Des chercheurs travaillant avec le radar MARSIS à bord du satellite Mars Express de l’ESA, viennent de déduire de leurs observations, la probabilité forte d’eau liquide sous la calotte-polaire située au Pôle Sud de Mars. On s’y attendait. C’est une constatation importante mais ce n’est pas une découverte qui change vraiment les perspectives que nous avons de trouver de la vie sur Mars.
Les faits :
Le radar « MARSIS » ( pour « Mars Advanced Radar for Subsurface and Ionosphere Sounding ») observe le sol et le sous-sol de Mars depuis Juillet 2005 à partir d’une altitude variant de 800 à 1200 km. Les données exploitées pour le sujet ici traité ont été collectées de mai 2012 à décembre 2015. Le travail de recherche a été mené par une équipe de scientifiques italiens dont l’auteur principal est Roberto Orosei de l’Istituto Nazionale dei Astrofisica, de Bologne.
MARSIS est doté de deux antennes qui permettent de capter en même temps les échos provenant du sol et du sous-sol et il a été placé sur une orbite qui permet de passer au-dessus de l’ensemble de la surface de Mars. La technique radar utilisée, « RES » (« Radio Echo Sounding »), consiste à émettre des ondes à basses fréquences (radio, limite MF/HF) et à en récolter les échos. C’est la technique dont on se sert sur Terre pour détecter l’eau liquide sous les couches de glace.
La découverte se situe à 81°de latitude Sud (région de Planum Australe) donc tout prêt du pôle géographique actuel de Mars qui est couvert d’une calotte de glace d’eau permanente et d’une couche de gaz carbonique saisonnière. A noter que le Pôle Sud de Mars connait des températures beaucoup plus froides que le pôle Nord car l’hiver austral a lieu alors que Mars est au plus loin du Soleil (aphélie sur une ellipse allongée) et il est beaucoup plus long que l’hiver boréal car étant plus éloignée du Soleil, la planète se déplace alors à une vitesse plus faible (min. 21,92 km/s au lieu de 26,5 km/s max.).
Comme on le voit sur l’illustration de l’article, le radar a rencontré deux couches essentielles de réflexion. La première, la plus haute, est la ligne plate de la surface de l’inlandsis (limite entre deux milieux), la plus basse est la ligne moins régulière du socle sur lequel repose l’inlandsis, à 1,4 km en dessous. Entre les deux, les couches de dépôts de glace, « SPLD » (pour « South Polar Layered Deposits ») dont on voit vaguement qu’il y en a plusieurs, correspondent aux changements climatiques qu’a connu la planète et aux limites desquelles a dû se déposer de la poussière. Le contenu de poussière dans la glace vers la surface, est de l’ordre de 10 à 20%. Vers le socle la pureté est beaucoup plus grande.
Sur la couche de réflexion inférieure, on remarque des endroits très brillants ; en fait la brillance à certains endroits est nettement plus forte que celle de la couche de réflexion supérieure (haut de l’inlandsis). Comme vous le voyez sur le diagramme du bas de l’illustration, la ligne de l’écho reçu de la couche de réflexion inférieure passe au-dessus de la ligne de l’écho reçu de la surface. C’est la brillance de ces segments qui indique, à ces endroits précis, la présence d’eau à l’état liquide. On constate qu’ils s’étendent sur une vingtaine de km dans la zone étudiée (entre km 45 et km 65). Le substrat est très proche, la profondeur de la poche étant évaluée à quelques dizaines de cm, probablement un mètre. On est donc en présence de ce que je qualifierai d’« anomalie », d’un volume assez étendu mais très peu profond. La capacité de définition horizontale du radar n’est pas très bonne (en raison des longueurs d’ondes utilisées par MARSIS) surtout là où le signal de retour n’est pas fort et ne permet pas une reconstitution précise de la topographie autour de l’anomalie. La confirmation de la nature aqueuse de ce qui emplit ce volume est donnée par la « permittivité diélectrique » des couches traversées par le radar (cette permittivité étant un coefficient de pénétration/réflexion de l’onde radar). La glace se laisse pénétrer (permittivité tendant vers zéro), l’eau agit comme un miroir et elle a un coefficient très élevé; l’eau pure peut atteindre 78. Ici le coefficient constaté se situe pour l’essentiel entre 10 et 50 ; C’est évidemment beaucoup plus bas mais très nettement supérieur à celui d’autres éléments (rocheux) possibles (autour de l’anomalie le coefficient va de 4 à 12) et c’est aussi comparable à ce qu’on a obtenu pour des poches d’eau liquide sous la glace dans l’Antarctique ou au Groenland. On a donc affaire sans doute à une eau impure, c’est-à-dire à une saumure riche en sels de toutes sortes constatés ailleurs en surface de Mars, notamment en raison de la dissolution des fameux perchlorates de magnésium, de calcium et de sodium observés à une latitude un peu plus basse (68°N) par Phoenix en 2008 (et plus bas par les autres robots fonctionnant en surface). L’état liquide s’explique par la composition du liquide (saumure), la pression importante résultant de la masse de glace et aussi par la température interne de la planète. La température doit remonter, en descendant de la surface extérieure de la glace jusqu’au contact de l’anomalie, de 160 K (-113°C) aux environ de 205 K (-68°C) alors que le point de glaciation de l’eau, compte tenu des sels dissous, doit se situer entre 198 K et 204 K (-75°C à – 69°C). On se trouve donc, dans l’anomalie, quelque part au-dessus de ce seuil de 198 K.
Réflexion :
Peut-il y avoir de la vie dans ces conditions ? La réponse est « on ne sait pas ». Dans l’environnement terrestre aucune vie microbienne active n’a jamais été constatée à cette température et dans cette probable salinité. A noter que la température de l’eau du lac Vostok (eau douce !), sous la calotte-polaire de l’Antarctique, où l’on a effectivement trouvé des extrêmophiles, se situe autour de -3°C. Si des organismes vivants se trouvent dans cette anomalie martienne ils doivent provenir d’une souche développée ailleurs sur la planète où les conditions sont ou ont été moins hostiles. Cela suppose également qu’il y ait eu de la vie sur Mars, ce qu’on ne sait toujours pas.
Donc, « ne nous emballons pas » ! Il faut très certainement de l’eau liquide pour qu’il y ait de la vie mais ce n’est pas parce qu’il y a de l’eau liquide quelque part, qu’il y a de la vie.
Il y a d’autres endroits sur Mars où l’eau pourrait être liquide. Je pense aux suintements en surface (où dans le sous-sol immédiat protégé des radiations) dans une petite fourchette de degrés (-10°C à + 4°C ?) dans les régions où la pression atmosphérique est supérieure à celle du point triple de l’eau (610 Pascals), soit notamment le fond du Bassin d’Hellas (-8 km du Datum) où la pression est la plus forte (jusqu’à 1100 Pascals). Pour le reste, ce serait évidemment passionnant de trouver des poches d’eau à l’intérieur du sous-sol de Mars aux latitudes moyennes ou sous les inlandsis à ces latitudes que l’on a observés un peu partout et où le froid est peut-être moins intense. Pour l’instant et c’est la mauvaise nouvelle, MARSIS, ni l’autre radar embarqué sur MRO (NASA), SHARAD (qui pénètre moins profondément le sol car il opère à des fréquences plus élevées – HF vers 10Mhz), n’ont trouvé nulle part de telles poches et pourtant, ils cherchent !
Image à la Une : données radar collectées par MARSIS, crédit R.Orosei et al. Science, doi :10.1126/science.aar7268 (2018). Cette image et ce graphique sont l’occasion de mettre en avant la difficulté de l’analyse des données reçues des instruments d’observation. Le « lac » mentionné à l’envie par les media n’est pas aussi clairement identifiable que sur la photo d’un magazine de voyages.
Lecture : “Radar evidence of subglacial liquid water on Mars” publié dans Science le 25 juillet par R. Orosei et al. (Istituto Nazionale dei Astrofisica, Bologne) :
http://science.sciencemag.org/content/sci/suppl/2018/07/24/science.aar7268.DC1/aar7268_Orosei_SM.pdf