La Seconde Arche de Noé

Entre 76 et 81° de latitude Nord, bien au-delà du Cercle Polaire de la Terre, s’étend l’archipel du Svalbard (anciennement Spitzberg), dépendance de la Norvège. Dans une ancienne mine de charbon aménagée, légèrement en hauteur au-dessus de la « capitale » Longyearbyen, l’humanité défiante ou simplement prudente, constitue depuis février 2008 une banque écologique, le Svalbard Global Seed Vault (« SGSV »). Il s’agit de mettre à l’abri d’une catastrophe ou d’une lente disparition, les graines vivrières du monde entier, dans un endroit à température stable, frais, sec et vaste (1500 m3 de stockage). Ce SGSV a été financé par le gouvernement norvégien et son fonctionnement (identification des graines, stockage, diffusion éventuelle) est assuré par le Global Crop Diversity Trust (« GCDT ») assisté par la Nordic Gene Bank (« Nordgen »), une coopération des Etats Scandinaves. Les membres du GCDT sont divers Etats, dont la Suisse, et personnes morales ou physiques, dont la Fondation Rockfeller, la Fondation Bill-et-Melinda-Gates, la Fondation Syngenta.

Tout ceci est très bien car raisonnable et utile, compte tenu des dangers qui menacent d’étiolement ou de disparition brutale notre fragile vie terrestre. Cependant on pourrait et on devrait faire mieux au cas où la banque écologique terrestre serait-elle-même en péril parce que l’ensemble de la Terre le serait. L’alternative qui se présente à nous aujourd’hui, c’est de l’établir en dehors de la Terre.

A première vue le meilleur lieu d’implantation pourrait être la Lune. Elle n’est relativement pas trop loin, accessible toute l’année. On pourrait y trouver une grotte et l’aménager comme au Svalbard la mine de charbon du CGSV et on pourrait y stocker nos graines (vivrières et autres !). La probabilité d’une catastrophe survenant sur Terre ayant une incidence sur la Lune est a priori limitée. Cependant la solution ne me semble pas tout à fait satisfaisante.

Le choix de Mars me semble préférable parce qu’il offre plus qu’un « Svalbard 2 ». En effet, on ne peut sérieusement envisager que la Lune devienne une alternative à la Terre en tant que support d’une nouvelle branche de l’espèce humaine, ce qui n’est pas le cas de Mars. Il serait beaucoup moins difficile pour l’homme d’y vivre que sur la Lune et progressivement d’y développer une industrie lui permettant d’acquérir une autonomie locale. Sur Mars, la gravité est plus proche de celle de la Terre (et ce n’est pas rien pour notre organisme) ; les radiations sont un peu filtrées par l’atmosphère qui permet de s’en protéger moins difficilement ; on peut y trouver de l’eau au contraire de la Lune où la glace est extrêmement rare ; le cycle circadien de 24h38 est tout proche du nôtre en contraste avec celui de la Lune ou les jours (et les nuits !) de 14 jours terrestres posent de gros problèmes ; les minéraux travaillés par l’eau pendant des centaines de millions d’années, sont beaucoup plus variés. La Lune pourrait certes nous servir de « conservatoire » mais à quoi servirait ce conservatoire si la Terre était détruite ? Il n’en est pas de même pour Mars qui présente le potentiel d’un Svalbard qu’on pourrait qualifier de « total » puisqu’il permettrait non seulement la conservation mais aussi le redéploiement de la vie.

Un seul problème, la durée du voyage (de l’ordre de 6 mois) entre les deux planètes. Elle constitue certes une période de quarantaine de fait qui limiterait fortement la diffusion des maladies de l’une à l’autre. Cependant elle implique une exposition aux radiations galactiques et solaires pendant un temps beaucoup plus long que pour aller sur la Lune (seulement quelques jours). Il faudra donc prévoir une protection anti-radiations particulièrement importante pendant le transport. De l’hydrogène liquide qui pourrait ensuite être utilisé sur Mars dans l’industrie locale pourrait faire l’affaire. Il y aurait des pertes mais ce serait possible et utile.

Mars est donc la solution, c’est l’arche de Noé que nous offre notre époque et nous permet notre degré de développement. Mais attention ! Pour nous aujourd’hui comme pour Noé jadis, « la mer monte » ! De multiples objectifs sociaux considérés comme prioritaires nous divertissent de l’objectif jugé futile par beaucoup, de nous installer sur une autre planète. Nous risquons très vite d’être englués dans des problèmes très durs de détérioration écologique, de pénuries d’eau potable, de diffusion rapide, globalisée, de virus nouveau et agressifs, de guerres. Par ailleurs acquérir une autonomie sur une autre planète suppose y créer une infrastructure avec un minimum de capital tangible et de population (coût et difficulté des transports en masse et en volume). Ce ne sera pas facile et ce sera long. On est un peu entre les deux lames d’un ciseau qui se ferme. Tout est encore possible mais il ne faut pas croire que nous ayons le temps. La fenêtre de notre évasion dans l’espace peut très bien se refermer avant que nous en ayons profité. Et nous pourrions connaître le sort d’autres civilisations semblables à la nôtre qui ont pu, ailleurs dans l’univers, se développer et mourir dans l’incubateur qui leur avait permis de naître. Sans attendre, donnons-nous cette seconde chance !

Mars comme seconde Arche de Noé (2/3). Suite la semaine prochaine. 

Lien, visite du SGSV :

https://www.croptrust.org/what-we-do/svalbard-global-seed-vault/interactive-visit/

Image à la Une : entrée du SGSV, crédit Neil Palmer, CIAT

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.

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