Crew Dragon Demo-2 s’est arrimé à 16h30 à la Station Spatiale. Congratulations Elon!

Je vais consacrer mon article de cette semaine à l’événement que constitue, pour tous ceux de mes contemporains qui ont soif d’Espace, le lancement jusqu’à l’ISS sur leur propre lanceur, de la première capsule habitée conçue et réalisée par Elon Musk et sa société SpaceX.

Il faudra attendre pour célébrer l’événement que non seulement les deux passagers de la capsule joliment nommée « Crew-Dragon Demo-2 », soient arrivés dans l’ISS mais aussi qu’ils soient revenus sur Terre sains et saufs avec la même capsule.

Comme nous sommes Samedi matin, avant la seconde tentative de lancement (à 21h35 ce jour), la première ayant été annulée pour mauvais temps, le mercredi 27 mai, on ne peut encore qu’espérer que tout se passe bien.

Il faut bien voir que de toute façon les Russes continueront à avoir leur accès à l’ISS (International Space Station, lancée en 1998) avec leur lanceur et leur capsule Soyouz et que ce qui change pratiquement avec ce vol, c’est l’accès direct des Américains après 10 ans d’incapacité. Mais bien sûr les Russes conserveront leur propre accès direct avec ce même lanceur et cette même capsule (premier vol 1966 !). Depuis le 17 avril c’est l’« Expédition-63 » qui est en cours. Elle a commencé avec l’arrivée de la capsule Soyouz « MS-15 » et va durer jusqu’en Octobre. Elle est aujourd’hui composée de 3 personnes (un Américain et deux Russes). Vont donc s’y joindre les deux astronautes du Crew Dragon Demo-2 et, si ce vol se passe bien (avec retour !), les trois astronautes du vol américain « normal » qui, utilisant à nouveau le lanceur et la capsule de SpaceX, « USCV1 » (pour US Crew Vehicle 1), remplaceront leurs concitoyens le 20 août.

Dans les deux cas, le lanceur sera le très classique Falcon-9 (aucun échec depuis 2016, 85 succès sur 87 lancements depuis 10 ans). De ce point de vue, le lancement de Samedi ne sera pas une performance (même si elle a subi quelques adaptations pour prendre en charge des passagers) car la fusée a démontré ses capacités au départ et surtout la fameuse récupération pour réutilisation, après avoir effectué le lancement. La particularité c’est évidemment que ce vol sera habité et qu’on ne peut s’empêcher d’appréhender que « quelque chose » se passe mal.

Ce qui est important c’est qu’en cas de succès non seulement les Américains retrouveront leur autonomie pour les vols habités mais aussi et je dirais, surtout, qu’Elon Musk aura franchi une nouvelle étape vers la réalisation de son projet martien.

Ce n’est pas que l’on envisage d’aller dans l’environnement martien (sans imaginer « descendre sur la planète ») avec le Crew Dragon. Même s’il est plus spacieux que les capsules antérieures, il reste une capsule de 4 mètres de diamètre et il est beaucoup trop petit pour accueillir un minimum d’astronautes (au moins deux !) avec leur équipement de support vie pour un très long voyage. Mais, avec ce vol, Elon Musk aura fait une nouvelle démonstration spectaculaire de ses capacités ingénieuriales pour des conditions de prix imbattables et il ouvrira les vannes d’une nouvelle source de revenus pour son entreprise.

Avec un prix de 55 millions de dollars, on descend d’un cran le coût des lancements, précédemment d’environ 90 millions de dollars (par exemple 424 millions de dollars payés par les Américains à la Russie pour transporter 6 astronautes en 2016/17). La NASA y trouvera son compte et on peut le supposer, aussi Elon Musk. On n’a pas la décomposition de son coût mais on peut espérer qu’il sera compatible sur le long terme (c’est-à-dire le nombre de lancements contractés avec la NASA) avec une rentabilité pour lui. Le mérite de l’entreprise privée est d’être contrainte à la rentabilité. Pour réussir il faut remettre au client un produit au moins aussi bon et fiable que celui de ses concurrents, et moins cher. Pour le moment c’est ce qui est sur le papier et la démonstration est sur le point de se faire.

Une fois le lancement effectué et la filière Crew Dragon « en route », Elon Musk, moralement conforté par son succès, pourra se consacrer avec encore plus d’énergie à son lanceur Super-Heavy et son vaisseau Starship nécessaires à ses projets interplanétaires. Je lui souhaite là aussi des progrès spectaculaires. Je rappelle que l’objectif était de débarquer un premier équipage humain sur Mars en 2024…ce qui semble aujourd’hui un peu présomptueux. Je parierais pour 2026, ce qui serait déjà très bien !

NB : ce message sera modifié après le lancement de ce soir, en fonction des événements.

PS.1: Décollage parfait, à l’heure prévue. Arrivée à la Station dans 19h00 (16h30) demain Dimanche 31 mai.

PS. 2: “Soft Docking” effectué juste à l’heure (sorry pour l’heure d’été hier!). En attente du hard docking pour que les astronautes puissent passer dans l’ISS.

Illustration de titre: Après que le lanceur ait été détaché du second étage de la fusée avec la capsule Crew Dragon Demo-2, on le voit s’éloigner dans l’espace pour retourner se poser sur Terre où il sera remis en état pour être réutlisé. Crédit NASA (la photo est prise du module de service de la capsule).

Photo ci-dessous: Crew Dragon Demo-2 avec son module de service, dans son hangar d’assemblage Crédit SpaceX.

Approche du Crew Dragon Demo 2 de l’ISS. La photo est prise de l’ISS (crédit NASA).

Un des passagers de l’ISS devant la porte du sas par laquelle les passagers du Crew Dragon Demo-2 entreront dans la Station (crédit NASA).

Le lanceur de la capsule est revenu sur Terre; il s’est posé sur une barge dans l’océan, avec une précision remarquable. Il sera remis en état et relancé. Photo crédit SpaceX.

PS, pour clore l’aventure: retour impeccable de la capsule sur Terre le 2 août!

Il est plus que temps de sortir de notre cocon!

L’exploration par vols habités ce n’est pas seulement aller vers Mars, bien évidemment. Je ne néglige pas les efforts qui ont été faits depuis que Gagarine a parcouru la première orbite de l’homme autour de sa planète d’origine. Ce que je regrette c’est surtout qu’on n’ait pas fait davantage sur une durée aussi longue. Le 12 avril 1961, date de ce vol historique, c’est loin, c’est très loin. Depuis, que de tours en rond autour de la Terre, que d’atermoiements, que de projets avortés !

Bien sûr ce n’est pas facile et nous avons connu des échecs et des morts. Mais malgré tout, que de frilosité, que de précautions ! L’opinion a sur-réagi aux quelques échecs et plus que tout, il semble qu’elle se soit lassée, que son attention se soit tournée ailleurs, à nouveau vers la Terre juste après avoir osé regarder plus loin.

Ce qui a manqué sur la durée, c’est le souffle, l’audace. Après les promenades sur la Lune du programme Apollo, il fallait retourner encore sur la Lune pour y mener des recherches scientifiques dont on a seulement entrevu l’intérêt sans les réaliser (et non pour y construire des « villages » inutiles) et surtout aller sur Mars. Nous avions le lanceur, Saturn V et nous avions les hommes, des hommes de la trempe de Gagarine ou de Neill Armstrong et Buzz Aldrin.

Bien sûr cela aurait été difficile mais c’était aussi difficile de quitter la Terre pour la première fois en allant sur la Lune. Bien sûr la technologie n’était pas totalement au point mais elle ne l’était pas non plus pour aller sur la Lune. Bien sûr le danger était grand mais c’était le cas aussi pour chacune des missions Apollo. Et il y aurait eu d’autres morts, oui, mais ces hommes courageux et déterminés en auraient accepté le risque.

Beaucoup d’entre nous ont le sentiment que partir ailleurs n’est pas une priorité, que nous avons le temps, que Mars brillera toujours dans le ciel et qu’il faut d’abord s’occuper de la Terre et d’apporter des solutions définitives aux maux qui nous accablent. Mais prioriser notre action sur Terre, c’est avoir une conception erronée de la vie et de notre devoir en tant que membres actifs car vivants, de notre espèce. Notre devoir bien sûr, vis à vis de nos ancêtres et de nos descendants, est de perpétuer notre espèce dans les meilleures conditions pour elle et, à ce titre, de corriger nos erreurs, notamment environnementales qui ont conduit à un état de fait dangereux non seulement pour les autres espèces que nous détruisons mais aussi pour nous-mêmes. Mais notre devoir est aussi de saisir les opportunités pour augmenter nos possibilités de survie et de floraison partout dans l’Univers. Les deux ne sont pas incompatibles, bien au contraire et les opportunités apparaissent dans des fenêtres qui s’ouvrent et qui se ferment.

Maintenant il faut aller sur Mars parce que plus que jamais nous le pouvons et que la fenêtre est encore ouverte. Il faut relever ce défi, être à la hauteur de nos capacités technologiques parce qu’un jour nous pourrions ne plus vouloir. Au-delà de la Lune, il sera moins difficile d’aller sur Mars que nulle part ailleurs dans le système solaire. Soyons concrets, ne rêvons pas ; nous n’irons pas physiquement sur Titan ni dans les nuages de Vénus avant très longtemps. Et entreprendre cette traversée de notre nouvel Océan qu’est l’Espace profond, ce sera pour le plus grand profit de l’humanité. Cela fera souffler partout autour de la surface de la Terre, un vent de jeunesse et un esprit d’aventure comme ce fut le cas quand l’Amérique ouvrit ses bras à la vieille Europe confite dans ses guerres intestines, gangrenée par ses querelles religieuses, fossilisée dans ses contraintes hiérarchiques et administratives.

Allons-Y ! « On to Mars », comme le disent nos amis Américains !

Illustration de titre:  Aurora (ESA), credit ESA et Pierre Carril. Je reprends encore une fois cette illustration que j’aime beaucoup car elle montre bien l’élan difficilement résistible (de mon point de vue) et l’espoir de l’humanité technologique vis à vis de l’espace. Elle est porteuse en même temps avec force, de l’imagination et du rêve d'”ailleurs”. Elle a été commandée à Pierre Carril par l’ESA à l’époque du lancement du programme Aurora de cette dernière. Pierre Carril est l’un des meilleurs illustrateurs scientifiques français se consacrant à l’espace. Ses dessins sont toujours extrêmement rigoureux et porteurs de sens. 

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Index L’appel de Mars 20 05 21

Connaître, Savoir, Comprendre!

Une de mes épopées favorites, « Rama » d’Arthur Clarke, qui se déroule dans l’Espace profond, se termine dans le dernier tome Rama revealed par la magnifique mélopée de sa figure principale, Nicole, mourante, scandée par ses « je comprends », « I understand » : « I understand » that is the most important statement anyone can ever make…The whole key to life is understanding ». Je partage sans réserve ce sentiment et cette soif que la vie n’est jamais assez longue pour étancher. Quand on se tourne vers le Cosmos et que forcément on s’interroge, on n’obtient pas LA réponse mais inévitablement, il me semble, on veut connaître, on veut savoir et on veut comprendre. « Connaître » c’est rassembler le maximum d’information, « savoir » c’est intégrer cette connaissance dans son esprit, « comprendre » c’est relier ce savoir à tout ce qu’on sait déjà et l’utiliser pour aller plus loin dans la conscience de soi-même et du monde.

Par chance, notre époque, ou plus précisément celle que j’ai vécue jusqu’à ce jour, a été plus que toute autre auparavant, celle des « Grandes-découvertes » fondées sur des progrès technologiques extraordinaires et petit à petit assimilées par la population. Pensez donc ! Au début du XXème siècle, hier pour moi qui suis né en 1944, on ne savait pas qu’il y avait d’autres galaxies que notre Voie-Lactée, on pensait que l’Univers était statique et en matière de messagers de l’espace profond, on ne connaissait que la lumière. Par ailleurs, l’astronautique n’existait pas puisque l’aviation venait juste d’être inventée et que la Lune était toujours le plus proche mais néanmoins inaccessible astre des nuits.

Certains regrettent ces progrès, les déprécient ou les négligent, en refusant le noir et le froid de l’Espace, en s’en détournant et ne voulant que regarder frileusement la surface de la Terre et les foules qui la peuplent, rassurés par le contact, le bruit des voix, le chant de la Nature qui l’anime par ses multiples formes de vie. J’y suis sensible car la Terre, notre « pâle petit point bleu », est toujours (ou encore*) belle, douce et accueillante, car l’Espace est exigeant et effrayant par les dangers qu’il contient et qui pourraient écraser, sans aucun état d’âme ou plutôt « en toute inconscience », les faibles enveloppes corporelles qui nous matérialisent. Mais dans le ciel je vois avant tout les étoiles et toutes leurs promesses et je veux connaître, savoir et « comprendre » encore plus.

Les promesses ce sont celles d’« ailleurs » et de « lointains » bien sûr mais surtout de mystères ou, mieux, de questionnements scientifiques, petit à petit résolus et toujours plus profonds, d’explications obtenues sur les « pourquoi » et les « comment » par beaucoup de travail et de réflexion fondée sur une accumulation prodigieuse de connaissances et sur une intelligence rarement développée aussi loin dans d’autres domaines. Oui ! l’Espace est source infinie d’émerveillement et d’enrichissement intellectuel et il faut continuer à l’explorer pour aller toujours plus loin dans toutes les dimensions qui nous sont accessibles ou que petit à petit nous ouvrons, en y affectant le maximum de nos ressources, par ses deux modalités absolument complémentaires, l’astronomie et l’astronautique.

*selon l’endroit où l’on se situe sur l’échelle optimisme / pessimisme.

J’espère que parmi nos descendants, suffisamment d’entre eux toujours se passionneront afin que l’Aventure continue, pour aller beaucoup plus loin que cet éphémère « là-bas » où nous sommes parvenus. En attendant, vous qui vivez ce temps présent avec moi, restez à mes côtés, accompagnez-moi, aussi bien dans la contemplation que dans l’effort de la réflexion !

Illustration de titre : au cœur de la nébuleuse d’Orion, crédit NASA (télescope Hubble).

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Index L’appel de Mars 20 05 16

Pour apprécier notre famille de planètes, davantage de données d’observation sur les autres systèmes restent nécessaires

Depuis plus de quatre ans que je tiens ce blog, je constate qu’à part Mars je n’ai pas beaucoup parlé de « nos » planètes, Mercure, Vénus, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune. Je dois dire qu’elles m’intéressent moins que les exoplanètes ou l’Univers lointain. Ou plutôt qu’elles ne m’intéressent qu’en tant que partie d’un système planétaire et pour comparaison avec les autres systèmes. Ce sont les possibilités de comparaison que je vais développer dans cet article.

On a longtemps pensé (jusqu’à la découverte des premières exoplanètes) que notre système était « standard » c’est-à-dire qu’il devait se répéter à l’infini, les mêmes lois ayant joué à partir des gaz et poussières formant les autres nébuleuses planétaires. En fait, tout comme l’observation permise par les instruments modernes et l’intelligence aussi bien que les connaissances de nos astronomes nous l’ont montré, ces nébuleuses ont permis non seulement, ce que l’on savait, la formation d’étoiles extrêmement diverses, mais aussi d’un « bestiaire » extrêmement varié de planètes. De ce fait notre système planétaire n’apparaît plus que comme une possibilité parmi d’autres.

Certes il y a des constantes, résultant de lois qui ont résisté à l’épreuve des faits, l’observation ! L’environnement de chaque étoile a une zone habitable, définie comme la zone où l’irradiance permet à l’eau d’être liquide. L’environnement de chaque étoile a donc une « ligne de glace », limite au-delà de laquelle l’eau ne peut plus se présenter sous forme liquide (actuellement, « chez nous », au milieu de la Ceinture d’astéroïdes), au-delà de laquelle l’accrétion des planètes a forcément consisté à assembler dans une même masse les éléments les plus denses qui se trouvent en deçà de la ligne de glace et tous les autres éléments « légers » (eau et gaz) qui ont pu subsister au-delà de cette limite. On peut aussi penser que l’accrétion n’ayant pu être totale dans aucun système, il doit subsister partout en quantités importantes, des éléments plus ou moins agglomérés, astres de taille plus ou moins petite (astéroïdes) qui ne se sont pas accrétés en planètes. Mais c’est à peu près tout ce qu’on peut « généraliser ».

Pour le reste tout va dépendre de (ou des) (l’)étoile(s), de la composition d’origine de la nébuleuse (sa densité et la répartition de sa masse dans son disque) et de son histoire, contrainte par sa composition mais aussi largement par le fruit du hasard. La première « complication » vient bien sûr de la masse de la nébuleuse qui a une influence sur la masse de l’étoile putative qu’elle porte en son sein. Ainsi une « petite » masse ne pourra donner qu’une naine-rouge, rayonnant très peu d’énergie, sinon une naine-brune, en rayonnant encore moins. La deuxième complication vient du nombre d’étoiles dans le système. Un système à multiple étoiles, très souvent deux, moins souvent trois, aura des conséquences différentes d’un système à étoile unique, non seulement sur les débris distants non accrétés du système mais aussi sur la présence et les mouvements des planètes lors de l’accrétion. Dans un système à étoiles multiples, l’équivalent de notre Nuage de Oort ne peut être un endroit « paisible » où rien ne se passe sauf une accrétion extrêmement lente de matière ne dépassant jamais la taille des comètes et stoppée presque tout de suite après qu’elle ait commencé. On peut imaginer que les étoiles membres d’un système double ou triple se partagent âprement ses astéroïdes ou les perturbent périodiquement, occasionnant de temps à autres des déluges de roche et de glace sur les « étages » inférieurs successifs. La troisième complication viendra de la répartition des densités de matière dans le disque protoplanétaire. Il semble impossible que cette répartition soit identique selon les disques. La conséquence, on l’a bien vue, est la diversité des éléments des systèmes planétaires que l’on a pu observer. La quatrième complication viendra de l’histoire de ces disques. L’accrétion se produit non seulement en fonction des variations de densité de la matière mais aussi du développement des embryons de planètes et des rencontres au hasard des proximités, des chocs, de leur vitesse relative donc de leur brutalité ou de leur douceur relative (le choc de Théia avec la proto-Terre donne la Lune, le choc d’un gros planétoïde avec la proto-Mars ne fait qu’augmenter la masse de la Mars définitive en venant, probablement, accroître la masse de son hémisphère Sud et créant sa dichotomie crustale). Ensuite chaque planète étant constituée jusqu’à une quantité de matière presque définitive, commence à avoir une influence gravitationnelle qui s’étend plus loin que son environnement immédiat et le problème de ses relations avec les autres planètes va se poser. C’est toute l’aventure du « Grand-tack de Jupiter et de Saturne telle que racontée par Alessandro Morbidelli, c’est-à-dire des phénomènes de résonance gravitationnelle qui peuvent s’établir entre elles et qui peuvent créer des résistances évolutives (dans la mesure où ces mouvements se créent et se développent pendant la période d’accrétion donc pendant une époque où la masse et la vitesse des astres continuent à évoluer) à la force de gravité fondamentale d’un système qui est celle exercée par son étoile.

Toutes ces considérations permettent de comprendre pourquoi les systèmes planétaires qu’on a découverts présentent des compositions si différentes les uns des autres. Ainsi des planètes formées au-delà de la limite de glace, comme notre Jupiter, sont bel et bien descendus jusqu’à proximité de leur étoile, c’est-à-dire qu’ils ont épuisé par accrétion les réserves de matière se trouvant entre eux et leur étoile, s’arrêtant à proximité de cette dernière sur la dernière orbite possible, celle en deçà de laquelle la force de gravité de l’étoile et ses premiers rayonnements n’avaient plus laissé aucune matière lors de sa formation. On appelle ces planètes des « Jupiters-chauds » et ils sont la règle plutôt que l’exception. On sait également que beaucoup de systèmes contiennent ce qu’on appelle des « superterres » en deçà de leur ligne de glace. C’est-à-dire qu’autour de certaines étoiles il y a eu suffisamment de densité de matière dans cette zone proche pour qu’une masse beaucoup plus importante que celle de la Terre s’agglomère sans être perturbée par les autres planètes en formation plus rapide au-delà de la ligne de glace (et de ce fait avec un peu d’avance) ou bien qu’à l’occasion d’une activité particulièrement intense de l’étoile, une planète de type Jupiter-chaud, comportant donc à l’origine une enveloppe de gaz, s’est trouvée exposée à un souffle particulièrement puissant de cette étoile ayant expulsé les éléments légers (toute proportion gardée, Mercure a probablement été « dénudée » de la sorte). A noter que, comme en matière de planétologie tout est question de masse, cela ne veut pas dire que ces « superterres » soient forcément des « Terres » au sens où on l’entend généralement mais simplement des planètes rocheuses (on dit aussi « telluriques »), sans éléments légers abondants. Au-delà de quelques masses solaires, on parvient en effet à un astre qui ne peut plus se comporter comme une Terre car qui dit masse dit chaleur (énergie cinétique d’accrétion plus chaleur résultant de la désintégration nucléaire des éléments les plus instables) et pression résultant de la force de gravité. Les superterres au-delà de 5 masses solaires sont des monstres de chaleur, à la surface desquelles le magma affleure partout avec une tectonique très active et elles sont donc proprement invivables. D’autres systèmes tels que celui de Trappist-1 présentent une série de plusieurs planètes de tailles à peu près égales, comparables à celle de la Terre, et très rapprochées les unes des autres. Enfin on peut imaginer que les planètes rocheuses (« terrestres » au sens très large), si elles existent en deçà de la ligne de glace, soit telles que leur formation sur place l’a permis, c’est-à-dire avec très peu d’éléments volatiles (donc en fait très peu « terrestres » au sens de la vraie Terre). Nous devons notre abondance d’eau probablement au Grand-tack et sans lui nous n’aurions sans doute pas eu d’Océan (avec très peu sinon pas du tout de terres émergées au début) et nous ne serions pas là pour en parler. Les planètes « terrestres », « normales », formées sur place sans ajout extérieur notable, sont donc probablement beaucoup plus sèches (l’eau ne provenant que des minéraux assemblés par accrétion, d’où elle peut ensuite être libérée par la chaleur allant jusqu’au volcanisme).

Quelles conclusions en tirer ? Il est sans doute un peu tôt pour en faire, quelles qu’elles puissent être au-delà de la diversité évoquée, car le fait est que nous n’avons pas encore une bonne vision des systèmes planétaires distants. Nos moyens d’observation créent un biais. Nous pouvons observer les exoplanètes d’autant plus qu’elles sont grosses, proches de leur étoile, pas trop lointaines de notre système et que cette étoile n’est pas trop lumineuse ni trop massive par rapport à elles (car jusqu’à présent on observe toujours non pas la planète mais les différences de luminosité ou l’influence gravitationnelle que la planète a sur l’étoile). On a donc jusqu’à aujourd’hui beaucoup observé de superterres ou de Jupiters-chauds autour de naines-rouges mais pratiquement pas de planètes de type terrestre (ou a fortiori de type martien, beaucoup plus petit !) orbitant à bonne distance de leur étoile (une centaine de millions de km) de type solaire. Il faut attendre des instruments plus précis et nous en avons qui devraient être bientôt opérationnels (on pourra observer la lumière de l’étoile réfléchi par la planète, mais encore faudra-t-il la trouver !). Le projet DARWIN de l’ETHZ est à ce propos très intéressant car il permettrait de distinguer, en « direct » et en interférométrie, la lumière réfléchie par l’étoile de l’étoile elle-même (rayonnement « MIR », pour « Mid-infraRed » qui est le segment du spectre dans lequel cette lumière réfléchie est la plus « visible »). Avec l’image complète ou presque complète de plusieurs systèmes stellaires de type solaire, on pourra reparler de notre propre système planétaire pour tenter de mieux comprendre ce qui en fait vraiment la spécificité et reparler donc de Mercure, Vénus, la Terre « et de toute la famille ».

Illustration de titre: vue d’artiste de la planète Kepler-186f. Credit: NASA/Ames/SETI Institute/JPL-Caltech, observée entre 2009 et 2013 par le télescope spatial Kepler (découverte publiée en 2014). Cette planète dont le système se trouve à environ 500 années-lumière de la Terre, est la première exoplanète découverte ayant a peu près la taille de la Terre (entre 100% et 110% de la masse terrestre) et elle est probablement rocheuse. Elle orbite son étoile, Kepler-186, en 130 jours et se situe à la limite externe de sa zone habitable. Son étoile est une naine rouge, assez grosse mais qui ne lui fournit qu’un tiers de l’énergie que reçoit la Terre du Soleil. Kepler-186f est la planète la plus externe de ce système qui en compte 5.

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Index L’appel de Mars 20 05 08

Au commencement était le gaz et la poussière

Au commencement était le gaz et la poussière, la poussière elle-même était nouvelle dans l’Espace puisqu’elle avait été produite après le gaz dans le cœur des étoiles mortes explosées à l’origine de notre nébuleuse. Puis avec l’écoulement du temps, toujours long, un jour, une autre perturbation dans notre futur environnement initia une contraction des éléments qui s’y trouvaient. La contraction entraîna, dans une environnement gazeux de plus en plus dense, l’accrétion de grains de poussière avec d’autres grains de poussière, des galets puis des rochers, puis des agrégats de poussière, de galets et de rochers par le jeu de la force de gravité qui investissait la matière. Enfin une nouvelle étoile s’alluma, notre Soleil, dans le centre le plus dense du nuage, plus dense parce que centre. Et petit à petit autour d’elle des planètes commencèrent leur rotation presqu’éternelle puisqu’elle continue à ce jour, dans la chaleur des impacts de leur naissance et de la désintégration radioactive de leurs éléments chimiques les plus instables.

Il restait malgré tout des assemblages orphelins qui n’avaient pu s’agglomérer. L’espace est vaste et la densité essentielle. Ces orphelins ce sont les myriades d’astéroïdes qui nous entourent. Dans notre système on les retrouve nombreux dans trois ensembles : la Ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter, la Ceinture de Kuiper au-delà de Neptune, toutes deux plus ou moins dans le plan de l’écliptique solaire, et plus loin encore la sphère gigantesque du Nuage de Oort comme une coque ou un halo enveloppant tout ce qui est commandé par la force de gravité du Soleil. Une partie des astres de la Ceinture d’astéroïdes est sèche car ils se sont formés dans la chaleur, en deçà de la Ligne des glaces et, au-delà, la glace est partout présente comme elle l’est dans les lunes des planètes gazeuses, de Jupiter à Neptune.

A ces deux catégories d’astéroïdes, primitifs, s’ajoutent une troisième catégorie plus récente puisqu’elle résulte des chocs des météores*, astéroïdes primitifs et planétésimaux, sur les planètes déjà formées, et une quatrième dont on est devenu récemment conscients, celle des astéroïdes provenant de l’extérieur du système solaire comme le fameux Ouméaméa ou le moins fameux Borisov. Et, pour compliquer le tout, les rencontres entre astéroïdes évidemment inévitables dans les zones où ils sont nombreux, provoquent de temps en temps des décrochements vers les régions inférieures et le Soleil.

NB : *les météores sont les astéroïdes qui pénètrent dans l’atmosphère planétaire.

A part les rares intrus venus d’autres systèmes, l’ensemble de ces formations de roches et de poussière sont les témoins de nos premiers milliards d’années, depuis le début de l’accrétion jusqu’à la fin de la formation de notre système planétaire. Ce sont aussi les témoins de nos échanges interplanétaires jusqu’aujourd’hui mais évidemment davantage dans notre passé le plus violent (car les météores dans notre système « mature » sont devenus rares et moins massifs). C’est un véritable livre de sciences naturelles et le premier livre de notre Histoire et c’est pour cela qu’il est passionnant de les observer dans leurs débris et leurs traces laissées sur Terre, sur la Lune et sur Mars, et dans le ciel, en allant les photographier, les toucher (par sondes robotiques interposées!), les prélever, les analyser.

Le livre n’est évidemment pas facile à lire car le langage n’est pas clair (on apprend le code en même temps qu’on le lit) et que l’histoire est longue et a été très mouvementée. En principe les astéroïdes les plus éloignés du Soleil sont les plus primitifs (comme Arrokhot anciennement Ultima Thulé, objet de Kuiper observé par la sonde New Horizons après son survol de Pluton et Charon). Les plus évolués sont évidemment ceux qui proviennent d’impacts survenus sur d’autres planètes (les SNC* martiens par exemple). Les comètes, provenant probablement du Nuage de Oort sont des objets très anciens mais lorsqu’elles approchent du Soleil, elles perdent leur virginité par la chaleur et le dégazage. Les objets de la Ceinture d’astéroïdes sont de deux sortes car c’est à ce niveau qu’a fluctué la Ligne de glace (d’eau). Malheureusement (si l’on peut dire) pour la lisibilité, la Ceinture a été « bouleversée » par le couple Jupiter / Saturne (en fait directement, Jupiter) qui selon le « Modèle de Nice » d’Alessandro Morbidelli, est descendu vers le Soleil au travers de cette région avant de repartir beaucoup plus loin vers l’extérieur du système solaire. Pendant la descente puis le rebroussement du couple, des astéroïdes ont été absorbés/accrétés par la planète, d’autres ont été projetés dans d’autres régions (aussi bien vers le Soleil que vers l’extérieur du système). Il reste donc une Ceinture beaucoup plus clairsemée qu’elle n’était à l’origine et contenant un mélange de corps secs (plutôt vers le Soleil) et de corps glacés (plutôt vers l’extérieur du système). On s’interroge sur Cérès le plus gros planétoïde de la Ceinture, qui est très riche en glace et qui pourrait venir de très loin vers l’extérieur du système.

*Shergottites, Nakhlites et Chassignites d’après les lieux où l’on a trouvé les premières d’entre elles (Indes, Egypte, France). Elles sont très rares, quelques 130 identifiées sur plus de 60.000 météorites répertoriées à ce jour. Par mi elles les Shergottites, basaltiques sont les plus nombreuses (et les moins intéressantes).

Au-delà du contenu en eau, la composition minéralogique varie selon la taille et l’origine. Cérès (980 km de diamètre) est une quasi planète, on dit une « planète-naine », comme Pluton (1180 km de diamètre) et elle s’est différenciée en différentes couches conduisant jusqu’à son centre qui comprend les éléments les plus lourds, le fer et les sidérophiles. Cette différenciation s’est faite par la chaleur résultant de l’énergie cinétique générée par la chute des divers astéroïdes qu’a accrétés la planète-naine du fait de la force de gravité inhérente à sa masse. Toutes les masses importantes orbitant dans le ciel ont subi ce processus. Parmi les plus petites masses, on trouve des astéroïdes qui proviennent par éclatement de plus gros objets (comme Cérès ou plus petits) et qui sont constitués d’un des éléments résultant de la différenciation thermique (« en gros », métaux ou silicates). Mais on trouve aussi des astéroïdes qui sont restés isolés et dont l’évolution depuis les temps les plus lointains a été très limitée (ils n’ont pas fondu même si la chaleur a joué son rôle pendant leur formation !). En fait ce sont les plus abondants dans notre système (près de 90%). On les nomme « chondrites ». Ils sont constituées de silicates dont une partie est structurée en « chondres », petits grains de quelques centaines de nanomètres comprenant outre des silicates, d’autres éléments dont des métaux. Bien entendu tous les chondres n’ont pas la même composition*  et tous les astéroïdes n’ont pas la même proportion de chondres. Par ailleurs ils peuvent être plus ou moins cratérisés ou couverts de rochers. A cela s’ajoute un dernier élément de différentiation, la proximité au Soleil. L’astre jeune était fougueux et violent. Selon la distance, son influence radiative, à commencer par la chaleur, a été plus ou moins marquée. Elle n’est évidemment pas du tout la même pour un astéroïde de la Ceinture de Kuiper et pour un astéroïde géocroiseur.

*pour tracer l’origine des molécules prébiotiques, on recherche les chondrites carbonées dont certaines contiennent des molécules organiques, comme la météorite de Murchison (1969 Australie) dans laquelle on a trouvé des acides aminés et des sucres.

Vous percevez maintenant un peu mieux le « tableau », la diversité et les déductions qu’on peut en tirer sur les premiers temps de notre systèmes et sur son évolution pendant la phase la plus active de sa formation. Et vous comprenez maintenant pourquoi les missions vers Bennu, Ryugu ou la comète Tchouryoumov Gerasimenko, sans compter les enseignements que l’on peut tirer des météorites martiennes, identifiées sur Terre par la composition des bulles de gaz atmosphérique qu’elles ont emportés de leur lieu d’origine et qu’on identifie par comparaison avec ce qu’on sait aujourd’hui de la composition de l’atmosphère martienne. Nous avons sous les yeux les hiéroglyphes de la mémoire du temps mais le déchiffrement ne peut se faire que par comparaisons, analogies, prélèvements, analyses, nombre suffisant d’observations. C’est difficile mais beaucoup moins que le déchiffrement du palimpseste de notre planète où il est quasiment impossible de lire le texte des premières pages effacé par l’érosion tectonique et la vie.

A côté de l’astronomie des origines de l’Univers et celle des autres galaxies, plus ou moins lointaines, l’étude des astéroïdes n’est donc pas à négliger car ils sont la matière dont nous sommes faits. Les molécules organiques ne manquent pas et c’est sur ces petits corps, avec un peu ou beaucoup d’énergie, que se sont déroulés les premiers stades menant à notre propre complexité.

Image de titre: astéroïde Bennu, crédit NASA..

image ci-dessous: météorite de Murchison, Crédit : Philippe Schmitt-Kopplin

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