Nous sommes uniques et vulnérables

Toute la philosophie du regretté Carl Sagan (mort en 1996, il y a vingt ans) dérivait de sa prise de conscience que la Terre n’était qu’un « pale blue dot » perdu dans l’immensité de l’univers. Il est en effet merveilleux et effrayant de penser que tout notre passé et tout notre présent, toutes les richesses intellectuelles, technologiques, artistiques, affectives que nous avons élaborées et accumulées au cours des millénaires de notre histoire se trouvent concentrés là, sur ce petit point bleu extraordinairement vulnérable.

Nous avons tous conscience de cette vulnérabilité. On sait depuis des siècles combien peuvent être dévastatrices les épidémies. Nous luttons depuis l’aube des temps contre les bactéries et les virus. Et ce danger s’est aggravé avec la facilité de circulation de leurs vecteurs, les personnes, les animaux et les objets, à la surface de la Terre. On sait depuis un peu moins longtemps combien l’action « normale » de l’Homme peut être destructrice des autres formes de vie, en constatant la quantité énorme d’espèces animales qui ont disparu de par son expansion progressive à la surface de la même planète. On sait depuis quelques dizaines d’années que nous sommes tous exposés à la décision d’un fou (ou de plusieurs !) d’utiliser l’arme nucléaire ou quelque arme bactériologique que nous ne pourrions collectivement contrôler. Tout cela va être aggravé par la progression exponentielle du nombre d’habitants de la Terre. On sait enfin depuis le même ordre de temps que le système solaire est entouré de plusieurs ceintures et nuages de myriades de roches glacées, ou non, de tailles variées qui, déstabilisées pour une raison ou pour une autre, peuvent descendre en spirale vers le soleil et éventuellement nous impacter, sans compter les quelques astres “décrochés” depuis fort longtemps et qui se baladent dans notre environnement spatial (les “géocroiseurs”). Bref, ce n’est pas rassurant et nous avons raison d’avoir peur !

Ce qui aggrave notre vulnérabilité c’est que nous pouvons penser que nous sommes les seuls êtres conscients, au moins dans notre « coin » de l’Univers, les seuls porteurs d’une « civilisation », au moins d’une civilisation développée capable d’observer intelligemment sa propre voûte étoilée et de communiquer en utilisant le moyen des ondes électromagnétiques que nous offre notre mère Nature. Jusqu’à présent la recherche SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence)n’a rien donné. Nous n’avons capté aucun signal exprimant une intelligence depuis son lancement en 1984. Peut-être d’autres êtres avec lesquels nous aurions pu communiquer ont-ils disparu, détruits par maladie, par accident ou par volonté perverse comme nous risquons de l’être ; peut-être d’autres se trouvent-elles à un stade de développement technologique trop faible pour être perceptible, peut-être existent-ils déjà et sont-ils nos contemporains mais qu’ils sont trop éloignés de nous pour que nous sachions qu’ils existent et réciproquement. Rappelons-nous que nos propres émissions radio ne remontent qu’à un peu plus d’un siècle. Et qu’est-ce qu’un siècle au regard de l’Immensité, si l’on considère que notre propre galaxie, l’une parmi au moins une centaine de milliards d’autres, a un diamètre que la lumière parcourt en quelques 100.000 années ! Sur une ellipse de 100 km de diamètre la représentant, ces cent années ne nous permettraient de recevoir de messages datant de moins d’un siècle, que d’une sphère nous entourant de 100 mètres de rayon.

Par ailleurs, si l’on considère l’histoire de la Vie, il ne serait pas impossible que nous soyons vraiment seuls car plus la compréhension de notre environnement spatial avance, plus nous réalisons que la succession d’évènements qui ont conduit jusqu’à l’Homme d’aujourd’hui, sont tout à fait improbables et irrépétibles, aussi bien au niveau planétologique qu’aux niveaux biochimique ou biologique. Au début de l’histoire du système solaire, Jupiter aurait pu absorber la matière dont nous sommes sortis. La tectonique des plaques aurait pu ne jamais s’amorcer, les premières molécules auraient pu rester un phénomène non autoreproductible, les dinosaures auraient pu continuer à dominer le monde. Enfin si Prométhée n’avait pas volé le feu aux Dieux, l’aurions-nous découvert ?

Il est donc bien possible que nous soyons les seuls êtres conscients et technologiques aujourd’hui existants et si nous ne sommes pas seuls, nous sommes uniques, nous mêmes et les êtres vivants qui nous entourent. Il n’y a eu qu’un Vivaldi et qu’une espèce d’arbres fruitiers qui produit des cerises. Il n’y a eu qu’un Claude Gellée dit Le Lorrain et que nos céréales pour onduler dans les champs sous la brise (vous avez évidemment votre propre choix quant à ce qu’il convient de chérir particulièrement parmi les innombrables richesses produites jusqu’à ce jour par la Terre).

Nous devons donc faire « quelque chose » pour “préserver” et “continuer”. Nous sommes responsables vis-à-vis de l’univers qui nous a enfantés, des générations passées d’hommes qui nous ont transmis leurs savoirs et leurs richesses, et vis-à-vis de nos descendants tout aussi exposés que nous-mêmes si nous n’agissons pas alors que nous pouvons le faire. La réponse que vous attendez à ce « que faire » et que bien sûr vous anticipez, c’est essaimer hors de notre planète mère et sauvegarder en dehors de ce pâle petit point bleu où « Tout » est né, tout ce que nous voulons et pouvons préserver. Ceci n’exclut bien entendu pas que nous soyons de prudents gestionnaires de notre « petit » trésor ici bas mais l’histoire montre que si nous sommes des êtres doués de raison nous n’en sommes pas pour autant des gens raisonnables. Et puis, même si nous l’étions, la Nature pourrait, évidemment indifférente à ce trésor, nous réserver un châtiment incompréhensible certes mais tout à fait définitif.

Mars comme Arche de Noé (1/3). Suite la semaine prochaine.

Liens :

http://www.seti.org/

http://www.carlsagan.com/

Image à la Une : La Voie Lactée au dessus de Monument Valley. NASA’s Astronomy Picture Of the Day, 1er Novembre 2015. Crédit NASA.

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.