Nous ne regretterons pas le Président Obama

Les partisans de l’exploration de l’espace profond par vols habités (et de Mars en particulier) seront heureux du départ du Président Obama. Il a été en effet leur adversaire résolu. On a pu le constater une dernière fois à l’occasion de la présentation du budget 2017 pour la NASA (9 février 2016).

Le montant total de ce budget est de 19,025 milliards de dollars. Cela fait suite à une perspective de 19,285 pour 2016 et une réalisation de  18,01 en 2015 et de 17,67 en 2014 (milliards de dollars courants). Ce 21 avril, le Congrès (Senate Appropriation Committee) a relevé le montant à 19,306 milliards mais le processus législatif n’est pas arrivé à son terme et le Président peut toujours refuser d’approuver l’augmentation.

A première vue les chiffres ne semblent pas catastrophiques. Cependant, plusieurs éclairages montrent que cette « première vue » est trompeuse.

En dollars constants, les années Obama ont vu le budget décroître jusqu’à des niveaux jamais atteints depuis 1988. Et surtout, il est descendu à « presque rien » en pourcentage des dépenses fédérales (0,50%, comme en 1960, deux ans après la création de la NASA). Pendant le programme Apollo, qui a permis aux Américains d’aller sur la Lune, l’effort avait été relativement important puisqu’il était monté à 4,5% des dépenses fédérales en 1966 avant de redescendre à 1% en 1975 à la fin du programme. On était encore à ce niveau en 1992 mais, depuis, la baisse est constante et, de ce fait, la situation est aujourd’hui alarmante. Même constatation par rapport au PIB (« GDP »). On est passé de 0,8% en 1966 à 0,2% en 1975 et, après une quasi stabilisation jusqu’en 1992, on a entrepris une longue et lente descente, jusqu’à 0,1% aujourd’hui.

Dans le détail on voit encore que la présidence Obama a privilégié l’espace dans le sens « environnement-terrestre » par rapport à l’espace dans le sens « mondes-à-explorer ». Ce qui a intéressé le Président ce sont les « Sciences de la Terre ». Le directeur du « Bureau Sciences & Technologies » de la Maison Blanche, John Holdren, est d’ailleurs l’ancien patron du « Wood Hole Research Center », un écologiste de stricte obédience, partisan de la croissance zéro, qui n’avait (et n’a toujours) aucun intérêt pour l’« espace-mondes-à-explorer ». Quand Barack Obama a commencé sa présidence il a d’abord mis fin au programme Constellation par lequel son prédécesseur, Georges W. Bush, après l’épisode calamiteux de la Station Spatiale Internationale, avait voulu reprendre l’exploration habitée au-delà des Ceintures de van Allen, en commençant par la Lune et en projetant ensuite d’aller vers Mars. Il n’a pas pu arrêter totalement les « outils » en développement pour atteindre ce but, le lanceur lourd (« Ares V » devenu « SLS » car peut-être trop « martien ») et la capsule habitable Orion ; cela aurait posé des problèmes sociaux graves dans les Etats fédérés qui vivent du secteur spatial. Mais il en a freiné et continue à vouloir en freiner le financement (1,31 milliards demandés pour le SLS en 2017 contre 2 milliards en 2016 et 1,12 milliards demandés pour Orion en 2017 contre 1,27 milliards en 2016). En même temps il propose d’augmenter le budget pour les Sciences de la Terre de 116 millions, ce qui le ferait passer à 2 milliards en 2017.

En cette période pré-électoral aux Etats-Unis et en tant que citoyens du monde, il nous faut espérer que le prochain Président change à nouveau de politique spatiale et fixe à la NASA une vraie destination comme objectif des vols habités. Comme exposé dans de nombreux billets de ce blog, cette destination ne peut être que Mars ce qui implique qu’il faut maintenant abandonner l’orbite basse terrestre où la Station Spatiale Internationale (ISS) continue à tourner, sans intérêt pour (presque) personne. Pourtant en 2017 l’administration Obama veut dépenser encore autant d’argent pour cet objet du passé que pour SLS et Orion. On voit bien avec ces chiffres de budget que les Etats-Unis n’auraient aucun problème à doubler leurs dépenses pour la NASA. Le doublement ne serait d’ailleurs pas nécessaire. Un programme d’exploration de Mars par vols habités et d’implantation d’une base permanente sur ce Nouveau Monde, pourrait ne coûter “que” quelques 150 milliards étalés sur une dizaine de saisons de vols, soit 22 ans compte tenu d’une fenêtre de lancement vers Mars tous les 26 mois. Une telle somme sur cette durée, reviendrait à 6,8 milliards par an (en moyenne évidemment), soit, si on compte que pour l’année la pire de l’histoire (2017) la NASA affecte déjà 2,5 milliards à ce projet (en réalité SLS + Orion), une augmentation de pas même 4,5 milliards au total, soit 23,5%. Un tel pourcentage est important en absolu mais beaucoup moins si on considère le budget total de la NASA relativement aux dépenses totales de l’Etat fédéral américain. En supposant que la NASA continue à effectuer les mêmes dépenses que celles prévues aujourd’hui pour les autres missions et projets (notamment l’achèvement du télescope JWST, remplaçant de Hubble, et une mission vers les lunes de Jupiter), ce budget de l’exploration de Mars par vols habités pourrait atteindre 24 milliards (en dollars constants) soit 0,14 % du GDP (17000 milliards), seulement 0,6% des dépenses fédérales. Comparé à un peu moins de 0,5% aujourd’hui, personne ne peut dire que ce serait déraisonnable.

Par ailleurs, comme déjà dit dans d’autres billets de ce blog, l’Etat américain peut très bien organiser des partenariats public / privé avec des entrepreneurs américains (Elon Musk, Larry Page, etc…) qui seraient sûrement partants pour l’aventure, ce qui permettrait de réduire l’importance des dépenses publiques. Les partenariats avec d’autres pays seraient peut-être également possibles mais il ne faut pas trop y compter. L’Europe spatiale et l’ESA ne sont pas encore (ou “toujours pas”) intéressées par les missions habitées sur Mars (le nouveau directeur de l’ESA est un partisan du village lunaire) et leurs moyens financiers sont limités (dernier budget ESA 5,25 milliards d’euros en 2016 dont 325 millions seulement pour les vols habités). L’Inde et la Chine sont encore trop en retard et l’intérêt du Japon pour les vols habités reste strictement limité à la Station Spatiale.

Le départ de Barrack Obama permet donc d’espérer à nouveau. Le futur Président ne peut pas rester aussi sourd que le Président actuel à la demande de tant de ses compatriotes et d’autres Terriens pour une entreprise spatiale qui en vaille la peine.

Considérations économiques (1/5); suite la semaine prochaine!

Image à la Une: Budget de la NASA en pourcentage du budget fédéral. Source des données: historical budget tables of the Office of Management & Budget (“OMB”) of the White House. La tendance à la baisse montrée sur ce graphe jusqu’en 2014, a continué et devrait se confirmer en 2017.  La courbe est la même si on compare le Budget de la NASA au PIB (“GDP”) des Etats-Unis (voir ci-dessous, meme source). Cela montre bien que, contrairement aux idées reçues, les dépenses des Etats-Unis pour leur politique spatiale sont très faibles par rapport à leurs capacités financières.

Blog_46_NASA Budget GDP

 

Mars notre Nouvelle Frontière

A Noé Dieu dit : « De tout ce qui vit, de toute créature, tu feras entrer dans l’Arche deux membres de chaque espèce pour leur conserver la vie avec toi. »

Mais qu’emporteront donc les nouveaux Noé avec eux pour mettre à l’abri dans le « Svalbard Global Seed Vault » martien (voir billets précédents) ? Ce seront des hommes organisés, conscients des besoins auxquels ils devront répondre, de ce dont ils disposeront et des contraintes environnementales qui s’imposeront à eux. Ils auront donc des principes sûrs qui guideront leurs choix et leurs actions, d’autant qu’il est probable que Dieu ne leur donnera cette fois ci aucune consigne.

Leur premier principe sera de prendre tout ce qu’ils estimeront nécessaire au redémarrage de l’humanité après la destruction, supposée, de la vie sur Terre. Leur second principe sera d’emporter non seulement ce qui permettra de nourrir les corps mais aussi les esprits. Or la culture aujourd’hui ne se limite pas à ce qu’elle était il y a plus de 4000 ans (selon la tradition biblique) ; il faudra prendre avec soi les enregistrements de toutes les cultures passées et présentes, toutes les images, tous les sons et toutes les formes, la représentation de toute la beauté créée et tout le savoir accumulé depuis l’aube des temps, en particulier celui construit depuis la Renaissance, au long des siècles de réflexion et de recherche scientifiques qui en sont issues. Leur troisième principe sera de prioriser les manuels permettant de comprendre et d’utiliser les technologies mères, celles qui permettront de fabriquer les équipements nécessaires à la production d’énergie et à la fabrication des autres équipements. Leur quatrième principe sera de choisir les supports permettant de transporter le maximum d’informations dans le minimum de volume et de poids. Leur cinquième principe sera de choisir les supports ayant la plus grande fiabilité et la plus grande longévité (ou présentant le plus de facilité à être reproduits). Le sixième principe sera de choisir ces mêmes supports en ayant à l’esprit que leur utilisation devra être la plus aisée possible. Enfin leur septième et dernier principe sera de maintenir leur dépôt dans le meilleur état de conservation possible et à la pointe du progrès de telle sorte qu’il n’y ait aucune perte en cas d’interruption de la production et de la réflexion sur Terre.

Ce sera donc bien une Global Seed Vault au sens strict mais aussi une encyclopédie, un musée, en bref le trésor de l’humanité (ou « the gist of it » comme on dirait en Anglais). A part les graines et les embryons d’êtres vivants, ce sera un univers virtuel. On peut penser que sa gestion sera complexe et nécessitera une équipe d’administrateurs, de chercheurs et de techniciens. Ces personnes hautement qualifiées seront une population qui justifiera, dès le début, le maintien d’une base permanente sur Mars.

Ces hommes seront des conservateurs ou des gardiens mais ils seront aussi potentiellement les ensemenceurs de la Nouvelle Terre que deviendra Mars à partir du moment où l’Arche sera constituée sur son sol. Leur présence sur Mars ne pourra être que le noyau « technique » de la nouvelle branche de l’humanité mais construire cette « cache » et y stocker ces graines n’aurait aucun sens si on ne développait pas à côté, sur le sol martien, une population qui les utiliseraient pour se développer elle-même et acquérir un jour, le plus tôt possible, son autonomie par rapport à la Terre.

En réalité, dans un deuxième temps, aussi proche que possible d’aujourd’hui dans l’intérêt de la survie de l’humanité, ce sera Mars toute entière qui devra devenir une Global Seed Vault avec des hommes suffisamment nombreux et « armés » technologiquement mais aussi culturellement, pour être collectivement la graine d’une humanité nouvelle. Après l’époque des premiers gardiens, viendra celle des aventuriers, des hommes d’affaires, des rêveurs et des poètes. Mars sera alors notre « Nouvelle Amérique » dans le sens de « Nouvelle Frontière », un espace vierge immense porteur des espoirs de renouveau et des possibilités les plus extraordinaires à qui voudra « entreprendre ».

Ce programme peut paraître fou à ceux qui ne considèrent que l’horizon terrestre et qui se croient bien à l’abri de « tout » sur notre petit point bleu perdu dans l’univers mais la Nature nous a donné Mars comme bouée de sauvetage « au cas où », et ce serait folie de l’ignorer si nous avons les moyens technologiques de la saisir comme opportunité de redéploiement, d’expansion et source de nouvelles richesses.

Mars comme seconde Arche de Noé (3/3).

Image à la Une: credit Greg Whitton, photo d’un paysage d’Islande. Voir son site: www.gregwhitton.com NB: bien sûr, sur Mars le ciel est moins chargé de nuages mais le relief peut y être assez semblable. Il n’y a pas encore de végétation mais la première génération de couverture végétale, lichens, mousses et herbes rases, pourrait donner le même effet visuel.

La Seconde Arche de Noé

Entre 76 et 81° de latitude Nord, bien au-delà du Cercle Polaire de la Terre, s’étend l’archipel du Svalbard (anciennement Spitzberg), dépendance de la Norvège. Dans une ancienne mine de charbon aménagée, légèrement en hauteur au-dessus de la « capitale » Longyearbyen, l’humanité défiante ou simplement prudente, constitue depuis février 2008 une banque écologique, le Svalbard Global Seed Vault (« SGSV »). Il s’agit de mettre à l’abri d’une catastrophe ou d’une lente disparition, les graines vivrières du monde entier, dans un endroit à température stable, frais, sec et vaste (1500 m3 de stockage). Ce SGSV a été financé par le gouvernement norvégien et son fonctionnement (identification des graines, stockage, diffusion éventuelle) est assuré par le Global Crop Diversity Trust (« GCDT ») assisté par la Nordic Gene Bank (« Nordgen »), une coopération des Etats Scandinaves. Les membres du GCDT sont divers Etats, dont la Suisse, et personnes morales ou physiques, dont la Fondation Rockfeller, la Fondation Bill-et-Melinda-Gates, la Fondation Syngenta.

Tout ceci est très bien car raisonnable et utile, compte tenu des dangers qui menacent d’étiolement ou de disparition brutale notre fragile vie terrestre. Cependant on pourrait et on devrait faire mieux au cas où la banque écologique terrestre serait-elle-même en péril parce que l’ensemble de la Terre le serait. L’alternative qui se présente à nous aujourd’hui, c’est de l’établir en dehors de la Terre.

A première vue le meilleur lieu d’implantation pourrait être la Lune. Elle n’est relativement pas trop loin, accessible toute l’année. On pourrait y trouver une grotte et l’aménager comme au Svalbard la mine de charbon du CGSV et on pourrait y stocker nos graines (vivrières et autres !). La probabilité d’une catastrophe survenant sur Terre ayant une incidence sur la Lune est a priori limitée. Cependant la solution ne me semble pas tout à fait satisfaisante.

Le choix de Mars me semble préférable parce qu’il offre plus qu’un « Svalbard 2 ». En effet, on ne peut sérieusement envisager que la Lune devienne une alternative à la Terre en tant que support d’une nouvelle branche de l’espèce humaine, ce qui n’est pas le cas de Mars. Il serait beaucoup moins difficile pour l’homme d’y vivre que sur la Lune et progressivement d’y développer une industrie lui permettant d’acquérir une autonomie locale. Sur Mars, la gravité est plus proche de celle de la Terre (et ce n’est pas rien pour notre organisme) ; les radiations sont un peu filtrées par l’atmosphère qui permet de s’en protéger moins difficilement ; on peut y trouver de l’eau au contraire de la Lune où la glace est extrêmement rare ; le cycle circadien de 24h38 est tout proche du nôtre en contraste avec celui de la Lune ou les jours (et les nuits !) de 14 jours terrestres posent de gros problèmes ; les minéraux travaillés par l’eau pendant des centaines de millions d’années, sont beaucoup plus variés. La Lune pourrait certes nous servir de « conservatoire » mais à quoi servirait ce conservatoire si la Terre était détruite ? Il n’en est pas de même pour Mars qui présente le potentiel d’un Svalbard qu’on pourrait qualifier de « total » puisqu’il permettrait non seulement la conservation mais aussi le redéploiement de la vie.

Un seul problème, la durée du voyage (de l’ordre de 6 mois) entre les deux planètes. Elle constitue certes une période de quarantaine de fait qui limiterait fortement la diffusion des maladies de l’une à l’autre. Cependant elle implique une exposition aux radiations galactiques et solaires pendant un temps beaucoup plus long que pour aller sur la Lune (seulement quelques jours). Il faudra donc prévoir une protection anti-radiations particulièrement importante pendant le transport. De l’hydrogène liquide qui pourrait ensuite être utilisé sur Mars dans l’industrie locale pourrait faire l’affaire. Il y aurait des pertes mais ce serait possible et utile.

Mars est donc la solution, c’est l’arche de Noé que nous offre notre époque et nous permet notre degré de développement. Mais attention ! Pour nous aujourd’hui comme pour Noé jadis, « la mer monte » ! De multiples objectifs sociaux considérés comme prioritaires nous divertissent de l’objectif jugé futile par beaucoup, de nous installer sur une autre planète. Nous risquons très vite d’être englués dans des problèmes très durs de détérioration écologique, de pénuries d’eau potable, de diffusion rapide, globalisée, de virus nouveau et agressifs, de guerres. Par ailleurs acquérir une autonomie sur une autre planète suppose y créer une infrastructure avec un minimum de capital tangible et de population (coût et difficulté des transports en masse et en volume). Ce ne sera pas facile et ce sera long. On est un peu entre les deux lames d’un ciseau qui se ferme. Tout est encore possible mais il ne faut pas croire que nous ayons le temps. La fenêtre de notre évasion dans l’espace peut très bien se refermer avant que nous en ayons profité. Et nous pourrions connaître le sort d’autres civilisations semblables à la nôtre qui ont pu, ailleurs dans l’univers, se développer et mourir dans l’incubateur qui leur avait permis de naître. Sans attendre, donnons-nous cette seconde chance !

Mars comme seconde Arche de Noé (2/3). Suite la semaine prochaine. 

Lien, visite du SGSV :

https://www.croptrust.org/what-we-do/svalbard-global-seed-vault/interactive-visit/

Image à la Une : entrée du SGSV, crédit Neil Palmer, CIAT

Nous sommes uniques et vulnérables

Toute la philosophie du regretté Carl Sagan (mort en 1996, il y a vingt ans) dérivait de sa prise de conscience que la Terre n’était qu’un « pale blue dot » perdu dans l’immensité de l’univers. Il est en effet merveilleux et effrayant de penser que tout notre passé et tout notre présent, toutes les richesses intellectuelles, technologiques, artistiques, affectives que nous avons élaborées et accumulées au cours des millénaires de notre histoire se trouvent concentrés là, sur ce petit point bleu extraordinairement vulnérable.

Nous avons tous conscience de cette vulnérabilité. On sait depuis des siècles combien peuvent être dévastatrices les épidémies. Nous luttons depuis l’aube des temps contre les bactéries et les virus. Et ce danger s’est aggravé avec la facilité de circulation de leurs vecteurs, les personnes, les animaux et les objets, à la surface de la Terre. On sait depuis un peu moins longtemps combien l’action « normale » de l’Homme peut être destructrice des autres formes de vie, en constatant la quantité énorme d’espèces animales qui ont disparu de par son expansion progressive à la surface de la même planète. On sait depuis quelques dizaines d’années que nous sommes tous exposés à la décision d’un fou (ou de plusieurs !) d’utiliser l’arme nucléaire ou quelque arme bactériologique que nous ne pourrions collectivement contrôler. Tout cela va être aggravé par la progression exponentielle du nombre d’habitants de la Terre. On sait enfin depuis le même ordre de temps que le système solaire est entouré de plusieurs ceintures et nuages de myriades de roches glacées, ou non, de tailles variées qui, déstabilisées pour une raison ou pour une autre, peuvent descendre en spirale vers le soleil et éventuellement nous impacter, sans compter les quelques astres “décrochés” depuis fort longtemps et qui se baladent dans notre environnement spatial (les “géocroiseurs”). Bref, ce n’est pas rassurant et nous avons raison d’avoir peur !

Ce qui aggrave notre vulnérabilité c’est que nous pouvons penser que nous sommes les seuls êtres conscients, au moins dans notre « coin » de l’Univers, les seuls porteurs d’une « civilisation », au moins d’une civilisation développée capable d’observer intelligemment sa propre voûte étoilée et de communiquer en utilisant le moyen des ondes électromagnétiques que nous offre notre mère Nature. Jusqu’à présent la recherche SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence)n’a rien donné. Nous n’avons capté aucun signal exprimant une intelligence depuis son lancement en 1984. Peut-être d’autres êtres avec lesquels nous aurions pu communiquer ont-ils disparu, détruits par maladie, par accident ou par volonté perverse comme nous risquons de l’être ; peut-être d’autres se trouvent-elles à un stade de développement technologique trop faible pour être perceptible, peut-être existent-ils déjà et sont-ils nos contemporains mais qu’ils sont trop éloignés de nous pour que nous sachions qu’ils existent et réciproquement. Rappelons-nous que nos propres émissions radio ne remontent qu’à un peu plus d’un siècle. Et qu’est-ce qu’un siècle au regard de l’Immensité, si l’on considère que notre propre galaxie, l’une parmi au moins une centaine de milliards d’autres, a un diamètre que la lumière parcourt en quelques 100.000 années ! Sur une ellipse de 100 km de diamètre la représentant, ces cent années ne nous permettraient de recevoir de messages datant de moins d’un siècle, que d’une sphère nous entourant de 100 mètres de rayon.

Par ailleurs, si l’on considère l’histoire de la Vie, il ne serait pas impossible que nous soyons vraiment seuls car plus la compréhension de notre environnement spatial avance, plus nous réalisons que la succession d’évènements qui ont conduit jusqu’à l’Homme d’aujourd’hui, sont tout à fait improbables et irrépétibles, aussi bien au niveau planétologique qu’aux niveaux biochimique ou biologique. Au début de l’histoire du système solaire, Jupiter aurait pu absorber la matière dont nous sommes sortis. La tectonique des plaques aurait pu ne jamais s’amorcer, les premières molécules auraient pu rester un phénomène non autoreproductible, les dinosaures auraient pu continuer à dominer le monde. Enfin si Prométhée n’avait pas volé le feu aux Dieux, l’aurions-nous découvert ?

Il est donc bien possible que nous soyons les seuls êtres conscients et technologiques aujourd’hui existants et si nous ne sommes pas seuls, nous sommes uniques, nous mêmes et les êtres vivants qui nous entourent. Il n’y a eu qu’un Vivaldi et qu’une espèce d’arbres fruitiers qui produit des cerises. Il n’y a eu qu’un Claude Gellée dit Le Lorrain et que nos céréales pour onduler dans les champs sous la brise (vous avez évidemment votre propre choix quant à ce qu’il convient de chérir particulièrement parmi les innombrables richesses produites jusqu’à ce jour par la Terre).

Nous devons donc faire « quelque chose » pour “préserver” et “continuer”. Nous sommes responsables vis-à-vis de l’univers qui nous a enfantés, des générations passées d’hommes qui nous ont transmis leurs savoirs et leurs richesses, et vis-à-vis de nos descendants tout aussi exposés que nous-mêmes si nous n’agissons pas alors que nous pouvons le faire. La réponse que vous attendez à ce « que faire » et que bien sûr vous anticipez, c’est essaimer hors de notre planète mère et sauvegarder en dehors de ce pâle petit point bleu où « Tout » est né, tout ce que nous voulons et pouvons préserver. Ceci n’exclut bien entendu pas que nous soyons de prudents gestionnaires de notre « petit » trésor ici bas mais l’histoire montre que si nous sommes des êtres doués de raison nous n’en sommes pas pour autant des gens raisonnables. Et puis, même si nous l’étions, la Nature pourrait, évidemment indifférente à ce trésor, nous réserver un châtiment incompréhensible certes mais tout à fait définitif.

Mars comme Arche de Noé (1/3). Suite la semaine prochaine.

Liens :

http://www.seti.org/

http://www.carlsagan.com/

Image à la Une : La Voie Lactée au dessus de Monument Valley. NASA’s Astronomy Picture Of the Day, 1er Novembre 2015. Crédit NASA.

Alimentation équilibrée mais frugale et peu variée

L’homme n’étant ni un pur esprit ni un robot, devra se nourrir d’autres choses que de programmes informatiques et d’un peu d’huile pendant les missions habitées dans l’espace profond.

Un séjour dans l’ISS ou une mission sur la Lune ne posent pas de problème puisque les voyages sont possibles à toutes dates de l’année et ne durent que quelques jours. Il n’en sera pas de même dans le cadre d’une mission sur Mars puisque les lancements de vaisseaux spatiaux ne seront possibles que tous les 26 mois en raison de la configuration des planètes. Il faudra donc prendre avec soi tout ce dont on aura besoin pour s’alimenter pendant 30 mois (aller+séjour+retour !) et, dans la perspective d’un établissement permanent sur Mars, entreprendre dès que possible, des cultures et de l’élevage sur Mars. La problématique est donc double et dans les deux cas, elle est soumise à des contraintes de volume, de diversité et de masse.

Pendant le voyage, les contraintes de volume et de masse sont claires. Le vaisseau que l’on peut concevoir aujourd’hui (type SLS 130 tonnes en orbite basse terrestre, de la NASA) ne pourra emporter qu’une masse « utile » d’une vingtaine de tonnes (déposables sur Mars), et le module pressurisé et climatisé ne pourra pas dépasser les dimensions d’un cylindre d’une centaine de m3 (au retour un module Bigelow B330 de 330 m3 serait possible mais “cela n’arrange pas nos affaires”) . On emportera donc, outre de l’eau potable (recyclable) des aliments en grande partie lyophilisés, en partie hydratés mais pasteurisés, sous vide. On pourra les conserver au froid. Contrairement aux vaisseaux du XVème siècle qui affrontaient l’Océan, il n’y aura pas d’animaux vivants, du moins au début. Les problèmes vétérinaires rendraient les risques sanitaires trop importants pour les humains. Il n’y aura pas non plus les traditionnelles bouteilles de rhum qui sont allègrement vidées dans les films « de l’époque ».

Pendant le séjour sur Mars, dans le cadre d’une mission de « courte » durée (18 mois en surface) les contraintes seront quasiment les mêmes et l’équipage vivra sur les provisions emportées de la Terre. Il sera possible cependant d’y ajouter de l’eau martienne (glace fondue ou eau résultant du traitement du gaz carbonique de l’atmosphère avec de l’hydrogène) et les quelques produits végétaux obtenus d’une culture sous serre menée à titre expérimental. On peut prévoir à cet effet de lancer, avant la mission habitée et sur le site choisi pour celle-ci, la construction de coques de régolite en impression 3D qui seront isolées, pressurisées, chauffées et équipées d’un système hydroponique par l’équipage lors de son arrivée.

Lors des missions ultérieures et pour les séjours plus longs ayant pour objectif la création d’établissements permanents, il faudra bien entendu se lancer dans la production locale d’aliments la plus abondante et la plus diversifiée possible. Il faudra construire des serres pour les végétaux, des bacs pour l’élevage de poissons (tilapia) et des enclos pour l’élevage de petits animaux (gallinacées, lapins). Ce sera « lourd ». On estime que, rien que pour les végétaux, il faudra, par personne, 12 à 15 mètres d’un tube de 6 mètres de diamètre utilisé sur plusieurs niveaux (bacs de culture). Ce sont évidemment les petits animaux qui poseront le plus de problèmes puisqu’il faudra les emporter vivants depuis la Terre et les maintenir en bonnes conditions de survie pendant les 6 mois du voyage en recyclant leurs rejets métaboliques et en évitant bien entendu le développement de pathologies éventuellement transmissibles à l’homme.

D’une manière générale on peut penser que les astronautes pourront difficilement jouir d’une grande variété d’aliments pendant la période des premières missions habitées. Il faudra veiller avant le départ à prévoir la meilleure diversification à l’intérieur des contraintes posés par la durée du voyage (et donc les possibilités de conservation), le volume et la masse des produits. Les critères seront plus les qualités nutritionnelles que les qualités organoleptiques bien que ces dernières ne puissent être ignorées et elles devront prendre en compte les différences culturelles des membres de l’équipage car les Européens auraient sans doute du mal à ingérer du peanut butter à tous leurs petits déjeuners. En fonction des limitations, il faudra autant que possible, prévoir des compléments alimentaires (vitamine D notamment !) pour éviter les carences.

Sur le long terme, on pourra prévoir la constitution d’une banque de semences…mais cela est une autre histoire (et un prochain billet).

Image à la Une : Culture par hydroponie dans un module spatial, Concept artistique, crédit NASA.