Un petit peu d’eau liquide sous la calotte-polaire australe de Mars. Un lac? Pas vraiment!

Des chercheurs travaillant avec le radar MARSIS à bord du satellite Mars Express de l’ESA, viennent de déduire de leurs observations, la probabilité forte d’eau liquide sous la calotte-polaire située au Pôle Sud de Mars. On s’y attendait. C’est une constatation importante mais ce n’est pas une découverte qui change vraiment les perspectives que nous avons de trouver de la vie sur Mars.

Les faits :

Le radar « MARSIS » ( pour « Mars Advanced Radar for Subsurface and Ionosphere Sounding ») observe le sol et le sous-sol de Mars depuis Juillet 2005 à partir d’une altitude variant de 800 à 1200 km. Les données exploitées pour le sujet ici traité ont été collectées de mai 2012 à décembre 2015. Le travail de recherche a été mené par une équipe de scientifiques italiens dont l’auteur principal est Roberto Orosei de l’Istituto Nazionale dei Astrofisica, de Bologne.

MARSIS est doté de deux antennes qui permettent de capter en même temps les échos provenant du sol et du sous-sol et il a été placé sur une orbite qui permet de passer au-dessus de l’ensemble de la surface de Mars. La technique radar utilisée, « RES » (« Radio Echo Sounding »), consiste à émettre des ondes à basses fréquences (radio, limite MF/HF) et à en récolter les échos. C’est la technique dont on se sert sur Terre pour détecter l’eau liquide sous les couches de glace.

La découverte se situe à 81°de latitude Sud (région de Planum Australe) donc tout prêt du pôle géographique actuel de Mars qui est couvert d’une calotte de glace d’eau permanente et d’une couche de gaz carbonique saisonnière. A noter que le Pôle Sud de Mars connait des températures beaucoup plus froides que le pôle Nord car l’hiver austral a lieu alors que Mars est au plus loin du Soleil (aphélie sur une ellipse allongée) et il est beaucoup plus long que l’hiver boréal car étant plus éloignée du Soleil, la planète se déplace alors à une vitesse plus faible (min. 21,92 km/s au lieu de 26,5 km/s max.).

Comme on le voit sur l’illustration de l’article, le radar a rencontré deux couches essentielles de réflexion. La première, la plus haute, est la ligne plate de la surface de l’inlandsis (limite entre deux milieux), la plus basse est la ligne moins régulière du socle sur lequel repose l’inlandsis, à 1,4 km en dessous. Entre les deux, les couches de dépôts de glace, « SPLD » (pour « South Polar Layered Deposits ») dont on voit vaguement qu’il y en a plusieurs, correspondent aux changements climatiques qu’a connu la planète et aux limites desquelles a dû se déposer de la poussière. Le contenu de poussière dans la glace vers la surface, est de l’ordre de 10 à 20%. Vers le socle la pureté est beaucoup plus grande.

Sur la couche de réflexion inférieure, on remarque des endroits très brillants ; en fait la brillance à certains endroits est nettement plus forte que celle de la couche de réflexion supérieure (haut de l’inlandsis). Comme vous le voyez sur le diagramme du bas de l’illustration, la ligne de l’écho reçu de la couche de réflexion inférieure passe au-dessus de la ligne de l’écho reçu de la surface. C’est la brillance de ces segments qui indique, à ces endroits précis, la présence d’eau à l’état liquide. On constate qu’ils s’étendent sur une vingtaine de km dans la zone étudiée (entre km 45 et km 65). Le substrat est très proche, la profondeur de la poche étant évaluée à quelques dizaines de cm, probablement un mètre. On est donc en présence de ce que je qualifierai d’« anomalie », d’un volume assez étendu mais très peu profond. La capacité de définition horizontale du radar n’est pas très bonne (en raison des longueurs d’ondes utilisées par MARSIS) surtout là où le signal de retour n’est pas fort et ne permet pas une reconstitution précise de la topographie autour de l’anomalie. La confirmation de la nature aqueuse de ce qui emplit ce volume est donnée par la « permittivité diélectrique » des couches traversées par le radar (cette permittivité étant un coefficient de pénétration/réflexion de l’onde radar). La glace se laisse pénétrer (permittivité tendant vers zéro), l’eau agit comme un miroir et elle a un coefficient très élevé; l’eau pure peut atteindre 78. Ici le coefficient constaté se situe pour l’essentiel entre 10 et 50 ; C’est évidemment beaucoup plus bas mais très nettement supérieur à celui d’autres éléments (rocheux) possibles (autour de l’anomalie le coefficient va de 4 à 12) et c’est aussi comparable à ce qu’on a obtenu pour des poches d’eau liquide sous la glace dans l’Antarctique ou au Groenland. On a donc affaire sans doute à une eau impure, c’est-à-dire à une saumure riche en sels de toutes sortes constatés ailleurs en surface de Mars, notamment en raison de la dissolution des fameux perchlorates de magnésium, de calcium et de sodium observés à une latitude un peu plus basse (68°N) par Phoenix en 2008 (et plus bas par les autres robots fonctionnant en surface). L’état liquide s’explique par la composition du liquide (saumure), la pression importante résultant de la masse de glace et aussi par la température interne de la planète. La température doit remonter, en descendant de la surface extérieure de la glace jusqu’au contact de l’anomalie, de 160 K (-113°C) aux environ de 205 K (-68°C) alors que le point de glaciation de l’eau, compte tenu des sels dissous, doit se situer entre 198 K et 204 K (-75°C à – 69°C). On se trouve donc, dans l’anomalie, quelque part au-dessus de ce seuil de 198 K.

Réflexion :

Peut-il y avoir de la vie dans ces conditions ? La réponse est « on ne sait pas ». Dans l’environnement terrestre aucune vie microbienne active n’a jamais été constatée à cette température et dans cette probable salinité. A noter que la température de l’eau du lac Vostok (eau douce !), sous la calotte-polaire de l’Antarctique, où l’on a effectivement trouvé des extrêmophiles, se situe autour de -3°C. Si des organismes vivants se trouvent dans cette anomalie martienne ils doivent provenir d’une souche développée ailleurs sur la planète où les conditions sont ou ont été moins hostiles. Cela suppose également qu’il y ait eu de la vie sur Mars, ce qu’on ne sait toujours pas.

Donc, « ne nous emballons pas » ! Il faut très certainement de l’eau liquide pour qu’il y ait de la vie mais ce n’est pas parce qu’il y a de l’eau liquide quelque part, qu’il y a de la vie.

Il y a d’autres endroits sur Mars où l’eau pourrait être liquide. Je pense aux suintements en surface (où dans le sous-sol immédiat protégé des radiations) dans une petite fourchette de degrés (-10°C à + 4°C ?) dans les régions où la pression atmosphérique est supérieure à celle du point triple de l’eau (610 Pascals), soit notamment le fond du Bassin d’Hellas (-8 km du Datum) où la pression est la plus forte (jusqu’à 1100 Pascals). Pour le reste, ce serait évidemment passionnant de trouver des poches d’eau à l’intérieur du sous-sol de Mars aux latitudes moyennes ou sous les inlandsis à ces latitudes que l’on a observés un peu partout et où le froid est peut-être moins intense. Pour l’instant et c’est la mauvaise nouvelle, MARSIS, ni l’autre radar embarqué sur MRO (NASA), SHARAD (qui pénètre moins profondément le sol car il opère à des fréquences plus élevées – HF vers 10Mhz), n’ont trouvé nulle part de telles poches et pourtant, ils cherchent !

Image à la Une : données radar collectées par MARSIS, crédit R.Orosei et al. Science, doi :10.1126/science.aar7268 (2018). Cette image et ce graphique sont l’occasion de mettre en avant la difficulté de l’analyse des données reçues des instruments d’observation. Le « lac » mentionné à l’envie par les media n’est pas aussi clairement identifiable que sur la photo d’un magazine de voyages.  

Lecture : “Radar evidence of subglacial liquid water on Mars” publié dans Science le 25 juillet par R. Orosei et al. (Istituto Nazionale dei Astrofisica, Bologne) :

https://www.sciencemagazinedigital.org/sciencemagazine/03_august_2018/MobilePagedReplica.action?u1=40952320&pm=2&folio=490#pg102

http://science.sciencemag.org/content/sci/suppl/2018/07/24/science.aar7268.DC1/aar7268_Orosei_SM.pdf

Le 31 juillet, Mars sera au plus près de la Terre. Mais qu’est-ce que cela veut dire ?

Après être passé à l’« opposition » du Soleil, le 27 juillet, c’est-à-dire avoir intersecté sur son orbite une ligne prolongeant l’axe Soleil – Terre à l’« opposé » du Soleil, la planète Mars sera le 31 juillet au plus près de la Terre, à 57.614.515 km, du moins pour ce qui est de la révolution synodique dans laquelle nous nous trouvons. Ce ne sera cependant pas le minimum possible puisqu’il est de 54.546.844 km (différence entre aphélie terrestre et périhélie martien). Cet événement que nous allons vivre n’en est pas moins rare. Le passage récent le plus proche, on pourrait dire d’une « rareté intermédiaire », à 55.758.118 km, a eu lieu le 26 août 2003. Nous n’avions pas été aussi proches de Mars depuis 59.619 ans et nous ne le serons plus avant le 28 août 2287 (55.688.405 km). Mais lors du prochain « rendez-vous » synodique, le 13 Oct. 2020, la distance sera de 62,1 millions de km (le maximum étant la différence entre l’aphélie martien et le périhélie terrestre soit 99.630.843 km).

La raison de ces différences c’est que Mars parcourt une orbite beaucoup plus longue que celle de la Terre (normal puisqu’elle est plus éloignée du Soleil) et qu’elle le fait à des vitesses nettement différentes selon qu’elle s’approche ou s’éloigne du Soleil (max. 26,499 km/s et min 21,972 km/s) parce que son orbite est très excentrique (0,09341233). Autrement dit Mars est au plus près du Soleil (périhélie) à 206.644.545 et au plus loin (aphélie) à 249.228.730 km alors que la Terre a une orbite beaucoup plus circulaire (excentricité 0,01671022), avec des extrêmes de 149.597.887,5 km et 152.097.701 km. La vitesse de la Terre est plus grande (normal puisqu’elle est plus proche du Soleil) et avec des variations moindres en raison de cette faible excentricité (30,287 km/s et 29,291 km/s aux extrêmes).

NB: Sur le long terme il y a évolution. Les planètes appartiennent à un système et sont soumises à l’influence des autres composants de ce système, notamment celle des planètes géantes. Le grand axe de l’ellipse de l’orbite de Mars fait « le tour du cadran » en 135.000 ans et au cours de cette période, la forme de l’ellipse se déforme, l’excentricité se réduisant puis ré-augmentant, mais la longueur du trajet parcouru et la vitesse moyenne (24,077 km/s pour Mars) à laquelle elle l’est, restent les mêmes.

Le résultat de ces différences c’est que les planètes en parcourant leur orbite, “se rejoignent” en opposition après des durées différentes de leur propre année. L’année martienne est de 686,96 jours mais sa période synodale (le temps qui sépare deux positions identiques de Mars dans notre ciel terrestre), est de 779,96 jours, soit deux ans et 50 jours (presque 26 mois) car la planète est plus lente que la Terre. Nous la retrouvons donc à la fin de cette période synodale, un peu plus loin sur notre orbite que ne donnerait un déplacement de Mars à notre propre vitesse, soit la distance parcourue entre 779,96 et 686,96 jours à la vitesse de Mars. Et cette distance est variable puisque la « rencontre » va se faire à un endroit de l’orbite de Mars où cette dernière est en phase de ralentissement ou d’accélération. A cette « complication » il faut ajouter celle, plus légère, de la vitesse différente de la Terre et de sa distance différente (compte tenu de son excentricité, certes faible mais réelle). Pour faire « le tour du cadran » (aller de la position où les deux planètes sont au plus près, à celle où elles sont au plus loin puis au plus près), il faut environ 15 ans (de 15 à 17 ans) mais le retour n’assure pas la situation optimale. Le passage au plus près peut se faire alors que les planètes ne sont pas sur leur orbite à l’aphélie pour la Terre et au périhélie pour Mars, d’où les espaces de temps très longs entre rencontres optimales mentionnés dans le premier paragraphe.

Le résultat c’est aussi que, après avoir « dépassé » Mars sur sa voie quasiment parallèle, la Terre la laisse derrière elle et s’en éloigne de plus en plus. Le point symétrique de l’opposition, c’est la « conjonction » c’est-à-dire la position où Mars et la Terre se trouve sur une même ligne avec le Soleil mais avec le Soleil au milieu (le terme remonte à l’ancienne astronomie où l’on n’avait aucune notion de la distance des astres et où l’on pouvait penser que la planète rejoignait le Soleil et c’est bien ce qui se passe visuellement). Cette situation se retrouve au milieu de chaque période synodique ; il faut donc également 779,96 jours pour se retrouver d’une conjonction à la suivante. La particularité remarquable de cette situation pour l’époque astronautique dans laquelle nous entrons, c’est que pendant une quinzaine de jours les communications entre les planètes par ondes électromagnétiques sont impossibles du fait de l’obstacle que constitue le Soleil (elles ne le traversent évidemment pas !)*. L’autre particularité c’est qu’à ce moment là les deux planètes sont le plus éloignées qu’il est possible qu’elles soient au cours d’un cycle synodique (401.326.431 millions de km lorsque la Terre est à son périhélie alors que Mars est à son aphélie, actuellement, et seulement 201.144.731 millions lorsqu’elles seront toutes deux à leur périhélie de part et d’autre du Soleil).

*un jour sans doute, on positionnera des satellites « troyens » sur l’orbite de Mars d’une part ou de la Terre d’autre part, pour servir de relais…ce qui permettra les communications entre les deux planètes mais rallongera un peu la durée nécessaire aux échanges alors que cette durée est déjà maximum (22 minutes dans un seul sens).

Alors pour aller sur Mars, quelle distance faut-il parcourir ? Certains se contenteraient bien de 55 millions de km mais…c’est tout simplement impossible, sauf pour la lumière (qui n’a pas de masse) et la distance de conjonction (401 millions de km maximum aujourd’hui) ne sera même pas suffisante comme je vous le dirai plus tard. Mais considérons d’abord les 55 millions de km. Il faut bien voir que lorsque l’on quitte la Terre on est animé par la vitesse…de la Terre (quelques 30 km/s) et qu’on se déplace sur son orbite. Avec nos moyens technologiques (propulsion chimique), on peut espérer au mieux acquérir une vitesse supplémentaire initiale de quelques 3,5 km/s, après libération de l’attraction terrestre, vitesse qui nous permet de nous en éloigner tangentiellement et qui, de plus, se réduira petit à petit. Il nous faut d’abord sortir de la « sphère de Hill » de la Terre (le volume où l’attraction terrestre bien que faible reste dominante sur tout troisième corps, par rapport à celle du Soleil, de telle sorte qu’une satellisation autour de la Terre y est toujours possible) et on en sort (dans l’hypothèse des 3,5 km/s) avec une vitesse de l’ordre de 2,5 km/s. Ensuite on va aller doucement vers Mars en perdant sous l’influence gravitationnelle solaire, de plus en plus de vitesse. On arrive ainsi, péniblement, à proximité de Mars à une vitesse proche de celle-ci (une vingtaine de km/s).

Pour se déplacer dans l’espace, tout petits et faibles que nous sommes, il nous faut donc faire comme au judo, utiliser la force des « adversaires » (ces forces qui frontalement nous dominent) et d’abord profiter de la vitesse de la Terre et ensuite de la capture par la gravité martienne. Car il faut aussi ne pas aller trop vite en arrivant dans l’environnement de Mars, sinon il faudrait freiner donc dépenser de l’énergie, donc gaspiller de la masse et du volume. En arrivant plus ou moins à la vitesse de Mars, nous allons naturellement « tomber » sur Mars et ne devrons utiliser notre énergie que pour freiner notre chute, d’autant qu’à vitesse réduite on pourra bénéficier du freinage « naturel » et gratuit offert par son atmosphère (en le modulant en fonction de l’angle de pénétration choisi).

Alors, si on ne peut pas espérer se limiter aux 55 millions de km (et quelques!) de l’opposition, arrivera-t-on au voisinage de Mars à son point de conjonction par rapport à notre position de départ (départ tangentiel, arrivée tangentielle), après n’avoir parcouru au pire que 401 millions de km ? Certainement pas. Il faudra compter au moins une centaine de millions de km de plus car le Soleil est là et sa masse courbe les trajectoires du fait de la gravité qu’elle génère. On est obligé de subir cette contrainte en parcourant non pas une ligne droite mais un arc d’ellipse, plus ou moins long en fonction de la position respective de Mars par rapport à son périhélie et son aphélie…et par rapport à notre date de départ.

Il faut en effet penser à la date. Quand on part de la Terre vers Mars ou de Mars vers la Terre, il faut s’assurer que non seulement on rejoindra l’orbite de la planète de destination mais que la planète sera bien là quand on y arrivera et cette date essentielle, on la retrouve tous les 26 mois (encore la période synodale). On parle de « fenêtre de lancement » et inutile de rêver à des dates en dehors de ces fenêtres, les couts énergétiques et donc de masses utiles transportées, deviennent très vite tout à fait exorbitants et rédhibitoires. On ne peut pas « courir » après Mars ou la Terre en accélérant si nous l’avons « ratée » ; nous n’avons pas et n’aurons jamais la puissance nécessaire.

Jouer avec cette mécanique dont les paramètres variables sont très nombreux est une science, celle de l’astronautique, et elle est encore plus complexe à maîtriser que la science de la navigation car elle fait intervenir la dimension du Temps et celle de l’énergie disponible au départ, dans des conditions extérieures particulièrement hostiles. Aucune faute ne peut être pardonnée*.

*il y a bien, dans certains cas, possibilité d’une trajectoire dite “de libre retour” mais celle-ci n’est possible qu’à une certaine vitesse d’arrivée à hauteur de l’orbite de Mars donc d’une certaine vitesse impulsée au départ de la Terre (propulsion chimique)…C’est un autre sujet!

Image à la Une: trajectoire apparente de Mars dans le ciel de la Terre au cours de la période. Vous remarquerez la boucle de cette trajectoire. Elle est due à ce que la Terre se déplace plus vite que Mars dans le système solaire. Ici nous la rattrapons et la dépassons (elle est devant nous jusqu’à la boucle et nous la laissons derrière nous après).

NB: pour référence notre distance à Jupiter varie de 588,52 à 968,72 millions de km et notre distance à Vénus de 40,66 à 261,04 millions de km.

lecture: un exemple d’étude de trajectoires, “Interplanetary Mission Design Handbook (NASA 1998) : Earth-to-Mars Mission Opportunities and Mars-to-Earth Return Opportunities 2009–2024”:

http://www.ltas-vis.ulg.ac.be/cmsms/uploads/File/InterplanetaryMissionDesignHandbook.pdf

La pérennité du « Système de support vie avancé » du vaisseau Terre est en question, nous sommes responsables

Nous sommes tous embarqués dans le vaisseau-spatial « Terre » qui, sous l’emprise gravitationnelle de son étoile, le Soleil, orbite autour du centre de notre galaxie à la vitesse « folle » de 200 km/s. Notre système approche et s’éloigne des systèmes voisins mais les distances aux étoiles proches qui sont emportées comme nous-mêmes dans cette gigantesque ronde, restent énormes puisqu’elles se chiffrent en années-lumière, 4,3 pour Proxima du Centaure notre plus proche voisine aujourd’hui. Il faut environ 27.000 ans à la lumière émise par le Soleil pour parvenir jusqu’au centre de la Voie Lactée dont le diamètre est d’environ 100.000 années-lumière et dont nous ne faisons le tour qu’en 240 millions d’années. La dernière fois que nous étions au même endroit par rapport à ce centre, le Trias de notre histoire géologique commençait et la vie récupérait après l’une des grandes-extinctions les plus terribles connues qui avait marqué la fin du Permien. Les premiers dinosaures ainsi que les thérapsides, nos ancêtres reptiliens qui avaient survécu à un abaissement considérable de la quantité d’oxygène dans l’atmosphère, avaient un boulevard devant eux.

Le temps a passé, les dinosaures ont acquis une position dominante puis ont disparu lors de la grande-extinction suivante qui a laissé le champ libre aux mammifères il y a 65 millions d’années et nous voici, nous les hommes, petits nouveaux en ce monde puisque notre espèce ne remonte qu’à 3 millions d’années (ou 7 si l’on part de la différenciation de nos ancêtres d’avec ceux des grands singes), pleins de capacités extraordinaires mais aussi pleins d’arrogance, en train de provoquer la « sixième » grande-extinction ! Il ne faut en effet pas être « grand-clerc » pour constater la catastrophe écologique dans laquelle nous nous enfonçons, de notre fait. Mais nous avons des œillères et en plus la vue courte.

Où en sommes-nous ? La population humaine de la Terre a dépassé les 7,3 milliards d’individus, elle n’avait pas atteint les 2,5 milliards quand je suis né, avant 1950, et on nous dit qu’elle pourrait dépasser les 9 milliards en 2050 (projection moyenne). Certains s’en réjouissent, d’autres s’en moquent, je m’en effraie. Réfléchissons ! Un quadruplement en cent ans, est-ce bien raisonnable ? Sommes-nous si certains que notre « vaisseau » Terre disposera, demain comme aujourd’hui, des ressources nécessaires et que nous saurons les exploiter de telle sorte qu’elles restent suffisantes et puissent se renouveler pour « la suite » ? Déjà nos frères animaux non-domestiques disparaissent par espèces entières à une vitesse effectivement indicative d’une grande extinction. Notre égoïsme est insondable ; nous ne pensons qu’à nous. Mais au-delà de cet aspect moral, nous faisons comme si nous n’avions pas besoin des autres formes de vie, comme si leur disparition pouvait nous laisser indemnes, comme si nous étions de purs esprits. Nous persévérons dans les comportements suicidaires. Les sacs plastiques envahissent non seulement nos décharges sauvages sur Terre mais aussi nos océans. Le taux de gaz carbonique atteint des niveaux jamais atteints depuis des centaines de millions d’années, les poussières de natures diverses nous empoisonnent littéralement, la température globale monte, les banquises de glace fondent en milliers de km3. Les coraux meurent, les tortues meurent, les poissons meurent, les insectes meurent, les oiseaux meurent, les gros mammifères sauvages ne sont plus que des souvenirs et nous pensons « nous en tirer » !? Qui va polliniser nos fleurs ? Comment contrôler notre équilibre climatique et celui, biochimique, de nos sols ? Qui va contrôler l’équilibre biologique de notre environnement, y compris microbien ? J’ai été très choqué d’apprendre récemment que la forêt avait quasiment disparu de Côte-d’Ivoire ; les média en ont vaguement parlé à l’occasion des problèmes que cela posait pour la pousse des cacaoyers ! Et le reste ? Ce pays était à 90 % couvert de forêt quand j’étais jeune. En Amazonie c’est pareil, on fait pousser du soja après avoir brûlé la forêt primaire. En Indonésie, on fait pousser des hévéas sur les cendres des arbres d’essences prodigieusement variées qui poussaient sur ce sol depuis des dizaines de millions d’années et tant pis pour ces espèces végétales et pour les orangs-outans (et les autres animaux) qui meurent par milliers alors qu’ils sont sur le point d’extinction. La forêt c’est la production d’un solde positif d’oxygène pour la planète, c’est la diversité de la vie, toutes sortes de molécules y ont été concoctées depuis plusieurs centaines de millions d’années, nous en avons besoin pour élaborer nos médicaments, pour nous nourrir, pour que les autres formes de vie puissent persister. Sommes-nous si stupides que nous pensions pouvoir nous en passer ?! Certains parmi nous sont conscients. Ils doivent non seulement alerter mais faire prendre conscience aux autres du grand danger et faire appliquer les solutions. Il n’y en pas « trente-six » mais seulement trois. Il y a obligation de résultat et la voie est très étroite.

La première solution, et ça déplaira aux « bonnes-âmes » mais tant pis, c’est de stopper l’explosion démographique. La population humaine n’est pas sur le point de disparaître faute de naissances, elle est en train d’étouffer sous les naissances. Et n’en déplaise aux mêmes bonnes-âmes c’est dans les pays « en voie de développement » et surtout en Afrique mais aussi en Asie ou en Amérique Latine que le problème se pose. C’est dans ces pays qu’il faut changer les mentalités, éduquer, introduire le planning familial, faire comprendre, car dans les autres les populations se sont stabilisées. Les adultes doivent accepter que les enfants ne soient pas la seule solution pour leur permettre de survivre dans leurs « vieux jours », les œuvres humanitaires, que leur rôle n’est pas de favoriser le plus possible de naissances mais uniquement celles pour lesquelles il y a une issue vers une bonne éducation et une évolution responsable et viable. Il est trop facile de dire qu’il y a suffisamment de richesses pour tous ou que l’on peut facilement en créer, ce n’est pas vrai.

La deuxième, c’est de gérer nos ressources et nos déchets beaucoup plus sérieusement. Une des caractéristiques essentielles de la vie depuis les premiers procaryotes c’est que l’organisme vivant se sépare de ses rejets métaboliques. Nous le faisons individuellement plus ou moins bien mais nous le faisons collectivement de façon toujours catastrophique sans nous soucier suffisamment de la récupération / réutilisation et de la pollution. Si nous ne changeons pas nos pratiques, nous sommes condamnés de ce fait à disparaître. L’« écologie-industrielle » théorisée par le Professeur Süren Erkman (Université de Lausanne) est la voie qu’il faut suivre. Elle consiste à refuser le retour en arrière, vers un âge d’or bucolique qui n’a jamais existé et que l’on ne pourrait plus supporter compte tenu de notre nombre et de nos standards civilisationnels, et à choisir un traitement technologique de la situation. Ne crachons pas sur le progrès, c’est la seule solution pour continuer notre développement économique tout en réduisant notre impact écologique. Cela veut dire qu’il faut être toujours plus économes de nos ressources, utiliser ces ressources en pensant toujours à limiter les dégâts que nous causons, réutiliser tout ce que nous avons déjà extrait du sol de notre planète et se mettre en capacité de le faire dès le début de tout processus industriel, pour éviter les productions trop difficiles à recycler. Pour évoluer au mieux selon cette ligne, il faut voir que les missions spatiales longues et lointaines sont des « analogues » précieux pour étudier et mettre en application la soutenabilité des processus pour la Terre; il faut prendre conscience que le contrôle des systèmes clos étudiés pour l’espace (projet MELiSSA par exemple) introduit des connaissances spécifiques indispensables pour mettre en place une « économie circulaire » sur Terre et qu’il faut donc considérer ces études avec sérieux et les faire progresser très vite (ce qui n’exclut pas, bien au contraire, l’investissement dans les innovations ni la croissance des richesses).

La troisième c’est de partir essaimer ailleurs. Nous savons que pour qu’un système aussi colossal que le système écologique anthropisé terrestre se redresse, il faut prendre en compte une force d’inertie considérable. Tel pays (dont probablement la Suisse) prendra assez facilement des mesures conservatives et dynamiques, d’autres (comme la Chine) ne les prendront que contraints et forcés par les nuisances dont ils souffrent de leur fait* mais les prendront tout de même, d’autres enfin ne le feront que sous la pression de la collectivité mondiale. Dans ces conditions nul ne peut dire aujourd’hui que les conséquences de l’accélération de l’explosion démographique et de la pollution commencée dans les années 1960 pourront être maîtrisées avant le naufrage corps et bien de notre humanité. Il nous faut une solution de rechange à un éventuel échec sur Terre. Il nous faut au moins un canot de sauvetage ou plutôt une nouvelle arche de Noé où nous tenterons de sauver ce que nous avons de plus précieux, nos graines et notre mémoire ; il nous faut très vite une base martienne créée pour durer et nous survivre en cas de besoin.

*L’exploitation des terres-rares, notamment, a conduit à des situations écologiques épouvantables.

Nous sommes responsables de notre destin. Nous avons un devoir vis-à-vis de nos ascendants dont nous portons la mémoire, vis-à-vis de nos descendants auxquels nous préparons un enfer si nous ne faisons rien ou pas assez, et vis-à-vis de l’Univers entier car les êtres conscients et capables de communiquer et de se diriger en fonction de leur volonté y sont sans doute extrêmement rares ; nous sommes peut-être les seuls, un merveilleux accident non reproductible de l’Histoire. Réfléchissez et agissez! Si nous ne faisons rien ou pas assez, le Soleil et le vaisseau Terre qui lui est indissolublement lié continueront certes leur « course folle » autour du centre galactique, mais ses passagers humains, nos descendants directs, ne pourront bientôt plus s’en émerveiller ou en parler car, prisonniers de leur unique planète de naissance, ils seront tous morts étouffés par la masse de leurs enfants et sous leurs propres déjections.

Lecture :

« Vers une écologie industrielle » Par Suren Erkman chez Charles Léopold Mayer (2004).

« La guerre des métaux rares (la face cachée de la transition énergétique et numérique) » par Guillaume Pitron, éditions « Les Liens qui Libèrent » 2018.

Image à la Une: La Terre avec en premier plan la Lune. Photo prise par la sonde japonaise SELENE / “Kaguya” en 2008. Crédit JAXA / NHK. Une planète bleue et chaude dans un univers gris et noir. Toute notre humanité, toute notre histoire sont là dans ce globe précieux. Nous lui devons notre amour et notre respect.

La NASA va envoyer un hélicoptère sur Mars

Le nouvel administrateur de la NASA, Jim Bridenstine, l’a décidé, la mission « Mars-2020 » de la NASA, qui quittera la Terre en juillet 2020, emportera un mini-hélicoptère avec elle. Cela ouvre des perspectives très intéressantes.

Une difficulté majeure que les missions martiennes en surface doivent affronter est le caractère souvent extrêmement agressif du sol pour les roues puisqu’il n’y a évidemment pas de route et que par ailleurs l’érosion a été faible donc que les roches sont coupantes. On le voit bien sur les photos que Curiosity prend périodiquement de son train de roues. Elles nous inquiètent car on y voit depuis longtemps des déchirures sur la bande de roulement en aluminium alors qu’elles étaient prévues pour parcourir un terrain difficile pendant aussi longtemps que durerait l’approvisionnement en énergie de l’appareil. La conséquence est que l’on doit ménager ces roues au détriment de la visite de sites qu’on voudrait examiner de plus près. Que de fois le rover est passé hors d’atteinte de reliefs dont on ne pouvait que rêver de s’approcher ou près desquels on était passé et qu’on regrettait de ne pas avoir étudiés (par exemple les supposés tapis microbiens fossiles que la paléo-biogéologue Nora Noffke a cru voir sur le site Gillespie Lake Member fin 2014) ! Par ailleurs, la visibilité est limitée. On se demande toujours ce qu’il peut y avoir « derrière » ou « plus loin ». Enfin certains endroits peuvent être dangereux et contraindre à des détours. Rappelons-nous que Spirit s’est ensablé, que sa mission s’est de ce fait terminée prématurément et que les pentes fortes sont intéressantes à explorer (examen de leurs strates) mais qu’au-delà d’un certain degré de déclivité, on ne peut s’y risquer.

Il y a donc un besoin, celui de s’élever au-dessus du sol pour voir un peu plus loin ou pour aller « quelque part » et y aller vite (car le temps est toujours compté puisqu’on souhaite faire le maximum d’observations dans le cadre d’une mission et que le rover peut subir une défaillance fatale prématurée). Pour cela deux solutions, le plus lourd ou le plus léger que l’air. Dans les deux cas, le problème est la faible densité de l’atmosphère, en ordre de grandeur environ 100 fois moins élevée que sur Terre (610 Pascal en moyenne, au « datum », 1100 Pascal maximum, au fond du bassin d’Hellas et quelque 30 Pascal, minimum, au sommet d’Olympus Mons). C’est très peu pour la portance ou la traînée (« lift and drag ») d’un observateur « volant ». Compte tenu de la composition de l’atmosphère (CO2), meilleure de ce point de vue que notre mélange oxygène et azote, ces facteurs donnent, pour les pressions de 600 à 1100 Pascal, l’équivalent des conditions que l’on a, sur Terre, vers 30 à 35 km d’altitude au-dessus du niveau de la mer. A ces altitudes, la stabilité est précaire et les phénomènes chaotiques possibles (« nombre de Reynolds » élevé). Et plus on s’élève plus cette instabilité s’aggrave. Nous ne discuterons pas ici des avantages ou des inconvénients du plus léger que l’air puisque le sujet est l’hélicoptère. Disons seulement en ce qui concerne le premier, qu’il présente l’avantage d’être peu consommateur d’énergie une fois gonflé (principalement pour la propulsion) et qu’il pourrait donc mener des missions longues. Ses inconvénients sont (1) le poids de l’enveloppe et de la structure, accessoirement du gaz – hydrogène de préférence puisque le plus léger – et (2) le volume puisque le différentiel entre pressions intérieure et extérieure est faible, et en conséquence la prise au vent.

Ce premier hélicoptère de la NASA (« Mars Helicopter Scout ») est naturellement prévu comme un essai ou une démonstration de faisabilité en situation réelle plus que comme un instrument d’observation. L’étude a commencé en 2013, avec GeorgiaTech, une des meilleures écoles d’ingénieurs des Etats-Unis, et le résultat que l’on voit sur la vidéo de la NASA est impressionnant car celle-ci montre qu’il a bel et bien volé de façon satisfaisante dans une atmosphère raréfiée équivalente à l’atmosphère martienne (composition et densité). La raison du succès est sans doute (1) la giration en sens contraire des deux rotors coaxiaux (configuration éliminant le besoin d’un « rotor de queue »), et (2) le fait que la rotation se fait à très grande vitesse (3000 tours par minute donc 10 fois la vitesse de rotation des rotors d’hélicoptère traditionnel). La configuration assure la stabilité directionnelle (un hélicoptère « classique » se met à tourner sur lui-même si son rotor de queue est défaillant) car la rotation en sens contraire des deux rotors assure un « couple en lacet » nul. La grande vitesse de rotation permet de générer un flux d’air vers le bas suffisamment rapide pour créer par réaction, malgré la faible densité de l’atmosphère, la sustentation requise pour soulever la masse de l’appareil soumise à la gravité martienne.

Bien sûr la masse de l’hélicoptère est faible (1,8 kg) et l’énergie embarquée étant limitée (batterie Lithium-ion rechargée par panneaux solaires sur le corps de l’hélicoptère) l’appareil ne pourra faire que de petits vols (maximum prévu de 2 à 3 minutes, par jour) d’autant que la vitesse de rotation rapide des pales doit en être très consommatrice. Ces petits vols lui permettront cependant de parcourir jusqu’à 600 mètres en distance (aller et retour!) et de monter jusqu’à 40 mètres du sol mais l’appareil pourra aussi faire du « sur-place » et cela est très important pour l’observation. Notons la taille impressionnante de ces pales : 120* centimètres (pour un corps cubique de 14 cm de côté) !  On imagine difficilement de plus gros hélicoptères martiens avec ces proportions mais ce n’est pas nécessaire si l’appareil doit simplement reconnaître le terrain sur la trajectoire d’un rover ou s’il doit prendre des photos ou analyser la composition par spectrométrie d’une roche inaccessible au rover.

*dimension pour le « diamètre » balayé (en fait deux longueurs de pales).

Entre les vols, l’hélicoptère une fois déposé au sol (détaché du « ventre » du rover) n’aura plus de connexion fixe au rover et communiquera avec lui par ondes (envoi de l’ordre de mission, retour d’images ou de données observées et renseignements sur l’état de l’appareil).

Espérons que cette démonstration technologique soit un succès. Cela faciliterait énormément les missions robotiques. Mais attention ! Sans homme en prise directe avec l’appareil (impossible compte tenu du « time-lag » entre Mars et la Terre), tout doit être programmé. L’appareil ne pourra donc servir que pour les repérages puis ensuite les observations à distance, plus que pour les collectes d’échantillons qui supposent toutes sortes de capteurs (et d’intelligence artificielle, comme on dit) qui sont probablement encore difficile à mettre au point (identification de l’objet « intéressant », descente jusqu’au sol ou en sustentation immobile à proximité, prélèvement) et qui représentent une masse complémentaire aux instruments d’observation qu’il serait de plus en plus difficile de soulever.

Image à la Une: vue d’artiste de l’hélicoptère en opération sur Mars. Crédit NASA.

Source :

NASA : note de presse 18-035 du 11 mai 2018:

https://www.nasa.gov/press-release/mars-helicopter-to-fly-on-nasa-s-next-red-planet-rover-mission

Naître et mourir sur Mars

Si l’homme veut un jour s’établir durablement sur Mars, il est évident qu’il doit anticiper sa naissance, sa vieillesse et sa mort sur cette planète. Pour les personnes hostiles au projet cela constitue un obstacle de plus, pour nous autres, « Martiens de cœur », c’est un de nos sujets de réflexion avant d’être le défi à relever par les « Martiens de chair » qui vivront effectivement sur Mars.

Transportons nous par la pensée après les premières missions d’exploration habitées, après qu’on aura bien vérifié que le voyage est faisable, qu’on dispose du support-vie suffisant pour satisfaire à nos besoins vitaux pour la totalité d’une période de révolution autour du Soleil et donc qu’on peut attendre 18 mois sur place sans réapprovisionnement d’aucune sorte. Dans ce contexte, beaucoup de voyageurs vont souhaiter rentrer sur Terre après 24 mois d’absence (18 + 6 pour le voyage aller) mais certains préféreront rester, parmi eux des hommes et des femmes encore jeunes, attirés par l’autre sexe et désirant avoir des enfants. Que va-t-il se passer ? Le sujet a été traité récemment dans une étude scientifique* (publiée le 23 avril 2018) qui présente un intérêt mais qui à mon avis, ignore certaines particularités martiennes ou met en avant de faux problèmes concernant « la valeur de la vie humaine », « la politique d’avortement », « Mars comme lieu en dehors des valeurs morales », « la sélection sexuelle et l’engineering génétique ».

Je parlerai peu de la conception car je crois que l’homme est assez imaginatif pour passer cette étape. Je suppose que l’attirance naturelle entre homme et femme existera toujours. Certains mettent en avant les difficultés pour l’intimité posées par la promiscuité. Il est vrai que pendant le voyage, l’exiguïté relative du vaisseau spatial pourrait poser problème mais de toute façon, pour d’autres raisons développées plus tard, un début de grossesse dans ce contexte ne serait pas souhaitable. Il faudra donc que les partenaires prennent leurs précautions pour que la femme ne tombe pas enceinte avant l’arrivée. Sur Mars le problème ne se posera pas car grâce aux habitats gonflables puis aux excavations faites dans la roche (sols ou falaises), les hommes disposeront très vite de volumes de vie suffisants. Un problème connexe, celui du caractère des colons sera forcément traité. On ne laissera pas partir sur Mars des personnes présentant des signes manifestes de difficultés relationnelles. Pour les générations nées sur Mars, cette précaution n’aura évidemment aucun effet mais une sanction possible pour les personnes asociales pourrait être l’exil sur Terre (tant que la Terre existera !). Par ailleurs il me semble prudent de ne sélectionner pour le départ que des couples notoirement stables.

Les auteurs de l’étude mettent en avant le risque des radiations. L’on sait bien que l’espace est un milieu très hostile pour cette raison. Le flux régulier de radiations solaires (« SeP » pour « Solar energetic Particles »), composé quasi exclusivement de rayonnements électromagnétiques et de radiations particulaires constituées de protons, ne peut être supporté pour une durée indéfinie. Et de temps en temps le soleil émet des bouffées de radiations particulaires beaucoup plus denses (tempêtes solaires, « SPE », « Solar Particle Events », certains correspondant à des « CME », « Coronal Mass Ejections ») tandis que constamment la Galaxie nous envoie à faibles doses, des radiations que l’on appelle  « GCR », « Galactic Cosmic Rays »). Parmi ces radiations un petit pourcentage (2% de 98%) est composé de noyaux atomiques lourds, HZE (pour High, atomic number -Z, Energy)  jusqu’au fer, extrêmement énergétiques et évidemment dommageables pour nos organismes compte tenu de leur masse et de leur vitesse. Ces HZE de GCR traversent toutes les protections, en produisant des rayons gamma lors du contact.

Pour une durée de voyage jusqu’à Mars (supposons 4 à 6 mois et non 7 à 9 comme dans l’étude précitée car pour le transport de passagers on dépensera plus d’énergie et on emportera moins de masse), la dose « normale » de radiations serait cependant supportable (même si l’on dit officiellement qu’elle doit être « ALARA » c’est à dire « as low as reasonably achievable ») d’autant que l’on peut prévoir des protections contre les rayonnements solaires comme les vestes de type astrorad (de la société israélo-américaine Stemrad) riches en protons et des caissons entourés des réserves d’eau et de nourriture de la mission, en cas de SPE (l’eau comprenant beaucoup de protons – dans l’élément H – freine efficacement les protons solaires ou galactiques). Les femmes sont certes plus sensibles que les hommes (moindre masse corporelle) et leur appareil reproductif plus fragile mais, protégées comme mentionné ci-dessus, elles pourraient passer l’épreuve au moins une fois aller et retour.

NB : on ne peut envisager qu’une jeune femme devienne « pilote de ligne » sur la boucle Terre-Mars-Terre mais je ne pense pas que cela pose un problème rédhibitoire à l’établissement de l’homme sur Mars.

Une fois sur Mars, le problème des radiations ne se poserait plus ou plutôt il pourrait être géré. En effet la surface de Mars bénéficie d’une certaine protection par l’atmosphère (et ce d’autant plus que l’altitude est basse, donc le manteau plus épais). Au fond du cratère Gale (4,3 km en dessous du « datum », niveau zéro d’altitude), la protection est telle que le niveau des radiations n’excède pas celui prévalant au niveau de l’orbite de l’ISS et l’on sait que les astronautes, femmes et hommes, qui ont séjourné de longues périodes dans cet habitat, ne sont pas pour autant plus souvent morts de cancer que leurs contemporains. On peut prévoir de toute façon, parce que le séjour des résidents martiens sur Mars sera très long, que les jeunes femmes et les enfants restent la plupart du temps à l’abri d’une protection quelconque (dôme de glace – 40 cm – ou couche de régolite – 2 mètres – ou roche au-dessus de cavernes naturelles ou creusées). Sur Terre, les hommes vivent de plus en plus « à l’intérieur » (bureaux, habitats) et sur Mars on vivra aussi largement « à l’intérieur », en commandant en direct toutes sortes de robots affrontant les conditions extérieures martiennes hostiles. Bien entendu cela n’exclut pas les « sorties » en scaphandre. Simplement on aura droit à d’autant moins de sorties que l’on est plus jeune (ou femme en âge de procréer) et il faudra prévoir à distances régulières des refuges à utiliser en cas de tempêtes solaires.

Un problème cependant subsiste, c’est celui de la gravité réduite. Là aussi comme pour les radiations, inutile de fantasmer sur les dangers, en l’occurrence ceux de la microgravité (comme le font les auteurs de l’étude précitée) car elle ne durera que le temps du voyage et encore si l’on ne prend pas de disposition pour créer une gravité artificielle dans le vaisseau, ce qui semble possible, d’une manière ou d’une autre (force centrifuge dans tout ou partie du vaisseau recréant par rotation une gravité artificielle*). Mais il serait souhaitable de constater le plus tôt possible les effets d’une gravité martienne de 0,38g sur le développement d’un fétus. A priori je ne vois pas de contre-indication étant donné que le fétus se développe en suspension dans le liquide amniotique de sa mère mais il serait préférable de ne pas se refuser l’expérimentation sur de petits mammifères avant l’expérience humaine. La gestation devrait être moins fatigante pour la femme; l’accouchement un peu plus problématique (phase expulsion) mais en Europe les femmes accouchent le plus souvent couchées. Ensuite, on peut penser que, pour l’enfant et l’adolescent non formés sur Terre, le squelette développé en gravité réduite puisse être plus fragile que sur Terre et donc non facilement adaptable à la vie terrestre. Ce risque est probablement réel même si on peut imaginer des remèdes (calcification médicamenteuse, musculation). Un risque annexe est celui de l’infection car la microgravité crée un terrain favorable à la prolifération bactérienne alors que les femmes enceintes connaissent un état transitoire immunodépressif. On ne connait pas les risques dans ce domaine résultant non de la microgravité mais d’une gravité partielle. Sont-ils proportionnels ? Il faudrait l’étudier. Il faudra évidemment protéger particulièrement les femmes enceintes de ce risque accru d’infection mais je pense que les premières femmes enceintes sur Mars seront de toute façon particulièrement suivies.

*On en parlera à notre Congrès EMC18, notamment dans le cadre d’une présentation de Claude Nicollier.

A supposer toutefois que l’adaptation aux conditions terrestres d’un corps humain développé sur Mars, s’avère très difficile, il faudrait donc envisager que les jeunes Martiens restent sur Mars. Je ne pense pas cependant que ce soit un châtiment épouvantable qui justifierait qu’on renonce à l’établissement de colonies sur Mars. Cette contrainte accélérerait d’ailleurs la création de telles colonies et permettrait d’atteindre assez vite la population viable minimum d’un isolat (évaluée à 6000* personnes par Chris Impey en 2015). Pour ce qui est du risque de consanguinité il n’y a sans doute rien à craindre car l’enrichissement de « sang neuf » sera constant ( à chaque rotation tous les 26 mois) et le seuil de risque de 500 personnes distinctes génétiquement sera très vite dépassé.

*chiffres à bien considérer en fonction des besoins d’une telle société et de nos capacités technologiques (notamment télécommunications et impression 3D). Richard Heidmann, fondateur de l’Association Planète Mars et polytechnicien, l’évalue plus proche de 1000 personnes seulement.

Les vieillards seront comme pour toute société, une charge sur le plan sanitaire mais il n’y a aucune raison de ne pas y faire face car la société martienne sera bien médicalisée (présence nécessaire de médecins aux compétences couvrant l’éventail des pathologies possibles avec tous les appareils – facilité par l’impression 3D – et tous les médicaments nécessaires) et en forte croissance (donc avec une pyramide des âges « en sapin », à très large base à partir des jeunes adultes). Les jeunes pourront sans problèmes « supporter » les vieux d’autant que les vieux seront sans doute nécessaires pour les jeunes (pourquoi ne pas confier leur éducation à ceux dont les forces physiques sont déclinantes mais les connaissances et l’expérience considérables ?).

Dans l’étude, les auteurs se posent des problèmes d’éthiques, plus précisément ceux de laisser accéder à la vie ou de garder en vie des êtres qui a priori seront à charge. En ce qui concerne l’euthanasie je ne vois pas sa nécessité en particulier pour ce qui résulte du grand âge. On peut cependant envisager que de grands malades touchés par une pathologie incurable et avec une espérance de vie pourtant encore longue, soient rapatriés sur Terre lors de la première fenêtre de retour (s’ils sont transportables mais au risque de mourir pendant le voyage). Pour ce qui est de l’avortement c’est un autre problème. Il est certain qu’il vaudrait mieux éviter de mettre au monde des enfants handicapés qui, par l’attention qui leur serait due, incapaciteraient pendant une longue durée leurs parents, membres difficilement remplaçables d’une petite communauté isolée. Ceci dit on sait prévoir de plus en plus les grossesses à risques et les interrompre. On le fait déjà assez généralement sur Terre et on le fera certainement sur Mars (à moins que des parents disposant des moyens financiers suffisants décident de les assumer ainsi que leur moindre productivité personnelle qui en résulterait). Pour être clair il n’y aura pas d’acharnement thérapeutique dans une communauté qui ne pourrait pas se le permettre.

Mais rassurez-vous, la vie sur Mars ne sera pas plus inhumaine que sur Terre.

*« Biological and social challenges of human reproduction in a long-term base » par Konrad Szocik, (dept of Philosophy and cognitive science, Uni. Of Information & technology & management) de Rzeszów, Pologne, et al. in Futures (publication d’Elsevier). 

Image à la Une : Luciana Vega sur Mars (crédit American girl / Mattel)