Megapower un réacteur nucléaire d’un nouveau type qui nous permettra de vivre sur Mars

Le Los Alamos National Laboratory *(LANL), travaille en partenariat avec la NASA sur « Megapower », un nouveau type de réacteur nucléaire qui convient parfaitement aux besoins énergétiques d’un établissement humain sur Mars.

* Appartient au « Department of Energy » (« DOE ») des Etats-Unis.

Megapower est un réacteur extrêmement robuste, aisément transportable et contrôlable. Il pourrait être utilisé dans tous les endroits difficiles d’accès et ne disposant pas d’infrastructures énergétiques préexistantes. On pense évidemment tout de suite à la Lune ou à Mars. Son principe est le même que le réacteur « KRUSTY » (« Kilopower Reactor Using Sterling Technology », présenté en février 2018 dans ce blog) mais il aura une puissance beaucoup plus élevée (jusqu’à 10 MWe* au lieu de 10 kWe*).

*puissances visées par le LANL .

De l’Uranium 235 (235U) sous une forme « légèrement »* enrichi (« LEU » pour « Low Enriched Uranium », 19,75%*) génère de la chaleur par le phénomène de fission généré par l’impact de neutrons provenant d’autres noyaux préalablement fissionnés (2 à 3 en moyenne par fission). L’effet est renforcé par des réflecteurs (en alumine – Al2O3 – ou oxyde de béryllium -BeO) placés autour du cœur et qui renvoient vers l’intérieur de la masse de ce cœur, les neutrons qui auraient tendance à s’en échapper (ce qui permet aussi d’utiliser ce matériau, LEU). La chaleur est conduite par des fluides caloporteurs (sodium dans le cas de KRUSTY, potassium dans le cas de Megapower) circulant dans des tuyaux caloducs (« heat-pipes », conçus par LANL) au dehors du cœur du réacteur, où elle alimente un moteur (Stirling dans le cas de KRUSTY) ou une turbine à gaz (cycle de Brayton dans le cas de Megapower) qui la convertit en énergie mécanique puis en électricité au moyen d’une génératrice couplée au moteur.

*tout près de la limite de 20% qui qualifie cette catégorie; c’est un enrichissement très nettement élevé néanmoins si l’on considère que le combustible des centrales nucléaires n’est, lui, enrichi qu’à 3-4 % seulement.

L’efficacité de conversion en énergie électrique est d’autant plus grande qu’il existe un différentiel de températures important entre la chaleur produite par le réacteur et la source froide extérieure dans laquelle est rejetée la chaleur résiduelle (2ème Principe de la thermodynamique). Lorsque la demande en énergie est forte le fluide caloporteur retire la chaleur plus vite du cœur, le réacteur commence par se refroidir et le combustible se contracte ce qui tend à faire augmenter le nombre de réactions et in fine à provoquer un plus fort dégagement de chaleur (contre-réaction positive). Inversement lorsque la demande d’énergie est moins forte, la chaleur augmente dans le cœur ce qui conduit le combustible à se dilater et les réactions à diminuer, ce qui permet une auto-régulation et un retour à l’équilibre. C’est la grande originalité et le grand avantage de Megapower qui contrairement aux réacteurs nucléaires traditionnelles, n’a pas besoin d’un système complexe de valves et de pompes pour obtenir un refroidissement à partir de quantités d’eau importantes prélevées dans un fleuve, dans un lac ou dans la mer. Par ailleurs, le réacteur dispose à sa périphérie (avant le bouclier/réflecteur d’alumine) de 12 tambours rotatifs revêtus chacun d’un arc de carbure de bore qui peut être plus ou moins exposé vers le cœur pour freiner la réaction, et de deux barres de carbure de bore que l’on peut insérer facilement au cœur du dispositif (le carbure de bore, B4C, est un puissant absorbeur de neutrons) en cas d’urgence pour faire chuter rapidement le nombre de neutrons et donc les réactions de fission. Enfin, comme dans tout réacteur, un évacuateur de puissance résiduelle (« decay heat exchanger ») intégré entre le cœur et l’échangeur primaire de chaleur avec le moteur/convertisseur, permet de dégager de l’intérieur du cœur tout excès de chaleur.

La structure du Megapower est complexe, pour exploiter le plus efficacement possible la source de chaleur et assurer la bonne maîtrise du dispositif. C’est un monobloc d’acier inoxydable dans laquelle sont installés en hexagone autour d’un vide central lui-même hexagonal, six secteurs de cœur de réacteur couvrant chacun 60° de celui-ci, dans chacun desquels courent un grand nombre de de tubes verticaux (2112) remplis de pastilles de LEU entre lesquels s’insèrent de nombreux tubes verticaux caloporteurs (1224). Comme indiqué ci-dessus, les tubes de LEU ne sortent pas du cœur du réacteur (il comporte à ses extrémités deux blocs réflecteurs); seuls les tubes caloporteurs se prolongent en dehors pour conduire la chaleur jusqu’au dispositif de conversion en électricité, en passant ensuite par l’évacuateur de puissance résiduelle.

Le tout donne un ensemble cylindrique de 4 mètres de long et de 1,5 mètres de diamètre qui devrait peser entre 35 et 45 tonnes (dont 3 tonnes de combustible). Ce n’est ni léger ni tout petit mais un vaisseau spatial du type Starship de SpaceX devrait pouvoir déposer 100 tonnes sur Mars et ni le volume ni le poids de Megapower ne devraient donc poser problème.

Le transport entre la Terre et Mars de tels réacteurs est donc possible. Un village martien d’un millier d’habitants comme il est envisagé d’en établir une vingtaine d’années après le 1er vol habité vers la quatrième planète, pourrait fonctionner avec quatre ou cinq d’entre eux, avec en complément plusieurs réacteurs KRUSTY pour donner de la flexibilité et peut-être équiper quelques sites éloignés de la base et du fait que KRUSTY sera aisément transportable d’un endroit à l’autre. Il ne faut pas oublier qu’il n’y a aucune infrastructure sur Mars et qu’il faudra tout installer et tout construire, y compris des unités d’industrie lourde pour produire acier, verre, aluminium, éthylène, polyéthylène, méthanol, engrais, etc…On aura donc besoin de beaucoup d’énergie dès le « début ». On commencera sans doute par expédier deux réacteurs avec la première mission habitée (redondance minimum nécessaire) puis on expédiera un réacteur lors de chaque fenêtre de tirs (tous les 26 mois). On aura ainsi toujours plus de puissance disponible, en parallèle avec la croissance des possibilités de l’utiliser. Comme pour d’autres produits sophistiqués, il ne peut être question au début de fabriquer ces réacteurs sur Mars. Il faudra en continuer l’importation depuis la Terre pendant la durée nécessaire, pour en augmenter le nombre et renouveler régulièrement ceux qui arriveront en fin de vie car ils ne devraient maintenir leur puissance nominale que sur une dizaine d’années. Progressivement, il faudra s’efforcer de produire sur Mars les éléments les plus massifs ou dont le transport pourrait poser problème. Il faudra s’y appliquer dès le début car pouvoir réduire le transport de volumes et de masses depuis la Terre sera une des premières conditions d’une installation pérenne, compte tenu du coût élevé du transport, des limitations en volume des soutes des vaisseaux spatiaux et de l’espacement des fenêtres de tirs.

On voit bien les avantages de ce type de réacteur pour l’installation de l’homme sur Mars. Le Soleil sera certes également une source d’énergie. Il serait stupide de ne pas en tirer profit mais il est impossible de compter dessus pour satisfaire l’ensemble des besoins. L’irradiance solaire varie de 492 à 715 W/m2 à la distance de l’orbite martienne contre 1321 à 1413 à la distance de l’orbite terrestre, l’efficacité énergétique des panneaux photovoltaïques est (aujourd’hui) au maximum de 40% et bien sûr, les panneaux solaires ne fonctionnent pas la nuit, moins bien si on s’éloigne de l’équateur et plus du tout pendant les tempêtes de poussière ! Donc l’énergie solaire ne pourra être qu’un appoint et, comme il n’y a ni charbon, ni pétrole, ni eau courante, les autres sources possibles d’énergie se réduisent à la géothermie, si l’on trouve des points chauds offrant avec la surface un différentiel de températures intéressant.

LANL espère que ses réacteurs seront prêts dans 5 ans, c’est juste ce qu’il nous faut puisque le premier voyage avec le Starship d’Elon Musk devrait avoir lieu en 2024 ! Il ne reste qu’à souhaiter plein succès aux ingénieurs qui travaillent à résoudre les dernières difficultés techniques levées par l’« INL » (« Idaho National Laboratory ») qui appartient aussi au DOE et qui a été chargé par ce dernier de faire une étude critique du projet.

Image à la Une : Un réacteur Megapower dans son camion de livraison. Cela donne une bonne idée des dimensions. Crédit LANL

Image ci-dessous : volumes principaux d’un Megapower (crédit LANL).

Images ci-dessous : coupe horizontale du réacteur (crédit LANL). On y voit les six segments de cœur du réacteur, en acier inoxydable, traversés par des tubes où sont empilées les pastilles LEU de 235U, entourées par d’autres tubes remplis de potassium, tout autour les 12 tambours de contrôle portant leurs arcs en carbure de bore et au centre la cavité hexagonale dans laquelle peuvent être introduites les barres en carbure de bore. Le cercle jaune extérieur est le bouclier/réflecteur en Alumine.

Image ci-dessous : coupe horizontale de l’un des six segments du cœur du réacteur (crédit LANL). Chaque tube de combustible (“fuel”, couleur pourpre) de LEU est entouré de trois conduites de transport de chaleur (blanc).

Image ci-dessous à gauche: un des six segments du cœur du réacteur (crédit LANL) et, à droite, une coupe verticale de ce segment (crédit LANL).

             

 

Des précisions / corrections ont été introduites après relecture par le Dr Pierre-André Haldi (directeur du Master of Advanced Studies en énergie, à l’EPFL)

Références :

article dans 1663 (la revue du LANL) : https://www.lanl.gov/discover/publications/1663/2019-february/_assets/docs/1663-33-Megapower.pdf

Proposition alternative de l’INL : https://ndiastorage.blob.core.usgovcloudapi.net/ndia/2017/power/Ananth19349.pdf

 

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Index L’appel de Mars 19 05 10

A la recherche d’un cousin de LUCA notre ancêtre ultime

LUCA, notre « Last Universal Common Ancestor »*, a-t-il été unique dans l’Univers ? C’est pour tenter d’obtenir une réponse à cette question que l’exploration attentive et approfondie de Mars est essentielle.

*LUCA a probablement vécu il y a près de 4 milliards d’années.

La Vie sur Terre (la seule que nous connaissons) est apparue dans des conditions que l’on ignore. On peut constater l’inanimé d’une part avec la présence d’éléments plus ou moins élaborés utilisés par la Vie, l’animé d’autre part et, de ce seul fait, la preuve d’un passage d’un état à l’autre, mais non connaître le processus du passage, même si on en suppose les conditions et certaines phases. Le plus grand prodige c’est le résultat, la Vie, c’est-à-dire un processus continu de transformation de la matière par des organismes puisant leur énergie et leurs éléments constituants dans leur environnement, pour se reproduire presque à l’identique mais pas tout à fait ce qui leur permet de s’adapter aux conditions extérieures et donc d’évoluer.

L’expression de la Vie la plus simple et la plus ancienne c’est la cellule autonome procaryote, bactérie ou archée, qui comprend une enveloppe (membrane) qui sépare et protège un intérieur d’un extérieur mais en même temps permet le contact et les échanges, et à l’intérieur les éléments essentiels au fonctionnement et à la reproduction, c’est-à-dire à la continuité de la Vie. La bactérie ou l’archée ne comprennent que les éléments dont elles ont strictement besoin pour satisfaire cette pulsion homéostatique*. Elles se débarrassent des autres. Ce sont des modèles de rationalité et d’économie. Des êtres certes qui n’ont pas la complexité des eucaryotes métazoaires avec tout un jeu d’organes complémentaires ou même celle des eucaryotes unicellulaires avec leur noyau et ses mitochondries, mais des êtres déjà extraordinairement élaborés et ajustés à leur fonction. Il s’agit pour ces procaryotes de se reproduire plus vite que « les autres » pour disposer du terrain et donc des aliments pour se perpétuer et de l’espace pour projeter leurs descendances. L’instrument de base est l’ADN, la matrice et le modèle qu’il faut transmettre à la génération suivante et qui contrôle « tout » c’est-à-dire la production de protéines et le processus de captation d’énergie pour faire fonctionner l’ensemble de la cellule, ainsi que le mécanisme de reproduction.

*cf: “L’ordre étrange des choses” d’Antonio Damasio

LUCA est l’ancêtre dont nous descendons tous. Tous les êtres vivants sur Terre ont en commun un assemblage génétique qui remonte jusqu’à lui. Il est le seul de ses frères ou cousins cellulaires à avoir transmis ses gênes à une descendance, même s’il a pu faire partie d’une communauté pendant sa très courte vie. A partir de lui la Vie a proliféré en se divisant toujours plus, à commencer par l’embranchement bactéries / archées et jusqu’à la diversité extrême des espèces que nous constatons aujourd’hui. Pour comprendre LUCA c’est-à-dire l’assemblage merveilleux dont toute vie découle, il nous faut connaître l’avant LUCA au plus près de LUCA.

Ses prédécesseurs sont des éléments de plus en plus complexes (composition chimique, polymérisation, choix d’un énantiomère) fonctionnant ensemble dans la nature puis à l’intérieur d’une membrane, peut-être des cellules douées d’une capacité reproductive mais évidemment moins performantes que LUCA puisqu’elles n’ont pas laissé de descendance si ce n’est par l’intermédiaire de LUCA. Il s’agit donc de savoir quels ont été les éléments ultimes de la construction et celui qui a déclenché l’étincelle qui a mis en route le moteur qui ne s’est ensuite jamais éteint. Sur Terre, la tâche est très difficile. Les roches les plus anciennes, remontant à l’époque ou l’alchimie de la Vie a produit son chef-d’œuvre, son LUCA, sans doute non avant -4 milliards d’années (-4Ga) et probablement entre -4 et -3,8 Ga, sont extrêmement rares, n’occupant que quelques tout petits km2 au Nord-Ouest de l’Australie ou au Nord du Groenland. L’érosion a été terriblement abrasive, la tectonique des plaques a recyclé presque tout ce qui pouvait l’être, en dépit de la flottabilité des masses continentales au-dessus de la croûte de la planète. La taphonomie (science de la transformation des êtres vivants après leur mort) est très difficile du fait de cette histoire compliquée et à l’extrême (vestiges de plus de 3,5 Ga) les doutes sont forts. Pour tenter de les lever on doit associer l’étude visuelle (morphologie des biomorphes) à l’étude chimique (présence de matière kérogène, abondance de l’isotope 12 du carbone, traces d’activités métaboliques) en prenant en compte l’évolution que la forme ou la composition ont pu subir du fait du temps, en prenant un soin extrême à écarter toute contamination du fait de l’histoire de la roche examinée ou de la manipulation lors de l’examen lui-même, et en affermissant les hypothèses en discutant les indices.

Sur Mars, la situation est très différente car la vie planétologique s’est considérablement ralentie depuis l’époque où la Vie est apparue sur Terre et a pu par analogie commencer sur Mars, puisque les conditions environnementales antérieures des deux planètes étaient très semblables*. La tectonique des plaques s’est arrêtée très tôt, empêchant le recyclage et la transformation des roches de surface, l’érosion aqueuse, forte par intermittence, n’a plus été généralisée et l’érosion éolienne bien que non nulle est évidemment restée faible puisque la densité de l’atmosphère est devenue nettement plus faible. Il y a eu beaucoup de volcanisme mais les laves ont laissé indemnes des millions de km2 de surface. On peut donc supposer que si le processus de Vie était enclenché vers -3,5 Ga et avait donné naissance à un LUCA local, il a pu continuer, en évoluant uniquement à l’occasion de chaque épisode humide, donc au ralenti par rapport à ce qui s’est passé sur Terre et en préservant de ce fait des types plus archaïques (et aussi plus robustes).

*NB: elles n’étaient cependant pas identiques, essentiellement parce que Mars bénéficie d’une irradiance solaire moindre, d’une masse planétaire moindre, probablement de moins d’eau, peut-être aussi d’un mixe atmosphérique un peu différent et enfin parce qu’elle souffre d’une absence de Lune.

Maintenant il y a deux alternatives : soit le processus de Vie a démarré, soit il n’a pas démarré pendant la période favorable des quelques centaines de millions d’années autour de -4Ga. S’il n’a pas démarré, on trouvera un jour jusqu’où l’environnement planétaire martien a conduit l’évolution des éléments organiques prébiotiques (non-biologiques ou presque-biologiques) et, connaissant les particularités de l’environnement martien par rapport à celui de la Terre à cette époque, on comprendra mieux pourquoi il a réussi sur Terre et les difficultés qu’il a dû surmonter pour y apparaître. S’il a démarré sur Mars, soit on trouvera un jour des êtres vivants martiens descendant de cet autre LUCA, soit des fossiles de ces êtres vivants. Dans un cas comme dans l’autre nous aurons des preuves et des indication sur la force adaptative (et éventuellement les limites) de la Vie une fois qu’elle a commencé. Puisque l’érosion a été moins forte sur Mars que sur la Terre, on peut aussi espérer que la taphonomie des objets les plus anciens (remontant à l’hypothétique LUCA martien) soit moins difficile (même si le temps passé et l’irradiation de la surface du sol ont pu évidement induire des évolutions importantes).

Par ailleurs, si la Vie a commencé sur Mars, il sera passionnant de voir avec quels éléments elle s’est constituée. Au tout début de notre Vie terrestre, nous avons deux branches, celle des bactéries et celle des archées. Elles présentent des différences fortes, au niveau des membranes plasmiques et de la paroi cellulaire, dans le mode de réplication de l’ADN ou dans celui de l’expression des gènes. Il n’y a aucune raison pour qu’une Vie martienne ne présente pas des différences aussi fortes ou même plus. Il n’y a aucune raison que la Vie martienne n’utilise pas d’autres acides aminés que les nôtres, que le sucre ou la base azotée de ses nucléotides soient exactement les mêmes, que son mode de respiration conduise aux mêmes échanges d’énergie que sur Terre en passant par l’ATP. Tout ceci sera très important pour comprendre et apprécier le processus vital en général, savoir ce qui est irréductiblement nécessaire et ce qui l’est moins. Cela nous donnera aussi une compréhension plus abstraite de la Vie comme processus d’évolution de la matière.

La recherche biologique est une motivation fondamentale de l’exploration humaine. Cela justifie toutes les dépenses que nous pouvons effectuer pour aller examiner en dehors de la Terre, le sol et le sous-sol de la planète accessible où la répétition de l’événement est le plus probable, c’est à dire Mars. Mais il ne faut pas rêver. Pour que ces dépenses soient vraiment efficaces, le retour de quelques échantillons ne sera pas suffisant, surtout si la Vie n’a pu véritablement s’étendre à l’ensemble de la surface de Mars, ou si elle revêt des formes et une composition inattendues. Il faudra une présence humaine avec tous les équipements d’investigation de pointe dont nous pouvons disposer et beaucoup d’intelligence appliquée au plus près du terrain, sur Mars.

Illustration de titre: microstructures parmi les premières traces incontestables de vie terrestre. In “Microfossils of sulphur-metabolizing cells in 3.4 billion-year-old rocks of Western Australia (Strelley Pool), par David Wacey et al. publié le 21/08/2011 dans Nature Geoscience, DOI:10.1038/NGEO1238

Conférence le 22 mai à 18h00 à l’EPFL (en Anglais) sur le thème ‘Logistic & economic challenges to realize a Martian village”. Accès libre mais inscription demandée.

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Index L’appel de Mars 19 05 10

La sismologie martienne une clé essentielle pour mieux comprendre Mars…et la Terre

Le sismomètre SEIS1 est le fruit de la recherche scientifique française avec la collaboration de la Suisse3. L’équipe est menée par Philippe Lognonné2. SEIS est le principal instrument de la mission Insight de la NASA. Il a enregistré le premier tremblement de Mars ce 7 avril 2019 (sol 128 de la mission InSight). Ce que cet enregistrement nous dit est porteur d’espoir mais aussi de difficultés. L’information dominante est que la structure interne de Mars ressemble plus à celle de la Lune qu’à celle de la Terre. Cela a plusieurs implications.

(1) « Seismic Experiment for Interior Stucture »;

(2) P.I. (responsable scientifique, « Principal Investigator »), Université Paris-Diderot et Institut de Physique du Globe de Paris;  

On peut lire sur le site internet de SEIS ce qui particularise les tremblements de Lune :

« Sur la Lune…les ondes sismiques…sont…diffractées dans toutes les directions par une immensité de structures de toutes tailles. Exposée sans protection au martèlement des impacts météoritiques depuis des milliards d’années, la croûte lunaire, bien loin d’être homogène, est effectivement intensément concassée. En se réverbérant de manière incessante sur les fractures de cette enveloppe morcelée et brisée, les trains d’ondes se complexifient et se dispersent dans le temps. Au lieu d’enregistrer un signal clair, sur une période assez courte, un sismomètre…capte au contraire un signal diffus et déstructuré, qui s’étale sur des intervalles de temps plus longs».

Si on obtient le même type de résultats sur Mars, c’est donc que la croûte de la planète a été pareillement « intensément concassée » par les impacts et qu’elle l’est restée. Cela peut s’expliquer par une histoire météoritique tout aussi riche que celle de la Lune et aussi par le fait que depuis au moins 4 milliards d’années il n’y a plus eu de tectonique des plaques pour renouveler cette croûte.

Apparemment les sismologues ne désespèrent pas, malgré tout, de pouvoir interpréter correctement les signaux de leur sismomètre déposé en surface le 19 décembre dernier et mis en service le 5 avril, c’est-à-dire localiser leur source et constater par leur déplacement depuis elles jusqu’au capteur, la structure de la planète. On peut simplement craindre que la lecture ne puisse être aussi précise que sur Terre compte tenu des nombreuses interférences parasites.

Un deuxième point à noter c’est que le premier tremblement de Mars clairement identifié comme tel, était extrêmement faible, tellement faible qu’on ne peut lui assigner aucune magnitude (vous connaissez certainement la fameuse échelle ouverte de Richter ; sur cette échelle le tremblement enregistré n’atteindrait pas l’échelon 1). Cela peut témoigner bien sûr d’une activité sismique faible, ce qui ne serait pas étonnant sur une planète plus petite que la Terre (1/10ème de sa masse), qui s’est refroidi (on pourrait dire « a séché ») beaucoup plus vite et profondément qu’elle, en générant donc une croûte beaucoup plus épaisse, d’un seul tenant, et qui de plus n’est pas exposée à l’attraction d’un astre compagnon aussi massif que la Lune l’est pour la Terre (qui exerce de ce fait sur cette dernière des forces de marée non négligeables).

On peut espérer bien sûr d’autres événements, soit un tremblement interne nettement plus important, bien sûr possible puisque la collecte de données ne fait que commencer, soit l’impact d’une météorite importante. Un tel impact aurait le même effet déclencheur d’ondes sismiques qu’un tremblement et si celles-ci ne témoigneraient pas d’une activité interne, elles pourraient du moins décrire par leur cheminement, la structure interne de la planète.

De toute façon les résultats de SEIS seront intéressants car ils permettront sûrement de mieux connaître cette structure, avec des données beaucoup plus nombreuses et précises qu’aujourd’hui (on dispose de la dimension de la planète, de sa vitesse sur orbite, de sa masse et de la mesure de la précession de ses équinoxes) et aussi parce qu’il est important de bien connaître toutes les différences de Mars avec la Terre pour mieux apprécier les particularités de cette dernière (notamment mieux comprendre l’effet dynamo interne qui génère notre champ magnétique global).

Avec la sensibilité proprement extraordinaire de SEIS, nous saurons aussi quelle dangerosité présentent les astéroïdes pour les hommes qui un jour s’installeront sur Mars. Il est important de connaître sur une surface donnée et sur une durée donnée, le nombre d’impacts et l’énergie cinétiques dont ils sont toujours, actuellement, porteurs. Cela nous dira encore mieux que l’observation d’une carte montrant ces impacts, quel type d’habitats il faut privilégier (totalement enterrés ou construits en surface et avec quelle protection) et quelles mesures, il conviendra de prendre lorsqu’on s’éloignera beaucoup de la base (refuges).

Nous sommes au tout début de la sismologie martienne, on peut dire « aux prémices » puisque les sismographes précédemment posés remontent aux Vikings et qu’ils n’avaient pas fonctionné. Tout commence; grâce à la performance déjà accomplie par l’ensemble des équipes de la mission InSight.

(3)NB: avec l’ETH Zürich la Suisse est en effet un partenaire important de la mission franco-germano-américaine (la sonde allemande HP3 est le second instrument embarqué sur InSight). C’est son « Gruppe für Seismologie und Geodynamik », « GSG », qui est responsable de l’« eBOX », cœur informatique de l’instrument SEIS. Les signaux reçus du sismomètre proprement dit, déposé au sol et relié physiquement à l’atterrisseur par câbles, sont transmis à cette boîte qui se trouve à l’intérieur de l’atterrisseur en température stabilisée (les variations de températures pourraient perturber les prises de mesures). Elle renferme neuf cartes électroniques dont deux réalisées par le GSG. L’une contrôle l’alimentation en énergie, la seconde assure l’acquisition des données et le contrôle général de l’instrument. C’est le Service sismologique suisse (SED), de cette même ETHZ qui analysera les données en vue d’élaborer un catalogue de sismicité martienne.

Les cartes qui contrôlent les pendules à très large bande (les « VBB », « Very Broad Band », qui donnent une sensibilité extrêmement étendue au sismomètre (fréquence de 0,1 à 1000 Hz), lui permettant de couvrir l’ensemble du spectre possible des ondes sismiques martiennes) et assurent leur rétroaction (remise en place des éléments de pendules dès qu’ils ont été actionnés par un événement) sont françaises (IPGP+EREMS). Une autre carte pour une sismologie plus classique et redondante (capteurs à courte période, « SP », sensibles à des ondes sismiques de fréquence allant de 1 à 40 Hz,) est anglaise (Imperial College, Oxford). Les Allemands sont chargés du contrôle de mise à niveau de l’instrument par rapport au sol (que l’on comprend comme étant aussi très important !).

La très grande sensibilité de l’instrument (notamment résultant de ses pendules VBB) n’a de sens que s’il est très bien protégé de tout « bruit » extérieur (mouvement, température, pression). C’est le rôle de la cloche de confinement sous vide créée par les équipes françaises du CNES, de l’IPGP, de l’Université Paris-Diderot et de la SODERN.

Image à la Une : Image du premier tremblement de Mars enregistré par SEIS pendant le sol 128 (128ème jour martien de la mission InSight).

Image ci-dessous: l’instrument suisse eBOX, cœur de SEIS:

Lire mon premier article sur SEIS (daté des 1er mai et 26 novembre 2018) :

« InSight va ausculter Mars pour nous permettre de mieux la comprendre »

Conférence le 22 mai à 18h00 à l’EPFL (en Anglais) sur le thème ‘Logistic & economic challenges to realize a Martian village”. Accès libre mais inscription demandée.

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Index L’appel de Mars 19 05 02

L’histoire de l’eau liquide sur Mars n’apparaît plus si claire

Les traces d’écoulement d’eau liquide apparaissent partout en surface de Mars, surtout dans la zone intertropicale. Une nouvelle étude parue dans Science-advances (AAAS) en date du 29 mars jette le trouble sur une partie de son histoire. Elle a été dirigée par Edwin S. Kite de l’Université de Chicago.

On estime qu’après une période très ancienne correspondant à une partie de nos éons Hadéen et Archéen (ère de l’Eoarchéen) où l’eau liquide a coulé en surface, la planète s’est irrémédiablement asséchée à la suite de la perte de son atmosphère épaisse. Cette période humide est divisée en deux éons martiens, le Phyllosien et le Théiikien (classification stratigraphique proposée par l’astrophysicien Jean-Pierre Bibring de l’Institut d’Astrophysique Spatiale, Saclay, France) correspondant chronologiquement plus ou moins aux éons morphologiques Noachien et Hespérien – du moins à la partie la plus ancienne de ce dernier). Le Phyllosien (éon des argiles), jusqu’à -4 milliards d’années («- 4 Ga »), correspond à une planète encore chaude en surface et enveloppée d’une atmosphère épaisse résultant de l’accrétion primordiale et du dégazage interne en résultant ; cette atmosphère est probablement protégée par un bouclier électromagnétique généré par un effet dynamo interne (comme sur Terre encore aujourd’hui), à l’interface du noyau de la planète avec son manteau. Cet éon prend fin avec le « « Grand Bombardement Tardif » (LHB) aux alentours de -4 Ga. Le Théiikien (éon du soufre) succédant à cet événement et se prolongeant jusqu’à environ -3,6 Ga correspond à une période de très fort volcanisme permettant malgré l’arrêt de l’effet dynamo planétaire, de conserver une bonne pression atmosphérique, beaucoup de gaz à effet de serre (notamment soufre, d’où son nom) et une bonne couverture nuageuse.

Après cela, pendant l’éon suivant, le Sidérikien (éon du fer) qui se prolonge jusqu’à aujourd’hui, l’eau liquide n’a fait que des apparitions de moins en moins fréquentes sous forme d’écoulements à l’occasion des grandes éruptions volcaniques ponctuant l’histoire géologique de la planète. Et ces écoulements devaient, selon la théorie en vigueur, avoir été peu abondants (sans doute compte tenu du fait qu’ils étaient rares et que le fond du climat évoluait vers toujours plus d’aridité). Le fait nouveau résultant de l’étude publiée dans Science-advances, n’est pas la contestation du changement climatique entre le Theiikien et le Sidérikien mais plutôt l’abondance d’eau liquide s’écoulant au cours des épisodes humides pendant ce dernier éon, surtout entre -3,6 Ga et -2 Ga mais même vraisemblablement jusqu’après -1 Ga.

L’étude qui a conduit à cette constatation, dérangeante, a consisté à évaluer les flux d’eau courante (volume, force et durée) en prenant en compte (a) la largeur de lits asséchés (plus de 200) partout à la surface de la planète et datant de cette période (-3,6 Ga à -2 Ga), et des chenaux qui les parcourent, (b) les longueurs d’onde des sinuosités des chenaux (méandres) en fonction des dénivelés, ainsi que (c) la masse des sédiments charriés et observés dans les deltas de décharge. Elle a été rendue possible par la précision et l’abondances des photos prises par les caméras HiRISE (High Resolution Science Experiment) et CTX (Context Camera) à bord de l’orbiteur MRO (50 cm à l’horizontal par pixel et moins de 1 mètre à la vertical, permettant de déceler des variations de pente de 2°). Elle a été menée en intégrant toutes sortes de correctifs pour prendre en compte l’érosion.

Il en ressort (1) que les fleuves martiens de cette époque tardive étaient très généralement plus larges que les fleuves terrestres pour un même bassin versant ce qui suggère des précipitations intenses ; (2) que les fleuves de l’éon Sidérikien étaient plus bas en altitude et plus bas en latitude ce qui suggère effectivement une baisse de la pression atmosphérique à moins de 300 mbar ; (3) que le volume des sédiments charriés est caractéristique de violents épisodes (abondance des flux) intercalés avec de longues périodes d’aridité.

Reste à expliquer ces particularités. On en est pour le moment à des hypothèses. Ce pourrait être une combinaison de plusieurs phénomènes amplificateurs tendant à accroître temporairement un effet de serre déclenché par un événement tel qu’une éruption volcanique ou la chute d’un gros météorite : la fonte des glaces de gaz carbonique au pôle Sud, la fonte des clathrates porteuses de méthane dans le sol ou l’augmentation exponentielle de la vapeur d’eau dans l’atmosphère, formant des nuages de glace d’eau, ces phénomènes interagissant les uns avec les autres et s’auto-alimentant.  Les modélisateurs de climat ont un défi à relever et ils pourraient en tirer des leçons pour notre propre planète (effets d’« emballement »). Ce qui est rassurant dans un certain sens (pour nous), c’est que sur le temps long (dizaines de milliers d’années ?) les fondamentaux planétaires reprennent leur droit. Les caractéristiques structurelles de Mars et sa position par rapport au Soleil (irradiance !) ne lui ont en effet pas permis de recouvrer de façon pérenne un climat tempéré.

Sur le plan de la recherche de la vie, cela donne aussi un nouvel éclairage. Des périodes humides plus importantes au moins en ce qui concerne les quantités d’eau ayant coulé au sol, peuvent avoir permis de prolonger la possibilité pour la vie de continuer à évoluer après qu’elle ait apparu (dans l’hypothèse bien entendu où cela se serait produit). En effet les bactéries se protègent de l’adversité (situations empêchant leur reproduction) en évoluant en spores, ce qui leur permet de conserver leur potentiel reproductif pendant de très longue période d’inactivité (parce que les conditions environnementales ne le permettent pas sur une durée plus ou moins longue). Pour certaines bactéries ces périodes peuvent être de l’ordre de plusieurs millions d’années. Les intermittences très humides de l’histoire de Mars prolongées très tardivement (jusqu’à moins de 1 Ga) auraient pu permettre à la vie non seulement de se réactiver pendant ces périodes mais aussi de continuer à évoluer en reprenant même pour peu de temps son activité, et donc de s’adapter à des conditions de plus en plus dures, en surface peut-être mais surtout dans le sous-sol, dans des nappes phréatiques puis simplement dans des endroits plus humides que d’autres.

Nous verrons ce qu’il en est si nous continuons nos recherches sur Mars avec des moyens adéquats…y compris des hommes disposant d’équipements sophistiqués (radars, sondes, analyses chimiques utilisant de multiples réactifs, forage précis, préparation de coupes ultra-fines avec exhausteurs de composants, instruments de manipulation délicats et ultra-propres, microscopes ultra-puissants). Dans l’immédiat le rover Mars2020 de la NASA qui va se poser à proximité immédiate du cratère Jezero et qui va donc disposer d’un champ d’études pertinent pour évaluer plus précisément les corrélations entre les données prises en compte dans l’étude morphologique de Kite et al., permettra surement de l’affiner.

Image à la Une : Extrait de la Carte MOLA (Mars Orbiter Laser Altimeter) montrant les élévations dans le cratère Jezero. On voit bien le Delta alluvionnaire et le lit du fleuve qui l’a produit. Crédit NASA, cartographie exécutée d’après les données recueillies par l’orbiteur Mars Global Surveyor entre 1997 et 2006.

Image ci-dessous: détails du delta alluvionnaire du cratère Jezero (relief inversé par l’érosion).

Références:

(1) Persistence of intense, climate-driven runoff late in Mars history in ScienceAdvances (AAAS) DOI: 10.1126/sciadv.aav7710 par Edwin S. Kite1 *, David P. Mayer1, Sharon A. Wilson2 , Joel M. Davis3 , Antoine S. Lucas4 , Gaia Stucky de Quay5.

1University of Chicago; 2Center for Earth and Planetary Studies, Smithsonian Institution, Washington DC; 3Natural History Museum, Londres; 4Institut de Physique du Globe de Paris, CNRS, Paris; 5Imperial College, Londres.

(2) National Geographic: Rivers may have flowed for longer than anyone realized (by Maya Wei-Haas) 27 Mars 2019

https://www.nationalgeographic.com/science/2019/03/mars-rivers-lasted-longer-scientists-realized/

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