On to Mars !…avec Elon Musk, Robert Zubrin et compagnie

Ce 21 octobre, dans un article publié par The New Atlantis, Robert Zubrin, fondateur de la Mars Society aux Etats-Unis, a fait une revue critique du projet ITS qu’Elon Musk a présenté le 27 septembre à l’IAC. Ces critiques doivent être vues comme des corrections et des améliorations plutôt que des rejets. La réflexion astronautique qu’on pourrait dire « off » (par rapport aux agences spatiales) n’a jamais paru aussi sérieuse et porteuse d’avenir.

Rappelons d’abord que le projet d’Elon Musk consiste à construire des vaisseaux spatiaux tout à fait révolutionnaires par leur puissance (capacité d’emporter jusqu’à 550 tonnes en orbite basse terrestre -« LEO »- alors que nous n’en sommes qu’à une cinquantaine avec les autres lanceurs lourds). Ces vaisseaux doivent permettre de déposer 100 personnes ou 100 tonnes à la surface de Mars à l’issue d’un voyage particulièrement court par rapport à ce que l’on imaginait pouvoir faire jusqu’à aujourd’hui (une centaine de jours au lieu de 180 jours). Le vaisseau, nommé ITS (pour Interplanetary Transport System), comporte deux parties, un énorme lanceur de plus de 71,5 mètres de haut, équipé de 42 moteurs surpuissants, délivrant une poussée de 13.000 tonnes, pour arracher une masse  de 10.500 tonnes à la gravité terrestre jusqu’à l’orbite terrestre et un vaisseau comprenant, outre l’habitat des passagers, un deuxième étage de propulsion intégré, permettant d’injecter le vaisseau dans une orbite interplanétaire jusqu’à Mars. L’ensemble, de 240 tonnes à sec (sans carburant, dont 150 tonnes pour le vaisseau-habitat), doit être descendu en surface de Mars par rétropropulsion.

La critique principale de Robert Zubrin à ce projet est qu’il faut éviter de déposer sur Mars une masse importante qu’on n’a pas l’intention de laisser. Il est vrai que l’astronautique consiste à utiliser le minimum d’énergie pour transporter le maximum de masse (y compris la réserve d’énergie et le moteur) le plus loin possible compte tenu de la contrainte très forte que constituent les puits de gravité planétaires. Robert Zubrin propose donc de séparer le compartiment habité du deuxième étage de l’ITS et le segment propulseur de ce deuxième étage, juste après que ce dernier ait donné l’impulsion pour aller de l’orbite de parking terrestre jusqu’à Mars (en conservant tout de même un système de rétropropulsion « modeste » permettant au vaisseau habité de se poser sur Mars). Cela permettrait d’alléger la masse à déposer sur Mars (70 tonnes ?) tout en libérant le segment propulseur, réutilisable (selon l’apport majeur fait par Elon Musk à l’astronautique). Ce segment pourrait, au cours de la même fenêtre de tir, être utilisé plusieurs fois (une dizaine ?) pour injecter d’autres vaisseaux habités vers Mars.

NB: compte tenu de la mécanique céleste, un départ vers Mars n’est possible que tous les 26 mois et le retour vers la Terre ne peut intervenir que 30 mois après le départ (voyage aller de 6 mois, séjour de 18 mois en surface, voyage retour de 6 mois). Tout objet parti sur Mars ne pourra donc revenir sur Terre que 30 mois après.

Cette idée très novatrice mais tout à fait logique car déduite de la réutilisabilité, présente tout de même une difficulté, c’est que le vaisseau serait capable d’atterrir sur Mars mais probablement pas d’en repartir. Robert Zubrin n’y voit pas de désavantage, car il pense judicieux de l’utiliser comme un habitat sur Mars où l’alternative coûteuse et difficile au début, serait de créer de tels habitats et de les viabiliser. Il ajoute que l’étage « rétropropulsif modeste » pourrait être récupéré et adapté à une petite cabine emportant les candidats au retour sur Terre. Cela suppose quand même que les candidats au retour soient beaucoup moins nombreux que ceux qui arrivent sur Mars et je pense qu’au début de la « colonisation » ce ne sera pas du tout évident. Il faudrait voir quel nombre de passagers sans autres équipements et vivres que celles nécessaires à survivre pendant le vol retour, serait compatible avec la poussée du système « rétropropulsif modeste ».* voir PS ci-dessous.

On pourrait aussi concevoir un système mixte, d’une part des vaisseaux envoyés sur Mars pour y rester (donc vaisseaux sans segment propulsif complémentaire complet) et celui des vaisseaux capables de faire l’aller et retour (avec segment propulsif complémentaire complet). Cela permettrait d’utiliser à plein la formule proposée par Robert Zubrin (de réutilisation du second étage du lanceur) et d’obtenir quand même des économies d’échelles importantes. Il faudrait donc concevoir une variante de l’ITS correspondant à cette proposition, ce qui n’exclurait pas qu’on utilise également des lanceurs plus petits (50 tonnes en LEO).

Les autres propositions de Robert Zubrin sont pleines de bon sens. Il s’agit notamment de ne pas opter pour les voyages rapides (115 jours ou moins). Les raisons qui font préférer un voyage de durée « normale » (de 6 mois) sont que (1) plus on dépense d’énergie moins on transporte de masse et le but est quand même d’en transporter le plus possible, (2) en allant trop vite, on décrit dans l’espace l’arc d’une ellipse dont l’apogée est beaucoup trop éloigné (très au-delà de Mars) et empêche une trajectoire de libre retour (retour sur Terre sans utilisation d’énergie complémentaire et dans un temps raisonnable, en cas d’impossibilité de se poser sur Mars).

Elon Musk a ainsi « réveillé » la discussion sur la technologie des voyages spatiaux en faisant monter une marche de plus vers la faisabilité du projet Mars. Nul doute que d’autres critiques seront formulées. Pierre-André Haldi, vice-président de la Mars society Switzerland et spécialiste de l’énergie (systèmes énergétiques, analyse et gestion des risques -industriels et naturels) y travaille dans son domaine. Mais on est entrée dans un processus itératif qui, sur la base de la réutilisabilité « muskienne », doit conduire à un système de transport relativement bon marché qui rendra très bientôt le voyage vraiment possible, tant financièrement que techniquement.

Liens vers l’article de Robert Zubrin publié dans The New Atlantis : http://www.thenewatlantis.com/publications/colonizing-mars

Image à la Une : Vaisseau spatial d’Elon Musk, partie du système ITS devant aller jusqu’à la surface de Mars. Il fait 49,5 mètres de long et son diamètre maximum est de 17 mètres ; il pourrait transporter 300 tonnes en version passagers (soit 100 personnes) et 450 tonnes en version cargo. Il serait équipé de neuf moteurs Raptor et de réservoirs pouvant contenir 1950 à 2500 (cargo) tonnes de carburant/comburant (méthane/oxygène). Robert Zubrin propose de séparer la partie habitat (22 mètres) de la partie réservoirs/système de propulsion (à remplacer par un dispositif beaucoup plus petit permettant simplement de se poser sur Mars (donc au total le vaisseau-habitat ferait une trentaine de mètres).   

PS: Selon Robert Zubrin que j’ai contacté à ce sujet, on pourrait renvoyer sur Terre une soixantaine de tonnes soit une trentaine de personnes (par segmentation du gros vaisseau prévu par Elon Musk). Cela semble suffisant puisque (1) au début de la colonisation il faudra envoyer plus d’équipements que de personnes et ensuite (2), lorsque la colonisation pourra se faire sereinement avec une base déjà bien installée, on peut concevoir que plus de gens veuillent rester sur Mars qu’en repartir. De toutes façons la solution mixte que j’évoque devrait être étudiée.

L’orbiteur TGO de l’ESA a été capturé par la planète Mars et va rejoindre progressivement son orbite d’observation

Six mois après son lancement, le 14 mars 2016, les contrôleurs de l’orbiteur TGO (pour Trace Gas Orbiter) de l’ESA, viennent de parvenir à faire capturer leur vaisseau par la force de gravité de la planète Mars. Il se trouve maintenant sur une orbite très elliptique (298 à 95.856 km) qui lui permettra de se freiner petit à petit, jusqu’à se stabiliser, dans un an, sur une orbite située à 400 km au dessus de la planète (équivalent de l’altitude de la Station Spatiale Internationale). A peu près en même temps le petit atterrisseur qui voyageait avec le TGO, nommé “Schiaparelli”, et qui a été libéré de son porteur le 16 octobre, devait se poser en surface de Mars, tout près du rover Opportunity (sur le sol de Mars depuis le 25 janvier 2004). Des photos des derniers km de descente de Schiaparelli ont dû être prises par Opportunity; un beau spectacle…dont on ne connait pas encore la fin car ce 19 octobre au soir (22h30) on n’a toujours aucun contact (voir post scriptum ci-dessous).

Le TGO n’est pas la première mission consacrée à l’étude de l’atmosphère de Mars. L’orbiteur MAVEN de la NASA (“Mars Atmosphere and Volatile EvolutioN”), lancé en Novembre 2013 et placé en orbite le 21 septembre 2014, vient de “fêter” sa première année d’observations et a obtenu en juillet une “rallonge” pour les années 2017 et 2018. L’objet de MAVEN est d’examiner l’interface entre l’atmosphère martienne et l’espace, en bref les pertes d’atmosphère, quantitatives et qualitatives.  L’objet de TGO est d’analyser le contenu fin de l’atmosphère, les gaz “à l’état de traces” qui composent chacun moins de 1% de l’atmosphère et parmi ceux-ci, le méthane que l’on a vu apparaître puis disparaître sur les écrans des instruments d’analyse.

TGO emporte quatre instruments essentiels à son bord: NOMAD (Nadir and Occultation for Mars Discovery), un spectromètre qui peut analyser le spectre de la lumière solaire au travers de l’atmosphère dans la gamme de rayonnement électromagnétique qui va de l’ultraviolet à l’infrarouge; ACS (Atmospheric Chemistry Suite), un jeu de trois autres spectromètres, actifs dans l’infrarouge, qui est spécialisé dans la recherche d’eau, de méthane et d’une série de composants mineurs, avec une aptitude particulière à l’observation des processus photochimiques; CaSSIS (Colour And Stereo Surface Imaging System), un instrument suisse (Université de Berne et EPFL -eSpace) qui caractérisera les sites en surface qui auront été identifiés comme sources potentielles de ces gaz (par sublimation, volcanisme, érosion, etc…); FREND (Fine Resolution Epithemial Neutron Detector) enfin, un détecteur de neutrons qui permettra l’établissement d’une carte des zones riches en hydrogène (donc en eau!).

Il est évidemment passionnant de pouvoir espérer obtenir des données qui clarifieront enfin le problème soulevé en 2003 par l’observation de très faibles traces de méthane dans l’atmosphère de Mars. Ces observations effectuées à la limite de sensibilité des instruments (à partir de la Terre et de Mars Global Surveyor, satellite tournant autour de Mars) étaient étranges puisqu’elles semblaient montrer que ce gaz qui apparaissait lors des saisons chaudes, disparaissaient avec le retour du froid…alors que dans l’atmosphère terrestre, le méthane perdure quelques 300 ans. Ensuite, le Rover Curiosity, équipé d’un capteur beaucoup plus sensible (spectrogramme TLS du laboratoire SAM) a fait retomber l’enthousiasme tout en accroissant le mystère: pratiquement pas de méthane dans l’air du Cratère Gale, puis quelques pics d’un peu plus d’une dizaine de parties par milliard (ce qui n’est quand même pas beaucoup) et plus rien. Il ne faut pas rêver; sur Terre le méthane est produit à 90% par la vie animale et à 10% par l’activité géologique (surtout la serpentinisation de l’olivine en présence d’eau) mais sur Mars l’origine est très certainement géologique. Pourquoi d’ailleurs le méthane serait-il le rejet métabolique d’êtres vivants martiens…dont nous ne savons même pas quelles molécules chimiques le métabolisme exploiterait? Quoi qu’il en soit l’observation du méthane sur Mars serait la preuve d’une “activité” dans le sous-sol de la planète ce qui serait déjà très intéressant.

Souhaitons donc bonne santé au TGO après son insertion en orbite et ne regrettons pas trop l’échec, à cette heure possible, de l’atterrisseur Schiaparelli car il n’a emporté pratiquement aucun instrument scientifique à son bord. S’il s’est écrasé trop brutalement sur Mars, cela voudra dire que décidément ni les Européens, ni leurs partenaires Russes ne sont très “doués” en astronautique et que la surface de Mars reste pour l’instant une “terre” américaine. Du point de vue de l’Humanité, ce n’est pas trop grave d’autant que, du fait des appels d’offres qui sont faits par la NASA lors du lancement de chaque grande mission interplanétaire, les équipes scientifiques européennes sont toujours présentes. Mais ce serait quand même dommage car l’échec de ce test d’EDL (Entry, Descent, Landing) retarderait la mission ExoMars 2020 dans le cadre de laquelle l’ESA projette de déposer un rover équipé d’une suite d’instruments dédiés à la recherche de la vie (étude du sous-sol par forage à deux mètres, en dessous de la zone probablement trop irradiée du sous-sol immédiat).

Image à la Une: Schiaparelli vient de se détacher de TGO, le 16 Octobre 2016. Crédit:  ESA/ATG medialab

Post Scriptum (jeudi 20 octobre 2016 à 16h45):

Exactement un jour après l’atterrissage manqué de Schiaparelli (le 19 octobre à 16h45) voici ce que l’on peut dire:

Deux anomalies sont survenues dans la dernière phase de descente avant l’atterrissage et pourraient être la cause de l’échec de « l’écrasement en douceur » qui était prévu:

Le parachute du module se serait éjecté une quinzaine de secondes trop tôt et les propulseurs n’auraient fonctionné que trois ou quatre secondes au lieu des 30 prévues. La perte de signal est ensuite intervenue 50 secondes avant le temps prévu. On peut en déduire aisément que la vitesse à l’atterrissage était beaucoup trop rapide et que Schiaparelli a été totalement détruit.
On ne peut que regretter ces défaillances mais il faut espérer que suffisamment de leçons utiles pourront en être tirées pour la suite, c’est à dire la préparation de l’EDL (Entry Descent landing) de la mission lourde en surface qui, jusqu’à présent, était prévue pour 2020.
Toute la communauté scientifique compte sur les observations que doivent faire du sous-sol les instruments Pasteur embarqués sur le futur rover de l’ESA et l’administration de l’ESA ne doit pas négliger la préparation de son EDL, avec de sérieuses marges de sécurité. Cependant, au delà de la capacité technologique de l’ESA, une difficulté importante se pose: il manquerait encore quelques 300 millions d’euros pour boucler le financement de cette “suite”!

Post scriptum 2 (Vendredi 21 octobre 20h00):

Une photo du site d’atterrissage de Schiaparelli a été prise par la sonde américaine MRO de la NASA. Michel Denis, directeur des opérations en vol de la mission ExoMars a commenté cette photo dans les termes suivants: “L’image de la Nasa permet de voir une tache blanche, cohérente avec la taille du parachute. Environ deux kilomètres plus loin, il y a une tache noire, aux contours moins nets. C’est certainement le point d’impact de Schiaparelli. Elle est plus grande que si Schiaparelli était en un seul morceau. Il s’est donc cassé“. Thierry Blancquaert, responsable de l’atterrisseur à l’ESA, a ajouté que “les réservoirs de carburant du module, qui n’étaient pas vidés, pourraient avoir explosé au moment de l’impact”.

Il reste à exploiter les informations que Schiaparelli a pu envoyer pendant sa descente (6 minutes dans l’atmosphère). Elles permettront de retracer les premières séquences (échauffement du bouclier thermique, déploiement du parachute, ignition des rétrofusées, portance de l’atmosphère) qui seront certainement utiles.

 

Les contraintes à l’exploration, barrières incontournables ou lignes d’horizon ? (1/3)

Nous sommes des poussières d’étoiles, des fruits de la Terre et du Soleil, des êtres de chair et de sang produits d’une évolution biochimique prodigieuse déroulée tout au long de 4,567 milliards d’années sur une planète bien particulière, rocheuse, où l’eau – fait rare – est abondante et liquide, orbitant autour d’une étoile moyenne née quelques petits millions d’années avant elle, à la périphérie d’une galaxie spirale ordinaire parmi les innombrables qui peuplent un univers vieux de 13,6 milliards d’années.

Depuis quelques siècles nous nous éveillons à la conscience de ce monde, en ouvrant les yeux de la Science tout autour de nous pour comprendre. Nous observons, nous réfléchissons. Depuis quelques dizaines d’années notre puissance d’observation et de réflexion a été considérablement augmentée par nos découvertes en informatique, par la création d’observatoires de plus en plus puissants et de lanceurs de plus en plus performants, par les mises en réseau d’ordinateurs de plus en plus rapides, par les constructions intellectuelles remarquables résultant d’échanges quasi immédiats entre scientifiques spécialistes.

Notre capacité de progresser n’est évidemment pas épuisée même si, comme souvent au cours de notre histoire, nous semblons contraints à l’intérieur de limites dont certaines paraissent des obstacles infranchissables. En effet des problèmes sérieux nous sont posés par des données physiques ou chimiques dont nous n’avons pas la maîtrise. Ce sont l’immensité de l’Univers, le temps que l’on ne peut que mesurer, la vitesse qui est absolument limitée, la gravité inhérente à toute masse, les radiations dont on ne peut parfaitement se protéger, l’énergie produite ou captée qui est épuisable, la biologie dont les équilibres sont si complexes et si fragiles. Comme vous avez pu ou comme vous pourrez le constater en lisant ces lignes, les problèmes sont redoutables et d’une manière ou d’une autre intrinsèquement liés. Les anciens dieux grecs auraient confié la protection de leurs solutions à la garde d’Erynies assistées d’un sphinx pour déchirer de leurs griffes les aventureux imprudents. Beaucoup se sont affrontés à ces terribles gardiennes ; quelques-uns de nos contemporains les ont fait reculer.

On peut considérer nos limites selon deux points de vue, celui de l’astronomie ou celui de l’astronautique, la première n’impliquant pas le transport de masse (donc de besoin en énergie) que la seconde impose. La première est passive (on reçoit les ondes), la seconde est active (on va vers les astres). Si on ouvre le « tiroir » de l’astronautique on peut encore se placer du point de vue des missions robotiques ou des missions habitées, les premières n’impliquant pas toutes les complexités (et les précautions !) requises par le transport d’êtres humains. Selon ces points de vue les obstacles sont évidemment à des distances différentes et l’astronomie ouvre la voie à l’astronautique tandis que les missions robotiques ouvrent la voie aux missions habitées.

Il est impossible aujourd’hui de dire que les contraintes que ces problèmes non résolus ou apparemment insolubles imposent ne sont pas des barrières fixes incontournables ou des lignes d’horizons mais le « terrain de jeu » ou la « marge de progression » qu’elles nous laissent sont suffisamment vastes. Nous n’avons pas épuisé nos capacités technologiques théoriques. En astronomie nous pouvons déjà envisager des champs de télescopes interférométriques en réseaux dans l’espace.  En astronautique, le projet « Breakthrough Starshot » soutenu par Stephen Hawking, pour envoyer des sondes explorer les étoiles voisines, nous ouvre à nouveau des perspectives extraordinaires. Pour aller toujours plus loin, notre espoir reste entier ; les limites ont été et seront toujours repoussées grâce aux progrès que nous ferons à l’aide de notre intelligence et de nos astuces (nous ne devons pas oublier que nous sommes les enfants d’Héraclès, de Prométhée et d’Ulysse). Evidemment cela est plus vrai dans certains domaines (biologie ou propulsion) que dans d’autres (le temps, la gravité) où actuellement il semble que l’on ne puisse rien faire. Mais laissons notre esprit imaginer et construire ; osons l’audace et considérons nos limites, aussi formidables qu’elles soient, non comme des barrières fixes incontournables mais comme des lignes d’horizons. Nous ne les franchirons peut-être pas davantage mais nous pourrons espérer aller aussi loin que nous le voudrons et que notre capacité d’imagination technologique nous le permettra.

Image à la Une : Image du Fond diffus micro-onde de l’Univers (crédit CEA):

En utilisant les dernières données des satellites Planck et WMAP, le Laboratoire CosmoStat du CEA-IRFU a fourni en janvier 2014 l’image la plus complète et la plus précise du fond diffus micro-onde de l’Univers (“CMB” pour “Cosmic Microwave Background”). Ce rayonnement peut être considéré comme la première lumière de l’Univers, après que les photons ont pu se dégager du plasma primordial du fait de l’expansion, 380.000 ans après le Big Bang. La nouvelle carte du fond diffus ici présentée, a été construite grâce à une nouvelle méthode de séparation de ses composants appelée LGMCA, particulièrement bien adaptée à la séparation des avant-plans galactiques qui brouillent l’image de fond (sur les premières photos l’image du CMB était barrée par celle de notre Voie Lactée).

Suite de cet article: “espace, temps, vitesse”.

Le rôle de chacun

Nous sommes à la croisée des chemins ; rien n’est joué. L’homme peut décider de sortir de son berceau ou bien d’y rester. Il peut prendre son envol ou bien demeurer ici-bas dans un environnement de plus en plus difficile où il risque d’avoir à restreindre sa consommation d’énergie, sa consommation de matières premières et le nombre de ses enfants, et ceci au prix d’une bonne partie de sa liberté et sans doute de la paix. Au début du film Interstellar, le metteur en scène, Christopher Nolan, décrit bien ce genre de situation ; dans la réalité les prémices en sont perceptibles. Pourquoi attendre ?

Attention ! Tout comme le peuplement de l’Amérique n’a pas vidé l’Europe, ni l’Afrique, de ses habitants, le peuplement de Mars n’entrainerait pas une solution immédiate et directe aux problèmes d’épuisement des ressources et de surpopulation sur Terre car, lorsqu’on parle de l’essaimage hors de notre planète, il faut bien voir qu’il ne pourra concerner que quelques centaines de personnes puis quelques milliers mais ce serait comme une soupape permettant l’espoir aux plus entreprenants et le passage d’un relais à une nouvelle branche de l’humanité porteuse de tout notre savoir accumulé, de toute notre hérédité et de tout notre potentiel démographique.

Mais malheureusement nous n’en sommes pas là ! Les dirigeants démocratiques veulent exprimer ce que pensent les peuples et aujourd’hui ils semblent estimer que, s’agissant d’une éventuelle installation de l’homme hors de la Terre, ceux-ci sont déjà passés dans la phase « raisonnable » de leur évolution psychologique qui consiste à dire « traitons d’abord les problèmes que nous avons sur Terre et on verra après ». Il faut bien le reconnaître, l’espace n’est plus à la mode sauf pour ses applications terrestres et la recherche scientifique robotisée. Cela conduit l’« establishment », sauf exceptions bien sûr, à refuser de considérer le risque du repli sur soi et de l’attrition que j’envisage au début de ce billet. Récemment un responsable important de l’ESA répondait à mon plaidoyer pour une exploration habitée de Mars plus dynamique, que “Mars sera[it] toujours là”. Un autre représentant d’un grand pays auprès de l’Union Européenne répondait à mon impatience sur l’exploration de l’espace profond par vols habitées, que ce n’était pas d’actualité car “on risquait de griller” en sortant de la protection des Ceintures de van Allen ! Le désintérêt conduit à l’insouciance et à l’ignorance.

Il faut renverser cette situation, les populations doivent se mobiliser pour demander à leurs dirigeants d’ouvrir pour eux, ou au moins de les aider à ouvrir, la lourde porte de l’espace profond qu’ils se soucient si peu de laisser fermée. Comme tout être humain sur cette Terre, vous-même, cher lecteur, êtes concerné. Si vous voulez passer du rêve à la réalité, il faut demander « plus d’espace » ou, mieux, « plus de Mars », et d’une Mars qui ne soit pas seulement le terrain de recherche d’une autre vie possible mais aussi un nouveau support pour l’épanouissement de notre propre vie terrestre et un tremplin vers les étoiles.

Aux Etats-Unis il faut soutenir Elon Musk dans son projet, en Europe il faut dire à l’ESA que « non », Mars n’est pas pour un vague après-demain mais pour un demain concret. John Kennedy disait « la Lune dans 10 ans ». A la Mars Society, notre programme est « Mars dans dix ans » mais le chronomètre ne pourra être déclenché que lorsque nous le voudrons tous ensemble.

Concrètement que faire ? Je vous invite évidemment à nous rejoindre, un grand nombre d’adhérents aux différentes Mars Society autour du globe, serait en soi un appel fort à nos gouvernants respectifs. Mais, si vous ne souhaitez pas adhérer pour toutes sortes de raisons, veuillez au moins considérer favorablement notre projet, qui est dans l’intérêt de tous, et faites-vous en les soutiens moraux, à l’occasion vocaux. Lorsque vous lirez les déclarations officielles parlant de « délais nécessaires », « d’impossibilités techniques », de « priorités », de « préalables », réagissez!

Pour vous placer dans le contexte, transportez-vous par la pensée dans les années 1480 à la cour du roi Jean II de Portugal, après qu’il ait reçu de Christophe Colomb la demande de quelques caravelles pour rejoindre Cathay et les Indes en traversant l’Océan. Il hésite et finira par refuser, préférant continuer son cheminement par la route plus longue mais plus tangible de la côte africaine (notre ISS puis notre Lune). Nous en sommes là, nous faisons face au doute, au scepticisme, aux réticences. Il y a toujours des monstres et des sirènes dans l’Océan. Aujourd’hui, Jean II peut encore accepter si vous comprenez bien la situation et lui exprimez vos bons conseils (ou « davantage » car aujourd’hui le peuple est souverain). Autrement nous devrions miser sur une Isabelle de Castille qui serait mue par l’esprit de concurrence pour faire mieux que son rival. Mais existe-t-elle ? La Chine, l’Inde ? Malheureusement pour l’instant, elles n’ont ni les caravelles, ni les instruments de navigation et la Russie n’a plus “les moyens”. Nous devons donc vraiment compter sur Jean II. Alors, je vous en prie cher lecteur et électeur, membre vivant de l’opinion publique qui mène le monde, si vous êtes interrogé par un décideur éminent qui aurait perçu une rumeur favorable pour aller sur Mars mais qui hésite, dites « oui » à l’aventure !

Image à la Une: Aurora (ESA) credit ESA