Un jour des gens vivront sur Mars

Un jour des gens vivront sur Mars. Ils produiront, ils créeront, ils échangeront, ils importeront, ils exporteront, ils consommeront, ils investiront, ils prêteront, en bref ils feront fonctionner une économie martienne.

Comme dit dans les billets précédents, cette économie sera dominée par les partenaires et les capitaux terriens mais, le séjour sur Mars durant au minimum 18 mois (et l’éloignement de la Terre 30 mois), il est impossible qu’une demande et qu’une offre de biens et de services ne s’expriment pas, il est impossible que l’adéquation entre cette demande et cette offre soit totalement prévue à l’avance (du moins au-delà de la stricte nécessité) et il est impossible qu’une possibilité de choix de consommation ou de possibilité de création, d’investissement et d’échange ne soient offertes aux habitants de Mars. Les échanges qui en résulteront seront les prémices d’une économie locale et puis, au fur et à mesure que le nombre de voyageurs augmentera et que la population se fixera sur Mars, le capital s’accumulera en mains martiennes, ouvrant de nouvelles opportunités d’entreprendre.

Remarquez bien que la naissance d’un tel système économique autonome ne serait pas possible sur la Lune où les séjours s’effectueront dans des conditions beaucoup plus difficiles, où les contacts physiques avec la Terre seront beaucoup plus fréquents et où la population temporaire ne pourra être que beaucoup plus faible et la résidence de longue durée impossible pour des raisons sanitaire (gravité trop faible, radiations trop fortes).

Les “Martiens” proviendront de nombreux pays de la Terre. Certains viendront payés par leur entreprise, leur université, leur centre de recherche, leur gouvernement ; d’autres seront des particuliers disposant d’une spécialité particulière demandée par la communauté martienne ou qu’eux-mêmes proposeront à leurs frais, à cette communauté. On aura besoin de boulanger, de plombier, d’électriciens, d’architectes, d’ingénieurs, de médecins mais des cinéastes ou des romanciers choisiront aussi de faire le voyage et donc de rester sur place au moins 18 mois et, de plus en plus, plusieurs multiples de 18 mois. Dans ce contexte, le moyen le plus simple d’exprimer et de réaliser une acquisition de bien ou de service ou d’entreprendre un investissement productif, sera de disposer d’une monnaie.

Quelle monnaie ? On voit mal un pays « tirer totalement la couverture à lui » pour le long terme, même les Etats-Unis. Des résidents auront des ressources terriennes en dollars, d’autres en euros, d’autres en roubles, d’autres en yuans ou en yens, et peut-être même en francs suisses. On ne peut pas imaginer non plus qu’un résident ressortissant de la zone dollar, accepte volontiers de se faire payer en roubles ou que les opérations de conversion se fassent à chaque transaction. Par ailleurs, le financement de la Société d’exploitation de la base aura probablement été effectué dans un panier de monnaies et la Société aura intérêt à percevoir ses revenus dans ce même panier de monnaies. Ainsi, on devrait créer très vite une monnaie martienne qui serait le panier de devises des résidents et des financiers (plus vraisemblablement d’ailleurs celui de ces derniers). C’est à l’aide de cette monnaie que les valeurs seront données aux biens et services martiens (un croissant sur Mars n’aura pas le même prix qu’un croissant sur Terre car les coûts de production et le pouvoir d’achat seront très différents sur Mars).

Il faudra donc très tôt, prévoir l’installation d’un système bancaire martien. Au début ce sera très probablement une banque en ligne avec son personnel sur Terre et, de toute façon, localement, l’utilisation exclusive de cartes bancaires pour les paiements!

Les résidents habiteront très probablement des locaux appartenant aux investisseurs terrestres de la base et gérés par la Société d’exploitation (je l’appellerais la « Compagnie des Nouvelles Indes »). Ils utiliseront très souvent des biens et services fournis par cette société. Ils respireront l’air, l’eau, l’électricité, le chauffage qu’elle produira et diffusera. Ils lui paieront donc des loyers, des redevances, des prix correspondants aux biens et services demandés et obtenus. Les prix-demandés seront calculés par la société d’exploitation en fonction de l’amortissement de ses investissements et les prix-effectivement-payés tiendront compte de la demande (de l’intérêt) de ces biens et services. Il en sera de même des prix-demandés par les particuliers qui offriront leurs services ou les biens qu’ils produiront pour les autres résidents. Evidemment ces derniers devront à leur tour payer leur hébergement et les services de la Compagnie des Nouvelles Indes et faire profiter cette dernière de leur activité. Pour ce faire ils devront lui payer une taxe. On peut imaginer que ce soit une flat tax, relativement basse, de 10% sur la valeur ajoutée. La perception de cette taxe et la gestion en général de la base, suppose très tôt la mise en place d’une petite administration, aussi légère que possible, donc aussi automatisée que possible, compte tenu du coût des personnes qu’elle devrait employer.

D’une manière générale, le problème de l’organisation de la base sera critique car, si cette organisation est nécessaire, il faudra également qu’elle soit aussi efficace, fiable et utile que possible. Dans ce domaine comme dans d’autres, l’installation de l’homme sur Mars conduira à l’invention et à la mise au point, constantes, des meilleures méthodes de gestion.

Considération économique 5/5

Image à la Une : Illustration de Philippe Bouchet, dit Manchu : Dôme sur Cratère. Il ne s’agit pas là d’un établissement de première, ni même de seconde génération mais, plutôt que d’envisager comme certains, une terraformation globale de la planète Mars, c’est plutôt ce genre de terraformation ponctuelle qui serait envisageable pour l’avenir.

 

La chrysalide martienne

Mars est aujourd’hui un désert mais c’est un désert qui a jadis pu connaître l’éclosion d’une vie propre et qui offre aujourd’hui des conditions environnementales qui pourraient permettre aux hommes d’y greffer une bouture de la leur, au moyen des technologies qu’ils ont su développer au cours des dernières décennies. Passer de la possibilité théorique de cette entreprise à sa réalisation, suppose la volonté de le faire et l’affectation des ressources financières nécessaires.

Le plus difficile sera la période de constructions des premières infrastructures car elle implique, pendant longtemps, des investissements importants sans retours financiers suffisants pour les couvrir. Pour apporter et/ou construire les infrastructures nécessaires à une activité « rentabilisante », il faudra bien une dizaine de missions habitées étalées sur 20 ans (n’oublions pas qu’il faut 26 mois entre chaque départ de la Terre). Même si des retours sur investissements pourront être constatés avant la fin de la période, il faudra qu’une certaine masse critique de capital et de population soit accumulée pour qu’un auto-développement puisse véritablement commencer.

Les sommes seront importantes. Des estimations ont été faites et il faut sans doute compter cent à cent cinquante milliards, étalés sur plus de 20 ans (car il y a bien sûr une longue préparation avant le premier lancement), pour mener à bien cette série de missions. A noter qu’elles comprendront toujours un volet « exploration » en plus de celui « accumulation de capital physique » réutilisable et visant la recherche de rentabilisation. Il faudra créer une capacité de production énergétique, une capacité d’accueil de population et de machines, une capacité de production d’équipements, une capacité de production alimentaire, une capacité de transports planétaires et une capacité de télécommunications. Si l’ensemble coûtait les 150 milliards mentionnés, les mobiliser représenterait le même effort que celui qui a été réalisé jusqu’aujourd’hui pour la Station Spatiale Internationale dont le lancement des premiers éléments remonte à 1998 et qui arrive doucement au bout de sa vie. (NB : L’administration du Président Obama a accepté de l’étendre au-delà de 2020, jusqu’en 2024. Les Etats Unis contribuent pour 80% à son financement).

Vue les montants et la durée, il semble a priori que ce devrait être les Etats-Unis, seuls ou avec d’autres, qui entreprennent cette aventure. On peut l’espérer mais on peut aussi en douter. En effet les pouvoirs politiques ont tendance à rechercher des effets immédiats ou du moins des effets qui se manifestent pendant le mandat des élus qui ont pris les décisions (on le constate aux Etats-Unis où la barrière de huit ans, deux mandats présidentiels, est difficile à passer). La communauté scientifique lutte contre cette tendance « naturelle » et finalement parvient relativement souvent à pousser des projets plus longs. Ainsi le « JWST » (James Webb Space Telescope) envisagé dès 1989 devrait être lancé en 2018 (pour un budget de 9 milliards de dollars) et ses premières spécifications détaillées remontent à 2004.

Malheureusement, la communauté scientifique (dans son ensemble) ne donne pas le même support aux vols habités. Elle craint de perdre des financements pour ses missions robotiques et elle a tendance à dédaigner ce qu’elle considère comme du spatial « spectacle », introduisant des complexités et des complications inutiles. La Station Spatiale peut être considérée comme l’exception à cette règle mais il faut avant tout la voir comme le fruit de la fin de la Guerre froide, son objet principal ayant été de faire travailler ensemble Etats-Unis et URSS sur un projet spectaculaire. L’alternative au soutien des scientifiques c’est celui du grand public (voir l’enthousiasme suscité par l’exploration spatiale), de quelques grands entrepreneurs américains et du monde de l’ingénierie et de l’astronautique, passionné par la beauté technologique du projet (support fort à la NASA). Sera-ce suffisant ? Peut-être.

Le fait nouveau est l’arrivée sur la scène d’entrepreneurs à la tête de fortunes qui se mesurent en milliards, ou même en dizaines de milliards, et qui sont extrêmement déterminés. On peut citer Elon Musk, Jeff Bezos, Larry Page, Robert Bigelow et, « par extension », le britannique Richard Branson. La grande différence avec l’Etat ou les scientifiques est que ces hommes apportent avec eux un esprit capitaliste et une connaissance de l’entreprise (management, marketing et maîtrise des coûts), sans compter leur image prestigieuse d’hommes « qui ont réussi », ce qui donne du sérieux et de la crédibilité au projet.

Auront-ils les moyens de le mener à bien ? Je le pense. Peut-être pas seuls mais en partenariat avec l’Etat Américain (on ne parle plus seulement de « support » comme dans le cas du grand public ou de la communauté scientifique). On peut imaginer que plusieurs d’entre eux (dont Elon Musk) se mettent ensemble pour monter une nouvelle Compagnie des Indes Occidentales ou « Compagnie des Nouvelles Indes » dont le but ne serait pas d’aller chercher des richesses lointaines mais d’aller créer des richesses nouvelles sur une terre lointaine.

On pourrait concevoir un véritable financement de projet comme celui qui a été monté pour le Tunnel sous la Manche (et qui a coûté l’équivalent 2016 de 19 milliards d’euros). Les promoteurs de la Compagnie des Nouvelles Indes créeraient une société anonyme avec un capital conséquent (50 milliards d’euros ?) appelable par tranches en fonction de de l’étalement des besoins, et lancement d’un emprunt public, les deux sur la base d’une étude de faisabilité et d’un modèle économique démontrant que l’établissement permanent pourrait générer les revenus pour rémunérer, même faiblement, le capital emprunté et le capital investi après une période de grâce d’une durée raisonnable pour être acceptable (quinze ans ?).

Evidemment la proportion entre argent privé et argent public ou capital et dette, devra dépendre de l’espérance de profitabilité du projet. L’apport de l’Etat pourrait être la mise à disposition des installations et des satellites de la NASA. Compte tenu de l’importance de la durée probable avant un début de rentabilité (correspondant à la période de grâce), la part de la dette sera probablement relativement faible. Les actionnaires de références de la société anonyme (disons Elon Musk) pourraient donner suffisamment confiance pour que l’IPO soit un succès sur la base duquel serait lancé ensuite l’emprunt. On peut imaginer plusieurs types de participation tels qu’actions de fondateurs, actions ordinaires, obligations convertibles, obligations simples, options, etc.., chaque type étant sujet à des contraintes et ouvrant des possibilités de valorisation en relation avec ces contraintes.

Pour faciliter la levée des financements, on peut aussi imaginer plusieurs sociétés (une pour le transport, une autre pour les infrastructures de la base, une troisième pour l’exploitation de la base, une société holding coordonnant les trois) ce qui permettrait à chacune de mieux contrôler sa responsabilité et aussi de chercher dans des activités parallèles (non martienne) une rentabilité directe qui sera longue à venir (en utilisant par exemple les applications terrestres des technologies développées pour l’implantation sur Mars ou encore le service rendu pour atteindre d’autres objectifs spatiaux).

Entre 1869 et 1886, le roi Louis II de Bavière entreprit la construction de châteaux féeriques qui coûtèrent des fortunes et qui ont très longtemps semblé totalement déraisonnables. Un demi-siècle après ils étaient devenus un des actifs majeurs de son pays. Aurait-il su « vendre » ses projets grandioses à l’élite de son royaume, et structurer leur financement (ce qui est, je l’admets, tout à fait contraire au personnage), il aurait sans doute pu obtenir son adhésion plutôt que sa réprobation définitive. Un investissement judicieux peut se révéler tel très longtemps après qu’il ait été effectué mais il faut savoir entraîner l’adhésion des personnes qui en supportent la charge sans avoir l’espoir de profiter des fruits.

Considérations économiques 4/5

Image à la Une : Chateau de Neuenschwanstein https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=28008461

Mars, une chance pour la croissance économique terrestre

La demande solvable de Mars pourra être spontanée mais elle devra sûrement être encouragée et renforcée. Ce sera le rôle des promoteurs de l’établissement de l’homme sur Mars. Cette demande pourra bien sûr être celle des grands centres scientifiques disposant de ressources importantes, pour leur recherche. Ce sera aussi celle des entreprises d’ingénierie pour la mise au point de toutes sortes d’équipements utiles en environnements extrêmes, transposables et exploitables sur Terre. Ce sera également celle des gestionnaires du « Mars Global Seed Vault ». Mais ce pourra être aussi celle des concepteurs de produits dont la production sur Terre entraînerait trop de pollution* ou trop de danger pour les populations, celle des grandes sociétés stockeuses de données informatiques désireuses d’éviter d’accroître la pollution thermique* sur Terre (il faudra prendre en compte le « time-lag » avec la Terre mais il n’est pas nécessaire que toutes les données soient disponibles en moins de 45 minutes) ou encore celle d’artistes, de sportifs, de touristes. L’essentiel ce sera de faire vivre Mars avec une population aussi nombreuse que possible (quelques centaines puis quelques « petits » milliers) car davantage de gens sur Mars rentabiliseront les infrastructures et feront baisser le prix des transports. Il faut « amorcer la pompe », le reste suivra.

*NB: il y a une marge de tolérance importante sur Mars dont l’atmosphère pourrait s’épaissir et la température monter sans problème.

En termes économiques, il faut bien voir que pendant très longtemps les échanges « martiens » auront essentiellement lieu entre Terriens, sur Terre, et bénéficieront à l’économie terrienne. L’économie martienne sera d’abord une économie terrienne. C’est sur Terre qu’on achètera et qu’on vendra les biens et services martiens, même si les biens produits et échangés seront utilisés sur Mars (sauf les transports et les instruments de télécommunications). La création de richesses se fera au travers de ces échanges et l’essentiel des marges générées bénéficiera à des entités terrestres et sera affecté à des utilisations terrestres (investissements et consommation). Les transactions purement martiennes ne se développeront que lentement et pour de faibles montants tant que la conception ainsi que la production et le financement par des entités martiennes, sur place, seront relativement limités et que le capital martien n’aura pas été suffisamment accumulé sur Mars en mains martiennes (en termes de propriété légale).

Du point de vue terrestre, les transactions sur opérations martiennes seront essentiellement (excepté pour les transports et communications) des transactions sur biens immatériels. Il y aura peu de masse envoyée de la Terre sur Mars et il n’y aura aucun retour physique sur Terre car le coût des exportations massives de la Terre vers Mars et de Mars vers la Terre, serait prohibitif et les volumes « importants » impossibles. Pour la Terre, elles pourront être considérées, outre l’utilité sur Mars, comme des tests sur banc d’essais puisqu’elles permettront le développement de la recherche dans des technologies de pointe très adaptées à la gestion plus rationnelle et plus économe écologiquement des ressources terrestres. L’impact environnemental terrestre sera extrêmement réduit (sauf pour l’extraction de la gravité terrestre des quelques masses indispensables). L’impact financier sera localisé chez les Terriens sur Terre avant de l’être sur Mars. Avant que Mars (et ses habitants) ne devienne une partenaire de la Terre, elle en sera une colonie, un endroit où les équipements terrestres seront utilisés, souvent construits, éventuellement conçus ou développés, pour le profit financier immédiat de Terriens même si l’accumulation de capital physique et intellectuel sur Mars permettra in fine un développement financier propre. Les dépenses faites pour Mars seront donc d’abord porteuses de croissance économique, d’emplois et de richesses nouvelles sur Terre (et serons donc bénéfique aux Terriens qui l’entreprendront) mais elles constitueront aussi la graine d’un futur développement autonome de Mars.

Il ressort de tout cela que le développement économique de Mars dépendra des projections de valeurs sur le long terme que les hommes voudront bien « spéculer », et qu’il ne faut pas voir les coûts de l’installation comme des dépenses à fonds perdus mais plutôt comme des investissements, sources d’une nouvelle croissance. Ce serait une solution pour que les investissements terrestres connaissent, après une période de démarrage, un retour à des taux de rentabilité comme on en a connu aux grandes périodes d’expansion économique. Mais certains peuvent laisser les opportunités passer. En 1757 Voltaire se plaignait à Monsieur de Moncrif que le genre humain s’égorgeât à propos de « quelques arpents de glace au Canada ». Beaucoup de nos contemporains nient aujourd’hui que la Planète Mars puisse représenter une valeur future quelconque. D’autres non (et j’en suis!). Dans le cas de la Nouvelle France, l’histoire a montré que les Anglais avaient raison de vouloir la prendre aux Français. Nous avons le choix pour Mars, de ne rien entreprendre mais nous ferions mieux de tirer leçon de la désinvolture de Voltaire.

Considérations économiques (3/5); suite la semaine prochaine! 

L’envie de Mars

Immanquablement, la question qui se pose quand on envisage l’établissement de l’homme sur Mars, est celle de son financement. Il semble, a priori déjà, coûteux d’entreprendre les premières missions (probablement quelques dizaines de milliards d’euros pour la première) alors quid des suivantes ? Comment faire pour qu’elles se perpétuent ? La réponse me semble être : « susciter une offre accessible en face d’une demande auto-solvable ». Pour développer, cela veut dire que l’entité gérant la colonie martienne devra offrir aux candidats à l’expatriation sur Mars, ou aux investisseurs souhaitant miser sur son développement, un voyage et un séjour qui leur seront financièrement accessibles, ou rentables, parce que leur présence, ou leur action, sur Mars leur permettront de générer des revenus suffisants à leur maintien sur place et à leur prospérité ainsi qu’à celle de l’entité hôte elle-même.

En écrivant cela, j’exclue que ce soit les Etats, ou de « généreux mécènes », qui financent à fonds perdus, indéfiniment, les infrastructures, les voyages et les séjours. Si tel était le cas, l’effort ne durerait qu’un temps car les contribuables de tous les pays impliqués pourraient décider, un jour (indéterminé bien sûr) qu’ils n’ont pas, ou plus, de retour satisfaisant (pour quelque raison que ce soit) sur leur investissement collectif ou bien les mécènes finiraient par mourir après avoir épuisé leur fortune, versée sans fruit dans le sable stérile des déserts martiens.

Il faut donc, le plus rapidement possible, avant que les généreux donateurs publics ou privés d’origine ne se lassent, que l’établissement martien devienne autonome et qu’il devienne « intéressant » non seulement scientifiquement mais aussi économiquement pour tous les participants. Voyons comment cela pourrait être possible.

Pour les fournisseurs de véhicules, d’équipements, d’énergie et de transports, il n’y aura pas de problème tant qu’il y aura des acheteurs en face. C’est du côté de la demande « auto-solvable » que la question se pose. Par « auto-solvable » j’entends une demande qui n’est pas alimentée par des subventions (provenant de prélèvements publics) mais générée par l’activité propre de la personne qui l’exprime. Il faudra que les consommateurs ou investisseurs génèrent par leurs activités propres les ressources nécessaires à payer des véhicules, des équipements, de l’énergie et des transports en quantité suffisante. Il faudra qu’un nombre suffisant de personnes aient une « envie » économique de Mars suffisamment forte pour que la colonie martienne puisse vivre indépendamment de toute aide des institutions terrestres.

Ce seront surtout les débuts qui seront difficiles car la création d’infrastructures nécessaires sera très lourde financièrement puisqu’il n’y a aucune capacité de production sur Mars et que les conditions environnementales imposeront un surcroit de besoins dans ce domaine. Il faudra donc que les promoteurs de l’installation de l’homme sur Mars, s’occupent d’abord de cette création en minimisant au maximum les dépenses inutiles. Par exemple il ne faudra construire qu’une seule et non plusieurs bases martiennes contrairement à ce que certains prévoient aujourd’hui. En effet il suffira d’être n’importe où sur Mars pour pouvoir agir en temps réel par robots interposés où que ce soit à la surface de la planète (ce qui est impossible depuis la Terre). La centralisation en un seul lieu des équipements expédiés de la Terre permettra d’en maximiser la rentabilité. Il faudra aussi choisir des équipements robustes, modulaires, faciles à entretenir, réparer ou remplacer. Il faudra encore favoriser l’importation d’équipements pouvant en créer d’autres (les imprimantes 3D). Surtout, il faudra rechercher toutes possibilités d’utilisation des ressources locales, évitant au maximum les importations de tout objet, ou matière, massifs, depuis la Terre. Cela devra s’appliquer en priorité à la production d’énergie. Dans cet esprit, en alternative à l’énergie solaire ou nucléaire, la découverte d’un point chaud permettant la géothermie serait une opportunité à privilégier pour l’implantation de la base pourvu que l’altitude où il se trouve soit basse (pour bénéficier d’un maximum de protection contre les radiations).

Il en résultera probablement une période d’investissements avec très peu de « retours ». Les investissements devront être conçus pour que ces retours augmentent aussi vite que possible car les « périodes de grâce » ne peuvent être supportées que si elles sont à l’échelle humaine. Pour un investisseur « normal » quel qu’il soit, un horizon de 15 ans est un maximum ; pour des institutions on peut aller plus loin (40 ans ?) mais à défaut de retour financier immédiat, il faudra d’autres « satisfactions ». L’exploration de Mars, l’installation de l’homme ailleurs que sur Terre, l’aventure, pourront sans aucun doute les procurer.

Considérations économiques (2/5); suite la semaine prochaine! 

Image à la Une: La première base martienne. Crédit Manchu /Association Planète Mars. Cette base devra abriter toutes les commodités de la vie. Les premiers “martiens” devront faire face à tous leurs besoins sans approvisionnement possible de la Terre pendant des cycles de 26 mois (sauf télécommunications, donc logiciels envoyés par les ondes et impressions 3D).

Avec son « Dragon Rouge » Elon Musk va accélérer l’arrivée de l’homme sur Mars

Elon Musk (Space X) a déclaré Mercredi 27 avril son intention de faire atterrir sa capsule habitable (mais non habitée), « Dragon », à la surface de Mars, en 2018. Ce sera la mission « Red Dragon » !

Cette nouvelle est une surprise et un défi majeur.  Elle est bien dans la ligne de la volonté exprimée à plusieurs reprises par Elon Musk d’entreprendre de son vivant la colonisation de la planète Mars. Elle prend de court l’establishment politique américain actuel (le Président Obama, son conseiller scientifique Holdren, et l’Administrateur Bolden) mais elle rencontre tout à fait l’agrément des gens qui travaillent à la NASA, même au plus haut niveau. Dawa Neumann, Administratrice adjointe de l’Agence et Ellen Ochoa, directrice du Johnson Space Center ont écrit qu’elles le soutenaient. Ils y ont répondu avec enthousiasme car ils sont beaucoup plus motivés ou plutôt, passionnés, que l’Administration du Président actuel qui définit leurs programmes.

Le défi est posé pour essentiellement deux problèmes : premièrement, faire voler dans les délais le lanceur lourd, « Falcon Heavy », capable de placer 54 tonnes en orbite basse terrestre (et donc d’y transporter la capsule Dragon, son module de service et son étage de propulsion interplanétaire); deuxièmement, faire descendre la capsule, une masse de 6 tonnes, à la surface de Mars alors que la NASA n’a réussi jusqu’à présent à déposer, au mieux, que les 900 Kg de Curiosity.

Le Falcon Heavy est une version renforcée du « Falcon 9 » conçu et construit par Space X pour desservir la Station Spatiale Internationale sous contrat (mais Falcon 9 ne peut emporter que 22 tonnes en orbite basse terrestre et ne déposer que 4,02 tonnes sur Mars). Il doit voler pour la première fois à la fin de cette année. Il s’agit en fait d’un lanceur constitué de trois corps de l’actuel Falcon 9 (doté chacun de neuf moteurs). Passer de un à trois corps n’est pas une simple addition ; il se pose des problèmes connus mais dont la solution (coordination des combustions) n’est pas évidente. Un lanceur à propulsion chimique est une vraie bombe volante ! Il conviendra de tester le dispositif et d’obtenir un ensemble fiable dans les délais. Le créneau de 2018 résulte de la position respective des planètes. Cela laisse très peu de temps et la fenêtre de tirs ne restera ouverte que quatre semaines avant de se refermer pour 26 mois jusqu’en 2020.

La descente sur Mars (« EDL » pour « Entry, Descent, Landing ») sera une manœuvre très délicate. On l’a vu lors de l’atterrissage de Curiosity (les fameuses « 7 minutes of terror »). Heureusement, à la différence du Falcon Heavy, la capsule Dragon existe et a déjà été testée. Elle a été utilisée plusieurs fois pour transporter des équipements jusqu’à l’ISS. Son freinage devra se faire différemment de celui de Curiosity car elle est trop lourde (compte tenu d’une atmosphère trop ténue) et n’est pas configurée pour être équipée de parachute(s). Les moyens utilisés seront la portance dans l’atmosphère (le « lift » en Anglais) et la rétropropulsion. L’avantage de SpaceX dans cette perspective est que, dès le début, Elon Musk avait pensé à équiper Dragon de rétrofusées. Mais qui dit rétrofusées, dit énergie donc masse et volume d’ergols à arracher à la gravité terrestre. Il y aura très peu de marge de manœuvre. Plus que jamais, les ingénieurs en propulsion et en astronautique devront exploiter tous les raffinements de leurs sciences.  Par exemple ils devront prendre en compte les différences d’altitude importantes du relief martien, en se posant au plus bas pour bénéficier d’une portance plus longue et d’une atmosphère un peu plus épaisse.

La NASA s’est engagée sous contrat (un « Space Act Agreement ») à mettre à disposition de SpaceX toute l’aide technique nécessaire notamment pour les communications, la navigation, et ses connaissances actuelles en EDL. En retour SpaceX devra lui communiquer le know-how qu’elle aura acquis pour son EDL nouvelle formule. Cette assistance n’engendrera donc pas de frais pour SpaceX.

Dans la « vraie vie », une fois posé sur Mars il faudra en repartir mais cela est une autre histoire. On pense, pour le prochain test, à un retour d’échantillons comme Jean-Marc Salotti de l’Association Planète Mars, le préconise (masses réelles et technologie du retour). Pour le moment il suffit de noter que les difficultés du retour sont beaucoup moins importantes que celles de l’arrivée. En fait ce n’est clairement pas là le problème.

On est avec ce projet dans le cas de figure anticipé dans plusieurs billets de ce blog, celui de la prise de leadership d’entrepreneurs privés, beaucoup plus motivés et hardis qu’une administration qui agit avec la circonspection et les lourdeurs d’un « service public ». L’avantage sur le long terme, en cas de succès de cette mission, c’est d’abord que le calendrier de l’exploration par vols habités se rapprocherait. On peut maintenant envisager la fin des années 20 (« Mars dans dix ans » comme Kennedy disait « La Lune dans dix ans »). C’est ensuite que le coût de ces missions va être tiré vers le bas. Elon Musk est en effet un manager hors pair et il a montré qu’il était capable de réaliser des lancements à des prix imbattables. Pour la Red Dragon Mission on parle de 300 à 500 millions de dollars alors que le coût du programme MSL (Curiosity) est de 2,5 milliards de dollars (avec certes des équipements scientifiques embarqués coûteux). Le seul lancement d’un Falcon Heavy ne devrait pas coûter plus de 135 millions de dollars alors que celui d’un SLS serait d’au moins 500 millions de dollars. Avec ces différences, le système propre NASA devra soit s’adapter, soit disparaître. Cela prouve, si besoin était aux Etats Unis, les mérites de l’entreprise privée et de la concurrence et c’est tant mieux pour les supporters de l’exploration spatiale.

Il faut souhaiter bon vent au Dragon Rouge !

Image à la Une : Crédit SpaceX. Une capsule Dragon fonce dans la haute atmosphère de Mars (vers 120 km d’altitude). Ses pilotes (depuis la Terre) utilisent un maximum de lift pour la freiner « naturellement » avant de recourir aux rétrofusées.