Mais qu’y a-t-il à l’intérieur de Mars ?

Le sismomètre SEIS de la sonde InSIGHT est opérationnel sur le sol de Mars depuis février 2019. Suffisamment de données ont été recueillies et analysées aujourd’hui* pour préciser nos connaissances de la planète tant en ce qui concerne son activité interne que sa structure. Ce que nous constatons n’est pas tout à fait ce que nous attendions. Nous en saurons bien entendu davantage après la fin de la mission étendue du 6 Novembre 2020 à la fin de 2022. C’est déjà un plaisir de lire ces premières publications.

*articles dans la revue américaine Science du 23 juillet (voir liens ci-dessous).

D’abord il faut dire qu’il est difficile d’étudier l’intérieur d’une planète avec un seul capteur. Sur Terre on dispose de sismomètres en de nombreux points de la surface ce qui permet de faire des triangulations rapides, précises et couvrant l’ensemble du volume du globe. Sur Mars, à partir de l’unique sismomètre SEIS (Seismic Experiment for Interior Structure) de la sonde InSight (INterior exploration using Seismic Investigation, Geodesy and Heat Transport) de la NASA, il faut « ruser ». Les concepteurs ont voulu pallier cette difficulté sans toutefois pouvoir la surmonter totalement, en utilisant les ondes de surface de type Rayleigh (déformations verticales) ou Love (déformations longitudinales), en même temps que les ondes volumétriques (en profondeur) de type « P » (compression/extension) ou « S » (cisaillement). La coordination des différents renseignements obtenus permet énormément de déductions passionnantes.

Ensuite il faut admirer l’appareil qui a été déposé sur Mars. Il est d’une sensibilité extrême, de 0,1 à 1000 mouvements par seconde, on dit « VBB » (Very Broad Band), grâce à deux appareils complémentaires un pour les basses fréquences (< 1 Hz) et l’autre pour les hautes fréquences (> 1 Hz). La sensibilité a justifié qu’on protège les appareils avec une précaution extraordinaire pour limiter au maximum le « bruit » de l’environnement, y compris les effets du vent sur le site où s’est posé InSIGHT, sans y parvenir tout à fait autant qu’on l’aurait voulu.

L’intérêt accessoire mais non négligeable de la veille sismologique c’est qu’elle peut nous informer sur la fréquence et la masse des impacts météoritiques. C’est important pour les projets d’implantation de base habitée sur Mars. Compte tenu de la faible atmosphère de Mars, ces impacts ne constituent théoriquement pas un risque aussi faible que sur Terre car un petit astéroïde qui sera brûlé dans l’atmosphère de la Terre, descendra jusqu’au sol de Mars et les astéroïdes sont d’autant plus nombreux que la masse considérée est faible. Il y en a donc beaucoup plus qui parviennent jusqu’au sol de Mars que sur Terre.

Ce qu’on a appris

Sur les signaux d’abord. Il y a beaucoup de mouvements (plus de 1000 enregistrés sur deux ans), mais ils sont très faibles, tous moins de 4 sur l’échelle de Richter (d’où les possibles interférences de bruit) ; sur Terre on a assez souvent des séismes de 6 ou 7. Ils sont aussi surtout de haute fréquence (> 1 Hz) comme ceux d’un corps rigide. On pouvait le prévoir sur Mars mais pas à ce point car on ne se doutait pas d’autres particularités de la structure interne (voir plus loin) qui accentuent la faiblesse de l’élasticité. Ensuite ces séismes proviennent presque tous de craquements de l’écorce de la planète ; seuls une dizaine sont originaires du manteau avec des caractéristiques comparables à nos événements tectoniques, ce qui semble indiquer une faiblesse de la vie interne que l’on pouvait aussi prévoir. Ensuite la multiplicité des failles parcourant l’écorce crée des phénomènes de résonnances complexes qui brouillent les messages. Enfin le fait que nous ne disposions que d’un seul capteur, empêche de bien percevoir les ondes « S » occultées naturellement par le noyau qui, de plus, est plus volumineux que prévu.

Sur la structure de la planète ensuite. L’écorce n’est pas aussi épaisse qu’on le pensait (entre 20 et 39 km, en deux ou trois couches) mais elle est beaucoup (13 à 21 fois) plus riche en éléments radioactifs (thorium 232, potassium 40, Uranium 238) donc calorifères, que le manteau sous-jacent. Cela est déduit de l’épaisseur mais peut être aussi porteur d’informations sur la période du bombardement météoritique ayant suivi l’accrétion. Entre la croûte et le manteau, une très importante lithosphère, rigide du fait de l’absence de plaques tectoniques, s’étend sur quelques 400 km d’épaisseur, contribuant à bloquer les mouvements de la croûte au-dessus et à écraser l’asthénosphère en-dessous (région ductile sous la lithosphère, permettant son déplacement sur le manteau). Sous la lithosphère, le manteau est relativement peu épais et ses mouvements de convection, sont lents. L’épaisseur de la lithosphère, sa rigidité et la faiblesse des mouvements convectifs du manteau expliquent que le volcanisme a beaucoup de mal à s’exprimer et que lorsqu’il le fait, les laves soient très liquides. Par ailleurs l’absence de tectonique des plaques favorise la réutilisation des mêmes cheminements et donc la formation d’énormes volcans que d’ailleurs nous constatons. Le manteau enveloppe un noyau très gros et peu dense, sans doute parce que le fer et les sidérophiles qui le constituent, manquent de pureté, intégrant dans leur partie la plus haute une proportion notable de souffre. On l’atteint après seulement 1560 km de profondeur (noyau de 1869 km de diamètre), ce qui est dans les prévisions hautes faites avant, d’après la précession de la rotation de la planète sur son orbite. On l’estimait à une distance d’au moins 1700 km. Le rayon de la planète est de 3389 km; sur ce rayon, les 1869 km de rayon du noyau sont donc dans un rapport de 55%. Pour la Terre, ses 3485 km de rayon de noyau le sont dans un rapport de 45%. La faible densité du noyau et la faible épaisseur du manteau résultent en ce que la compression des roches n’a pu permettre la constitution d’une couche de bridgmanite comme sur Terre. La bridgmanite est une pérovskite silicatée qui « chez nous » est le principal minéral du manteau inférieur et constitue 38% de nos roches. La pression nécessaire pour l’obtenir s’élève à 20 gigapascals, niveau qui à l’évidence n’a pu être atteint à l’intérieur de Mars (dont la masse, rappelons le, ne fait que le 1/10ème de la masse de la Terre). La bridgmanite aurait permis une limite plus nette avec le noyau et facilité les mouvements de convection, donc le volcanisme ; son absence est donc un facteur négatif pour la vie de la planète. Comme évoqué ci-dessus, l’importance du volume du noyau constitue un écran plus important que prévu aux ondes sismiques S. De ce fait SEIS, malheureusement, obtient des informations moins précises sur les phénomènes qui se produisent dans la région du socle de Tharsis (là où le volcanisme a été le plus actif) qui est située dans la zone d’ombre du noyau.

Il apparaît que la magnétisation au niveau de la croûte de la planète a été quelques 10 fois supérieure à ce qu’on avait cru déduire des observations depuis les orbiteurs. Il est donc vraisemblable qu’au début de son existence, pendant son refroidissement et jusqu’à une évolution selon une pente beaucoup plus douce, le noyau ait créé par ses mouvements convectifs internes, un fort effet dynamo. Ce champ devait être aussi puissant que celui de la Terre aujourd’hui, et devait générer un champ magnétique global permettant d’entretenir autour de la planète l’équivalent de nos Ceintures de Van Allen. Cette configuration a bien entendu facilité le maintien d’une atmosphère relativement épaisse et donc de l’eau liquide. Mais très tôt, sans doute vers -4 milliards d’années, compte tenu de la faiblesse de la masse de la planète, de la densité du noyau et de son refroidissement rapide, l’effet dynamo s’est arrêté. A noter que l’on ne sait toujours pas si à l’intérieur du noyau externe, toujours liquide, il y a un noyau interne solide (« graine »).

Tout cela n’est pas vraiment surprenant. Mars n’est pas notre belle planète bleue et ne le sera jamais. Mais l’on voit sur Terre que la vie s’insinue comme l’eau liquide, partout où cela est possible. Mars reste ainsi, malgré ses limites, un support sur lequel grâce à nos technologies, la vie humaine doit être possible un jour, en dépit de ce que pensent et disent les sceptiques et les timorés qui reculent devant le défi. La vie, apportée par les hommes, se répandra à la surface de Mars même si la densité d’occupation restera probablement toujours faible. Ce sera notre premier pas vers les étoiles.

illustration de titre: l’intérieur de Mars, crédit SEIS (InSIGHT).

Notes:

Le sismomètre SEIS (30 kg de masse au total) a été conçu et réalisé par le CNES (Centre National de la Recherche Scientifique, l’agence spatiale française) avec des éléments d’Allemagne, de Suisse, du Royaume-Uni et des Etats-Unis. C’est le CNES qui a assuré la maîtrise d’œuvre de l’expérience et Philippe Laudet, de cette institution, qui en est le chef de projet. Le responsable scientifique (PI pour Principal Investigator) en est Philippe Lognonné (Université Paris-Diderot et Institut de Physique du Globe de Paris, « IPGP »).

la participation suisse est importante : (1) c’est l’Aerospace Electronics and Instruments Laboratory (AEIL) de l’institut de Géophysique de l’EPFZ qui a développé l’électronique d’acquisition des données et de commande du sismomètre ; (2) ce sont les spécialistes du Service sismologique suisse (SED) de cette même EPFZ qui analysent les données pour élaborer un catalogue de sismicité martienne.

Liens :

SEIS : https://www.seis-insight.eu/fr/public/sismologie-planetaire/les-ondes-sismiques

Références:

Sciences Magazine du 23 juillet 2021. Vol 373, n° 6553. sciencemag.org. 4 articles dont 3 de recherche et 1 de présentation générale:

Upper Mantle structure of Mars Insight seismic data, par Amir Khan et al.

Thickness and structure of the Martian crust from InSIGHT seismic data, par Brigitte Knapmeyer-Endrun et al.

Seismic detection of the Martian core, par Simon C. Stälher et al.

The interior of Mars revealed (in “perspectives”), par Sanne Cottaar et Paula Koelemeijer.

PS: excellent article de Philippe Lognonné (concepteur du sismographe SEIS), publié par le CNRS le 25/07/2021…et découvert le 12/08/2021! Regardez en particulier les illustrations qui vous feront bien comprendre la structure de la planète telle qu’on la connait aujourd’hui, ainsi que les limitations résultant de l’étude par un seul capteur, ce sismographe SEIS (qui est, malgrè ces limitations, un instrument d’une intelligence et d’une sensibilité extraordinaires):

Anatomie martienne: après seuelement deux ans de surveillance sismique, la structure interne de la planète rouge révélée“.

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Index L’appel de Mars 21 07 25

Le droit aux voyages spatiaux est aujourd’hui passé dans le domaine public

Après un voyage de 12 minutes qui les a hissés jusqu’à 107 km d’altitude, Jeff Bezos et ses 3 compagnons sont revenus se poser sains et saufs sur la base de Van Horn à l’Ouest du Texas.

C’était un beau vol, bien dans l’esprit créatif, optimiste et entrainant des Américains « de toujours », comme je les aime. Cela console du spectacle lamentable des actions négatives, pessimistes et destructrices du mouvement woke et assimilés, d’autres Américains que je n’aime pas du tout. Il était très émouvant de voir ensemble les deux frères Bezos, Wally Funk qui toute sa vie avait rêvé d’aller dans l’espace et qui a été invitée in extremis à le faire, ainsi que le jeune Oliver Daemen,18 ans auquel son père, Joes, PDG et fondateur du hedgefund Somerset Capitol Partners, a offert le voyage.

Cet événement m’est sympathique à plusieurs titres. D’abord les deux frères Bezos ont eu le courage de faire partie du premier vol habité de la fusée (voulue et financée par l’ainé, Jeff). C’est l’attitude responsable de personnes qui assument les risques qu’elles proposent à d’autres de prendre. Ensuite le cadeau fait par Jeff Bezos à cette femme, Wally, qui aurait mérité cent fois d’être une véritable astronaute si les années 1970 n’avaient été si machistes aux Etats-Unis, est un bel hommage réparateur. Encore le cadeau d’un père à son fils qui est passionné par l’espace depuis qu’il est « tout petit » (même s’il n’est toujours pas très vieux !) est un magnifique geste d’amour paternel. Enfin prendre ensemble à bord la personne la plus âgée et la personne la plus jeune qui aient jamais volé et dont la somme des années atteint 100 ans, soit en km l’altitude qu’il fallait franchir, est un très beau symbole pour le départ d’une nouvelle aventure.

Car ce petit vol de rien du tout (un peu mieux que celui de Richard Branson tout de même), un tout petit saut de puce jusqu’à la porte de l’espace, est bel et bien le début d’une grande aventure, celle du vrai tourisme spatial. Il ne s’agit plus désormais d’avoir « quelque chose à faire » dans l’espace, au titre de spécialiste, scientifique ou ingénieur, pour avoir la possibilité de le faire, mais simplement d’en avoir envie et de pouvoir se le payer ou se le faire payer. Certes quelques rares touristes sont déjà allés dans l’espace à titre privé puisqu’on en compte 7 qui ont séjourné dans l’ISS à côté de quelques personnalités comme Bill Nelson le nouvel administrateur de la NASA. Mais ces touristes étaient admis par exception dans un milieu qui a priori n’était pas conçu pour eux, comme d’autres civils peuvent être admis par exception à séjourner sur un navire militaire. Ce qui est nouveau aujourd’hui c’est qu’un vrai tourisme s’annonce en dehors des cadres institutionnels, une affaire privée comme une autre.

On ne pourra plus arrêter ce mouvement porté par l’opinion. Il y a des centaines de candidats sur liste d’attente, aussi bien chez Virgin Galactic que chez Blue Origin. Bientôt (je suis confiant !) une fusée plus puissante, la New Glenn, lancera sur orbite (et non plus sous-orbite) des « civils » clients de Blue Origin. Dès septembre de cette année, Elon Musk, qui a techniquement de l’avance sur ses concurrents car il dispose déjà du lanceur Falcon et de la capsule Dragon, offrira un « tour du monde en 90 minutes » à quatre clients. Ensuite « nous » irons plus loin. Comme l’a dit Jeff lors de la conférence de presse après vol, « Next stop on the Moon, Wally » ou encore « Big things start small ». Le droit à l’espace pour tous est aujourd’hui confirmé et cela permet d’anticiper que le tourisme pourra être une source essentielle pour atteindre la profitabilité des bases sur la Lune et sur Mars. De ce fait les implantations humaines sur ces astres pourront mener à bien pour des coûts raisonnables toutes sortes de missions scientifiques d’intérêt général.

A l’attention des grincheux écolos qui liraient ce blog, je signale que le lanceur New Shepard brûle de l’hydrogène dans l’oxygène et rejette donc…de l’eau (a priori propre !).

Illustration de titre : capture d’écran de l’atterrissage de New Shepard Crew Capsule.

A noter qu’au cours de ce vol la capsule a été propulsé activement jusqu’à 190000 pieds (57,91 km), zéro g a été atteint à 231400 pieds (70,53 km) et l’altitude maximum atteinte a été de 351210 pieds (107 km).

Lien : https://www.blueorigin.com/

Pour plus de détails sur la limite de Kerman et le tourisme spatial voir mon article précédent (du samedi 17 juillet):

Le tourisme spatial c’est la réduction du coût de l’accès à l’espace, y compris pour l’exploration

Le tourisme spatial c’est la réduction du coût de l’accès à l’espace, y compris pour l’exploration

Le tourisme spatial est sorti de la science-fiction pour devenir une possibilité tangible. Comme on pouvait s’y attendre, ce sont les grands capitalistes anglo-saxons qui sont en train de l’offrir au public. Précisément les deux en lice sont Jeff Bezos avec Blue Origin et Richard Branson avec Virgin Galactic mais Elon Musk est derrière, on ne peut pas dire dans l’ombre car Elon aime la lumière. Il travaille et développe l’outil qui risque bientôt d’écraser ses concurrents. Notons tout de suite qu’il « joue » dans une autre catégorie. Ce tourisme spatial, au-delà de l’anecdote, et quel que soit celui qui l’offre ou ses modalités, est porteur d’un puissant soutien à l’industrie, donc à l’exploration spatiale, donc à la sortie de l’homme de son cocon terrestre.

Mais attention, actuellement le tourisme spatial est encore un grand mot pour désigner une toute petite chose. Il s’agit pour les deux sociétés en première ligne, de monter des passagers en altitude jusqu’à dépasser la « ligne de Karman », définie assez approximativement par le physicien magyar-américain Theodor von Karman (décédé en 1963) pour signaler le passage entre la région où l’atmosphère permet un contrôle aérodynamique des aéronefs et celle où sa raréfaction ne le permet plus. La limite entre les deux reste floue encore aujourd’hui ! Von Karman lui-même a hésité entre 83,6 km (1ère proposition) et 100 km (2nde proposition) pour des raisons purement mnémotechniques). Aux Etats Unis l’US Air Force l’a fixée à 50 miles (80,45 km) alors que la NASA a adopté les 100 km…jusqu’en 2005 pour redescendre à 50 miles pour s’aligner sur l’USAF. La Fédération Aéronautique Internationale, elle, a retenu et maintenu la recommandation de Karman pour les 100 km. A noter que cette ligne ne signifie pas grand-chose à notre époque car une autre limite est certainement beaucoup plus significative, celle à partir de laquelle les satellites peuvent parcourir une orbite complète sans propulsion (car en-dessous ils sont freinés par l’atmosphère résiduelle de la Terre). Cette altitude est de 150 km. Pour compléter les éléments de comparaison, je rappellerais que les avions de ligne volent entre 11 et 13 km d’altitude où ils profitent pleinement de la portance atmosphérique à la vitesse à laquelle ils se déplacent (légèrement en dessous de la vitesse du son). La Station Spatiale Internationale (ISS) évolue aux environs de 400 km et la lune orbite autour de la Terre à 380.000 km.

Le saut de puce que vient d’effectuer Richard Branson le dimanche 11 juillet au-dessus de la ligne des 50 miles (il est monté à 53,55 miles, soit 86,19 km) n’est donc qu’une microscopique pénétration dans l’espace et cela même peut lui être contesté (comme n’a pas manqué de le faire son rival Jeff Bezos) puisqu’il est resté bien en dessous des 100 km. Jeff Bezos, lui, veut atteindre 105 km ce mardi 20 juillet.

Les vecteurs sont différents selon les compagnies. Pour Blue Origin et pour SpaceX (pour le moment) c’est une capsule, « New Shepard Crew Capsule » (« NSCC ») pour le premier, « Dragon » pour le second ; elles sont propulsées dans l’espace par un lanceur et le retour se fait sous parachute(s). Pour Virgin Galactic, c’est l’avion-fusée, « SpaceShip Two », rebaptisé pour l’occasion « VSS Unity », qui part, déjà « en l’air », à partir d’un avion gros porteur à double fuselage « White Knight Two » qui le lâche à une altitude « normale » (environ 15.000 mètres), avant qu’il accélère à la verticale pour atteindre son plafond d’où il redescend en planant.

Avec l’avion-fusée VSS Unity, il n’y a aucune chance de pouvoir atteindre l’orbite minimale de 150 km. Ce qui n’est pas le cas de la NSCC de Blue Origin ni bien sûr de la capsule Dragon de SpaceX propulsée par le lanceur Falcon 9. Pour la NSCC il suffirait de « booster » un peu les moteurs de la fusée New Shepard (sans oublier d’incliner sa trajectoire vers l’orbite) et cela viendra. Pour SpaceX, cela fait longtemps que la société a une capacité de lancement bien supérieure au minimum nécessaire, puisque ses Falcon et Dragon desservent l’ISS. Les passagers du VSS Unity (il parait que 600 se sont près-inscrits) ou du NSCC ne pourront donc profiter que d’une expérience très brève puisque le séjour à 50 miles pas plus que le séjour à 105 km ne sont « tenables ». Ce n’est, à première vue, que « faire un petit tour et puis s’en aller » comme on le chante aux enfants.

Alors quel est l’intérêt ? Personnellement, pour moi, aucun, mais certains grands enfants aimeront « jouer à l’astronaute » (aux Etats-Unis on peut même recevoir un « diplôme » reconnaissant cette pseudo-qualité !), ressentir le grand frisson de l’accélération pour monter en orbite, en étant soumis à une accélération allant jusqu’à 3g, flotter en apesanteur (un peu plus de 4 minutes, peut-être 6, car après avoir atteint la vitesse requise, juste avant la « ligne », la propulsion s’arrête, donc l’accélération aussi, et le vaisseau continue un peu sur sa lancée avant de redescendre et de recommencer à accélérer puisqu’il est attiré par la masse de la Terre), admirer le ciel noir incrusté de ses étoiles aussi bien qu’on peut les voir en allant beaucoup plus loin dans le véritable espace, admirer la courbure de la Terre, peut-être avoir le sentiment de faire partie des « happy-fews » qui peuvent se payer le voyage et passer « un bon moment » ensemble.

Pour les passagers de SpaceX, l’aventure sera différente car la capsule sera véritablement mise sur orbite, à 500 km d’altitude, et y volera pendant une orbite entière. Ils auront donc le temps d’admirer la Terre ; ce sera « le tour du monde en 90 minutes ». Le premier vol, « Inspiration4 » est prévu pour le 15 septembre. Mais, au-delà, SpaceX a des projets beaucoup plus ambitieux, comme vous le verrez ci-dessous.

Le prix de ces vols est forcément très élevé puisqu’il y a eu de lourds investissements et que c’est un loisir nouveau dans des avions/vaisseaux qui sont encore des prototypes. Très peu de places sont offertes, 6 maximum par vol. On ne sait pas jusqu’où le marché va se développer et on a très peu de capacité d’emport. Les primes d’assurances passagers doivent être très élevées et l’amortissement doit commencer aussi tôt que possible. Le prix annoncé par Richard Branson aux passagers qui se sont préinscrits est de 250.000 dollars. Avec ce montant il ne couvre pas ses frais, ce n’est que l’ouverture d’un marché. On annonce 28 millions de dollars pour le premier passager payant de Blue Origin (montant résultant d’une enchère). C’est beaucoup, moins qu’un séjour dans l’ISS qui coûte environ 50 millions mais la prestation est quand même très inférieure, ne serait-ce que dans la durée. A noter que ce premier revenu sera largement affecté à inciter/encourager les jeunes à s’orienter vers une carrière dans les “STEM” (voir en fin d’article).

Si la demande répond à l’offre, il y aura économies d’échelle (les mêmes lanceurs et vaisseaux servant plusieurs fois et le nombre de vols augmentant), ce qui permettra aux sociétés de réduire leur coût par passager puis, du moins elles l’espèrent, dégager une marge (Virgin Galactic) ou baisser leur prix unitaire (Blue Origin et SpaceX) ce qui leur donnera accès à un segment de marché plus important. Car il faut avoir des clients. La réponse du marché à la proposition de Virgin Galactic sera une bonne indication pour Jeff Bezos et dans une certaine mesure pour SpaceX puisque 200.000 dollars est l’objectif visé pour un vol vers Mars. Les partisans des vols spatiaux au long cours ne doivent donc pas se moquer de ces petits sauts de puce pour juste sortir la tête hors de l’atmosphère. En effet ceux-ci peuvent être vus comme un produit d’appel pour ceux-là, un « teasing », pour vendre plus. Et puis, si « ça marche », ils pourront apporter de l’argent aux sociétés qui veulent offrir ces destinations plus lointaines.

Elon Musk a une approche différente de Richard Branson et Jeff Bezos. Même s’il a l’intention de faire faire quelques vols orbitaux avec passagers civils à sa capsule, il ne cherche pas, à ce stade, à exploiter le « goût pour l’espace » du public en acceptant de perdre de l’argent. Ses prix resteront très élevés (55 millions par passager pour le vol Inspiration4 de Septembre financé par le milliardaire et pilote Jared Isaacman). Il peut se le permettre car ses prétendus concurrents ne le sont en fait pas vraiment. En même temps il raisonne économiquement et il sait que ce ne sont pas les seuls voyages vers Mars qui vont permettre au Starship d’atteindre son point mort puis la rentabilité. On ne peut partir pour Mars que tous les 26 mois. Même si pendant la fenêtre de tirs qui dure un mois, on envoie alors une dizaine de vaisseaux, cela ne fait pas beaucoup. Pour résoudre ce problème, dès que le Starship fonctionnera il le proposera pour toute une gamme de services. Donc il laissera « tomber » les capsules Dragon (si l’on peut dire) pour le Starship. Il a déjà un contrat pour desservir la Lune à partir de la station spatiale orbitale relai « Lunar Gateway » dans le cadre du programme Artemis. Il veut exploiter dès que possible des lignes de transport planétaires longues distances telles que Londres-Sydney ou New-York-Singapour (en une heure maximum !). Son projet est que le Starship deviennent un mode de transport universel, c’est le seul moyen de faire baisser les coûts d’un voyage vers Mars autant qu’il le souhaite. Et on peut concevoir que sur le plan du tourisme, il desserve des hôtels de l’espace, orbitant très loin au-dessus de la Terre, tels qu’en a conçus Robert Bigelow (propriétaire de la chaine d’hôtels Budget Suites of America et fondateur de Bigelow Aerospace). Ces hôtels seraient constitués de modules ayant une capacité de 1000 à 3000 mètres cubes. On peut même penser (rêver ?) à de gros satellites comme le double tore géant de 2001 Odyssée de l’Espace de plus de 100 mètres de rayon, présentant évidemment l’avantage du volume et du confort. Ce serait un magnifique centre de loisirs (et je m’y rendrais volontiers) !

Le tourisme spatial est donc indissociable de l’aventure économique dans laquelle se sont lancés les poids lourds du capitalisme américain. Il va servir psychologiquement et financièrement la diffusion de l’humanité dans l’espace bien au-delà de l’orbite terrestre. Et ceux qui condamnent les excentricités coûteuses de personnes ultra-riches ont tort, mais probablement ne considèrent-ils pas non plus d’un bon œil la suite de l’aventure humaine loin de la Terre. Ce qu’ils ne voient pas c’est que si la recherche de l’intérêt économique n’est pas la pratique d’une morale, en fin de compte elle peut être profitable à tous. Elle peut l’être non seulement pour ceux qui veulent « aller plus loin » ; elle le sera aussi pour les ingénieurs et les ouvriers qui ont construit les premiers vaisseaux et qui vont développer des flottes ; elle le sera pour l’Etat qui va pouvoir prélever des taxes (je suis certain qu’il y pensera sans qu’on le lui souffle) ; elle le sera pour l’évolution des technologies car c’est en faisant fonctionner les nouvelles machines qu’on voit leurs faiblesses et qu’on peut les améliorer. Enfin, il ne faut pas oublier que pour l’instant, tout dollar dépensé pour l’espace et un revenu pour des Terriens sur Terre. Lorsque des hommes s’installeront durablement en dehors de la Terre, sur Mars, ce ne sera plus tout à fait pareil mais ces hommes constitueront alors un nouveau centre de création, de production et de consommation de produits dont beaucoup seront toujours…terrestres.

NB : Les « premiers » vols touristiques de ce mois de juillet ne sont pas réellement les premiers car il y a déjà eu quelques séjours touristiques, une dizaine, organisés par les Russes, à commencer par celui de Denis Tito en 2001 pour aller passer une semaine dans l’ISS. Mais on voit bien que ces séjours ne sont pas du même ordre, de même que ne le seront toujours pas les tours du monde en 90 minutes d’Inspiration4.

Illustration de titre : intérieur de la capsule de Blue Origin (New Shepard Crew Capsule), crédit Blue Origin

Illustration ci-dessous: intérieur du VSS Unity. crédit Virgin Galactic:

Liens :

https://www.blueorigin.com/

https://www.virgingalactic.com/

https://www.spacex.com/human-spaceflight/earth/index.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Ligne_de_K%C3%A1rm%C3%A1n

lien vers le reportage de CNBC : https://www.cbsnews.com/news/richard-branson-virgin-galactic-space-launch/

A noter une très importante nouvelle pour la famille des Mars Society.

Blue Origin a décidé, ce 14 juillet, d’utiliser 19 des 28 millions provenant de la vente aux enchères de son premier siège touriste, au profit de 19 “charitable organizations”. L’objet est d’encourager les jeunes générations à poursuivre une carrière en Sciences, Technologie, Engineering, Mathématique (“STEM”), orientée “life in Space”.

La Mars Society américaine figure parmi les bénéficiaires. Elle va donc pouvoir disposer, comme les autres, d’un million de dollars pour mener cette action.

Le renforcement de l’association américaine ne peut être que très bénéfique pour notre cause de l’homme sur Mars. Merci donc “un million de fois” à Jeff Bezos!

lien vers la déclaration de Blue Origin: https://www.blueorigin.com/news-archive/club-for-the-future-selects-19-charities

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Index L’appel de Mars 21 06 25

Les cavernes, une richesse pour Mars, un retour vers notre passé et la perspective d’un recommencement possible

Des sites d’étude passionnants et des abris naturels essentiels s’offrent aux premiers hommes qui partiront pour Mars, ses cavernes. C’est peut-être là qu’on trouvera les plus intéressants des indices exobiologiques que l’on cherche et en tout cas les abris les plus efficaces et les plus faciles à utiliser par les premiers hommes. Pour les deux, elles présentent en effet l’avantage d’être bien protégées des radiations et de pouvoir abriter plus d’eau concentrée sous forme de glace, qu’en surface. Les cavités souterraines présentent de plus, pour ce qui est des habitats, la possibilité d’être beaucoup plus volumineuses que sur Terre.

En 2009, pour la 40ème « Lunar & Planetary Science Conference », Nathalie Cabrol a dirigé une étude sur la « Détection des cavernes et la géologie génératrice de cavernes sur Mars ». Cette étude est la base de toute réflexion sur le sujet.

Deux types principaux de cavernes sont possibles : les tunnels de lave et les cavités creusées par des écoulements d’eau dans des sols boueux, impliquant éventuellement un volcanisme de boue. La différence essentielle entre ces types est évidemment la consistance de la roche « hôte », les milieux volcaniques offrant des parois beaucoup plus résistantes que les roches sédimentaires. Une autre différence est la localisation. Les tunnels de lave se trouvant davantage sur les flancs des volcans, en altitude (socle de Tharsis), dans un environnement d’atmosphère plus ténue (ce n’est pas indifférent pour l’occupation humaine). Enfin l’action de l’eau dans les sols boueux semble a priori plus favorable à l’évolution biotique et à la conservation des traces. En dehors de ces trois types, on trouve des gouffres résultant de failles tectoniques. A noter qu’étant donnée l’histoire très particulière du calcaire sur Terre, liée à une certaine forme de vie, il n’y a pas de formation purement karstique sur Mars. Cependant la géologie est souvent complexe et il existe des tunnels et cavernes qui résultent de la conjonction de différents facteurs. Je veux parler de Hebrus Vallis et Hephaestus Fossae. Ce sont évidemment les plus intéressants.

Avant de les décrire, il convient de définir différents phénomènes.

Les tunnels de lave sont formés par des coulées sur les flancs des cônes volcaniques, visqueuses avec un taux de liquidité plus ou moins prononcé (plus dans le cas de Mars, comme dans les îles hawaïennes). Le flux prend la forme de coulées, plus chaude à l’intérieur et moins sur les bords exposés à l’environnement plus froid. Cette différence définit des murs, un sol et une voûte. Lorsque la coulée cesse d’être alimentée par l’éruption, pourvu qu’elle puisse se déverser « quelque part », elle se vide et laisse une cavité en forme de galerie.

Les zones de boue sont le résultat de flux cataclysmiques provenant des hauteurs environnantes. Suffisamment liquides, elles s’étalent en nappes. Elles stagnent ensuite dans les zones d’altitudes basses où elles ont été accueillies (cuvettes) si elles ne peuvent être dissoutes et dissipées dans une étendue d’eau suffisante pour leur masse (Chryse planitia et sud d’Acidalia planitia à l’embouchure de Valles Marineris). L’accumulation des boues si elle est suffisamment épaisse produit un gradient de températures qui favorise l’évacuation des couches souterraines plus chaudes vers la surface où elles s’écoulent par des cheminées de pseudo-volcans (« volcans de boue »), d’autant plus que l’intérieur de la planète est chaud, donc que la croute est mince par rapport au magma du manteau.

Le pergélisol est le sol gelé riche en eau (les boues ci-dessus) qui résulte des températures particulièrement froides, circumpolaires sur Terre et omniprésentes en surface de Mars.

Il s’est produit dans les régions voisines de Hebrus Vallis et Hephaestus Fossae, centrées sur 15°N, entre le volcan Elysium Mons (24°N, au Nord-Est) et les hautes-terres du Sud (plus ou moins à l’équateur), un phénomène complexe qui associe le volcanisme magmatique, ayant des effets dans le pergélisol, avec le volcanisme de boue, et qui a créé des tunnels et cavernes étendus qui pourraient s’avérer extrêmement intéressants et utiles.

Dans le creux situé entre les deux élévations, la couche superficielle du sol formée par les alluvions qui en proviennent, était gelée (pergélisol), avec en profondeur, dans un environnement plus chaud, car plus proche du sous-sol volcanique, un aquifère. Avec le temps, 1) la pression de l’eau chauffée produisit des fractures dans le pergélisol, ce qui conduisit à du volcanisme de boue ; 2) l’aquifère s’assécha ainsi que les passages d’eau qui s’étaient formés dans les fractures du pergélisol ; 3) une intrusion de magma souterrain (« dike ») provoqua une fonte sévère du pergélisol qui s’écoula dans des vallées de débâcle ; 4) les flux furent captés par les cavernes asséchées qui les évacuèrent par les failles précédemment formées. Il en résulte aujourd’hui des réseaux de débâcle asséchés aux tracés particuliers. Les parcours de leurs vallées montrent des ruptures de débit (largeur et profondeur des vallées) extrêmement marquées et subites, signalant la présence de gouffres sous-jacents. On déduit aussi, à la vue des alignements de puits d’effondrement y donnant accès, le parcours de longs cheminements souterrains.

Sous le sol de ces deux sites voisins il y a donc en prolongement de vallées sèches dans un environnement où l’eau a séjourné longtemps, des cavernes profondes et/ou très allongées comme des tunnels, formant réseaux, les unes étant accessibles par les autres avec des accès intermittents en surface.

Réseaux de Hebrus Vallis à droite et Hesperaeus Fossae à gauche (“panel c” de l’illustration en fin d’article), les lignes jaunes indiquent les chenaux parcourant le sous-sol proche, in Infiltration of Martian outflow channel floodwaters into lowland cavernous systems (voir ref. ci-dessous)

Regardons maintenant ces cavités de plus près, quelle que soit leur origine, théoriquement puisqu’aucune n’a encore été explorée.

Pour des roches de même nature, la porosité du sol martien est très nettement inférieure à celle du sol terrestre en raison d’une gravité beaucoup plus faible (1 à 5% à 3 ou 4 km sur Terre, même pourcentage à -10 km sur Mars). En conséquence on peut espérer trouver des cavernes sur Mars jusqu’à -5 km contre -2 km sur Terre (les profondeurs peuvent être supérieures si les cavernes sont emplies d’eau (comme sous notre calotte Antarctique, à – 4 km). Et les volumes de ces cavernes pourraient être 4 fois plus importants (1,63) que sur Terre avec des plafonds d’une portée de 60% supérieure (la largeur stable possible d’une caverne augmente selon l’inverse de la racine carrée de l’accélération gravitationnelle). Petit problème, si l’on choisit d’habiter dans une caverne, il faut que l’accès n’en soit pas trop difficile. On peut difficilement imaginer qu’il faille prendre un ascenseur (ou un escalier !) à chaque fois qu’on voudrait sortir !

Les températures du sol martien sont très froides car la planète s’est refroidie très vite en raison d’une masse beaucoup plus petite que celle de la Terre (1/10ème). La croute est donc aujourd’hui beaucoup plus épaisse que celle de la Terre (pour Mars, 10 à 100 km, maximum sous Tharsis ; pour la Terre, 6 sous les Océans, 30 sous les continents, 70 sous les grandes chaines de montagnes) et le gradient des températures a une pente très « raide » (15 K par km, au début) ce qui fait qu’il faut plusieurs km à partir de la température de la surface du sol (215 K en moyenne) pour arriver à un point ou l’eau peut être liquide (en fonction aussi de la pression qui augmente). La température maximum pour la vie, estimée à 120°C, est atteinte sur Terre à -3 ou 4 km. Sur Mars elle se situerait plutôt vers -30 km (mais bien sûr cela varie en fonction de l’épaisseur de de la croûte puisque le manteau sous-jacent est beaucoup plus chaud que la croûte). A partir de la surface à l’équateur, l’eau pourrait être liquide vers – 4,7 km si elle est très saumâtre et vers – 8 km pour de l’eau douce. Quand on remonte vers la surface la température se refroidit.  Et au niveau où l’on trouve des cavernes (la plupart étant probablement quand même à moins des 5 km ci-dessus mentionnés) la différence avec la température de surface sera très réduite. La seule chose remarquable est que le sol étant thermiquement beaucoup plus inerte que l’atmosphère, il ne connait pas l’amplitude des variations journalière ou saisonnière de la surface. On estime donc qu’en moyenne, à quelques deux mètres de leur ouverture, les cavernes non éclairées auraient la température moyenne de surface (215 K précités). Le point de givrage de l’eau est, lui, autour de 200 K (rappelons que 273,15K = 0°C).

Dans ces conditions, une caractéristique jusqu’à présent non étudiée et qui vient de l’être sur le plan théorique (décembre 2020 par Norbert Schörghofer), est celle de la glace d’eau dans ces cavernes. Il semble que les parois de très nombreuses cavernes martiennes puissent être recouvertes de glace du fait d’une sursaturation en humidité (même si l’atmosphère comprend très peu de vapeur d’eau, celle-ci se condense en glace avec le froid). Compte tenu du mouvement de l’atmosphère, il y aurait déchargement de glace d’eau au contact des parois plus froides. Par sublimation inverse, les cristaux de glace recouvriraient les parois (plutôt le haut et le plafond que le bas). Le processus serait très lent (pour ordre d’idée, 1 cm d’épaisseur après une période de 2000 ans) puisque la quantité d’eau est faible mais ces cavernes sont très anciennes (plusieurs millions d’années) et donc la couche de glace pourrait être assez épaisse. A noter qu’il ne devrait y avoir ni stalagmite, ni stalactite puisque l’eau ne peut être sous forme liquide (pas de « goutte à goutte » !) mais que le sol pourrait être jonché de plaques de glace détachées de la voute (du fait de leur poids). Imaginez les recherches planétologiques et exobiologiques que l’on pourrait faire dans cet environnement et (après étude !) l’utilisation que pourrait faire un établissement humain de la glace (étant donné que les volumes pourraient être très limités puisqu’il y aurait un recyclage intensif de l’eau utilisée) !

Ainsi les premiers hommes sur Mars auraient toutes les raisons pour s’établir dans les cavernes, comme leurs prédécesseurs très lointains lorsqu’ils voulurent se protéger des animaux et des rigueurs du climat terrestre. Retournement de situation qui donne à penser et à espérer puisque nous pouvons anticiper un développement aussi prodigieux pour nos descendant que celui qui s’est étendu depuis nos ancêtres jusqu’à nous.

Illustration de titre : Gouffre « Jeanne », photo HiRISE (2007), High Resolution Imaging Science Experiment, caméra embarquée à bord de l’orbiteur MRO. Le gouffre est situé au Nord-Est d’Arsia Mons, un des volcans dominant le socle de Tharsis. Crédit NASA.

Illustration ci-dessous: vues des lits asséchés des écoulements d’eau dans la région d’Hebrus Vallis. On voit nettement les ruptures de débit impliquant des gouffres et des prolongations souterraines des écoulements (outre, bien sûr, les lits à découvert, creusés dans la boue), in Infiltration of Martian outflow channel floodwaters into lowland cavernous systems (voir ref. ci-dessous)

Illustration ci-dessous: une caverne intéressante dont la photo a été prise par la caméra HiRISE (NASA) à bord de l’orbiteur MRO. Elle est située près du volcan Arsia Mons. Comme vous le voyez on accède à la partie souterraine par une pente douce qui pourrait être accessible aux véhicules. Il conviendrait évidemment d’explorer l’intérieur de la caverne avant d’entreprendre de s’y installer. NB: cette photo est reprise dans l’étude ci-après : G.E. Cushing – Candidate cave entrances on Mars. Journal of Cave and Karst Studies, v. 74, no. 1, p. 33–47. DOI: 10.4311/
2010EX0167R

Références, liens :

https://mars.nasa.gov/resources/21879/hebrus-valles/

Lava tubes on Earth, Moon and Mars: A review on their size and morphology revealed by comparative planetology par Francesco Sauro, Riccardo Pozzobon, Matteo Massironi, Pierluigi De Berardinis, Tommaso Santagata, Jo De Waele.  Earth-Science Reviews, 2020; 103288 DOI: 10.1016/j.earscirev.2020.103288

Geological evidence of planet-wide groundwater system on Mars, par F. Salese et al. 2019 : https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1029/2018JE005802

Detection of cave and cave bearing geology on Mars. Nathalie Cabrol et al. 2009: Cabrol 2009 1040.pdf

Modern geothermal gradients on Mars and implications for subsurface liquids. N. Hoffman, Earth Sciences, La Trobe University, Melbourne 3086, 2001 : https://www.lpi.usra.edu/meetings/geomars2001/pdf/7044.pdf

Infiltration of Martian outflow channel floodwaters into lowland cavernous systems J. Alexis, P. Rodriguez et al. https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1029/2012GL053225

Ice caves on Mars, Hoarfrost and microclimates. Norbert Schörghofer, 9 decembre 2020 : https://www.researchgate.net/publication/347951956_Ice_caves_on_Mars_Hoarfrost_and_microclimates

Evidence for pervasive mud volcanism in Acidalia Planitia, Mars, Dorothy Oehler, 2010: https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0019103510001405

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Index L’appel de Mars 21 06 25

 

Après le succès du SN15, Elon Musk veut passer très vite aux tests de mise en orbite du Starship

Elon Musk est un homme pressé (et nous aussi). Il veut aller sur Mars (et nous aussi) et il ne perd pas de temps. Le test d’altitude SN15 a été un succès et sans attendre il prépare maintenant les tests de mise en orbite de son Starship. Cela implique outre les SN (Serial Number), prototypes pour le vaisseau, les BN (Booster Number) qui sont des prototypes du lanceur (« booster ») SuperHeavy. Il a demandé un accord de la FAA (Federal Aviation Administration) pour utiliser sa base de Boca Chica, nommée désormais « Starbase » *, pour des lancements à partir du 1er juillet de cette année 2021 et a déposé le 13 mai dernier un dossier exposant son programme auprès de la FCC (Federal Communications Commission) pour avoir le droit d’utiliser un système de télécommunication pour équiper son SN pendant ce premier vol longue distance (« experimental orbital demo and recovery test of the Starship test vehicle »).

* Boca Chica se trouve à l’extrême Sud du Texas, sur le bord du Golfe du Mexique et à la frontière de l’état du Mexique.

Voyons d’abord d’où il part.

Comme chacun s’en souviendra, le 6 mai de cette année, le SN15 a atterri, sans exploser, après avoir fait des essais en altitude (ce n’était que le cinquième) : ascension jusqu’à 10 km à l’aide de ses trois moteurs raptors atmosphérique, vol à l’horizontal avec manœuvres utilisant les plans canard (petits ailerons mobiles à l’avant) et les ailerons, extinction puis réignition des moteurs, atterrissage. Il y a eu un petit incendie après l’atterrissage à la base du SN (vidange d’un moteur ?) mais il a été rapidement maitrisé. Autre imperfection dans le vol, le fait que le SN soit revenu au sol avec seulement deux moteurs en fonction, le troisième ne s’étant pas rallumé.

La suite.

Apparemment la défaillance du troisième moteur n’a pas été considérée comme un problème méritant un nouvel essai car non seulement le SN15 a été retiré de l’aire de lancement et relégué au « rocket-jardin » (espace d’exposition) le 14 mai mais il a été décidé que l’on passait à l’étape suivante (« phase 3 »), c’est-à-dire la mise en orbite (à au moins 250 km d’altitude) suivi d’un petit vol orbital. La société a demandé une autorisation à la FAA (Federal Aviation Administration) pour pouvoir le faire dès ce mois de juillet*. Il pourrait toutefois y avoir un vol d’altitude préparatoire qui utiliserait le SN16 et qui serait un test de vitesse hypersonique que la structure des SN n’a pas encore approché. Le SN16 a été retiré du pas de tir pour être préparé à ce nouvel objectif (il aurait été utilisé comme le SN15 pour un vol d’altitude si ce dernier avait échoué). Quant au SN17 qui devait être la répétition des SN précédents au cas où ils auraient échoué, il a été conduit dans l’espace où les structures non utilisées ou qui ne sont plus utilisables, sont démantelées, exprimant ainsi clairement l’intention de SpaceX de ne pas s’éterniser sur les vols en altitude basse.

*à ce jour la FAA n’a pas encore donné son autorisation car certains écologistes extrémistes américains sont intervenus auprès d’elle après avoir exprimé leurs craintes pour la population des ocelots qui habitent la région de Boca Chica. Ils n’avaient apparemment pas été particulièrement dérangés par les lancements précédents de SpaceX (il est vrai effectués avec des poussées moins fortes) mais cette intervention est bien dans les habitudes des écologistes extrémistes, américains aussi bien qu’européens, de mettre des bâtons dans les roues de tout projet ayant un impact sur l’environnement et considéré par eux comme inutiles ! Dans ce domaine, il y a toujours un déséquilibre avantages / inconvénients à considérer mais le démarrage du programme Starship devrait être « sanctuarisé » (et la suite également puisque c’est la survie de l’humanité qui peut être en question).

Parallèlement le Starship est préparé pour la mise en orbite. Cette fois, le SN (ce sera le numéro 20) sera placé au-dessus d’un BN (ce sera le numéro 2, nouveau nom du « 3 ») puisqu’il faut un lanceur pour donner au vaisseau la vitesse requise. La vitesse de satellisation (minimum pour la Terre, 7,9 km/s soit 28440 km/h) n’est en effet acquise qu’au prix d’une double impulsion. La première se fera au niveau du lanceur pendant seulement 169 secondes, et une fois les ergols du BN presque totalement épuisés (il faut en garder un peu pour le retour sur Terre !), le SN prendra le relai, avec ses trois moteurs raptor adaptés au vide (qui s’ajouteront aux trois moteurs atmosphériques), pendant 591 secondes. Mais, 2 secondes après l’arrêt de ses moteurs, la masse du lanceur (340 tonnes à vide, avec enveloppe, réservoirs et moteurs), aura été détachée du vaisseau et sera repartie se poser sur Terre (en fait, en principe, sur une barge à 32 km au large des côtes, 495 secondes après le lancement). Car bien entendu le lanceur doit être réutilisable en application du grand principe innovateur de SpaceX de récupération/réutilisation (pour le coup parfaitement écologique).

Déjà, sur le site de Boca Chica, les équipes de TP et les ingénieurs s’affairent. L’ensemble du Starship atteindra la hauteur impressionnante de 120 mètres (50 mètres de SN plus 70 mètres de BN). La tour de lancement, encore plus haute, (450 pieds soit 137 mètres) et les réservoirs d’approvisionnement en ergols, Méthane, Oxygène et Azote (ce sont des coques de SN, munies chacune d’un seul réservoir au lieu de deux et elles sont enveloppées d’une isolation) sont construits en même temps en toute hâte (la tour a reçu son 5ème module, sur 8, à mi-juin). Tour et réservoirs d’approvisionnement font partie de ce que SpaceX appelle le GSE (Ground Support Equipment). Il est prévu que « plus tard » la même tour de lancement soit équipée d’une sorte de pince géante, pour saisir les lanceurs à leur retour sur Terre. En même temps les ingénieurs et ouvriers rehaussent le socle de la table de lancement du pas de tirs (plus haut que pour les Falcons) et produisent une nouvelle table (elle-même plus large).

Il faut dire que le test portera avant tout sur le BN. Il doit faire fonctionner en même temps ses 29 moteurs raptor, ce qui n’a jamais été fait et comporte une probabilité de disfonctionnement élevée (cas où le fonctionnement d’un des moteurs perturbe celui de ses voisins). Cependant il faut noter que SpaceX a déjà fait voler le lanceur de son Falcon Heavy avec trois batteries de 9 moteurs (trois vols, avec succès depuis février 2018, 7 vols prévus jusqu’en 2024). C’était des moteurs Merlin, moins puissants que le Raptor et il n’étaient pas ensemble dans le même propulseur mais dans trois séries côtes à côtes. Une seule simulation sera faite au sol pour la poussée simultanée des moteurs (en l’occurrence 9) sur autant de pistons, avec une section de BN arrimée, le BN2.1. Il est prêt à être mis à feu.

Si la mise en orbite réussit, le SN partira vers l’Est au-dessus du Golfe du Mexique et se posera autant que possible en douceur (pour des raisons de sécurité), après seulement 90 minutes de vol, à 100 km à l’Ouest de Kauai, la plus occidentale des iles Hawaïennes. Le vol bénéficiera du concours des autorités américaines (FCC, US Air Force, NASA et FAA). L’atterrissage se fera avec utilisation des moteurs pour rétropropulsion ce qui implique que ce ne sera pas une rentrée incontrôlée dans l’atmosphère mais déjà une préparation à l’atterrissage pour récupération. Il n’est pas prévu que ce premier SN orbital soit récupéré mais il y aura suffisamment de capteurs à bord pour savoir « tout ce qu’il faut » sur son comportement pendant tout le test.

Il faut dire que la NASA compte beaucoup sur la faisabilité de ce Starship puisqu’il est devenu contractuellement un des éléments de son programme « Artemis » de retour sur la Lune (segment entre l’orbiteur lunaire, le « Lunar Gateway », et la surface de la Lune). A noter que le Starship lunaire, nommé « HLS » (Human Landing System), n’aura ni bouclier thermique ni dispositif d’utilisation du flux d’air (ailerons et plans canards) puisqu’il ne sera utilisable que dans l’espace sans atmosphère (c’est plus simple !). Comme on le sait, le choix de SpaceX par la NASA a été contesté par ses rivaux mais le HLS présente tellement d’avantages de performances et de coût, qu’il sera très probablement confirmé.

Par son caractère entier et passionné, Elon Musk me fait de plus en plus penser aux héros du livre « De la Terre à la Lune » de Jules Verne. Nous vivons aujourd’hui ce que la science-fiction nous faisait entrevoir hier (1865). Le tir du « projectile » de Michel Ardan a été un plein succès (dans l’imagination de Jules Verne) puisqu’il a tourné autour de la Lune ! La différence entre romanciers et ingénieurs c’est que ces derniers doivent être beaucoup plus précis que les premiers car eux doivent faire voler de vrais vaisseaux spatiaux. A noter que le « projectile » était en aluminium et non en acier, que le départ se faisait à Cap Canaveral et qu’Elon Musk est tout à la fois, Michel Ardan et Impey Barbicane, capitaliste et ingénieur. Par ailleurs l’ingénieure en chef d’Elon Musk est une femme, Gwynne Shotwell et elle est aussi une « businesswoman » puisqu’elle est directrice de SpaceX. Comme quoi les temps ont changé !

illustration de titre: Le Starship s’élançant vers l’orbite terrestre. Crédit SpaceX (vue d’artiste!).

Liens :

https://www.youtube.com/watch?v=fBa3V3WkMs0

https://www.youtube.com/watch?v=hL1aqlXJJSs

https://spacenews.com/spacex-outlines-first-orbital-starship-test-flight/

https://www.faa.gov/space/stakeholder_engagement/spacex_starship/

https://www.faa.gov/space/stakeholder_engagement/spacex_starship/media/SpaceX_Starship_Super_Heavy_Boca_Chica_Scoping_Summary_Report.pdf

https://interestingengineering.com/elon-musk-spacex-starship-sn16-hypersonic-flight

https://www.cnbc.com/2021/05/13/spacex-first-orbital-starship-rocket-flight-plan-revealed.html

Article de mon « collègue » Eric Bottlaender sur Clubic (15/06/2021) qui m’a alerté sur le sujet:

https://www.clubic.com/spacex/actualite-374829-starship-apres-les-sauts-spacex-se-prepare-pour-l-orbite.html

Eric est ingénieur ENSISA (Ecole Nationale Supérieure d’Ingénieurs de Sud Alsace), spécialisé en mécatronique, robotique et automation. Il a notamment travaillé comme ingénieur R&D chez ISL (Institut franco-allemand de recherche de Saint-Louis), chez Global Sensing Technologies (Dijon) puis chez Xamen technologies (Pau). Co-auteur d’un livre avec Pierre-François Mouriaux, journaliste à Air & Cosmos (« de Gagarine à Thomas Pesquet), il se présente comme « space writer » (et il est aussi « en recherche d’emploi »). Voir son site : https://twitter.com/Bottlaeric?ref_src=twsrc%5Egoogle%7Ctwcamp%5Eserp%7Ctwgr%5Eauthor

Illustration ci-dessous: le BN2 sur le point d’être tracté en dehors de son hangar d’assemblage. Notez bien qu’il fait 70 mètres de hauteur!). Photo, crédit SpaceX.

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