L’adhésion de la Suisse au gigantesque radiotélescope SKA a été célébrée à Davos ce 25 mai

C’est le 17 décembre 2021 que le Conseil Fédéral a approuvé le financement nécessaire, 24,7 millions de CHF, s’ajoutant aux 8,9 millions déjà engagés, pour que la Suisse devienne membre à part entière du SKAO* et participe à la construction et aux opérations de ce radiotélescope géant jusqu’en 2030 (fin des travaux de réalisation de l’ensemble qui ont commencé en juillet 2021) ; cette qualité devant lui donner accès en permanence aux données les plus récentes collectées.

*Square Kilometer Array Observatory (après Square Kilometer Array Organization).  

Suite à candidature, l’admission de la Suisse comme « full-member » a été formellement acceptée par les sept membres fondateurs de la « collaboration » (communauté scientifique) le 12 janvier 2022. Le nouveau membre (SKA-CH), premier des « non-fondateurs », a tenu à la suite de cette admission, le 25 mai 2022, une table-ronde (dirigée par Olivier Küttel*) dans le cadre du World Economic Forum de Davos, à laquelle participaient les personnes ayant œuvré pour l’admission. Il s’agit de la Secrétaire d’Etat pour l’éducation, la recherche et l’innovation, Martina Hirayama qui a « ouvert les cordons de la bourse » ; la Professeure Catherine Cesarski, astrophysicienne de renommée mondiale, présidente du conseil d’administration du SKAO ; Phil Diamond, astrophysicien, Professeur à l’Université de Manchester, Directeur Général du SKAO ; le président de l’EPFL, Martin Vetterli ; Michel Hübner, « Swiss Industry Liaison Officer » pour les organismes de recherche internationales (SERI/EPFL) ; et bien sûr le Professeur Jean-Paul Kneib, directeur du Laboratoire d’astrophysique de l’EPFL (LASTRO), directeur de son département eSpace et coordonnateur de l’équipe des scientifiques suisses qui utiliseront le SKAO. C’est le Professeur Kneib qui par ailleurs a monté le dossier sur lequel a pu se faire l’admission.

*Olivier Küttel est le Délégué du président de l’EPFL aux affaires internationales.

Ce n’est pas un événement mineur car le SKA est le radiotélescope le plus puissant et le plus sensible jamais construit à ce jour, de par sa surface de collecte (l’équivalent, du fait du nombre et de l’implantation de ses antennes, d’une seule antenne de 1 km2 de surface) et l’échelle des longueurs d’ondes (bande passante) qu’elles couvrira (50 MHz à 15 puis 30 GHz). Son objet principal est la compréhension de la formation des premières galaxies et étoiles. Mais il pourra aussi nous permettre de mieux comprendre le rôle du magnétisme cosmique, la nature de la toujours hypothétique matière noire, celle de l’énergie sombre et de sa force contraire, la gravitation, ainsi qu’éventuellement nous permettre de faire progresser la recherche SETI (au cas où nous capterions une émission radio ayant des caractéristiques ne pouvant être naturelles). L’avantage de la radioastronomie par rapport à la collecte des ondes lumineuses est qu’elle nous permet d’accéder à un niveau d’énergie beaucoup plus bas, donc de percevoir toutes sortes de phénomènes « froids » qui n’émettent pas de rayonnements lumineux (comme les nuages d’hydrogène galactiques et intergalactiques) ou dont les rayonnements lumineux ont été allongés par la distance et par le temps.

Pour être plus précis, voici la liste donnée par Catherine Cesarski dans sa présentation, des grands sujets et questions que le SKAO doit nous permettre de mieux étudier :

1) The Cradle of Life and Astrobiology: How do planet forms? Are we alone?

2) Strong-field Tests of Gravity with Pulsars and Black Holes: Was Einstein right with General Relativity?

3)  The Origin and Evolution of Cosmic Magnetism: What is the role of magnetism in galaxy evolution and the structure of the cosmic web?

4) Galaxy Evolution probed by Neutral Hydrogen: How do normal galaxies form and grow?

5) Galaxy Evolution probed in the Radio Continuum: What is the star-history formation of normal galaxies?

6) Cosmic Dawn and the Epoch of Reionization: How and when did the first stars and galaxies form?

7) Cosmology and Dark Energy: What is dark matter? what is the large-scale structure of the Universe?

8) The transient Radio Sky: What are Fast Radio Burst and how can we best utilize them?

Comme vous pouvez le constater, cela touche à tous les domaines de la radioastronomie ! La différence du SKA avec les autres radiotélescopes est encore une fois les moyens dont il disposera. A noter que l’installation des antennes dans le désert du Nord-Ouest australien et le désert Sud-africain du Karoo, a été choisie en raison de l’aridité (l’humidité n’est pas bonne pour l’observation astronomique en général puisqu’elle opacifie l’atmosphère) et l’isolement de ces régions (très faible population et rareté des sources radios que les gouvernements se sont engagé à maintenir en « radio quiet areas »). Il en effet très important de limiter au maximum les « bruits » qui pourraient interférer avec les émissions reçues.

Les autres membres à part entière du SKAO sont les fondateurs (« première pierre » en 1997) : Australie, Chine, Italie, Pays-Bas, Portugal, Afrique du Sud et Grande-Bretagne. La France est le prochain pays qui devrait rejoindre la collaboration (accord préliminaire le 11 avril de cette année). Suivront probablement l’Espagne, l’Allemagne, le Canada, puis l’Inde et la Suède. Les partenaires suisses au sein de SKACH comprennent 9 institutions : la Fachhochschule Nordwestschweiz (FHNW), l’Üniversität Zürich (UZH), l’Eidgenössische Technische Hochschule Zürich (ETHZ), la Zürcher Hochschule für Angewandte Wissenschaften (ZHAW), l’Universität Basel (UniBAS), l’Université de Genève (UniGE), la Haute Ecole Spécialisée de Suisse Occidentale (HES-SO), le Centro Svizzero di Calcolo Scientifico (CSCS). Cela regroupe environ 70 scientifiques.

Avant de devenir membre à part entière la Suisse a déjà contribué, pendant la phase préparatoire (celle de l’« Organisation »), à sept des « Science Working Groups » y compris ceux qui s’intéressent à la cosmologie, aux ondes gravitationnelles et à l’évolution des galaxies. Par ailleurs l’expertise suisse dans le calcul-intensif (HPC), le traitement des données, les antennes et capteurs, la gestion du temps a été très appréciée par la communauté des fondateurs (la coordination de toutes ces antennes pose un défi considérable).

Si le SERI était présent à la table ronde en la personne de Michel Hübner, c’est que l’entrée de la Suisse dans le SKAO induira beaucoup de travail pour de nombreuses industries de pointe en Suisse. Parmi elles on peut à nouveau citer celles qui travaillent sur les horloges atomiques, puisque c’est une spécialité de « mon » Canton de Neuchâtel (le Laboratoire Temps Fréquence du Professeur Gaetano Miletti et Spectratime /Orolia de Pascal Rochat pour les horloges atomiques à maser). Au-delà, comme on entre dans la période des appels d’offres, il faut se préparer à y répondre et la Suisse pays des microtechniques, a un gros potentiel pour profiter des marchés qui se profilent.

Le SKAO est la seconde organisation intergouvernementale (« IGO ») dédiée à l’astronomie régie par un traité international après l’ESO (European Southern Observatory). Le traité qui l’institue a été signé le 12 Mars 2019, à Rome. Le projet a mis 30 ans à murir mais la construction physique n’a commencé, comme dit plus haut, que le 1er juillet 2021. Il comprend deux ensembles d’antennes. L’un, le SKA low array (Australie), aura 131000 antennes, de 2 mètres ; l’autre, le SKA Mid array (Afrique du Sud), aura 197 antennes, de 15 mètres. Ce dernier a incorporé son « précurseur », le télescope MeerKAT (64 antennes de 13,5 mètres). La coordination se fait à Jodrell Bank en Angleterre qui est le siège du SKAO. Et il y aura des centres régionaux (« SKA Regional Centers ») pour gérer les données. Le tout coûtera 2 milliards d’euros de 2020 (1,3 pour la construction et 0,6 pour le fonctionnement jusqu’à cette date – comme déjà dit, 2030). A noter que contrairement à un télescope utilisant les ondes lumineuses, un radiotélescope peut commencer à être utilisé à partir du moment où on dispose de suffisamment d’antennes pour recueillir une image de qualité. On aura donc des données intéressantes bien avant 2030.

Lors de la table-ronde, le Professeur Kneib a insisté sur le traitement des données. C’est en effet un très gros problème car les télescopes en recueilleront environ 650 petabytes tous les ans (un terabyte par seconde !). Il faut dès à présent imaginer des instruments nouveaux (supercalculateurs) et de nouvelles techniques (algorithmes) pour sélectionner et traiter ces informations et ce n’est pas le moindre défi. Heureusement la Suisse dispose de « cerveaux », notamment à l’EPFL, qui pourront s’appliquer à surmonter cette difficulté. Cela rejoint les considérations sur le « crossfeeding » développées par le président Martin Vetterli lors de la table-ronde. Le SKAO constitue un énorme progrès dans les moyens mis à disposition pour la connaissance de l’Univers mais c’est également un moteur de progrès très puissant pour ceux qui y participeront.

Illustration de titre :

Le 22 janvier, le SARAO, (South African Radio Astronomy Observatory) a publié une nouvelle image du centre de notre galaxie produite par le radio télescope MeerKAT (intégré au SKA), montrant les émissions radio sélectionnées à 1,284 GHz qui en proviennent, avec une clarté et une profondeur sans précédent (surface 6,5 deg2, résolution angulaire 4’’) : Le « 1.28 GHz MeerKAT Galactic Center Mosaic ». On ne peut qu’être émerveillé de sa qualité artistique. Crédit : Heywood et al. (2022). Le télescope MeerKAT est géré par le SARAO. C’est un équipement de la « National Research Foundation », une agence du « Department of Science and Innovation » de la République d’Afrique du Sud. La recherche scientifique sous-tendant l’image a été publiée dans The Astrophysical Journal.

NB: (1) pour apprécier la dimension de cette image (6,5 deg2), il faut se rappeler que la sphère de la voute céleste a, dans son ensemble, une “surface” de 41.153 deg2.

NB: (2) Le trou-noir central de notre galaxie (SgrA*) se trouve au centre du point blanc situé au centre de l’image. Nous sommes ici véritablement au centre de notre monde.

Liens :

https://skach.org/

https://www.skatelescope.org/

https://www.admin.ch/gov/en/start/documentation/media-releases.msg-id-86519.html

https://www.skatelescope.org/news/switzerland-joins-skao-as-eighth-member/

https://skao.canto.global/pdfviewer/viewer/viewer.html?v=SJOMFKK7GC&portalType=v%2FSJOMFKK7GC&column=document&id=psnfvpbbn15u57tkegqrbggb1b&suffix=pdf&print=1

https://espace.epfl.ch/event/espace-seminar-the-ska-observatory-and-the-universe-at-radio-wavelength-by-prof-jean-paul-kneib/?doing_wp_cron=1652803866.1155300140380859375000

https://www.unige.ch/sciences/physique/actualites/ska-sera-le-plus-grand-radiotelescope-jamais-construit/

https://www.skatelescope.org/news/founding-members-sign-ska-observatory-treaty/

https://archive-gw-1.kat.ac.za/public/repository/10.48479/fyst-hj47/index.html

Lire aussi mon article sur ce blog, du 21 Septembre 2019 : « Le radiotélescope géant SKA, un projet exaltant qui pose des défis à hauteur de son ampleur ».

Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur : Index L’appel de Mars 22 05 25

La cartographie en 3D “eBOSS” nous donne les meilleures images que nous ayons jamais eu des grandes structures de l’Univers et de leur évolution

Vous regardez la carte tridimensionnelle la plus détaillée de l’univers connu. Elle s’appelle le Sloan* Digital Sky Survey (« SDSS »). C’est l’aboutissement du travail de scientifiques du monde entier qui viennent de terminer la quatrième phase de cinq ans d’une étude du ciel nocturne mesurant les positions et les distances de plus de 4 millions de galaxies et de quasars. Cette étude commencée en l’an 2000, entre maintenant dans sa cinquième et dernière phase prévue. La carte aidera les scientifiques à progresser dans la compréhension des mystères restants de notre Univers.

*Alfred P. Sloan était un homme d’affaires américain, président de General Motors de 1923 à 1956 et décédé en 1966. La cartographie porte son nom car c’est sa fondation qui l’a financée en large partie. Voir : https://sloan.org/programs/research

Bien au-delà des étoiles locales qui dessinent les constellations familières dans notre ciel nocturne et au-delà de notre propre Voie Lactée, des milliards de galaxies sont réparties dans l’univers observable. En déroulant la vidéo en bas de page vous partirez dans un voyage supraluminique à partir de notre voisinage jusqu’à la plus grande échelle de notre Univers, en passant par ces galaxies et les structures qu’elles dessinent et que l’on perçoit de mieux en mieux aujourd’hui.

Depuis 1998, la communauté scientifique a réalisé que non seulement l’Univers est en expansion mais que son expansion s’accélère. Cette accélération, inattendue, constitue l’une des énigmes majeures de la physique. D’un point de vue théorique, l’accélération peut être expliquée soit en supposant qu’il existe une mystérieuse énergie noire, soit en modifiant la théorie de la gravité d’Einstein appelée “Relativité-générale”. La même année, le Sloan Sky Digital Survey a été lancé pour s’attaquer à cette énigme.

Le Sloan Sky Digital Survey est une vaste collection des positions angulaires* des galaxies observées dans le ciel ainsi que de leurs distances par rapport à nous, déterminées en observant le déplacement systématique de la lumière induit par l’expansion de l’Univers, qu’on appelle le « redshift » (décalage vers le rouge) puisque le tissu de l’Univers étiré par l’expansion, éloigne d’autant plus vite les astres de l’endroit où nous nous trouvons qu’ils sont déjà plus éloignés de nous (effet Doppler/Fizau). Dans cette nouvelle carte de notre Univers, les grandes taches sombres sont pour la plupart des régions obscurcies par la Voie lactée qui de ce fait ne peuvent être observées.

*la position angulaire résulte des coordonnées des astres sur la voûte céleste. Il s’agit de leur « ascension droite » et de leur « déclinaison », l’équivalent des longitude et latitude à la surface de la planète (le redshift leur donne une troisième et une quatrième dimensions).

Au cours des vingt dernières années, au travers de ses quatre premières phases exploratoires, le Sloan Sky Digital Survey a créé une succession de cartes tridimensionnelles, à chaque stade les plus détaillées de l’Univers. Pour y parvenir, la « Survey » s’est concentrée sur différentes classes de galaxies : les galaxies proches ; les galaxies rouges (effet Doppler), vers -6 milliards ; les galaxies formant des étoiles plus éloignées en utilisant les plus lumineuses, les jeunes bleues ; et les galaxies actives distantes super-lumineuses, les quasars, jusqu’à 11 milliards d’années-lumière.

La quatrième Sloan Sky Digital Survey s’est déroulée de 2014 à 2020. Pendant ce temps, le nouveau projet appelé “Extended Baryon Oscillation Spectroscopic Survey”, ou eBOSS pour faire court, a continué la précédente cartographie Sloan du ciel extragalactique et a récemment terminé de mesurer les distances pour un million de galaxies et de quasars. eBOSS a été initiée et dirigée par le Professeur Jean-Paul Kneib, astrophysicien, directeur du LASTRO (Laboratoire d’Astrophysique de l’EPFL). Elle a été présentée dans des conditions spectaculaires le 11 Mai 2022 au Laboratoire pour une muséologie expérimentale de l’EPFL (eM+), au cours du second événement du projet « Archéologie cosmique ».

Ces relevés successifs permettent aux scientifiques de retracer les structures à grande échelle de l’Univers jusqu’à une fraction de son « horizon » représenté par le fond diffus cosmologique, vu ci-dessous comme un motif coloré projeté sur une sphère. Le fond diffus cosmologique est la relique thermique de l’Univers (l’émission reçue est en infrarouge), qui remonte à 380.000 ans après la naissance de l’Univers, également connue sous le nom de Big-Bang.

En ajoutant les données eBOSS aux phases exploratoires précédentes de Sloan un, deux et trois, le Sloan Sky Digital Survey dispose désormais d’une base de données de 4 millions de galaxies et de quasars, assemblant la carte en 3D la plus grande et la plus complète de l’Univers à ce jour. Cette réalisation sans précédent fournit aux scientifiques de nouveaux outils pour faire la lumière (si l’on peut dire !) sur l’énergie noire et aussi pour contraindre la théorie de la relativité générale, ce qui doit conduire à une meilleure compréhension des lois fondamentales qui régissent notre Univers.

Concernant plus particulièrement l’accélération de l’expansion, cette phase IV de la SSDS avec sa cartographie en 3D de l’époque 3 à 8 milliards d’années, nous donne une vue plus précise que jamais sur l’époque de transition située il y a environ 7 milliards d’années, pendant laquelle l’accélération de l’Univers a commencé à se manifester en contrant la force de gravité générée par les masses de matière.

Enfin, la cartographie de la période la plus ancienne permet de mettre en évidence une phase de décélération de l’expansion vers -11 milliards d’années (3 milliards après le Big-Bang). On savait qu’elle avait dû avoir lieu mais on ne l’avait jamais mesurée. Il aurait donc fallu 4 milliards d’années supplémentaires pour voir l’expansion de l’Univers s’accélérer à nouveau sous l’influence de l’énergie sombre

La SSDS est une collaboration qui regroupe des centaines de scientifiques dans des douzaines d’institutions au travers du monde. Les observations ont été faites au moyen du télescope propre de la Fondation Sloane. C’est un appareil doté d’un miroir principal de 2,5 mètres situé dans l’observatoire APO (Apache Point Observatory) au Nouveau Mexique. La dernière publication du programme est la «data release 17 », daté de décembre 2021. SDSS-V a commencé en Octobre 2020.

Illustration de titre : Un des « moments » de la carte tridimensionnelle de l’Univers dessinée à partir des données de la SDSS-IV. On devrait d’ailleurs dire que cette carte est quadridimensionnelle puisqu’elle intègre la dimension temps en plus de celle de la distance. Ceci est une capture d’écran du film réalisé par eBOSS.

Illustration ci-dessous, localisation des données recueillies par SDSS-IV. Le « 0 » se trouve à 13,8 milliards d’années-lumière de nous. La surface bleue est celle du moment où l’énergie sombre a « pris le dessus » sur la force de gravité. La surface extérieure est la surface de dernière diffusion, le dernier instant de l’univers primordial avant que la lumière se libère de la matière, 380.000 ans après le Big-Bang.

Liens:

Laboratoire de muséologie expérimentale de l’EPFL (eM+) : https://www.epfl.ch/labs/emplus/#:~:text=eM%2B%20is%20a%20new%20transdisciplinary,multisensory%20engagement%20using%20experimental%20platforms.

Premières phases du SDSS : https://classic.sdss.org/

Dernière publication de données (17ème) du SDSS (contient la vidéo mentionnée dans l’article) : https://www.sdss.org/surveys/eboss/

Les astrophysiciens comblent le « gap » existant dans l’histoire de l’Univers (Actualités EPFL du 20/07/2020) : https://actu.epfl.ch/news/astrophysicists-fill-gaps-in-the-history-of-the-un/

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Index L’appel de Mars 22 04 27

Les scientifiques de la collaboration EHT nous révèlent le sombre cœur dormant de notre galaxie

Ça y est ! L’ESO a pu déduire de ses observations les contours de SgrA*, le trou-noir central de notre galaxie. A première vue ce trou-noir ressemble beaucoup à celui de la galaxie M87, dont on a présenté l’image il y a maintenant trois ans (avril 2019). C’est exact car il s’agit aussi d’un trou-noir mais il y a quand même des différences et l’on pourra en déduire des confirmations, des informations et de nouvelles interrogations sur les trous-noirs en général et, bien sûr, le nôtre en particulier.

L’information était l’objet d’une conférence de presse donnée hier, 12 mai, au monde entier par divers partenaires dont l’ESO (European Southern Observatory) en Allemagne, à son siège près de Munich (Garching). C’est une satisfaction de constater que nous, Terriens, pouvons nous unir face aux grandes énigmes de l’Univers.

SgrA (Sagittarius A) est le nom donné pour la localisation dans le ciel terrestre (constellation du Sagittaire) de l’origine des ondes-radio reçues de l’environnement immédiat de ce trou-noir. L’astérisque* est ajouté pour caractériser la source elle-même qui « excite » (terme de science physique signifiant que le système est porté à un niveau supérieur d’énergie par rapport à celui qu’il a au repos) l’hydrogène ionisé de cet environnement.

On se doutait depuis la fin des années 1970 (détection à cet endroit d’une très forte source radio en 1974 par Balick & Brown) qu’il pouvait y avoir un trou-noir au centre de notre galaxie comme on se doutait que ce devait être le cas de la plupart des autres galaxies puisque cela découlait de la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein. On hésitait en ce qui concerne la Voie Lactée en raison de la très faible activité électromagnétique de ce centre (faiblesse confirmée lors de la conférence de presse). Mais la présence d’une masse énorme était évidente du fait que des étoiles (notamment S62, deux masses solaires) orbitaient cette région à des vitesses extrêmement élevées et à des distances très courtes (2 milliards de km au plus près du rayon de Schwartzschild, soit la distance Saturne/Soleil); la vitesse et la distance de S62 (orbite parcourue en 9,9 ans) fournissant d’ailleurs un des moyens de calculer la masse centrale.

Mais on ne « voyait » rien car (1) la population d’étoiles au cœur de la galaxie est extrêmement dense, (2) nous ne pouvons recevoir de rayonnement de la source qu’au travers non seulement du bulbe mais aussi du disque de la galaxie puisque nous sommes dans ce disque, (3) le trou-noir bien que « supermassif », 4,13 millions de masses solaires, est extrêmement petit (diamètre égal à celui de l’orbite de Mercure) et (4) il est situé à 27.000 années-lumière de notre système. On ne peut le distinguer (diamètre depuis la Terre 52 µas ­- microsecondes d’arc) qu’avec des instruments dont la faculté de résolution permettrait de voir une bulle dans un verre de champagne à New-York, depuis l’Allemagne (d’après l’image donnée par l’une des scientifiques présentant le sujet à la conférence de presse).

A contrario, le trou-noir de la galaxie Messier 87 (M87*) était paradoxalement plus facile à voir car, bien que plus lointain (53 millions d’années-lumière) on peut observer sa galaxie orthogonalement, il est beaucoup plus massif (6,5 milliards de masses solaires) donc beaucoup plus gros (diamètre de 38 milliards de km, soit trois fois le rayon de l’orbite de Pluton) et apparait de la même taille que Sgr3* vu de la Terre. Il est aussi beaucoup plus actif (jet de gaz relativiste partant du cœur de la galaxie).

Une autre difficulté pour observer les caractéristiques de SgrA* par rapport à celles de M87* est que le premier étant beaucoup plus petit, les nuages de gaz qui l’entourent bougent relativement beaucoup plus vite. En effet la vitesse maximum est la même, celle de la lumière, mais le cercle à parcourir beaucoup plus petit. L’image est donc constamment, d’une heure à l’autre, changeante.

On a pu donc imager M87* avant SgrA*. En fin de compte ce qui a été présenté lors de la conférence de presse de l’ESO, c’est une image avec des caractéristiques « moyennes », mettant en évidence des constantes ou plutôt des permanences : taille de l’ombre (le centre obscure, entourée d’un anneau de photons que l’on ne voit pas dans le cas présent) et trois surdensités dans la couronne (que les Américains appellent donut…ce qui ne me plait pas du tout). En fait pour mieux se représenter SgrA* il faudra attendre le film qui en est prévu. Cela sera relativement facile car les « prises de vue » (séries de collectes de données) ont été innombrables. Pour le moment il faut se souvenir de cette mobilité de la couronne et avoir conscience que l’image communiquée n’est qu’un instant fugitif de l’astre.

Pour autant, nous devons encore réfléchir à ce que nous voyons. Avec la taille du trou-noir nous avons certes sa masse. Mais très curieusement il apparaît actuellement très peu actif. L’accrétion est extrêmement faible. S’il était de la taille d’un homme, il se nourrirait d’un grain de riz par million d’années (jolie image choisie par une des présentatrices). Contrairement à M87* aucun jet supraluminique (qui doit résulter de cette accrétion si elle avait lieu) n’a pu être observé partant du centre de sa couronne. On le classe donc dans la catégorie des trous-noirs de Kerr (l’un des quatre types de trous-noirs).

Pour faire le « portrait » de SgrA* il a fallu encore plus de travail, que pour M87*, en utilisant des instruments un peu plus performants.

D’abord il s’agit d’utiliser les ondes radio, ni le visible, ni même l’infrarouge ne pouvant parvenir jusqu’au centre de notre bulbe en étant capable de discerner quoi que ce soit. Comme pour M87* on a choisi la longueur d’ondes 1,3 mm. Le principe de l’Event Horizon Telescope, « EHT », utilisé, est le même, un réseau mondial de télescopes (plus précisément d’antennes) de façon à reproduire par interférométrie, l’image qu’obtiendrait un télescope de la taille du disque terrestre (dont les télescopes qui en sont les composants, répartis du Groenland à l’Antarctique, fournissent les éléments). Les équipes qui utilisent cet interféromètre virtuel « à très longue base », « VLBI », constituent la « collaboration » de l’EHT. Elles regroupent trois cent scientifiques et utilise onze centres de collecte, deux de plus que pour M87* : en Arizona et en Europe (« NOEMA » dans les Alpes françaises). Les données sont si volumineuses (elles se comptent en pétaoctets) qu’elles ne peuvent être transmises par les ondes et que leurs supports doivent être portés physiquement jusqu’aux deux centres où elles sont traitées, aux Etats-Unis. On appelle ces centres des « corrélateurs ». Le traitement informatique des données est très long (elles datent de 2017) à cause de cette abondance et à cause de leurs grandes complexités (il faut notamment écarter les « bruits » et le signal est faible).

L’intérêt de l’image est multiple. A partir de deux objets, on peut comparer et déduire, surtout que M87* se classe dans les masses maxima et que SgrA* est de taille moyenne. On a déjà constaté que la masse de ce nouveau trou-noir et son spin (mouvement angulaire) correspondaient à ce que l’on pouvait mathématiquement attendre des lois de la Relativité Générale. On est toujours heureux de vérifier cette théorie extraordinaire.

En dehors de la science pure, il y a, via le sens de la vue, notre part émotionnelle qui est touchée par cet événement. Voir le trou noir, c’est voir le cœur qui nous fait vivre et en même temps l’organe menaçant qui annonce notre mort. Il est central ; nous sommes dans son absolue dépendance et un jour très lointain il engloutira toutes les étoiles qu’il contrôle par gravité, dont notre Soleil, après un étirement puis un déchirement total de la matière. Nous serons bel et bien mis en pièce par ce cœur qui pour le moment nous tient à distance dans une ronde très longue et très lente, comme il tient les autres étoiles de notre galaxie et comme le Soleil tient ses planètes. C’est lui qui donne à la Galaxie sa cohérence et lui permet de fonctionner. C’est grâce à ce trou-noir que des nuages de gaz ont pu et peuvent encore se concentrer en étoiles et c’est grâce à lui que des étoiles ont pu et peuvent encore complexifier la matière par nucléosynthèse. C’est donc in fine grâce à lui que les planètes ont pu se former et la vie naître sur Terre. Oui, le trou-noir central est notre Soleil de vie en même temps qu’il est notre Soleil de mort ; Toutankhaton aurait pu lui dédier son « hymne au Soleil »  s’il avait pu le concevoir. Gérard de Nerval ne pouvait non plus l’imaginer lorsqu’il commentait la magnifique gravure de Dürer, Melancholia, mais ce dessin lugubre est maintenant une clef pour le comprendre. De nos jours les artistes sont aussi les astrophysiciens qui grâce à leur lecture de données froides et inexpressives pour le commun des mortels, sont capables tout comme leurs prédécesseurs, en les interprétant de nous faire rêver ou blêmir.

illustration de titre: Image du trou noir central de la Voie Lactée, SgrA*. Crédit collaboration EHT (Event Horizon Telescope).

Liens :

Note de presse : https://www.eso.org/public/news/eso2208-eht-mw/

Note scientifique : Akiyama_2022_ApJL_930_L12.pdf

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Index L’appel de Mars 22 04 27

Décoller, c’est bien, mais atterrir, c’est mieux !

Aujourd’hui je passe la parole à un groupe d’étudiants de l’EPFL qui, en fondant et faisant vivre le Gruyere Space Program, s’est lancé dans une aventure qui mérite toute l’attention de ceux qui s’intéressent à l’espace, à la jeunesse dynamique et créatrice, et à notre futur à tous, sur Terre et bien sûr sur Mars (ou accessoirement la Lune).

Décoller, c’est bien, mais atterrir, c’est mieux !

Le monde du spatial est entré dans un nouvel âge d’or avec l’arrivée de nouveaux acteurs privés, entraînés par la montée en puissance de SpaceX et ses lanceurs réutilisables. On observe depuis un engouement marqué pour tous les aspects liés à l’exploration spatiale et l’apparition d’une multitude d’associations et d’entreprises prêtes à en découdre.

C’est dans cet environnement d’effervescence que nous nous sommes lancés nous aussi dans l’aventure avec Gruyère Space Program, notre association d’aérospatiale, afin de toucher à ce domaine avant la fin de nos études. Plus précisément, nous nous sommes fixés comme objectif de faire décoller la première fusée étudiante capable d’atterrir propulsée par son moteur-fusée après un court vol autonome.

Les véhicules de ce type, les “hoppers”, ne sont pas très courants. On préférera généralement des systèmes munis d’un parachute, plus simple, pour les vols atmosphériques. Ils offrent toutefois des opportunités intéressantes. Tout d’abord, un hopper est un moyen relativement simple de tester sur Terre des technologies dédiées à des engins conçus pour voler sur d’autres mondes. En effet, l’atterrissage propulsé est similaire à celui de véhicules se posant sur la lune, Mars, ou même des astéroïdes, à la différence près bien sûr de la force gravitationnelle ou de la présence ou non d’une atmosphère. Il est ainsi possible de mettre au point sur Terre des technologies telles que des algorithmes de contrôle, des systèmes d’analyse de la surface, ou tout autre équipement scientifique susceptible de se trouver sur une sonde spatiale. Ce fut le cas par exemple du système de navigation par analyse du terrain de l’atterrisseur du rover martien Perseverance, qui a pu effectuer deux vols de test sur Terre afin d’assurer le bon fonctionnement du système une fois à des millions de kilomètres de la Terre.

Un hopper peut aussi servir d’étape intermédiaire pour le développement de véhicules plus complexes. C’est le cas par exemple des nombreux articles de test du gigantesque Starship de SpaceX, qui ont permis de tester en vol les nouveaux moteurs Raptor, ainsi que d’essayer la complexe phase d’atterrissage à l’aide de vols atmosphériques du second étage.

Finalement, il est possible d’imaginer un futur où les hoppers jouent un rôle prépondérant dans l’exploration de corps extraterrestres, en servant de moyen de transport à moyenne ou longue distance, là où un véhicule terrestre mettrait trop de temps ou aurait de la difficulté sur une surface trop escarpée. Un précurseur se trouve déjà sur la planète Mars, Ingenuity, du haut de ses 49 cm et muni de ses deux hélices contrarotatives, a déjà effectué plus de 25 vols pour une distance parcourue de près de 7 km.

Malgré tous les avantages que ce type de véhicule procure, peu d’entreprises fournissent actuellement ce service. On en compte essentiellement une, Masten Space System, basée aux Etats-Unis et qui permet à ses clients d’embarquer une charge utile afin de la tester sur des vols de quelques minutes. Aucune entreprise ne propose actuellement de véhicule similaire capable d’embarquer une charge utile en Europe. Nous espérons peut-être un jour pouvoir combler ce vide en commençant par développer Colibri, notre première fusée hopper.

Cependant, nous n’avons pas commencé avec un objectif si ambitieux. L’association Gruyère Space Program existe maintenant depuis plus de 3 ans et s’est formée autour des envies et des passions de ses membres.

Imaginez, 4 Gruériens férus de spatial, débarquant sur le campus effervescent de l’EPFL. 4 Gruériens remplis d’idées et de débrouille et bouillonnant d’envie d’entreprendre et de découvrir un monde qu’ils ont tant fantasmé : celui du spatial.

En arrivant dans cette école, nous avons découvert que nos idées pouvaient prendre vie et se transformer en prototypes. C’est ainsi que nous avons décidé de fonder notre propre association dont le but était d’apprendre à faire une fusée à partir de zéro. Évidemment, cette association devait avoir un nom. C’est ainsi qu’en référence au célèbre jeu vidéo Kerbal Space Program et un peu nostalgique de notre belle région, notre rêve s’est concrétisé sous l’appellation Gruyère Space Program.

Une partie de l’équipe fondatrice, de gauche à droite: Julie Böhning, Simon Both et Jérémy Marciacq

Une fois le nom trouvé, il ne nous restait qu’à construire la fusée. Alors, avec nos nouvelles connaissances en CAO (conception assistée par ordinateur) ainsi que la nouvelle imprimante 3D d’un de nos membres, notre première fusée voyait le jour. Elle était rouge, elle était belle et qu’est-ce qu’on en était fiers. Cependant, malgré notre fierté et nos passions, ce minuscule modèle de moins de 10 centimètres n’aura pas volé plus haut qu’un mètre à cause de sa mauvaise répartition de masse. Après plusieurs tests avec de petits moteurs tout à fait comparables à des pétards et quelques simulations approximatives, notre second modèle vit le jour et décolla droit et haut. Il laissa la place quelques mois plus tard à un modèle plus évolué nommé C. Cette fusée d’un mètre de haut totalement imprimée en 3D possédait désormais une électronique. En effet, la nouveauté de cette fusée était qu’elle devait, à son apogée, laisser sortir un parachute qui la freinerait dans sa chute. Cette mission nous a appris la patience du développement d’un code et les caprices des cartes électroniques et de leur batterie. Le système mécanique de sortie de parachute nous a également donné du fil à retordre et nous a obligé à nous pencher sur des optimisations de design. Finalement, après plusieurs tests, notre premier modèle de fusée digne de ce nom était prêt.

Le jour du décollage était un grand moment, toute notre petite équipe de 7 personnes était là, réunie, pour voir ce véhicule décoller. Nous l’allumâmes à distance, après un court délai, les premières étincelles sortirent du moteur et la fusée sortit de sa rampe et suivit une courbe parfaitement rectiligne, droit vers le soleil. Après l’euphorie du décollage, notre joie et nos cris redoublèrent lorsque le déploiement du parachute se déclencha avec succès !

À ce moment-là, après un an d’existence, nous avons fait un choix important pour notre association. En effet, deux portes s’offraient à nous. La première, plus classique, était de continuer à faire des fusées de modélismes naturellement stables et dont l’objectif est de monter le plus haut possible et de redescendre à l’aide d’un parachute. La deuxième, plus ambitieuse, était de rester sur de petites fusées, mais de jouer avec des algorithmes de contrôle puissants afin de stabiliser des véhicules qui ne le sont pas naturellement. Suivant notre logique de petite équipe dynamique, nous avons naturellement choisi la deuxième option, plus ambitieuse, plus maligne et moins coûteuse.

Une fusée stabilisée ou fusée avec TVC (Thrust Vector Control) est une fusée instable qui, à chaque moment de son vol, est redressée par l’orientation de son moteur dictée par un algorithme interne. Pour comparaison, imaginez que vous tenez un crayon au bout de votre doigt à la verticale. À tout moment, le crayon sera déstabilisé et tombera d’un côté ou de l’autre. À ce moment, votre cerveau dira à votre doigt de se décaler afin d’appliquer une force qui redressera le crayon. Et c’est exactement ce jeu qui nous a occupé pendant 8 mois.

À grand coup de maths, de tests bancals et de scotch pour la réparation de nos fusées, nous avons appris à appliquer la théorie indigeste du contrôle. Ces équations, bien plus fortes et passionnantes que lorsqu’on les voyait en cours, nous suivaient lors de nos discussions et de nos questionnements souvent jusqu’à tard le soir. Pendant quelques mois, nos semaines étaient remplies de tutoriels, de code et de certitudes alors que nos week-ends étaient remplis de tests, d’échecs et d’apprentissage. Dès que nous réussissions une étape, un autre challenge se présentait : “ et si on rajoutait un étage à notre fusée ?”, “ et si on rajoutait des boosters ?”, “et si on faisait la plus petite fusée TVC du monde ? ”, …

Une fois que nos challenges les plus fous furent réalisés et que notre compréhension du contrôle de nos fusées fut suffisante, il nous fallait un autre objectif, un autre projet fou à nous mettre sous la dent. À ce moment-là, nous étions 6 étudiants et nous nous étions déjà bien apprivoisés. Alors, lors d’une réunion hebdomadaire, alors que nous parlions avec fascination des avancées de SpaceX et des autres entreprises du NewSpace, un de nous dit pour rigoler : “Ce qui nous manque, c’est l’atterrissage. Parce que décoller c’est bien, mais atterrir ça serait mieux…”. C’est ainsi que nous avons commencé à nous pencher sur la question du hopper. Ce véhicule dont le but est de démontrer la capacité d’une fusée à décoller, maintenir une position pendant un moment puis atterrir en douceur, dirigé par son moteur et sans l’aide d’un quelconque parachute.

Cependant, le développement d’un tel véhicule représente un réel challenge. En effet, pour pouvoir gérer suffisamment finement notre poussée (throttle) nous devions passer à un moteur “bi-liquide”, ce qui demandait de drastiquement modifier le calibre de nos fusées.

Nous parlions alors d’une vraie fusée, de plus de deux mètres de haut et d’une centaine de kilogrammes.

Évidemment, cet objectif était bien plus ambitieux que les autres, il fallait donc partitionner le développement en deux phases.

La première nous a permis de faire nos preuves dans la technique ainsi que d’acquérir des compétences en financement de projet. En effet, une fusée “hopper” se compose de deux grandes difficultés techniques : la propulsion, donc son moteur ; et la stabilisation, donc ses algorithmes de contrôle et navigation. Colibri, notre fusée, est propulsée par un moteur à ergols liquides, du protoxyde d’azote pour le comburant et un mélange d’eau et d’éthanol pour le carburant. Ces deux ergols sont injectés d’une manière contrôlée dans une chambre de combustion où ils explosent et créent la poussée soulevant notre fusée.

Allumage de notre moteur de fusée à Lessoc, en Gruyère.

En parallèle du développement de ce moteur, qui compte plusieurs tests réussis d’allumage, nous avons développé Buzz, une plateforme de test pour les algorithmes de contrôle et de navigation de Colibri. Cette plateforme de test s’assimile à un drone avec une turbine centrale et des ailettes qui dirigent la poussée. Ce drone est donc équipé d’une carte électronique avec divers capteurs (accéléromètre, gyroscope, GPS, …) sur laquelle nous pouvons tester divers algorithmes de stabilisation, et de navigation autonome.

Fort de l’expérience acquise avec ces deux projets et leur financement, nous sommes passés à la seconde phase et développons désormais Colibri. Notre fusée “hopper”, pesant environ 100 kilogrammes, mesurant plus de 2 mètres de haut, est capable de voler plus d’une minute avec une charge utile de 3 kilogrammes. Cette fusée requiert le développement de nouveaux éléments tels que les réservoirs, les jambes, le système d’orientation du moteur, les diverses électroniques de commande ou encore l’infrastructure au sol. La fusée intégrera par ailleurs le moteur que nous avons développé, avec quelques modifications pour pouvoir rester allumé pendant plus d’une minute sans faire fondre la chambre de combustion.

Modèle 3D de Colibri

Nous sommes actuellement dans la phase de développement de ce “hopper” et commençons en parallèle la production de certains de ses éléments. Le premier test de vol, qui serait un vol où la fusée reste attachée à une corde par sécurité, doit se dérouler mi 2023. Le premier vol libre est quant à lui prévu pour fin 2023.

Finalement, afin de mener ce projet à bien, un important travail de budgétisation et de recherche de sponsors a dû être effectué. Nous nous sommes donc entourés de généreux partenaires tels que la Mars Society Switzerland, qui voient en notre projet du potentiel et sont alors ouverts à nous soutenir financièrement ou en fournissant du matériel.

Ainsi, vous aurez peut-être la chance d’entendre de nos nouvelles dans un peu plus d’un an lorsque Colibri volera pour la première fois !

L’adresse du site du GSP est www.gruyerespaceprogram.ch . N’oubliez pas que la poursuite de ce programme nécessite un financement. Tout aide de votre part sera la bienvenue!

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