer en nébuleuse planétaire, ils auront une pensée pour leur planète d’origine disparaissant dans son enfer et ils nous diront merci pour leur vie et leur Liberté.

NB: Maintenant que nous connaissons mieux notre environnement spatial (qu’il y a, disons, une cinquantaine d’années) on peut dire qu’il y a sans doute des planètes-B (et que Mars pourrait faire l’affaire), mais qu’il n’y a pas d’« Humanité-B ». Je développerai bientôt ce thème.

Image de titre : nébuleuse ouverte NGC2818 (à environ 10.000 années-lumière de “chez nous”). Notre Soleil en fin de vie s’effondrera sur lui-même et rejettera gaz et matière en une coque plus ou moins sphérique qui se dilatera peu à peu autour de lui dans l’espace. Crédit NASA, ESA et l’équipe Hubble Heritage (STScl/AURA).

Image ci-dessous : pale petit point bleu : photo de la terre prise en 1990 par la sonde Voyager 1, à environ 6,5 milliards de km (distance moyenne de Pluton), crédit NASA/JPL-CalTech. C’est cette photo qui a inspiré le titre du livre de Carl Sagan, « Pale Blue Dot : a vision of the human future in Space » (1994). Le point bleu se trouve dans la bande la plus claire, à 40% du bas de l’image.

Image ci-dessous (vue d’artiste): Dans 5 milliards d’années, notre Soleil enflé en géante rouge et la Terre; crédits : Mark Garlick/HELAS

Elon Musk a fait le point hier, Samedi 28, sur son projet Starship + SuperHeavy. Je vous donne le lien vers sa présentation sur Youtube. Je suis heureux de constater que nous sommes tout à fait dans le même état d’esprit qu’exprimé dans l’article ci-dessus. NB: la présentation qui dure 43 minutes a été suivie de questions / réponses (à partir de 48’50). Enjoy!

 https://www.spacex.com/webcast

 

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Index L’appel de Mars 19 09 26

Le radiotélescope géant SKA, un projet exaltant qui pose des défis à hauteur de son ampleur

La communauté mondiale des astrophysiciens s’est lancée dans un projet pharaonique qui pousse les limites de ce que l’on peut faire sur Terre, le télescope « SKA », « Square Kilometer Array ». Il s’agit de construire dans l’hémisphère Sud (Australie et Afrique du Sud) un ensemble d’antennes recueillant les ondes radio et fonctionnant en interférométrie. Cet ensemble sera gigantesque puisqu’il doit s’étendre sur deux continents, pour atteindre un km2 de surface de collecte ce qui lui permettra d’être 50 fois plus sensible que n’importe quel autre télescope radio. Il commence à voir un début de réalisation avec les sous-réseaux « ASKAP », « MeerKAT » et « MWA », trois « pathfinders » (précurseurs), en Australie et en Afrique du Sud, mais les défis sont importants et ils ne sont pas que technologiques bien que la réalisation du projet suppose l’application de technologies de pointe; ils sont aussi organisationnels et environnementaux en raison de son ampleur même.

NB : il n’est pas question ici de développer en profondeur un projet extrêmement complexe mais simplement d’attirer l’attention sur ce qui en fera un instrument très riche en potentialités et qui marquera l’histoire de l’astronomie.

Tout a commencé par des réflexions à la fin des années 1980 puis concrètement en 1993 avec la création d’un groupe de travail sur les grands télescopes et en 1997 avec le lancement d’un programme d’étude technologique en vue de la réalisation d’un « très grand radiotélescope ». Ensuite, en mai 2012, ce fut la signature d’un Memorandum of Understanding, puis la mise en place d’un « Project Office » (en Grande Bretagne, à l’Observatoire de Jodrell Bank, près de Manchester). Après d’autres (nombreuses) réunions et préparatifs, la décision fut prise de construire ce qui fut appelé le « SKA-1 » sur deux sites, en Australie Occidentale, à Mileura, près de Meekatharra, un endroit « perdu » au Nord de Perth dans le « désert de Murchison », pour les basses fréquences, et en Afrique du Sud, dans le désert du Karoo, au Nord Est du Cap ; le choix de l’hémisphère Sud et d’endroits peu peuplés étant justifié par les faibles interférences radio (« bruits ») provenant d’activités humaines.

Le coordinateur, SKAO (« O » pour « Organization »), vise à constituer une organisation intergouvernementale (« IGO »), la seconde en importance dans le domaine de l’astronomie après l’ESO (European Southern Observatory) qui s’appellera aussi le SKAO (mais avec “O” pour Observatory). Un traité international est en cours de signature pour la régir. En 2020 l’IGO SKAObservatory prendra la suite du SKAOrganization et entreprendra la construction puis la gestion du “télescope” mais cela n’empêche pas l’ « Organization » de fonctionner déjà, sous la forme d’un « Project Office » (« Bureau de projet ») car il faut finaliser la phase préparatoire! Pour accomplir cette phase, le « Bureau » a lancé en 2013 un appel budgeté à 200 millions de dollars (et financés par les agences nationales) à la communauté scientifique du SKAOrganization pour faire préciser la définition du projet par onze consortia internationaux : Assembly, Integration and Verification (AIV), Central Signal Processor (CSP), Dish (DSH), Infrastructure Australia (INFRA AU), Infrastructure South Africa (INFRA SAU), Low-Frequency Aperture Array (LFAA), Mid-Frequency Aperture Array (MFAA), Signal and Data Transport (SaDT), Science Data Processor (SDP), Telescope Manager (TM), Wideband Single Pixel Feeds (WBSPF). Les seuls noms de ces différents « groupes » aident à comprendre (un peu) la nature de leurs travaux puisque ce sont ceux de tous les domaines où il convient d’affiner les préparations.

NB: Les pays membres du SKAO ont fluctué avec le temps. Aujourd’hui, l’Australie, l’Afrique du Sud, la Chine, l’Italie, le Portugal, les Pays-Bas et le Royaume-Unis ont confirmé leur adhésion au SKAObservatory en signant le traité de l’IGO qui l’institue. L’Allemagne, l’Espagne et la France (CNRS avec l’Observatoire de Paris, l’Observatoire de la Côte d’Azur, l’université de Bordeaux et l’Université d’Orléans) sont membres spéciaux de SKAOrg. Comme la Suisse (EPFL, UniGE, UniZH, FHNV, CSCS), le Japon et la Corée, L’Inde et la Suède, également membres du SKAOrganization, ils se préparent à signer le traité de l’IGO du SKA Observatory mais n’en sont donc pas encore des membres confirmés. Le Canada est membre de SKAOrg depuis longtemps et décidé à continuer, mais refuse de signer un traité pour un projet scientifique, il deviendra membre associé de l’IGO. 

Techniquement le SKA doit couvrir continûment un spectre de fréquences (une « bande passante ») très large (longueurs d’ondes centimétriques à métriques) allant de 50 MHz à 14 GHz dans ses deux premières phases de construction et, dans une troisième phase, jusqu’à 30 GHz. La première phase, “SKA-1”, couvrira les fréquences basses (50 à 350 MHz, « SKA1-LOW ») et moyennes (350 MHz à 14 GHz, « SKA1-MID ») et doit permettre d’ici 2028 l’établissement d’environ 10% de la surface de collecte totale prévue. Plusieurs types d’antennes seront utilisés ; des antennes dipolaires pour les fréquences basses et des antennes paraboliques de 15 mètres de diamètre pour les fréquences allant de 350 MHz à 14 GHz (dans un premier temps). Bien entendu ces antennes ne seront que la « partie visible de l’iceberg » puisqu’il faudra coordonner leur fonctionnement, recueillir les données collectées (plus de 7 terabits/seconde !), les traiter (« traitement du signal »), c’est-à-dire les corréler, les stocker, les analyser, et tout cela sur des quantités énormes ce qui suppose des moyens informatiques extrêmement puissants (plusieurs centaines de pétaflop/seconde de vitesse de calcul). La clef de voûte de l’ensemble sera le « télescope manager » (TM) cité plus haut qui fait aussi l’objet d’un groupe de travail.

L’ensemble des antennes doit être implanté dans deux régions (Afrique du Sud et Australie), chaque station étant divisée en trois zones : un centre, réseau dense comprenant la moitié de la surface collectrice ; une région intermédiaire et une région extérieure, en bras spiraux. Plus on s’éloignera du centre plus la densité diminuera. Les antennes de fréquences basses seront réparties entre les zones centrale et intermédiaire, les régions externes ne contenant que des antennes à fréquences moyennes ou hautes. En Australie, l’observatoire basse fréquence comprendra 512 stations sur une base de 40 à 65 km. Chaque station comprendra 256 antennes, soit un total d’environ 130.000 antennes. En Afrique du Sud, l’objectif de la première phase est d’ajouter 133 antennes paraboliques aux 64 déjà installées dans le site précurseur MeerKAT. Elles seront disposées sur une base d’une envergure de 150 km. Le but ultime est d’étendre le SKA jusqu’à 10 fois cette taille, avec un million d’antennes basses fréquences et 2000 antennes paraboliques moyennes et hautes fréquences. Les travaux doivent commencer en 2023, et dès 2028, à l’achèvement de la première phase, on devrait avoir décuplé la capacité d’observation disponible sur Terre aujourd’hui en fréquences radio, et ceci pour un investissement proche de 1 milliard d’euros.

Pour le moment nous en sommes aux installations « précurseures » (« pathfinder »). C’est le cas de ASKAP en Australie occidentale (réseau de 36 antennes paraboliques) et c’est aussi le cas de MeerKAT en Afrique du Sud (réseau de 64 antennes paraboliques) et de Murchison Widefield Array  au Nord de Perth en Australie Occidentale (au Murchison Radio Astronomy Laboratory) pour les basses fréquences (70 à 300 MHz).

Les objectifs de SKA rejoignent assez largement ceux de CHIME et de DSA. Il s’agit de détecter la présence et l’évolution de l’hydrogène dans l’espace galactique et intergalactique lointain avec fort décalage vers le rouge, aux environs de 5 à 6 milliards d’années (il s’agit toujours d’observer la période pendant laquelle l’accélération de l’expansion a commencé à se manifester, quelques 7 milliards d’années après le Big-Bang), en ciblant la raie à 21 cm de l’hydrogène neutre (HI). Les télescopes plus anciens pouvant difficilement étudier cet élément au-delà de 2,5 milliards d’années. Il s’agit aussi d’observer la formation des premiers objets lumineux dans l’Univers, l’« Aube cosmique », après l’« Age des ténèbres », 100 à 180 millions d’années après le Big-bang, quand la concentration de matière sous l’effet de la force de gravité (s’exerçant sur les masses d’hydrogène et d’hélium) a provoqué l’apparition des premières étoiles et des premières galaxies. C’est à cette époque de concentration que se sont formés les vides entre les masses et que l’hydrogène s’est ionisé en conséquence de l’activité des premières étoiles. L’observation est difficile compte tenu de la distance et de l’environnement moins ancien beaucoup plus lumineux mais elle sera très utile car elle doit permettre d’obtenir une carte de l’Univers après le fond diffus cosmologique (CMB) et donc de mieux suivre son évolution en donnant une autre étape de référence dans son histoire. Il s’agit aussi de chronométrer simultanément autant de pulsars que possible, ces objets ultra-denses (étoiles à neutrons) qui émettent avec une périodicité extrêmement régulière (stabilité allant jusqu’à 10-16) des rayonnements radio très brefs et très rapides. Cette régularité en fait de véritables « phares cosmiques » et toute infime perturbation dans le temps de transmission du signal de l’un d’entre eux par rapport au temps de transmission du signal des autres, pourra indiquer le passage d’ondes gravitationnelles. Il s’agit encore d’étudier les champs magnétiques divers qui existent dans l’espace pour toutes sortes de raisons et par conséquent non seulement leur densité mais aussi leur source de magnétisation. Les mesures seront faites en observant les rotations imprimées par les champs ionisés sur la polarisation des ondes radio (rotation de Faraday).

NB : le signal provenant de sources radio est polarisé linéairement et sa direction de polarisation tourne lorsqu’il traverse un plasma magnétisé avant d’atteindre nos télescopes terrestres. Cette rotation dépend de la longueur d’onde observée et d’une grandeur (la « Rotation Measure », RM) qui dépend de l’intensité du champ magnétique traversé.

Le grand avantage du SKA par rapport aux meilleurs radiotélescopes actuels, c’est qu’il portera le nombre de sources radio avec une mesure RM, de quelques 40 000 à plusieurs millions. Un autre intérêt du SKA, d’autant qu’il aura un très large champs de vision avec une très large bande passante, est qu’il pourra percevoir un grand nombre de FRB (“Fast Radio Bursts” ou “Sursauts Radio Rapides”, voir mon article du 31/08/2019). Il l’a déjà « annoncé » en fournissant avec son précurseur australien ASKAP, les coordonnées d’un des premiers FRB identifié. Pour être plus précis (mais moins clair!), il faut mentionner que le Bureau du SKAO a constitué une structure de recherche en onze autres groupes de travail. Là aussi vous ne verrez que des noms mais ils donnent également une idée de tous les sujets qui vont être approfondis : Epoque de re-ionisation, Cosmologie, Physique fondamentale avec pulsars, Univers transitoire, Continuum extragalactique, magnétisme cosmique, berceau de la vie, hydrogène neutre dans les galaxies, raies spectrales extragalactiques, notre galaxie, physique solaire et héliosphérique. Vaste programme!

« Petit » problème : toutes ces installations utilisent des surfaces au sol très importantes. Même dans les régions désertiques il y a des gens et certains n’aiment pas qu’on vienne occuper leur territoire. Les indigènes nomades du désert du Karoo en Afrique du Sud ont ainsi exprimé leur opposition au projet. Ceci fait penser aux objections soulevées par les Hawaïens qui se sont élevés, pour des raisons religieuses, contre l’implantation du Thirty Meter Telescope au sommet du Mont Mauna Kea sur l’ile de Hawaï ou, pour des raisons « écologiques » (mais qu’on peut assimiler à des raisons religieuses!), sur le sommet de l’île de La Palma aux Canaries (« back-up » du Mauna Kea).

L’intérêt du SKA est donc son immense champ de vision et sa très large bande passante. C’est incontestablement une révolution en astronomie. Nul doute que si le projet est mené à son terme, il nous apportera une quantité extraordinaire d’informations et que nous acquerrons donc (entre autres !) une connaissance bien meilleure des masses d’hydrogène et de leur répartition, donc de la Matière en général qui nous entoure. Le seul vrai problème est d’ordre environnemental. Dans tous les domaines ce sujet est maintenant à prendre en considération puisque les populations en sont devenues conscientes et si elles ne le sont pas spontanément, nul doute que certains savent susciter leur attention et la stimuler. On est passé d’une indifférence totale il y a une trentaine d’années à une opposition de nature quasi allergique aujourd’hui. Raison de plus pour penser à l’espace, lieu immense et libre, pour à l’avenir y développer davantage nos observatoires, avec des groupes de télescopes coordonnés flottant dans le vide, comme celle du projet Darwin, ou avec des installations sur la face cachée de la Lune, à l’abri donc de toute pollution par l’activité terrestre et facilement accessible depuis la Terre ou, bien sûr, des installations à la surface de Mars.

Image de titre : cœur de SKA sur 5 km de diamètre MeerKAT. Vue d’artiste, crédit Wikipedia commons.

Image ci-dessous : vue aérienne des antennes du précurseur ASKAP de SKA. Crédit SKAO. Au premier plan les antennes basses-fréquences.

Photos ci-dessous: le Champ d’antennes paraboliques de MeerkAT, crédit SKAO.

Liens :

https://www.skatelescope.org/

https://switzerland.skatelescope.org/welcome/

https://ska-france.oca.eu/fr/ska/le-projet

http://savethekaroo.com/

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Index L’appel de Mars 19 09 20

Le programme DSA ou la course à l’astronomie des sursauts radio rapides

Les demi-cylindres de CHIME ne sont pas les seuls outils capables de nous permettre d’observer les sursauts radio rapides (« FRB ») provenant du fond de l’espace. Le DSA (Deep Synoptic* Array) est un programme d’observations en ondes radio lancé par la NSF (la National Science Foundation, américaine) en septembre 2018 et qui est réalisé par le CalTech (California Institute of Technology)**. CHIME et le DSA n’ont pas tout à fait les mêmes objectifs et ne reposent pas sur les mêmes concepts. Nous verrons avec le temps quel est le meilleur système. Le résultat sera donné par le nombre d’identifications effectuées et la qualité des informations reçues pour la compréhension du phénomène. On peut s’attendre de toute façon à une complémentarité.

*Pour la compréhension du terme « DSA », je reprends la définition de « synoptique » donnée sur Wikipedia: Un synoptique désigne une présentation, en général graphique, qui permet de saisir d’un simple coup d’œil un ensemble d’informations liées ou un système complexe. L’adjectif synoptique évoque l’idée de « voir en un même ensemble ».

**NB : Je n’oublie pas le projet SKA (Square Kilometer Array) dont je parlerai une autre fois (le début de construction de sa phase 1 est prévu pour 2020, celle de sa phase 2, pour 2030).

Le DSA se déroulera en trois phases. DSA-10 est un « pathfinder », un précurseur. Il sera suivi de DSA-110, un développement, en cours (2019/2020), et de DSA-2000, un aboutissement lointain. NB : Les nombres indiquent les antennes impliquées dans les phases successives. DSA-10 devait montrer qu’il pouvait, à l’aveugle, détecter des FRB ultra-brillants, jusqu’à 51 Jy/ms (le « jansky », « Jy », est l’unité de densité de flux radiatif, la milliseconde, « ms », est l’unité de temps utilisée pour mesurer la durée des FRB) et les localiser avec une précision inférieur à +/- 2,5 secondes d’arc ; il devait indiquer aussi ce que devraient être les équipements à utiliser pour les phases suivantes. Mission remplie!

Les réflecteurs paraboliques des antennes DSA ont 4,5 mètres de diamètre, ce qui dans l’esprit des concepteurs correspondait à une bonne probabilité de collecte de FRB compte tenu (1) de la distribution des densités de flux radiatif attendus, 51 Jy/ms correspondant à deux des FRB les plus puissants déjà observés et (2) de leur fonctionnement en interférométrie, ce qui permet une meilleure résolution et une bonne couverture simultanée de la voûte céleste. Ce dernier point est très important puisqu’il s’agit de capter des événements furtifs, les FRB ne durant que quelques millisecondes et la plupart d’entre eux ne se répétant pas du tout, les autres de façon erratique. Les fréquences choisies vont de 1280 MHz à 1530 MHz (bande passante de 250 MHz), ce qui est peut-être un peu étroit mais tient compte de l’environnement radio du site (les parasites terrestres – « le bruit » – sur ces longueurs d’ondes, sont nombreux !). Heureusement les antennes permettant cette couverture sont assez standards et disponibles (du moins pour le début du programme). Elles sont également montées sur des infrastructures existantes, sur le site très bien équipé de l’OVRO (Owens Valley Radio Observatory) du CalTech (Owens Valley se trouve en Californie, pas très loin de la Death Valley…un endroit « tranquille »!). Le travail de préparation du cadre de fonctionnement est donc simplifié. Cela explique la rapidité avec laquelle DSA-10 est devenu opérationnel et cela a représenté aussi une économie importante (pour la première phase mais aussi pour la suite). Mais bien entendu un tel dispositif ne comprend pas que des antennes. Elles alimentent des instruments de traitement, un corrélateur très puissant, un stockage d’alerte et un système de transmission des données qui lui sont spécifiques. Pour le suivi, la coopération de la communauté astronomique mondiale est évidemment souhaitée et assurée (encore une fois, l’identification de la source est très difficile compte tenu de la brièveté du signal) et toute alerte reçue à l’OVRO est retransmise en urgence via le système de communication « VOEvent » à tous les observatoires susceptibles de l’utiliser. Ce système spécifique à la communauté des astronomes et astrophysiciens, adopté en 2006 par l’IVOA (International Virtual Observatory Alliance) utilise un langage informatique standard (« XML » pour « Extensible Markup Language ») de telle sorte que le message soit immédiatement transmissible par internet et compréhensible aussi bien par la machine que par l’homme. Il répond aussi précisément et brièvement que possible aux questions “who are the authors /what has been observed / how the event has been observed /where-when it has been observed /why the authors think it is of interest”. On voit donc que le DSA s’intègre parfaitement à l’arborescence de la recherche astronomique mondiale en profitant de la technologie actuelle sous ses différents aspects et capacités.

Le « pathfinder » a tout de suite permis de tester positivement la pertinence du projet DSA puisque le 23 mai il a identifié son premier FRB, le « FRB190523 », puis localisé sa source, une galaxie massive, visible dans un redshift (décalage vers le rouge dû à la vitesse d’éloignement résultant de l’expansion de l’Univers) de 0,66 et donc à une distance de quelques 8 milliards d’années-lumière (la vérification de la localisation a été faite visuellement par l’instrument LRIS du télescope Keck 1 joint par VOEevent). La suite (phase « 110 ») est déjà en cours de développement (comme dit ci-dessus, années 2019/2020). Pour ce faire, CalTech continuera à utiliser les installations d’OVRO. Les antennes de cette phase seront un peu plus grandes (4,75 m de diamètre). Une fois réalisée, la DSA-110 offrira une surface de collecte égale à un télescope virtuel de 2,25 km de diamètre. Les équipements d’alimentation aussi bien que de traitement seront améliorés. On s’attend, en trois ans, à ce qu’il identifie plus de 300 FRB (100 par an) localisés avec la même précision (< 3 arc-secondes).

Pour simplifier on peut dire que CHIME a été conçu pour cartographier l’hydrogène de l’espace profond alors que DSA a été conçu pour traquer les FRB. Mais de par sa configuration, CHIME peut aussi percevoir des FRB et cela complétera sa mission portant sur l’hydrogène. Autrement dit CHIME privilégie l’ampleur de la surface couverte d’un seul coup, à la précision, et DSA privilégie la précision, à la surface couverte immédiatement, chaque système s’efforçant de pallier sa « faiblesse ». Maintenant que nous avons pris conscience du phénomène FRB, nous trouvons les moyens de mieux les connaître. L’astronomie basée sur ces phénomènes est bien partie et on en entendra beaucoup parler.

Illustration de titre : quelques-unes des antennes de DSA-10 sur le site de l’OVRO, photo crédit CalTech.

image ci-dessous: signal d’un FRB perçu par le DSA-10. Dans l’image de droite on voit très bien le « sursaut » radio. L’axe des abscisses indique le temps en millisecondes et l’événement s’est « étalé » sur deux millisecondes. L’axe des ordonnées est en jansky et l’on voit clairement que l’intensité de flux radiatifs du FRB a été de l’ordre de trois fois l’intensité des autres radiations reçues pendant la période considérée. Crédit : Caltech / OVRO / V.Ravi.

Liens :

https://www.nsf.gov/awardsearch/showAward?AWD_ID=1836018

https://authors.library.caltech.edu/96602/2/1907.01542.pdf

http://www.astro.caltech.edu/~vikram/bne_talks/ravi.pdf

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Index L’appel de Mars 19 09 10

CHIME, un télescope pour nous renseigner sur l’histoire et le futur de l’univers

CHIME (Canadian Hydrogen Intensity Mapping Experiment) est un nouveau* télescope conçu, construit et installé au Canada (Colombie britannique) par une collaboration canadienne** dont l’objet premier est la « cartographie de l’intensité de l’hydrogène dans l’espace ». Grâce à sa surface de collecte étendue et sa large bande passante, il observera aussi d’autres événements et phénomènes, comme les FRB (sursauts-radio-rapides) ou la « respiration » de certains pulsars (chronométrage), l’ensemble pouvant être complémentaire. Son but ultime est la recherche d’une explication de l’accélération de l’expansion de l’Univers.

*première lumière, septembre 2017 et première collecte scientifique, septembre 2018 ;

**Université de Colombie Britannique, Université McGill, Université de Toronto, Observatoire fédéral de radio-astrophysique.

Dans l’univers primitif tel qu’il naît à la lumière 379.000 ans après le Big-bang, il y avait 75% d’hydrogène et 25% d’hélium. Les « métaux », éléments plus lourds, ne sont apparus qu’après, résultat de la nucléosynthèse dans le cœur des étoiles les plus massives, éléments dispersés ensuite par leur explosion en supernovæ. Pendant les 7 premiers milliards d’années, la force de gravité semble suffisamment forte pour que l’expansion de l’univers décélère. Mais depuis environ 7 milliards d’années l’univers est « passé en mode » expansion accélérée, entraîné par une force non encore identifiée et qu’on appelle, faute de mieux, l’énergie sombre.

L’élément hydrogène est donc capital. En repérant ses zones de concentration, on peut espérer avoir une meilleure approximation de la quantité de matière dans l’univers (baryonique et autres), de l’histoire de l’univers puisque la finitude de la vitesse de la lumière nous donne accès à son passé et, sur ces bases, de nos perspectives. C’est ce qui a motivé la construction du télescope CHIME (on pourrait aussi dire et ce serait plus correct, « observatoire » ou « capteur » puisqu’il n’utilise pas les ondes du spectre lumineux mais les ondes radio mais gardons le mot « télescope » par facilité de langage). Ce télescope donc va rechercher les émissions de longueur d’onde 21 cm, longueur dans laquelle l’hydrogène se révèle, émissions provenant d’avant le passage de la décélération à l’accélération de l’expansion (redshift de 0,8 à 2,5 c’est-à-dire 2,5 à 7 Milliards d’années après le Big-bang). Les données collectées vont pouvoir être rapprochées de celles que l’on a sur la « surface-de-dernière-diffusion »* (avant la création des premières étoiles et des galaxies) imagée par le télescope Planck et aussi sur l’univers environnant (donc « actuel »).

*appelé aussi « fond-diffus-cosmologique » ou « CMB » (« Microwave Background ») parce que les ondes de cette époque ralenties par le Temps, nous parviennent dans cette gamme de longueurs d’ondes.

Les principes de base exploités sont au nombre de cinq :

(1) Les oscillations-acoustiques-des-baryons (« BAO », jolie expression !) circulant dans le plasma primordial (mais pas après), se sont figées dans les anisotropies de la CMB, exprimant les différences de densité alors existantes. (NB: rappelons que les perturbations mécaniques dans un milieu élastique sont associées à des ondes sonores mais évidemment il n’y avait à l’époque aucune oreille pour les entendre!).

(2) Les zones les plus denses ont, à ce « dernier » moment, donné naissance par « découplage » des photons de la matière baryonique, aux « graines » à partir desquelles se sont formées les premières galaxies avec concentration de matière par gravité autour de ces graines, y compris leur environnement gazeux, et avec réémission de photons. Au départ des anisotropies, se formèrent des « coquilles » sphériques dans lesquelles ce découplage s’effectua et ces coquilles s’étendirent à partir de leur centre, jusqu’au découplage effectif puisque la libération photons/matière baryonique ne pouvait intervenir qu’à partir d’une certaine diminution de la densité du plasma primitif (la matière noire, non réactive avec la matière baryonique, restant probablement dans la coquille, « probablement » puisque comme vous le savez, cette matière noire n’a pas été identifiée et n’est connue que par son effet de masse).

(3) Les coquilles doivent avoir toutes les mêmes dimensions puisque leur rayon a été déterminé par l’ « horizon-de-son » des ondes acoustiques partant des derniers BAO, jusqu’à leur disparition (horizon) en raison du découplage résultant d’une même dilution de la densité de la CMB (à l’origine homogène sauf anisotropies déterminées par les BAO).

(4) Ce rayon a dû croître avec l’expansion suivant des vitesses différentes selon la période (décélération puis accélération).

(5) la comparaison des dimensions des rayons selon les périodes doit nous donner les variations des vitesses d’expansion.

Il y aurait une alternative à l’observation simultanée des masses d’hydrogène pour mieux connaître les masses, leur répartition et leur évolution dans l’univers, ce serait de mesurer la position et la distance respectives de chaque galaxie dans un échantillon (donc de les séparer et de les compter), puis d’étendre cet échantillon à l’univers observable. La cartographie avec les données de CHIME sera d’une résolution nettement moins fine mais suffisante pour mesurer l’évolution des BAO. Elle est par ailleurs beaucoup plus rapide et permettra de couvrir plus vite un volume d’espace beaucoup plus grand.

CHIME va aussi permettre, grâce à sa grande surface de collecte, d’observer les FRB et les pulsars. Pour ce qui est des FRB, CHIME non seulement peut apporter une meilleure compréhension du phénomène du fait du nombre d’observations (on espère des douzaines chaque année) mais peut aussi compléter l’observation des nuages d’hydrogène par réception des rayonnements des ondes de 21 cm, en fournissant des données sur la densité des nuages traversés par les FRB, un des éléments évidemment constitutifs de leur masse. Avec les pulsars, dont l’intensité de luminosité peut être évaluée, CHIME va pouvoir disposer de davantage de balises disséminées dans le ciel. Dans le contexte de l’étude de l’accélération de l’expansion de l’univers, ils peuvent être utilisés comme des « standard candles », c’est-à-dire des moyens de mesurer l’éloignement des régions étudiées. Par ailleurs, la cadence élevée des observations fournies par l’instrument permettra d’étudier les propriétés des étoiles à neutrons (source des pulsars) et du gaz ionisé en milieu interstellaire, de vérifier les prévisions de la théorie de la relativité générale ainsi que de percevoir éventuellement des ondes gravitationnelles (décalage dans le temps d’une pulsation à nous parvenir).

Venons-en à l’instrument lui-même.

Il est situé à (en fait il constitue) la DRAO (Dominion Radio Astrophysical Observatory), en Colombie britannique, établissement national pour l’astronomie canadienne, opéré par le Conseil National de Recherche du Canada. L’endroit est isolé (pas très loin du lac Skaha) afin d’éviter les ondes radio parasites provenant de l’activité humaine. Il faut d’abord noter son originalité comme le montre d’ailleurs l’image de titre. Il s’agit de quatre demi-cylindres juxtaposés, de 20 mètres de largeur au total, sur 100 mètres de longueur fonctionnant en interférométrie. Ils sont constitués d’un treillis renvoyant vers un axe focal (la barre dominant le centre des demi-cylindres) comprenant 256 antennes à double polarisation pour chaque demi-cylindres. A noter que contrairement à une antenne « classique » il n’y a aucune pièce mobile mais que l’alignement des antennes permet d’observer un secteur étendu du ciel sans devoir cibler autant le point étudié. Les signaux sont renforcés et clarifiés par des amplificateurs à faible bruit développés pour l’industrie des téléphones portables (excellent exemple d’inter-stimulation des recherches technologiques !). Les 2048 signaux reçus (256 antennes x 2 polarisations x 4 demi-cylindres) sont transmis à un premier moteur (« F-Engine ») qui les retransmet ensuite à un second moteur (« X-Engine »). Les avantages de ce dispositif sont, outre de permettre une très grande couverture simultanée du ciel (200° carrés à tout moment), d’explorer progressivement, du fait de la rotation de la Terre, une bande très large du ciel de l’hémisphère Nord (les demi-cylindres sont orientés Nord-Sud). Dans le même esprit on a choisi une large bande passante.

Le F-Engine, chargé de la collation des données, numérise chaque signal d’entrée analogique, 800 millions de fois par seconde et convertit chaque microseconde de données (2048 prélèvements) en un spectre de fréquences de 1024 éléments allant de 400 à 800 MHz, avec une résolution de 0,39 MHz. Ensuite les données sont réparties par bande de fréquences et transmises au X-Engine. Ce dernier, chargé de la corrélation des signaux dans l’espace, est constitué de nœuds de calculs, chacun traitant 4 des 1024 bandes de fréquence. Les nœuds recueillent les signaux provenant du F-Engine et forment à chaque milliseconde le produit du signal d’entrée de chaque télescope avec celui de tous les autres signaux d’entrée. Ces « matrices de corrélation » sont moyennées sur une durée de quelques secondes et écrites sur un disque avant d’être transformées en carte du ciel.

En dehors de ce dispositif de base, CHIME est comme indiqué plus haut, équipé d’un « outil de recherche de FRB » et d’un « moniteur de chronométrage » de pulsars, tous deux situés en aval du X-Engine. Les 1024 éléments ou faisceaux sont balayés en permanence et chaque faisceau est échantillonné 1000 fois par seconde à 16.000 fréquences différentes par le F-Engine qui les transmets au X-Engine. Après les avoir traitées, Le X-Engine les transmets à l’outil de recherche de FRB, logé sur place. L’équipement comprend 128 nœuds de calcul et chacun sonde huit faisceaux de fréquences. Lorsqu’il est identifié, les données du candidat FRB sont combinées aux informations provenant des 1024 faisceaux pour déterminer sa position, la distance de sa source et ses autres caractéristiques (intensité, puissance…). Une alerte automatique est envoyée à l’équipe CHIME et à la communauté scientifique susceptible d’effectuer un suivi rapide. Comme dit plus haut, CHIME observe aussi des pulsars. Un « instrument de surveillance de pulsars » reçoit dix des faisceaux de suivi du ciel produits par le X-Engine. Ils sont échantillonnés à très haute résolution et transmis du X-Engine au « moniteur de chronométrage de pulsars » qui les traite en temps réel en utilisant dix nœuds de calculs dédiés. L’analyse en est faite par Calcul Canada.

Grâce à nos avancées technologiques et à la finitude de la vitesse de la lumière nous avons la chance de pouvoir étudier l’univers à plusieurs époques de son histoire et ce sur une très grande profondeur. On « attaque » le sujet sous plusieurs angles, l’imagination humaine n’est pas en défaut et heureusement l’ingénierie est « à la hauteur ». Reste les sujets qui fâchent, la matière noire et l’énergie sombre. CHIME nous donnera peut-être une idée de la force réelle de cette dernière…mais de sa nature ? Cela reste à voir.

Image de titre : photo de CHIME. Les demi cylindres fonctionnent par couple, chaque paire de réflecteurs cylindriques renvoyant les données à un F-Engine : crédit collaboration CHIME.

Image ci-dessous :

L’échelle des oscillations acoustiques des baryons représentée par le cercle blanc d’une de leurs « coquilles » à différentes époques : il y a 3,8 milliards d’années, il y a 5,5 milliards d’années et il y a 13,7 milliards d’années (à la surface du CMB, à gauche). Leur volume est de plus en plus important en raison de l’expansion de l’univers. C’est la comparaison dans le temps qui donnera une idée plus précise de l’accélération. Crédit : E.M. Huff, SDSS-III, South Pole Telescope, Z. Rostomian.

Liens:

https://chime-experiment.ca/?ln=fr

https://en.wikipedia.org/wiki/Canadian_Hydrogen_Intensity_Mapping_Experiment

https://en.wikipedia.org/wiki/Baryon_acoustic_oscillations

https://en.wikipedia.org/wiki/Decoupling_(cosmology)

 

J’ai entrepris ce blog il y a quatre ans, le 4 septembre 2015. Pour y (re)trouver un autre article sur un sujet qui vous intéresse parmi les 222 publiés, cliquez sur:

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