L’assaut du politiquement-correct sur l’exploration spatiale, une vraie menace liberticide

Cette semaine je publie un article de Robert Zubrin qui critique un texte absolument effarant qui montre à quel point le politiquement-correct est en train de pervertir l’intelligentsia américaine. Un des objets de l’attaque de ces gens qui ne voient le monde qu’à travers le prisme déformant de l’« EDI » « équité, diversité, inclusion » (« Equity, Diversity, Inclusion ») est l’exploration spatiale avec intervention de l’homme, considérée comme une entreprise néocoloniale. Vous avez bien lu, « néocoloniale » !

Les auteurs de ce brulot que Robert Zubrin tente d’éteindre dans son article, ne sont pas n’importe qui. Ce sont des gens qui pour une bonne partie, portent une étiquette de scientifique et sont reconnus comme des interlocuteurs valables par la NASA et l’Académie des Sciences des Etats-Unis. Ce sont des gens que ces organismes doivent traiter avec égards car ils défendent des principes qui sont devenus presque sacrés en Amérique et qu’il n’est pas du tout question de blasphémer. Personne n’en a le droit, même des institutions aussi prestigieuses que les deux susmentionnées. Les redoutables EDIWG (Equity, Diversity, and Inclusion Working Group) ou assimilés, qui pullulent, notamment dans les universités, sont l’équivalents des délateurs de l’époque McCarthy de triste mémoire ou des cellules du parti communiste (dans les pays communistes bien sûr, non aux Etats-Unis !), ceux qui ont seuls le droit de « penser » (selon une ligne bien définie) et de s’exprimer et contre lesquels nuls ne peut s’élever au risque de se faire mettre au ban de la société.

Ce serait risible si ce vent de folie n’était porté par une partie non négligeable de l’électorat du nouveau président des Etats-Unis, Joseph Biden. Pourra-t-il agir de manière sensée dans le domaine du spatial (en particulier mais pas seulement) sans se retrouver englué par ces gens dans toutes sortes de « bonnes causes », est LA question et je dois dire que je doute un peu…beaucoup, qu’il le puisse.

Je me sens le devoir moral d’insister pour passer le message qu’il y a vraiment de quoi s’inquiéter (mais je n’ai pas de solution à proposer sauf à continuer à écrire et à défendre mes idées) plutôt que de se réjouir béatement d’être passé d’un président à l’ego certes un peu boursouflé mais dont toute la politique (notamment spatiale) n’est pas à jeter aux orties, à un président « normal » mais peut-être prisonnier de gens nuisibles au progrès (notamment dans le domaine spatial). Après avoir évité Charybde peut-être allons nous devoir vivre avec Scylla! Je pensais que nous avions une fenêtre technologique pour nous « lancer à la conquête des étoiles » mais j’espérais que cette fenêtre ne se refermerait pas trop vite. Je crains maintenant que dès cette présidence, l’Espace ne soit plus considéré que pour son utilité étroite et directe pour la Terre et que les projets hors de notre horizon et par essence « polluants » (quel que soit le degré de pollution réelle impliquée) ne soient bannis. Les vols habités dans l’Espace risquent donc fort de prendre fin assez rapidement (d’autant que l’ISS arrive à son terme, en principe en 2024). La recherche scientifique devrait subsister quelques temps mais tôt ou tard il y a un risque non négligeable qu’un « homme de cœur » politiquement « bien placé » proclame que l’argent public pourrait être mieux dépensé ou que décidément on doit absolument respecter les croyances des derniers Hawaïens qui considèrent qu’installer un télescope sur le Mauna Kea est une offense à leurs dieux (qu’en pense la vice-présidente Kamala Harris ?). Et les Savonaroles modernes qui sont en train de « prendre le dessus » aux Etats-Unis intimideront tellement une majorité plus ou moins silencieuse de leurs concitoyens qui n’oseront pas enfreindre les interdits moraux, que ce « saint homme » sera écouté et obéi.

Si le secteur public fait défaut, restera Elon Musk, toujours déterminé à aller sur Mars avec son SpaceX. Mais que pourra Elon Musk s’il n’a plus les marchés publics américains ? Espérons encore qu’il parvienne à mettre au point son Starship avant le blocus. Cela lui permettrait toujours de le lancer d’un astroport non-américain avec l’autonomie financière qu’il pourrait obtenir grâce à ses autres activités terrestres et « propres » (Tesla ?). Mais rien n’est moins certain. NB: Pour ceux qui penseraient à Jeff Bezos et à son Blue Origin, je répondrais que dans la Nouvelle-Amérique son sort n’est pas plus assuré car les anticapitalistes du camp Démocrate veulent aussi démanteler les GAFAM.

Si Elon Musk et Jeff Bezos étaient obligés de déclarer forfait, nous entrerions alors vraiment dans un nouveau Moyen-Age où les critères de reconnaissance sociale et politique donc économique, seraient redevenus des critères religieux et non plus rationnels et scientifiques et où les foules de plus en plus appauvries seraient obligées de retourner travailler la terre…avec des méthodes « bio », bien entendu. En clair ce serait le retour à la misère et à l’obscurantisme généralisés, un peu comme décrit dans le magnifique film Interstellar de Christopher Nolan (2014). Certains bien sûr s’en réjouiraient, y compris en Europe gagnée par la contagion. Moi pas.

J’espère me tromper!

Je vous laisse lire l’article de Robert Zubrin. En dessous, vous avez un lien vers le “manifeste” de l’EDIWG de la NASA.

Illustration de titre :

McCarthy témoignant sur l’organisation du parti communiste aux Etats-Unis, crédit Bettmann/Getty images

Article de Robert Zubrin

Publié le 14 Novembre 2020 dans la National Review

Traduction de Pierre Brisson

Robert Zubrin a fondé la Mars Society aux Etats-Unis en 1998. Il est ingénieur en astronautique, président de Pioneer astronautics et auteur de The Case for Mars (1995).

Les auteurs d’un papier soumis à un comité de la NASA mettent en garde contre l’exploration spatiale par vols habités et contre le principe de mettre des « pratiques coloniales violentes » en orbite.

EN octobre 2020, le comité « Planetary Science and Astrobiology Decadal Survey 2023-2032 » (Enquête décennale sur les sciences planétaires et l’astrobiologie) *, organe de l’Académie des Sciences des Etats-Unis a reçu un « manifeste » du « Groupe de travail sur l’équité, la diversité et l’inclusion » (EDIWG) de la NASA. Écrit par Frank Tavares, spécialiste des communications publiques du NASA Ames Research Center – avec un groupe de onze co-auteurs comprenant des personnes connus, issues des domaines de l’anthropologie, de l’éthique, de la philosophie, de la théorie décoloniale et des études féministes – et soutenus par une liste de 109 signataires. Le manifeste dont le titre est, « L’exploration éthique et le rôle de la protection planétaire pour nous débarrasser des pratiques coloniales » présente peu de qualité technique. Il est néanmoins d’un grand intérêt clinique, car il démontre avec brio comment les idéologies responsables de la destruction de l’enseignement universitaire des « arts-libéraux » aux Etats-Unis, peuvent être mises à contribution pour interrompre également l’exploration spatiale.

* NdT : Produit à la demande de la NSF (Fondation Nationale pour la Science) et de la NASA, le Planetary Science Decadal Survey est utilisé pour définir les investissements dans le domaine de la recherche astronomique et sélectionner les missions spatiales interplanétaires.

Avec une clarté louable quant à leur parti pris et leur intention, les auteurs de l’EDIWG disent que l’exploration par vols habités doit être arrêtée car elle représente une continuation de la tradition occidentale de développement des ressources par la libre entreprise. « Toute l’humanité est partie prenante dans la façon dont nous, la communauté des sciences planétaires et de l’astrobiologie, nous engageons auprès d’autres mondes », disent-ils. « Les pratiques et structures coloniales violentes – génocide, appropriation des terres, extraction de ressources, dévastation environnementale, etc. – ont gouverné jusqu’ici l’exploration sur Terre et, si elles ne sont pas activement démantelées, elles définiront les méthodologies et les mentalités que nous porterons demain dans l’exploration spatiale. Il est essentiel que l’éthique et les pratiques anticoloniales fassent partie intégrale et centrale de la protection planétaire. Nous devons travailler activement pour empêcher l’extraction capitaliste sur d’autres mondes, respecter et préserver leurs systèmes environnementaux, et reconnaître la souveraineté et l’interconnectivité de toute vie. »

Les auteurs de l’EDIWG sont tout aussi clairs sur les moyens par lesquels l’exploration par les vols habités et le développement peuvent être stoppés : la bureaucratie de « protection planétaire ».

« Notre principale recommandation est…d’élaborer des politiques de protection planétaire…pour entreprendre une réévaluation solide de l’éthique des futures missions sur la Lune, Mars et d’autres corps planétaires, avec et sans équipage, dans l’intention de développer des pratiques anticoloniales. [Caractères gras dans l’original]

La « protection planétaire » a été initialement proposée pour deux objectifs. L’un était de s’assurer que les expériences de détection de la vie envoyées dans d’autres mondes ne renvoient pas de faux positifs résultant du transport de microbes terrestres dans le vaisseau spatial. L’autre était d’éviter la possibilité que de dangereux microbes d’autres mondes soient transportés sur la Terre. Ces deux contingences sont appelées respectivement « back contamination » et « forward contamination ».

Le risque de back-contamination – par des organismes pathogènes renvoyés sur Terre par les missions martiennes en particulier – est le problème de protection planétaire qui génère le plus de couverture dans les média grand public. Il n’a cependant aucune base scientifique rationnelle. Il ne peut y avoir d’agents pathogènes sur Mars car il n’y a pas de plantes ou d’animaux à infecter. En ce qui concerne les micro-organismes vivants libres qui pourraient vraisemblablement exister sur Mars, nous savons qu’ils ne peuvent constituer une menace pour la biosphère terrestre, car il y a eu un transport naturel de milliards de tonnes de matières martiennes vers la Terre au cours des 4 derniers milliards d’années. En fait, on estime que chaque année, environ 500 kg de roches éjectées de Mars via des impacts météoriques atterrissent sur notre planète. Un examen attentif de ces roches a montré qu’une grande partie d’entre elles n’ont jamais été portées à une température supérieure à 40°C pendant tout leur périple, éjection de Mars, vol dans l’espace, rentrée et d’atterrissage sur Terre. Ils n’ont donc jamais été stérilisés, et si des microbes y avaient existé lorsqu’ils ont quitté la planète rouge, ils auraient facilement pu survivre au voyage. S’il y a ou s’il y a eu des microbes à la surface de Mars, ils sont arrivés ici en grand nombre, depuis longtemps et continuent à le faire encore aujourd’hui. Ainsi, les adaptations très coûteuses de la mission de retour d’échantillons martiens exigées par le Bureau de protection planétaire de la NASA pour empêcher la libération de microbes martiens à la surface terrestre sont aussi absurdes que d’ordonner à une patrouille frontalière de fouiller toutes les voitures traversant la frontière nord des Etats-Unis pour s’assurer que personne ne fait l’importation d’oies blanches du Canada.

La question de la forward-contamination est une préoccupation plus sérieuse pour la communauté scientifique planétaire. Il est vrai qu’une bonne expérience de détection de la vie nécessite un équipement stérile. Mais cela peut être obtenu par une bonne discipline expérimentale plutôt qu’en tentant de stériliser ou de mettre en quarantaine une planète entière. En effet, la mise en quarantaine de Mars n’est pas davantage possible que la mise en quarantaine de la Terre car tout comme les matériaux martiens arrivent sur Terre, les roches terrestres parviennent jusqu’à Mars depuis l’aube du système solaire.

Afin de permettre à quelque mission scientifique que ce soit en surface de Mars de se dérouler, le Bureau de la protection planétaire de la NASA (« PPO ») a assoupli ses exigences de stérilisation pour celles qui ne comprennent pas d’expérience de détection de la vie. Mais pour celles qui ont précisément cet objet, les exigences plus strictes du PPO, plutôt que d’aider à la recherche de la vie, tout simplement les empêchent. De ce fait aucune expérience de détection de la vie n’a été envoyée sur Mars depuis 1976. La situation est devenue si mauvaise qu’un groupe d’éminents astrobiologistes souhaitant envoyer une telle expérience, a dû la proposer comme un test de certification de stérilité, pour identifier un lieu sans vie afin qu’il puisse être utilisé comme un lieu sans science par les astronautes !

L’idée qu’après un demi-siècle sans qu’une mission de détection de la vie ait été envoyée sur Mars, la NASA doive dépenser des milliards de dollars de l’argent des contribuables et après une décennie d’efforts d’une équipe talentueuse de scientifiques et d’ingénieurs pour en créer une, seulement pour l’envoyer dans un endroit où elle est la moins susceptible de la trouver, est manifestement absurde. C’est pourtant à cela que le programme de protection planétaire nous a réduits.

La jeune Mars était une planète chaude et humide, un peu comme la Terre primitive l’a été. Cela aurait pu faire émerger la vie, mais est-ce arrivé ? Si c’est le cas, cette vie est-elle toujours là et utilise-t-elle le même système d’information ADN / ARN qui gouverne la conception, la reproduction et les capacités d’évolution de toute vie terrestre ? Ou utilise-t-elle un système entièrement différent ? Ce sont des questions d’un intérêt scientifique et philosophique extraordinaire portant sur la prévalence potentielle et la diversité de la vie dans l’Univers.

En conséquence, nous devrions certainement envoyer des expériences de détection de la vie sur Mars, ciblées, bien sûr, dans des endroits où elles seraient le plus susceptibles de trouver la vie, et non le moins susceptibles de le faire. Et si elles détectent de la vie, c’est précisément là que nous devrions envoyer des astronautes, pour faire, sur place, le genre de recherche complexe nécessaire pour caractériser correctement la vie martienne comme seuls des scientifiques humains agissant sur le terrain peuvent le faire.

L’objection des spécialistes de la protection planétaire selon laquelle si des astronautes se rendaient sur Mars, il n’y aurait aucun moyen de savoir si des microbes qu’ils pourraient trouver seraient indigènes ou transportés depuis la Terre, est sans fondement. Les explorateurs humains sur Mars pourraient savoir que quelque vie que ce soit qu’ils trouveraient, était là avant eux par le même moyen que les explorateurs humains sur Terre savent qu’il y avait de la vie ici avant nous : les fossiles. Toute vie native de Mars trouvée dans le présent doit également y avoir été dans le passé, et si elle l’a été, elle aura laissé des fossiles ou d’autres résidus biomarqueurs. Pour pouvoir nier que de tels fossiles prouvent l’existence d’une vie antérieure à l’homme, les protectionnistes planétaires devraient argumenter, comme le font les créationnistes, que Mars a été créé avec des fossiles intégrés dans sa géologie afin de tester notre foi. Plutôt que de s’exposer à la moquerie en défendant une telle théorie, ils ont simplement choisi d’agir de manière totalement arbitraire.

Les règles de protection planétaire existantes empêchent principalement les hommes d’atterrir sur Mars, parce qu’il n’y a aucun moyen de garantir qu’un vaisseau spatial avec équipage ne s’écraserait pas, disséminant des microbes qu’il transporte dans tout l’environnement. C’est un réel problème pour les ambitions d’exploration humaine de la NASA. En effet le programme Apollo d’atterrissage sur la lune de la NASA aurait été tout à fait impossible en appliquant les directives de protection planétaire actuelles. C’est pour cette raison que Jim Bridenstine, l’Administrateur de la NASA, a créé une commission dirigée par le Dr Alan Stern, le scientifique responsable de Pluton dans le cadre de la mission New Horizon. Cette commission a produit un ensemble de recommandations pour libéraliser les règles de protection planétaire afin de rendre à nouveau possibles les missions lunaires habitées. Les auteurs de l’EDIWG sont clairement hostiles à cette évolution et craignent qu’elle ne soit étendue pour permettre également des missions habitées sur Mars. Cependant, comme la protection planétaire ne peut pas vraiment être défendue sur des bases scientifiques, ils insistent pour que d’autres critères soient adoptés. Plus précisément, ils recommandent une combinaison de mysticisme panthéiste passéiste et de pensée socialiste postmoderne.

En tant que méthodologie pour comprendre le monde naturel, le mysticisme a été remplacé depuis un certain temps par le rationalisme occidental. Les auteurs de l’EDIWG consacrent donc une bonne partie de leur article à diffamer la civilisation occidentale, en se basant sur l’autorité du « Projet 1619 »* et de recherches post-rationnelles similaires. « L’expansion coloniale et la traite transatlantique des esclaves ont été à la base de notre monde actuel », disent-ils, ignorant le fait que ce sont en fait les révolutions scientifiques et industrielles qui ont été fondatrices de notre monde actuel en libérant l’humanité des diverses formes d’esclavage qui caractérisait toutes les sociétés précédentes. « Ce que nous appelons la mondialisation », poursuivent-ils, « est le point culminant d’un processus qui a commencé avec la constitution de l’Amérique et le capitalisme eurocentré colonial / moderne en tant que nouvelle puissance mondiale. Le résultat est un monde où les systèmes politiques et économiques, à savoir le capitalisme, donnent la priorité au profit sur le bien-être humain, produisant une crise environnementale et de vastes inégalités aggravées par le changement climatique », etc., etc.

*NdT: Commémoration de l’arrivée des premiers esclaves noirs en Amérique du Nord, occasion saisie par le New-York Times en 2019 pour réévaluer l’histoire des Etats-Unis.

La civilisation occidentale n’est certainement pas innocente de tout crime, en particulier contre les populations indigènes des régions coloniales. Mais la racine de ces crimes fut l’incapacité de l’Occident dans certains cas à respecter ses propres principes révolutionnaires établissant des droits inaliénables pour toute l’humanité. En revanche, tout en adoptant une posture anti-impérialiste, les auteurs de l’EDIWG dégradent profondément les peuples autochtones en les décrivant comme faisant partie d’un écosystème, faisant des délits contre eux-mêmes non pas des violations des droits de l’homme mais une forme de dommage environnemental. Sur cette base, ils avancent la thèse selon laquelle nuire aux microbes serait aussi immoral que tout ce qui a été fait aux Amérindiens ou aux Africains. « Il doit y avoir une discussion plus approfondie sur la considération morale dont la vie microbienne sur d’autres mondes devrait bénéficier, au-delà de sa signification scientifique », disent-ils. « Savoir si l’être vivant est doué ou non d’intelligence ne doit pas être utilisé comme guide dans cette discussion. Non seulement les déterminants biologiques de l’intelligence ont une histoire raciste mais ils n’ont pas de mérite scientifique. Il est clair que la microbiologie est fondatrice de la Terre telle que nous la connaissons, et les microbes méritent une considération morale. »

Ayant adopté un système éthique qui empêcherait l’utilisation d’antibiotiques, mettant ainsi en péril la civilisation moderne sur Terre, les auteurs proposent de l’avorter complètement sur Mars :

« Une présence humaine sur Mars apporterait des bio-contaminants et contaminerait irréversiblement la planète, à la fois avec des organismes entiers et avec leurs constituants chimiques. Cela est extrêmement préoccupant pour la capacité de mener une astrobiologie saine pour identifier la vie ancienne ou présente, mais cela introduit également une préoccupation morale plus large…Par conséquent, il est de la plus haute importance de tenir compte de l’éthique de toute mission avec équipage sur Mars avant une telle expédition, y compris de procéder à une évaluation des structures soutenant le projet et de leur intention, pour s’assurer que la conception de la mission puisse être si nécessaire impactée par ces considérations. » [Caractères gras dans l’original.]

Mais que se passerait-il s’il s’avérait qu’il n’y ait aucune présence de vie sur Mars ? Pourrions-nous alors passer outre ces précautions ? Désolé, on ne peut pas jouer ! « Même s’il n’y a pas de vie microbienne sur Mars ou même plus loin, nous devons considérer les impacts de nos actions sur une échelle de temps géologique », disent-ils. « Une présence humaine sur un monde astrobiologiquement significatif pourrait perturber les processus évolutifs déjà en place. Quelle obligation morale avons-nous envers la vie future potentielle que notre présence sur Mars pourrait impacter, ou envers les formes de vie hybrides que notre présence pourrait potentiellement créer ? Ces questions doivent être traitées par une politique de protection planétaire. »

Mais il faut encore aller plus loin ! La politique de protection planétaire, disent les auteurs, ne doit pas se limiter à la prise en compte de la vie réelle ou potentielle. « L’esthétique doit également être envisagée. Si l’extraction minière sur la Lune doit être une entreprise de grande envergure, comme prévu, les changements seront visibles depuis la Terre », affirment-ils, « modifiant fondamentalement l’une des rares expériences partagées par tous les êtres humains, la contemplation de la Lune. De plus, la Lune et d’autres corps planétaires sont sacrés pour certaines cultures. Serait-il possible que ces croyances soient respectées si nous nous engagions dans l’utilisation des ressources présentes sur ces mondes ? »

En posant cette question, les auteurs de l’EDIWG adoptent les arguments d’autres éthiciens putatifs contemporains qui affirment que les corps extraterrestres tels que la Lune ont le « droit » de rester inchangés. Mais clairement la Lune est un rocher mort. Elle ne peut rien faire, ni vouloir faire quoi que ce soit. Ainsi, de telles discussions ne visent pas vraiment à établir des droits pour la Lune, mais à les refuser aux êtres humains.

De plus, si le représentant autoproclamé de n’importe quelle tribu quelque part dans le monde peut arrêter le développement spatial en affirmant qu’il viole ses anciens enseignements sacrés, il est peu probable qu’un tel développement puisse se produire. Les auteurs de l’EDWIG sont d’ailleurs tout à fait d’accord avec cela. Comme ils le disent, « [cela] vaut la peine de se demander si notre mode actuel de capitalisme extractif est quelque chose que nous devrions emporter avec nous lorsque nous interagissons avec d’autres mondes. » En outre, aider à répondre aux besoins de l’humanité par le développement entrepreneurial des ressources spatiales serait une mauvaise chose, car « permettre à ceux qui sont riches de s’engager à titre privé dans une entreprise d’exploration spatiale pourrait exacerber dans un avenir immédiat les inégalités de richesse déjà extrêmes. »

La question fondamentale en jeu, nous disent clairement les auteurs, n’est pas simplement de supprimer l’entreprise humaine dans l’espace, mais aussi sur Terre. « En fin de compte, nous devons construire un meilleur avenir, un avenir qui soit moral et vivable, car c’est ainsi que nous pourrons survivre sur notre propre planète…Mettre à bas les structures qui gouvernent notre monde actuel et en construire de nouvelles ne sera pas facile. Nous appelons le comité décennal à s’engager dans ce combat. »

Dans sa pièce « Les Oiseaux », le satiriste grec de l’Antiquité, Aristophane, décrit un complot aviaire visant à conquérir l’Univers en construisant un mur au travers du ciel. Ceci, espéraient les oiseaux, isolerait les dieux de leur nourriture essentielle, la fumée sacrificielle, les forçant ainsi à se rendre.

Les oiseaux voulaient empêcher les dieux d’entrer, les auteurs de l’EDIWG veulent enfermer l’humanité. Mais comme le montre l’échec du complot des oiseaux, ce travail ne peut pas être fait avec des briques…La protection planétaire est donc la réponse.

Liens :

Article de Robert Zubrin publié dans la National Review du 14 Novembre :

https://www.nationalreview.com/2020/11/wokeists-assault-space-exploration/

Manifeste (« white paper ») de l’« Assessment Group (AG) committee », « Equity, Diversity, and Inclusion Working Group (EDIWG) » de la NASA remis au « Planetary Science and Astrobiology Decadal Survey » de l’Académie des Sciences pour la période 2023 à 2032 :

https://arxiv.org/ftp/arxiv/papers/2010/2010.08344.pdf

Planetary Science and Astrobiology Decadal Survey 2023-2032:

https://www.nationalacademies.org/our-work/planetary-science-and-astrobiology-decadal-survey-2023-2032

Lire dans Le Temps :

https://www.letemps.ch/sciences/programme-spatial-tres-terre-terre-joe-biden

Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur :

Index L’appel de Mars 20 11 09

La Cosmologie-Cyclique-Conforme nous ouvre, comme jamais, des perspectives sur l’Infini

La théorie de la cosmologie-cyclique-conforme, « CCC », a été mise à l’honneur récemment par l’attribution du Prix Nobel de physique 2020 à son concepteur, Roger Penrose. Elle entrouvre de façon innovante et spectaculaire une fenêtre sur les univers qui auraient pu exister avant le nôtre et ceux qui pourraient exister après. Elle propose des réponses séduisantes à certaines questions qui se posent pour la compréhension de l’univers présent mais, outre qu’elle reporte à toujours plus loin les réponses aux questions sur notre Origine et notre Fin, elle n’est pas (encore) validée par l’observation.

L’hypothèse de la CCC suppose que toutes les particules possédant une masse, les fermions (c’est-à-dire notamment les protons et les électrons), finissent, sur la durée, par disparaitre de l’Univers où nous nous trouvons (en en ayant épuisé les possibilités d’entropie), transformées en pur rayonnement. Cela inclut l’évaporation de toute masse de cet univers y compris leurs ultimes concentrations, c’est-à-dire les trous noirs supermassifs après qu’ils auront englouti toute matière qui se trouve et se trouvera dans leur sphère d’influence gravitationnelle. Cela inclut aussi, par auto-désintégration, les particules dotées d’une masse subsistant en dehors des trous noirs, c’est-à-dire celles qui auraient été trop éloignées pour être absorbées par les trous noirs ou s’annihiler entre elles (problème des électrons).

On peut comparer cet aboutissement à un certain épuisement au bout d’une très longue vie, cet épuisement étant dû au temps et à l’expansion (l’étirement de l’espace), en quelque sorte à la fois à la victoire temporaire de l’expansion sur la gravité qui ne disparait pas mais qui n’a plus d’objet, et au parachèvement de l’entropie.

C’est en effet sur l’évolution de l’entropie jusqu’à son terme et sur une contradiction qui apparait entre le niveau de cette entropie aujourd’hui en regardant vers le passé jusqu’au Big-bang, que repose le raisonnement de Roger Penrose.

Il est maintenant bien établi dans la communauté des cosmologues que nous allons vers toujours plus d’entropie et ce dans un sens immuable (application du second principe de thermodynamique). Cela implique qu’en regardant vers le passé, on devrait constater symétriquement une entropie de plus en plus basse, jusqu’à une entropie nulle au moment du Big-bang. Or la diversification de la matière dès le début de l’Univers observable (à la surface de dernière diffusion, « CMB ») montre une complexité certes faible mais déjà apparente, porteuse de la complexification (entropie) toujours croissante, en fonction de l’activation des forces de gravitation, que l’on constate ensuite (du fait même que l’expansion permet cette activation en désagrégeant la masse compacte initiale).

De « l’autre côté », à l’autre bout du processus, cette entropie croissante toujours portée par l’expansion, conduit au bout d’une durée tendant vers l’infini, à une époque très lointaine (au-delà des 1010^76 ans qu’aurait calculé Freeman Dyson) où toute matière sera refroidie à tel point que les derniers trous noirs supermassifs l’ayant rassemblée, paraîtront plus chauds que leur environnement. Dans cet environnement où les trous noirs seront les derniers astres (puisque leur force d’attraction est la plus forte), l’évaporation de Hawking (théorisée par Stephen Hawking et constituée de photons) qui en provient, s’accélérera jusqu’à ce qu’ils explosent et disséminent la totalité de l’énergie dont ils étaient porteurs dans un espace tellement distendu qu’ils ne pourront plus se reconcentrer.

Ce que théorise Roger Penrose pour expliquer la présence d’entropie dans l’univers primordial c’est que tous les constituants de l’univers précédant ne se désintègrent pas. Ce sont les fermions (neutrons, protons, électrons) qui subissent l’usure du temps. Les bosons, sans dimensions mais qui déterminent les champs, subsistent, passant d’un univers à l’autre ou plutôt selon la terminologie de Penrose, d’un « éon » d’univers à l’autre, de même que la « géométrie conforme » qui structure le tout (elle conserve les angles non les distances) et la force gravitationnelle, devenue sans objet puisque les fermions se sont évaporés dans des ensembles distendus à l’extrême.

Ce qui subsiste se reconcentre (selon un « redimensionnement conforme »*) en une nouvelle origine, extraordinairement dense (en fait un nouveau mais unique trou noir), réutilisant la potentialité de la matière évanouie, et animé d’une force d’expansion extrêmement puissante résultant du résidu de force gravitationnelle du précédent éon (ce qui expliquerait la densité primordiale et l’accélération de l’expansion « dans l’œuf » du nouvel éon et qui dispenserait de recourir à l’énergie sombre). Du fait de son extrême densité, cette matière explose alors**, lors d’un nouveau big-bang, en un nouvel éon chargé dès le début du résidu d’entropie de son prédécesseur.

*en fait selon Roger Penrose il n’y a pas à proprement parler « contraction » mais « changement d’échelle », les « structures-conformes » pouvant être vues comme une famille de structure métriques équivalentes l’une à l’autre via ce changement d’échelle. Pour un espace-temps, la structure conforme est sa structure de cône de lumière (« light cone » ou « sablier » si vous  préfèrez).

**mais selon Roger Penrose, l’explosion n’implique pas de phase d’inflation (phase d’expansion exponentielle) avant de parvenir à la surface de dernière diffusion (CMB) comme prévu par l’actuelle théorie standard de la cosmologie.

Compte tenu de la conformité de la géométrie de cet éon avec celle de son prédécesseur il devrait subsister en lui, ou à sa surface pour l’observateur que nous sommes, la trace des derniers grands événements intervenus dans le précédent, c’est-à-dire la trace des derniers trous noirs supermassifs avant leur évaporation. Retrouver à la Surface de Dernière Diffusion (CMB) de telles traces, serait une preuve tangible de la théorie. Roger Penrose et ceux qui la partagent, pensaient avoir identifié dans les données collectées par l’observatoire spatial WMAP de la NASA, certaines structures (cercles concentriques d’anomalies de température) en surface de ce CMB (nommés « points de Hawking ») témoignages de l’évaporation de trous-noirs massifs qui répondaient aux caractéristiques attendues. Mais ces traces à la limite de nos capacités d’observation, ont été d’abord contestées et ensuite n’ont pas été confirmées par le télescope spatial Planck, suivant WMAP et beaucoup plus puissant.

La communauté des cosmologues attend donc des preuves des astronomes et la CCC restera simplement une théorie jusqu’à ce qu’on les trouve.

Mais arrêtons-nous un instant, pour l’esthétique, sur cette image grandiose et impressionnante de l’ancien monde à bout de souffle, notre univers dans son très lointain futur. Il fait sombre puisqu’aucun astre ne brille plus dans l’espace étiré asymptotiquement vers l’infini. Les photons provenant du passé eux-mêmes, dont les longueurs d’onde se sont considérablement allongées, ne sont plus lumineux depuis bien longtemps et presque complètement froids. Espacé par des milliards d’années-lumière, de gigantesques trous noirs luisent faiblement de leur rayonnement de Hawking (en photons). Il fait froid, de plus en plus froid, à un point tel que, par différence, ces trous noirs, derniers refuges et destructeurs de la matière, sont devenus relativement chauds et s’évaporent de plus en plus vite jusqu’à exploser et se disperser en diffusant d’énormes ondes gravitationnelles. Bientôt, en dehors des photons, il ne reste plus qu’un squelette des autres bosons de ce qui fut notre Univers, totalement décharné et étiré sur des distances incommensurables. Ce squelette épuré mais toujours porteur de la géométrie conforme de son passé, se contracte par « transformation conforme » sans difficulté aucune et presque jusqu’à l’infiniment petit puisqu’il n’est plus contraint par la matière. Nous sommes au moment du « passage » (« crossover ») à l’aube d’une nouvelle ère (ou dans le vocabulaire de Roger Penrose, d’un nouvel éon) dans laquelle tout redeviendra à nouveau possible grâce à la survivance « au-delà du miroir », des bosons et de l’énergie qui ont survécu au précédent éon.

Si cette thèse était confirmée, on se trouverait devoir accepter un processus de création, d’évolution puis d’effondrement et de renouveau, qu’on pourrait qualifier d’ondulatoire, toujours orienté (un présent permettant un futur et suivant un passé), constitué d’une succession de naissances et de morts, apparemment sans fin mais aussi sans début…A moins qu’un jour on puisse démontrer la possibilité d’une évolution de cette sinusoïde (par exemple par une accélération de plus en plus forte de l’expansion au fil des éons successifs). Cela ne permet évidemment pas de résoudre le problème de l’Origine et de la Fin ; pas plus que l’existence présumée de Shiva-dansant, détruisant et recréant l’Univers dans une éternité apparente ne résout le problème de sa propre naissance ou celui de l’éventualité de sa mort.

Merci Monsieur Penrose pour cette proposition éblouissante et cette espérance !

Illustration de titre : à gauche la succession des éons représentée de façon classique ; à droite la même succession selon la géométrie conforme ; les distorsions causées par une vision purement métrique de l’Univers sont effacées.

NB : n’étant pas physicien et la théorie de Roger Penrose étant difficile à maitriser pour un « non-initié », je laisse mes lecteurs spécialistes apporter leur contribution pour sa meilleure compréhension, notamment en ce qui concerne le « passage » d’un éon à l’autre.

Lecture:

The basic ideas of Conformal Cyclic Cosmology, par Roger Penrose, AIP Conference Proceedings 1446, 233 (2012); https://doi.org/10.1063/1.4727997, publié le 21/06/2012

https://fr.wikipedia.org/wiki/Cosmologie_cyclique_conforme

Illustrations de la CCC :

https://www.google.com/search?sxsrf=ALeKk01uTFQII43ICW_0YDrZTnr2IP_IGA:1603572311792&q=conformal+cyclic+cosmology+images&tbm=isch&chips=q:conformal+cyclic+cosmology+images,online_chips:cosmic+microwave&sa=X&ved=2ahUKEwjg5I-wjM7sAhX7BGMBHYo7BpQQgIoDKAF6BAgLEAo&biw=1366&bih=657#imgrc=USPW6mDc93ERZM

Présentation par Jean-Pierre Luminet :

https://www.youtube.com/watch?v=VosO8MrEie8

Articles de Futura Science :

https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/cosmologie-prix-nobel-physique-roger-penrose-pense-avoir-preuves-univers-avant-big-bang-26213/

https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/cosmologie-prix-nobel-physique-roger-penrose-pense-avoir-preuves-univers-avant-big-bang-26213/

Article de Forbes :

https://www.forbes.com/sites/startswithabang/2020/10/08/no-roger-penrose-we-see-no-evidence-of-a-universe-before-the-big-bang/#1b1add7a0f34

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Index L’appel de Mars 20 11 09

Conséquences de la variabilité du temps sur l’exploration spatiale à des vitesses relativistes

C’est une chose bien étrange que le temps, l’un des grands mystères de notre Univers ! On sait depuis Einstein et Lorentz qu’il est indissociable de la vitesse et de la masse (ou de l’énergie) et qu’il forme un ensemble également indissociable avec l’espace (« espace-temps de Minkowski »). Contrairement à ce que pensait Newton, il n’y a pas plus de temps absolu que d’espace absolu, indépendants l’un de l’autre. On est « plongé dedans » et il est en même temps insaisissable et non maîtrisable. L’exploration spatiale doit jouer avec les contraintes formidables qu’il nous impose, mais qui en même temps nous ouvrent des perspectives extrêmement surprenantes.

Il faut tout d’abord bien comprendre que le temps (défini de manière la plus générale par Kant comme une catégorie de l’entendement a priori, tout comme l’espace) n’est pas une grandeur physique indépendante des autres grandeurs de la Nature. Chaque chose ou chaque masse (chaque « observateur »), a son temps propre, son « référentiel » comme on dit (ou, mieux, son « référentiel galiléen »), qui est fonction du rapport que l’on a avec une limite absolue qui est la vitesse de la lumière dans le vide (qui est une constante quel que soit le référentiel). Il n’y a pas de simultanéité ni de durées absolues. Le temps en effet s’étire ou se contracte, comme le fait aussi, inversement, l’espace, en raison de la gravité exercée par une masse dont on s’approche ou dont on s’éloigne et de la vitesse dont on est animé. On peut cependant regrouper les référentiels en bulles de temps relativement homogène, quand les différences entre eux sont négligeables. C’est ainsi que le temps sur Terre peut être mesuré (à très peu de chose près) au même rythme par des horloges différentes puisque nous sommes embarqués sur une même planète au sein d’un même système et dans un même environnement stellaire et galactique et que nous sommes animés de vitesses, même si elles sont différentes, bien éloignées des vitesses relativistes (qui commencent, arbitrairement mais significativement, à 10% de la vitesse de la lumière).

Plus le référentiel s’approche de la vitesse de la lumière ou d’une masse capable par la force d’attraction gravitationnelle qu’elle génère d’accélérer vers la vitesse de la lumière quelque autre masse qu’elle-même, plus le temps s’allonge et s’étire par rapport au référentiel d’origine, mais le temps propre à l’intérieur du référentiel en accélération continue à s’écouler sur la même durée. On peut ainsi s’approcher de l’horizon des événements d’un trou noir (mais pas trop près !) ou bien s’approcher de la vitesse de la lumière d’autant plus que « notre » masse initiale (« masse-au-repos ») est faible et que nous disposons d’une énergie suffisante. En fait on n’atteindra jamais la vitesse de la lumière tant qu’on aura une masse-au-repos non nulle ; mais, en s’approchant de cette vitesse, le temps deviendra de plus en plus lent et il s’immobiliserait si l’on pouvait atteindre la vitesse ultime. Par contre, les photons, particules sans masse (mais sortes de « grains » d’énergie), qui, par définition, voyagent à la vitesse de la lumière, n’ont pas de temps, ils ne vieillissent pas, ils sont dans un présent perpétuel, ils partent ici et ils arrivent là au même moment, pour eux, bien sûr. (voir note * de Christophe de Reyff en fin d’article)

Ceci dit « les photons meurent aussi ». Ce ne sont que des êtres électromagnétiques et ils peuvent être détruits, par exemple, lorsqu’ils sont absorbés par la matière qui augmente alors son énergie de celle du photon incident. On le sait bien puisqu’avec une main on peut protéger ses yeux de la lumière du Soleil (et recevoir en échange une “goutte” de chaleur). Les photons qui franchissent ou évitent tous les obstacles que peut interposer la matière, suivent un autre sort lié, comme tout phénomène, à la distance et au temps. Nous sommes dans un Univers en expansion et, pour un observateur situé dans un référentiel différent de la source de l’émission, la longueur d’onde va paraître s’étirer au fur et à mesure que la vitesse d’éloignement (phénomène réciproque) augmente. C’est le phénomène bien décrit par Doppler puis par Fizeau. C’est ainsi qu’à notre époque, 13,8 milliards d’années après le Big-bang, le rayonnement des premiers rayons lumineux qui ont pu s’échapper du plasma primordial quand sa densité a chuté du fait de l’expansion, a vu sa longueur d’onde s’allonger considérablement puisque la vitesse de notre éloignement est maintenant proche de leur propre vitesse. Leur décalage vers le rouge, le fameux « effet Doppler-Fizeau » est tel (z » 1100 !) qu’ils ne sont plus lumineux, à peine chaud (le fond diffus cosmologique est de quelques tout petits 2,726 K, avec quelques irrégularités, « anisotropies ») et qu’un jour, suivant une courbe peut-être asymptotique, ils seront quasiment froids. Mais seront-ils « tout à fait froid » est LA question. Certains de nos plus grands physiciens, comme Roger Penrose qui vient de recevoir le Prix Nobel de physique, s’interrogent sur cette époque aussi bien que sur celle du Big-bang et sur l’éventuel lien entre les deux (selon sa théorie dite « Conformal Cyclic Cosmology »).

Quoi qu’il en soit, pour revenir au cœur de mon sujet, l’effet d’allongement du temps, en raison de la vitesse et de temps propres à chaque référentiel, peut théoriquement avoir des conséquences en dehors du sens commun concernant les voyages. Je reprends ce qu’en disait Christophe de Reyff en commentaire à l’un de mes précédents articles :

Prenons le cas bien connu, mais souvent mal compris, du voyageur de Langevin appliqué à un voyage vers la galaxie d’Andromède, notre grande voisine située à 2 millions d’années-lumière d’ici (plus précisément 2,54, mais gardons ce chiffre). Imaginons simplement (chose, bien sûr, encore impossible à seulement concevoir pour une banale raison énergétique) une fusée qui quitte la Terre et accélère à « 1 g » (= 9,8 m/s²) continûment, donc de façon tout à fait confortable pour ses passagers qui se croiraient toujours posés sur Terre. L’énergie nécessaire pour garder dans la durée cette accélération constante est colossale, mais la puissance continue nécessaire reste faible pour assurer cette poussée constante de « 1 g » (en comparaison, au décollage d’une fusée, on a facilement des accélérations de plusieurs « g », nécessitant une grande puissance durant quelques minutes). En une année de vol ainsi toujours accéléré à « 1 g », la fusée pourrait atteindre quasiment la vitesse de la lumière (à la limite naturellement strictement inaccessible) et Andromède ne se trouverait plus qu’à 1 million d’années-lumière devant elle. La moitié du chemin serait parcourue ! La fusée se retournerait alors et décélèrerait également à « 1 g ». En une autre année, elle serait arrivée à Andromède. Ce voyage de deux ans, pour les voyageurs, serait le simple résultat de la relativité : dilatation du temps et contraction de la distance.

Si, au moment de son départ de la Terre, on envoyait vers Andromède un message radio annonçant la venue de voyageurs de la Terre, ce message arriverait, pour la Terre, 2 millions d’années plus tard à Andromède où les préparatifs seraient faits pour accueillir les voyageurs qui arriveraient 2 ans après, soit à 2 millions et 2 années, sur la Terre. Bref, les gens d’Andromède prévenus auraient attendu 2 ans les voyageurs, les voyageurs auraient voyagé 2 ans et les Terriens restés sur Terre auraient durant ce temps vieilli de 2 millions et 2 ans. Si une caméra installée dans la fusée transmettait en continu vers la Terre l’image d’une horloge dans la fusée, les Terriens verraient que cette horloge ralentirait pour ne montrer que deux ans dans la fusée durant les deux millions d’années écoulées sur Terre.

En fait ce voyage à la vitesse de la lumière est très difficile à imaginer puisqu’effectivement la source d’énergie devrait être extraordinairement abondante (puisqu’utilisée pendant une durée très longue) et aussi parce qu’en approchant de la vitesse de la lumière les obstacles vont se multiplier dans l’espace. La moindre poussière mais aussi les moindres molécules de gaz, celles des nuages d’hydrogène, par exemple, vont poser problème. On peut observer que, vis-à-vis des UHECR (Ultra High Energy Cosmic Rays), infimes particules de matière animées d’une vitesse extraordinairement élevée, les nuages d’hydrogènes se comportent comme des plasmas (effet de compression). Ces « rays », en fait des protons ou des noyaux d’éléments « métalliques » lourds, sont déviés ou ralentis par eux, c’est d’ailleurs les diverses radiations qui les traversent qui permettent de les détecter et de les étudier puisqu’elles sont déformées par ce passage.

Alors les voyages interstellaires ou intergalactiques ne seront pas faciles (c’est le moins que l’on puisse dire !) tant que les passagers et leurs véhicules auront une masse. Je suis ainsi amené à considérer le fantasme d’une mission avec vaisseaux et passagers transposés en pures radiations lumineuses ou électromagnétiques. On est là évidemment dans la science-fiction la plus déconnectée de notre époque (pour ne pas dire la plus éthérée !). Restons-y cependant un instant pour imaginer ces voyages. S’ils pouvaient avoir lieu, jusqu’à la Galaxie d’Andromède, par exemple, comme supposé par Christophe de Reyff, il faudrait se représenter des êtres à jamais errants, totalement coupés de leur planète d’origine, comme les aventuriers de Star-Treck, puisque leur bulle de temps d’origine (leur référentiel inertiel), donc leur environnement humain d’origine, leur serait pour toujours devenue inaccessible du fait de leur vitesse sur la durée. La flèche du temps ne va que dans un seul sens et après être parvenus au cours d’une seule de leurs années, vécue « tranquillement » dans leur bulle animée d’une vitesse quasi « luminique », pendant un million d’années du temps de la Terre, ils ne pourraient plus jamais retrouver ceux qui étaient à l’origine leurs contemporains. Sera-ce le destin de certains de nos descendants ?

Cela implique également que les voyages vers les autres systèmes stellaires seront extrêmement difficiles, car on ne peut envisager avec des modes de propulsions « normaux » (c’est-à-dire compris aujourd’hui) d’aller beaucoup plus vite que le seuil des vitesses relativistes, peut-être 10% ou 20% de la vitesse de lumière. À une vitesse de 20% de la vitesse de la lumière, nous n’atteindrions Proxima Centauri, notre plus proche voisine, située à 4,244 années lumières, qu’après un voyage de 20 ans. C’est beaucoup !

Lecture :

http://villemin.gerard.free.fr/Science/PartMass.htm

L’ordre du Temps par Carlo Rovelli, publié en 2018 chez Flammarion

(*) Note complémentaire de Chrystophe de Reyff:

Prenons un autre exemple frappant, celui des horloges placées dans des conditions cinétiques et gravitationnelles différentes. Pratiquement, considérons deux horloges atomiques identiques et très précises, sensibles à ces effets de la vitesse et de la gravité, l’une située au pôle et l’autre située à l’équateur, qui, en bonne approximation, sembleront toujours concorder ; ce qui est pourtant une vraie coïncidence sur Terre ! En effet, prenant celle, située au pôle comme référence, l’autre, située à l’équateur, subit à la fois une gravité moindre (du fait de l’aplatissement de la Terre, elle est plus loin de son centre de 21,4 km) et, en plus, une vitesse d’entraînement due à la rotation de la Terre (1’674,4 km/h ou 465,1 m/s à l’équateur) qui cause encore une force centrifuge (que ne subit pas celle située au pôle). La moindre gravité accélère l’horloge (+0,2 microseconde par jour, car le temps se contracte) et sa vitesse ralentit l’horloge (−0,1 microseconde par jour, car le temps se dilate). Ces deux effets opposés, qui, par pur hasard, se compensent quasiment sur Terre (à moins de 0,1 microsecondes près de décalage par jour !), sont très sensibles dans les satellites qui se meuvent, eux, à plusieurs km/s sur leur orbite. En conséquence, il existe une orbite particulière, fixée par la théorie de la relativité, située précisément à 3’167,4 km d’altitude, à un demi-rayon terrestre d’altitude (soit à 3/2 rayons terrestre, à 9’545,5 km du centre de la Terre), où il y a aussi exacte compensation entre les deux effets (plus et moins 20,072 microsecondes de décalage par jour pour chacun des effets relativistes).

En-dessous de cette orbite (aux grandes vitesses orbitales, à plus de 6,5 km/s, mais décroissant avec l’altitude), l’effet de la vitesse domine et le temps se dilate (l’horloge ralentit par rapport à celle restée sur Terre, mais de moins en moins avec l’altitude). Cela a même aussi été mesuré depuis longtemps dans deux avions portant des horloges atomiques précises, synchronisées au départ, tournant autour de la Terre en sens inverse avec des vitesses opposées et différentes. Au-dessus de cette altitude de 3’167,4 km, la vitesse orbitale continue de décroître et la gravité également avec l’altitude ; mais ce dernier phénomène de décroissance gravitationnelle l’emporte et le temps se contracte (l’horloge accélère). Les satellites GPS, qui sont positionnés bien plus haut, vers 20’200 km d’altitude (soit à un peu plus de 3 rayons terrestres et donc à une distance d’un peu plus de 4 rayons terrestres du centre de la Terre) pour tourner autour de la Terre exactement deux fois par jour (soit un tour en un demi-jour sidéral, en 11 h 58 min 2 s), voyagent pourtant encore à 3,9 km/s, mais leurs horloges montrent finalement une avance de 38,575 microsecondes par jour (−7,213 microsecondes dues à la vitesse et +45,788 microsecondes dues au champ gravitationnel moindre que sur Terre). Cet important décalage journalier entre l’horloge d’un satellite GPS et la Terre doit être compensé continûment, grâce à une programmation pilotable, pour le bon fonctionnement du système GPS.

En conclusion, le premier phénomène, découlant de la vitesse, est expliqué par la relativité restreinte et le second, découlant de la gravitation, par la relativité générale. Mais il ne faut négliger aucun de ces deux effets opposés dans le calcul du décalage des horloges atomiques très précises soumises à la fois à des vitesses différentes et à des gravités différentes.

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Quelques considérations sur l’économie martienne (2. à la recherche de la rentabilité)

Nous avons vu la semaine dernières les activités et les hommes nécessaires au fonctionnement d’un établissement sur Mars. Mais il y a une autre dimension qu’il faut prendre en compte pour qu’à la viabilité d’un tel établissement s’ajoute la pérennité. En effet, pour qu’une colonie martienne « tienne » sur la durée, elle devra produire pour et exporter vers la Terre suffisamment pour atteindre et maintenir une relation équilibrée avec elle car (selon mon propre dicton!), « les philanthropes meurent et les gouvernements passent ». Cela implique de donner aux Martiens la possibilité d’exercer d’autres activités que celles précédemment considérées comme nécessaires/vitales, et aussi une certaine organisation favorable à cet exercice.

NB: je me situe dans la perspective d’un établissement de quelques 1000 à 10.000 personnes…Ce qui évidemment ne sera qu’une étape!

Les activités productives et génératrices d’exportations seront indispensables à la pérennité

Ces activités « optionnelles », c’est-à-dire non nécessaires à la survie, seront quand même essentielles puisqu’elles devront assurer la rentabilité de l’entreprise. En effet, à part les commerçants et divers petits producteurs locaux assurant « la vie de tous les jours », il y aura aussi des capitalistes (résidant soit sur Terre soit sur Mars) disposant de fonds importants qui auront investi dans les infrastructures et qui attendront un retour sur investissement pour légitimement rémunérer leur prise de risque et continuer à investir. S’ils ne font que dépenser, « ils n’y arriveront pas ». Il leur faudra des consommateurs payant avec leur argent et d’autres producteurs-investisseurs, vivant dans leur environnement, également consommateurs/utilisateurs de leurs infrastructures, pour générer pour et par leurs activités, d’autres dépenses donc d’autres ressources.

Pour assurer ce « retour » sur investissement, la société martienne assurant le fonctionnement de la colonie (ma « Compagnie des Nouvelles Indes », « CNI », voir plus bas) devra être accueillante à toutes sortes de personnes solvables désireuses de venir sur Mars pour consommer ou/et pour produire avec trois perspectives : susciter la création de richesses immatérielles exportables de toutes sortes (process conçus dans un environnement extrême, logiciels divers), limiter le besoin d’importations par une production locale, et mettre à disposition des locaux et des services, pour héberger les personnes et permettre ces activités.

Parmi les résidents exerçant ces activités, il y aura bien sûr les chercheurs envoyés par leur Université pour une étude bien particulière. Il y aura aussi des astrophysiciens et des ingénieurs en équipements d’observation astronomique car le sol martien sera idéal comme support pour observer le ciel d’un point de vue un peu différent et donc complémentaire de celui de la Terre (et bénéficiant a priori d’un ciel moins pollué !). Il y aura aussi des ingénieurs envoyés par leur entreprise pour tester des équipements ou des matériaux dans des conditions extrêmes (label « vérifié résistant aux conditions martiennes »). Il y aura aussi des entrepreneurs qui auront des « idées » et qui auront voulu les concrétiser, au moins jusqu’à la « preuve de concept », dans un milieu particulièrement réceptif aux innovations et riche en capacités scientifiques et ingénieuriales, concernant le recyclage, la robotique, les télécommunications, etc… Il y aura des particuliers qui pour une raison ou une autre, auront voulu s’abstraire de leur monde pour une partie de leur vie et qui auront bien entendu les moyens financiers de le faire. Il y aura des artistes qui voudront utiliser un environnement particulier pour nourrir leur inspiration. Il y aura des spécialistes financiers pour gérer les ressources des particuliers et de la communauté, organiser le financement des projets (y compris lever des fonds sur Terre), piloter le financement des entreprises existantes, c’est-à-dire tout simplement des banquiers ; sans oublier des assureurs pour couvrir les risques (donc faciliter les financements) et lisser l’impact des pertes. Il y aura enfin des communicants chargés de mettre en valeur ce qui sera effectué sur Mars afin d’attirer de nouveaux candidats au voyage et au séjour sur ce nouveau monde…et de nouveaux capitaux.

Tous ces gens devront être traités par d’autres résidents qui devront leur fournir les services dont ils auront besoin pour vivre, se déplacer, exercer leurs talents sur Mars. L’ensemble constituants les consommateurs tout autant que les producteurs martiens.

Public ou Privé ?

Si comme je le crois, l’installation de l’homme sur Mars se fera à l’initiative du secteur privé américain, dont bien sûr Elon Musk, ce secteur aura une influence très importante sur le comportement des agents économiques d’autant que le secteur public terrestre hésitera à dépenser beaucoup d’argent public pour des causes privées (en dehors bien sûr de considérations scientifiques et politiques, non nulles). Ce secteur privé avec probablement une participation publique (la NASA entre autres), sera sans doute organisé dans la société d’investissement et d’exploitation mentionnée plus haut, la « Compagnie des Nouvelles Indes » (pour marquer, évidemment, la ressemblance avec les grandes sociétés coloniales du passé…même si, je le sais, ce passé n’est pas très bien vu de certains de nos contemporains). A noter que ce « privé » sera considéré un peu comme du « public » par les Martiens (le « public-martien ») puisque ce sera à lui qu’il faudra payer l’utilisation des « commodités », les locations d’habitats ou d’équipements et l’utilisation des services publics. A côté de lui, la multitude d’activités menée par de petits entrepreneurs et individus constituera ce qu’on pourrait appelé par symétrie le « privé-martien ».

L’esprit dominant l’activité économique sera donc celui du privé, on peut même oser dire du capitalisme, donc de la recherche de l’efficacité et de la rentabilité au moyen de la concurrence et de la responsabilité. Par principe de subsidiarité, ce sera le privé-martien qui prendra en charge toute production ou tout service vital qu’il sera capable d’assumer, le public-martien ne s’occupant que de ce qui ne pourra être effectué par le privé-martien. Le public-martien ne sera jamais perdant car tout en allégeant son implication directe, il continuera à percevoir des autres résidents, une rémunération pour l’utilisation de ce qu’il mettra à leur disposition. Bien entendu compte tenu de l’isolement et de la nécessité que l’ensemble de la population soit productif, des délais d’adaptation devront être accordés aux entreprises les moins efficientes (constatées comme telles par la concurrence) pour se reconvertir et l’aide de la Cie des Nouvelles Indes assuré pour que cette reconversion soit effective le plus rapidement possible.

Du côté des producteurs on devra évidemment se contenter d’un tout petit marché local. Cela pose problème car les producteurs ne pourront espérer d’économies d’échelle importantes. Fabriquer un vêtement pour 100 personnes coûte beaucoup plus cher à l’unité que de le fabriquer pour 10.000. Comme les producteurs devront pouvoir vivre de leur travail, les prix unitaires seront forcément très élevés par rapport aux prix sur Terre. Cependant la limite haute, celle au-dessus de laquelle les prix martiens ne seraient pas compétitifs avec les prix terriens, sera vraiment très haute puisque le transport coûtera toujours très cher depuis la Terre, sera limité en volume (nombre et capacité d’emport des fusées) et ne pourra être fréquent (on s’efforcera de surmonter cet obstacle par l’impression 3D). Donc il y aura une sorte de protection tarifaire très élevée pour les produits martiens, la seule véritable limite étant le coût d’un bien ou service proposé par rapport au « pouvoir d’achat » du résident martien et par rapport aux alternatives de dépense (point développé plus bas).

Pour être rentable donc productible, un bien ou service doit être désiré pour un prix supérieur à son coût (même si le producteur peut faire un pari sur une profitabilité future en commençant la commercialisation en dessous de son coût). La difficulté sera atténuée par le fait que le pouvoir d’achat du client sera quand même élevé puisque, par définition, tout producteur sera obligé de mettre sur le marché ses produits à un prix élevé puisque pour lui aussi le coût unitaire sera élevé. Le prix de chaque objet ou service doit en effet être évalué par rapport au prix de tous les autres objets ou services offerts sur le marché, inclus dans un panier que le consommateur peut acheter. A noter, il ne faut pas l’oublier, qu’un élément non négligeable du coût sera constitué des redevances à payer à la Cie des Nouvelles Indes pour utiliser les structures et les « commodités » qu’elle aura mises à disposition pour vivre. Ni l’habitat, ni son entretien, ni l’eau ou l’air ne seront « gratuits ». Toute utilisation de « commodités » ou de « services publics » devra être payée et il y aura des capteurs avec des compteurs partout (un excellent moyen de limiter le gaspillage !). La seule nécessité pour la Cie des Nouvelles Indes qui les aura financées, sera de ne pas « tuer le client », c’est-à-dire que les prix qu’elle demandera devront être raisonnables pour ne pas rendre la vie (production et échanges) des résidents martiens, impossible. Mais les gens de la CNI sauront dès le début qu’ils devront être patients et ils ne rechercheront certainement pas à devenir rentables avant une trentaine d’années suivant le démarrage de la Colonie.

Un produit martien ne sera donc pas du tout compétitif par rapport à un produit terrestre mais cela n’aura aucune importance puisqu’il n’y aura pas de concurrence entre eux, sauf bien évidemment dans le cas des quelques produits provenant de la Terre tous les 26 mois, que les Martiens ne s’amuseront pas à produire. D’ailleurs ces produits seront précisément ceux que l’on ne pourra pas produire sur Mars (trop grande complexité, ou plutôt nécessité de l’utilisation de toute une filière industrielle qui n’aura pas encore pu être développée sur Mars).

La monnaie devra être locale mais convertible en monnaies terrestres

Pour former un prix à la rencontre d’une offre et d’une demande, c’est-à-dire donner une valeur à quelque chose par rapport à autre chose, le meilleur instrument sera la monnaie, bien fongible, commun dénominateur à toute offre et toute demande. Donner un prix dans une monnaie, c’est le seul moyen d’exprimer véritablement à la fois un choix collectif et un choix individuel et de limiter le gaspillage. C’est un moyen beaucoup plus efficace que l’allocation administrative (qui prétend savoir mieux que le consommateur ce qu’il veut) pour déterminer ce qui doit être produit. L’URSS l’a amplement démontré.

A priori une monnaie martienne correspondant aux spécificités du marché martien, serait le premier choix d’instrument. Cependant les personnes qui arriveront sur Mars et qui ensuite seront en relation avec la Terre, « ne sortiront pas de l’œuf ». Elles auront de l’épargne, certaines seront payées par leur société ou leur université, d’autres généreront leurs revenus exclusivement par leur production et leurs échanges sur Mars ; d’autres encore par leurs exportations vers la Terre. Lorsqu’ils reviendront sur Terre, les Martiens voudront non seulement utiliser leur expérience martienne mais aussi le capital qu’ils auront pu accumuler sur Mars (certains partiront même de la Terre pour cela !). Tout ceci entraine la prise en compte de monnaie(s) terrestre(s). La monnaie employée sur Mars pourrait être tout simplement le dollar mais cela ne sera possible que si les composants non-américains de la Colonie (personnes et capitaux) ne sont pas trop nombreux / importants. Dans le cas contraire, on pourrait imaginer une monnaie locale convertible dont la contrevaleur serait incontestable (il faudra pouvoir vendre la monnaie locale contre la monnaie terrestre sans risque de perte, à tout moment). Dans ce cas, le mieux serait un panier de monnaies sous-jacentes, actualisé en permanence (comme les monnaies composantes).

Un pari qu’il vaut la peine de prendre

La réussite du pari d’une économie martienne n’est pas évidente. En fait, les premières années, un petit établissement pourrait vivre uniquement selon des considérations technologiques. Sur le long terme il faudra bien atteindre un équilibre des comptes tels que les communautés terriennes ou les investisseurs terriens qui auront fait le pari, soient récompensés. Il s’agit pour les investisseurs au sens stricte de devenir bénéficiaires et pour les autres (moins motivés par l’argent), de rentrer au moins dans leur frais. Il faudra que les investisseurs et ceux qui voudront simplement vivre sur Mars soient suffisamment ingénieux pour trouver des sources de revenus adéquates pour générer de nouvelles richesses qui feront de la société martienne pour la Terre, non pas « un boulet à trainer » mais un partenaire intéressant. Rien n’est certain mais le monde tel qu’il évolue et qu’il change, est « comme ça ». Il est fait d’inventivité, d’opportunités, de risque pris, suivis d’échecs ou de réussites constatés monétairement. Espérons pour Mars…mais aussi pour la Terre. La réussite de l’entreprise sera dans l’intérêt de tous, même bien entendu de ceux qui resteront sur Terre car la réussite d’un établissement sur Mars serait un enrichissement pour tous.

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