Michael Collins nous a ouvert une voie magnifique mais nous avons beaucoup de mal à l’emprunter

L’astronaute Michael Collins est mort le mois dernier. C’était un homme exemplaire, un « pathfinder » comme on nomme en Anglais l’éclaireur qui montre la voie, et il doit nous servir d’exemple. Il avait 90 ans. Comme on dit « c’est un bel âge » mais ce chiffre m’inspire aussi un constat et un regret.

Collins avait toutes les qualifications pour participer à la première mission sur la Lune qui a permis à l’« Homme », incarné par Neil Armstrong et Buzz Aldrin, de fouler la poussière lunaire. Et pourtant il n’y est pas descendu car sa mission à lui était moins spectaculaire, tout aussi importante mais plus austère. Il s’agissait d’attendre à quelques 110 km d’altitude dans le « CSM » (« Command & Service Module »), « Columbia », d’Apollo XI, pour que la mission soit un succès. Il s’agissait plus précisément de maintenir le vaisseau en bon fonctionnement sur l’orbite prévue, de telle sorte qu’il puisse accueillir les astronautes revenant de la Lune dans leur « LM » (« Lunar Module »), Eagle, et qu’il puisse lui, Collins, les ramener sur Terre. Ce qu’il fit, de façon impeccable, le 24 juillet 1969, son jour de gloire, non sans avoir résolu pendant sa veille un problème gravissime de fuite d’eau qui aurait pu tout ruiner. Sans Collins l’aventure aurait été un suicide ou un meurtre selon qu’on la considère du point de vue des astronautes ou de la NASA.

Or Collins, militaire de carrière, de famille et de cœur, diplômé de la prestigieuse école de West Point, a accepté son sort ingrat comme on accepte de participer à un travail d’équipe pour qu’elle (et non pas lui tout seul) réussisse. Il a fait intégralement partie de cette petite entité qui pour la première fois s’est posée sur la Lune. Il fallait qu’il reste à bord du vaisseau en orbite pour que ses deux coéquipiers y descendent. Ce qui est admirable c’est que, pour autant que l’on puisse savoir, il a été heureux malgré le regret certainement « rentré » d’avoir été si près et de ne pas y être « allé ». D’ailleurs il a été traité par les autorités et par le public « comme si ».  Il fut décoré par le Président Nixon et par le Congrès, comme les autres, avec la même distinction. Il a eu une carrière ultérieure tout aussi remarquable. Après avoir quitté la NASA la même année, 1969, il fut nommé Assistant Secretary of State. En 1971 il devint le premier directeur du Musée national de l’Air et de l’Espace des Etats-Unis et supervisa la construction de cet établissement remarquable, devenu incontournable dans le Washington d’aujourd’hui. Son œuvre accomplie, il devint directeur de la Smithsonian Insitution (« the world’s largest museum, education, and research complex » comme elle se présente elle-même fièrement). En 1974 il fit dans son livre « Carrying the Fire » un récit enlevé et brillant où ne perce nulle amertume, sur cette mission devenue fabuleuse.

Ceci dit Michael Collins avait un secret partagé avec nul autre homme au monde à ce jour. Il l’a savouré et il l’a gardé pour toujours avec lui. Ce secret extraordinaire qu’il a cependant laissé percevoir à ceux qui ont su l’écouter ou le lire dans ce qu’il a raconté après, c’était la sensation inouïe de se retrouver le premier, seul dans l’espace vrai, coupé de toute communication avec la Terre et avec ses collègues au sol, complètement seul dans le silence de la nuit étoilée. Et ce sentiment qui, dans son caractère unique et étrange, a pu sans aucun doute le conduire à une sorte d’ivresse (il parle d’exultation), a été magnifiée par ses passages au-dessus de la face cachée de la Lune. Paysage sans doute fantastique et grandiose que cette face cratérisée à l’extrême, occultant totalement la vision de la Terre. Le sentiment de solitude, d’isolement et de nouveauté n’a sans doute jamais été poussé aussi loin chez aucun autre homme mais c’était aussi un sentiment de paix dans le ronronnement continu et stable des conditionneurs d’air, et de fierté de se sentir le représentant de l’humanité là où jamais personne n’était allé. C’est aussi pour cela que Michael Collins a été heureux.

Mais je ne voudrais pas terminer cette réflexion à propos de ce grand-homme sans évoquer mon regret qui est aussi, très nettement exprimé, le sien (cf son interview par Popular Mechanics en juillet 2019 ci-dessous*)  et qui est aussi celui de beaucoup de mes contemporains, le regret qu’avant qu’il ait atteint ses 90 ans, nous ne soyons pas retournés sur la Lune, ni que nous soyons jamais allés « quelque part ». Qu’avons-nous fait de notre talent ? Depuis la très brève flambée des missions Apollo, terminée avec Apollo 17 le 19 décembre 1972 seulement trois ans après l’exploit de la première mission, nous avons ronronné dans l’espace proche, dans la Navette puis dans l’ISS, à 450 km d’altitude, bien protégés par les champs magnétiques terrestres et étant bien certains de pouvoir retourner sur le « plancher des vaches » en quelques heures, en cas de besoin. Et nous nous émerveillons des séjours de Thomas Pesquet dans ce « machin » qui tourne au-dessus de nos têtes et qui ne sert (presque) à rien, qu’à attendre. Nous sommes un peu comme un adolescent qui aurait appris à skier sur une piste bleue et qui après avoir descendu une seule fois une piste rouge, roulerait des mécaniques en redescendant encore et toujours la même piste bleue pour montrer aux autres comme il la descend bien.

L’élan des Collins, Armstrong et Aldrin a été brisé net à cette époque de 1972, maintenant lointaine, et nous vivons dans le souvenir et dans la nostalgie. Ce n’est pas ce qu’aurait voulu Collins et ce n’est pas ce que voudrait Buzz Aldrin, le dernier de l’équipe encore capable de s’exprimer. Il nous faut repartir, peut-être nous dérouiller les jambes sur la Lune et y respirer le grand large dans nos scaphandres pressurisés, mais surtout traverser à nouveau l’Océan et aller encore plus loin, jusqu’à Mars, cette deuxième Terre. Là, notre aventure humaine continuera pour de vrai.

*extrait de l’interview de Michael Collins en juillet 2019 par Popular Mechanics:

I look at the night sky and see all of these miraculous, marvelous things. I think humankind ought to lift that lid and get going. Move outward bound. That was the terminology that I always found that most closely came to describing my feelings. It was Alfred Lord Tennyson who wrote about the concept ‘Outward Bound’ in his poems. The concept is very important to me and I think it ought to be important to humankind. That’s why I want to go to Mars”.

*Liens :

vers Popular Mechanics qui a interviewé Michael Collins en juillet 2019: https://www.popularmechanics.com/space/moon-mars/a28338078/michael-collins-apollo-11/

vers la page sciences et technologies de Contrepoints.org où cet article a été publié une première fois le 3 mai 2021 : https://www.contrepoints.org/2021/05/03/396607-michael-collins-lindispensable-astronaute-reste-dans-lombre

Illustration de titre: l’équipage d’Apollo XI: de gauche à droite, Neil Armstrong, Michael Collins (au centre), Buzz Aldrin. Crédit NASA.

Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur :

Index L’appel de Mars 21 05 13

Robert Zubrin explique pourquoi le Starship de SpaceX va tout changer

Cette semaine je passe la parole à Robert Zubrin, ingénieur en astronautique et fondateur de la Mars Society. Son dernier article, paru dans Nautilus* et que vous trouverez ci-dessous, est important à plusieurs titres. D’une part il explique la complexité de l’architecture du programme Artemis de retour des Américains sur la Lune. D’autre part il met bien en lumière le saut technologique que représente le Starship d’Elon Musk et les perspectives fabuleuses qu’il ouvre à l’humanité.

*Nautilus est une revue scientifique et technologique américaine d’excellente réputation. L’article a été publié le 13 mai 2021. Je l’ai traduit :

« A la fin de l’après-midi du 5 mai, Elon Musk a tweeté : « l’atterrissage du Starship est nominal ! ». Musk n’est pourtant pas connu pour ses paroles mesurées et voir ce monstre en acier inoxydable s’envoler était, pour beaucoup, quelque chose qu’on qualifierait davantage de « phénoménal ». Plus de 5 millions de personnes ont regardé le spectacle sur YouTube, peut-être beaucoup en retenant leur souffle, car à l’issue de chaque tentative antérieure le Starship avait pris feu. Pas le SN15. Ce Starship, après avoir grimpé ses 12 kilomètres puis être redescendu dans une configuration « ventrale » – en utilisant son large corps argenté comme frein – descendit lentement, la force de ses moteurs Raptor lui offrant en fin de course un atterrissage en douceur et en parfaites conditions.

Certaines personnes de la NASA ont probablement ressenti un sentiment de soulagement. A la grande surprise de l’industrie spatiale, en avril, la NASA avait attribué à SpaceX un contrat de 2,9 milliards de dollars pour modifier le Starship afin qu’il serve comme élément final du système qui emmènera les astronautes sur la Lune. Le favori pour remporter le poste n’était pas SpaceX mais un poids lourd, le groupement « National Team » (l’Equipe-nationale), composé de la Sté Blue Origin, de Jeff Bezos, et des entrepreneurs habituels de l’aérospatiale que sont Lockheed Martin, Northrop Grumman et Draper Laboratory. Le choix était si inattendu que lorsque le Washington Post en a fuité la nouvelle, certains observateurs bien informés ont refusé de le croire. Les politiques laissaient penser que National team était le pari le moins risqué.

Sans doute, comme on aurait pu le prévoir, les équipes perdantes (qui comprennent également une alliance de petites entreprises dirigée par Dynetics) ont-elles rapidement protesté contre le choix de la NASA, gelant temporairement le programme. Mais puisque SpaceX offre le plus de potentiel, à moins de la moitié du prix proposé par les autres, ce choix prévaudra probablement en fin de compte. La NASA subira sans aucun doute les attaques du Congrès lui reprochant de ne pas jouer le jeu car les politiciens croient qu’elle n’existe que pour répondre à leur besoin d’accorder des avantages économiques à leurs électeurs1. Mais l’agence gouvernementale porte également la bannière de l’esprit pionnier de l’Amérique. C’est une organisation humaine, sujette à toutes les failles du système qui la soutient mais elle a aussi ses moments de lucidité et de courage. Et pour sûr, ce choix est vraiment l’un d’entre eux.

Cette décision a également constitué une avancée décisive pour Musk, bien sûr, lui qui a fondé SpaceX en 2002, tout juste après la vente de sa société de paiement en ligne PayPal, avec l’objectif non moins grandiose que d’amener des humains sur Mars. Je sais bien qu’on dit que les entrepreneurs n’en ont généralement que pour l’argent. Mais les cyniques se trompent à propos de Musk. J’étais de ceux qui ont contribué à le convaincre de faire de Mars sa vocation. S’il voulait simplement plus d’argent, il connaissait bien d’autres moyens plus faciles pour s’en procurer, que de démarrer, parmi toutes autres possibilités, une société d’astronautique, entreprise notoirement difficile avec très peu de chances de succès. Il cherchait à faire des choses d’une importance immortelle. La colonisation de Mars (à côté des voitures électriques et de l’énergie solaire) a emporté sa décision.

Permettez-moi de souligner à quel point le Starship pourrait transformer profondément notre avenir dans l’Espace et apporter à notre compréhension de la vie. Je travaille dans ce secteur depuis un bon bout de temps. À la fin des années 80, je faisais partie de l’équipe de Martin Marietta, aujourd’hui Lockheed Martin, qui a réalisé la conception préliminaire de ce que l’on appelle maintenant le Space Launch System ou « SLS », véhicule phare de la NASA. Il a été conçu à l’origine comme un moyen rapide et simple de créer un lanceur lourd à partir des composants du système du « Shuttle », la Navette spatiale, alors en opérations. Le Starship n’a rien à voir avec le SLS. Il ne ressemble à rien de ce que la NASA a fait auparavant. Il représente un concept entièrement nouveau d’opérations spatiales, et l’impact qu’il pourrait très bien avoir sur la science est extraordinaire.

La NASA prétend toujours que son programme Artemis utilisera le SLS et la capsule Orion pour amener ses astronautes à sa « Gateway » (passerelle), une station spatiale encore à construire, en orbite autour de la Lune. A partir de là, l’idée est de les transférer à un Starship qui les transportera à la surface de notre satellite naturel. La NASA peut effectuer quelques missions de cette façon mais, franchement, la raison profonde est que c’est uniquement pour éviter l’embarras d’avoir passé autant de temps et d’argent sur des systèmes qui n’ont aucun intérêt pratique. Une fois que le Starship sera opérationnel, la logique conduira les choses dans une direction entièrement nouvelle.

En réalité le SLS n’est qu’un Shuttle dont on aurait supprimé l’orbiteur ressemblant à un avion, ce qui permet de remplacer la masse de ce dernier par un étage supérieur et/ou une charge utile considérablement accrue. Une variante aussi simple aurait dû voler au milieu des années 90, et si cela avait été le cas, nous aurions pu la voir servir de technologie permettant un programme spatial beaucoup plus performant au cours du dernier quart de siècle.

Malheureusement, ce n’est pas ce qui s’est produit. Malgré le fait qu’une commission d’experts, dirigé par Jack Kerrebrock, éminent professeur au Massachusetts Institute of Technology, ait recommandé en 1993 qu’un tel propulseur lourd dérivé du Shuttle soit rapidement développé afin de réduire d’un ordre de grandeur le nombre de lancements nécessaires pour créer l’ISS (la Station-spatiale-internationale), cette recommandation a été rejetée par le vice-président de l’époque, Al Gore. Al Gore voulait étendre le programme de construction de l’ISS sur plusieurs décennies, avec des dizaines de lancements de Shuttle et de fusées Proton russes, afin d’« encourager » le développement et le maintien de relations amicales avec les nouveaux dirigeants de la Russie post-soviétique2 (c.-à-d. leurs transférer des fonds). Le SLS a été retardé de deux décennies, jusqu’à ce qu’il soit obsolète, pour cette seule raison.

Cela a malheureusement fait perdre à la NASA une génération entière d’expertise. La responsabilité du développement a été transférée à des personnes qui n’avaient jamais rien fait de tel auparavant, de sorte que le programme (Arès puis SLS) a pénétré en boitillant jusque très avant dans le nouveau siècle, avec une conception finale aux performances possibles dégradées et pas même un vol d’essai à présenter après environ 30 ans d’effort et plus de 20 milliards de dollars de dépenses. En 2005, la NASA a commencé à développer la capsule Orion pour donner aux Américains un moyen d’atteindre l’orbite terrestre après le retrait du Shuttle, qui devait se produire vers 2010 (ce qui fut fait). Cela aurait dû être une simple promenade dans un jardin, mais d’une façon ou d’une autre, encore une fois, la NASA, ses sous-traitants et le Congrès ont réussi à transformer ce projet en un effort de plus de 20 milliards de dollars sur plusieurs décennies, avec pour témoigner de cet effort, un seul vol d’essai, sans pilote, en 2014. Et ce qui est plus grave, c’est qu’en plus du coût la masse d’Orion a enflé. Avec 26 tonnes, le triple de celle de la capsule Apollo, il est trop lourd pour que le SLS puisse le mettre en orbite basse lunaire avec les ergols nécessaires pour en revenir.

Alors l’administration Obama a eu l’idée géniale de construire une station spatiale en orbite lunaire haute. Au lieu d’aller sur la Lune, les astronautes chevauchant Orion auraient pu se rendre sur la « Lunar Orbit Platform » et profiter de la vue. Ou peut-être auraient-ils pu étudier des astéroïdes qui, un jour, auraient pu être conduits jusqu’à l’orbite lunaire en utilisant un mode de propulsion « avancé ». Cela n’aurait-il pas été vraiment « cool » ?!

Je n’étais pas fan de l’administration Trump mais il faut lui rendre hommage d’avoir reconnu que ce plan, dont ils avaient hérité, était totalement ridicule. Elle a annulé la mission, infaisable, de redirection d’astéroïdes et a décidé que la station en orbite lunaire devait être une passerrelle, un « Gateway », pour aller « quelque part ». Ainsi est né le programme Artemis, qui a promis aux Américains qu’ils reviendraient sur la Lune (avec une femme Américaine en tête) avant 2024, pas moins. Pour éviter l’embarras, les gens de la NASA avaient besoin que le SLS, Orion et le Gateway soient utilisés dans le cadre d’Artemis.

Mais ce plan n’était pas très bon. Le programme SLS ne pouvait garantir qu’un seul lancement par an. Ceci en dépit du fait qu’au cours de son programme de 30 ans, le Shuttle, plus complexe, avait atteint un taux de lancement annuel moyen de quatre (et de huit pour les pointes). Ainsi, si on devait lancer une mission lunaire dans un délai raisonnable, elle devait comporter non seulement un SLS pour envoyer une capsule Orion en orbite, mais également plusieurs autres lanceurs de puissance moyenne (non récupérables !) pour livrer un véhicule au Gateway afin qu’un équipage puisse le prendre pour aller à partir de là jusqu’à la surface lunaire et en revenir. La NASA a réuni environ un milliard de dollars pour des études de projet d’ingénierie et a lancé un appel d’offres de propositions d’architecture de mission à l’industrie afin de développer des concepts de véhicules d’accès à la Lune pour répondre aux besoins d’un tel plan.

En avril 2020, la NASA attribua des contrats de conception préliminaires à trois compétiteurs : National team dirigée par Blue Origin, « Dynetics », et SpaceX. National team, avec un devis représentant la part du lion, 579 millions de dollars, proposa un atterrisseur maladroit à trois étages non réutilisables. Cela correspondait précisément au concept irréalisable que la NASA avait en tête pour son plan de mission. L’équipe Dynetics, constitué de 25 petites entreprises, avec un devis de 253 millions de dollars, proposa un petit atterrisseur à un étage et à réservoirs largables qui, bien que divergeant quelque peu (et avec raison) de la demande, lui correspondait de manière générale3.

SpaceX, avec un devis de 135 millions de dollars, proposa un concept radicalement différent : le Starship. Ce devrait être un système de lanceur lourd entièrement réutilisable, à deux étages, alimenté par des moteurs au méthane-oxygène, d’une capacité à peu près à mi-chemin entre le SLS et la plus puissante Saturn V du programme lunaire Apollo. En raison de la réutilisabilité du Starship, son utilisation induirait un coût égal à moins de 1% du premier ou du second. Ces caractéristiques, à elles-seules, changeraient le monde, mais il y a plus : le Starship-vaisseau-spatial serait conçu pour être ravitaillé en orbite terrestre basse par des Starships-réservoirs (« tankers »), lui permettant d’aller plus loin, par exemple jusqu’à Mars, où le système de propulsion pourrait être ravitaillé à nouveau par des ergols produits facilement à partir de l’abondante glace d’eau et de l’atmosphère de dioxyde de carbone de la planète rouge.

Pour la mission Artémis la plus simple – envoyer une cargaison de l’orbite terrestre basse à la surface lunaire – le Starship ferait bien l’affaire, se présentant avec son vaste volume habitable et ses volumes de stockage de propergols avec, en plus, une capacité d’emport de 100 tonnes de fret ce que personne d’autres ne peut faire, à condition qu’il puisse être ravitaillé avec huit vols de tankers (NdT : pour l’approvisionner en ergols pour les vols aller et retour). Un inconvénient est que, pour que le Starship atterrisse, il faudrait que ses moteurs d’atterrissage soient remontés vers le haut du véhicule, de telle sorte que son puissant échappement ne cratérise pas la surface. Mais le plus gros problème sera de fournir tous les ergols nécessaires pour permettre les opérations du Starship au-delà de l’orbite basse terrestre.

Il faudrait au moins 10 vols de tankers pour ravitailler un vaisseau spatial fonctionnant comme ferry entre l’orbite lunaire basse et la surface lunaire, ou 14 s’il est obligé d’utiliser le Gateway. Cette exigence, cependant, pourrait être réduite en développant des technologies pour extraire l’oxygène du régolithe lunaire. Les roches lunaires sont composées d’une variété d’oxydes métalliques contenant en moyenne environ 50% d’oxygène en poids et la combinaison propulsive du Starship est de 78% d’oxygène. En extrayant l’oxygène lunaire (et en produisant du métal au cours du processus), le nombre de vols de Starships nécessaires par mission pourrait être divisé par trois, ce qui accélèrerait considérablement le développement lunaire.

Contrairement aux concepts concurrents, le Starship ne se limiterait pas à fonctionner comme un ferry de l’orbite lunaire à la surface de l’astre : il pourrait ouvrir la voie pour Mars4. Il a été conçu dès le départ pour rendre l’installation humaine de Mars abordable, c’est pourquoi le Starship répond à un objectif de coût beaucoup plus exigeant que tout ce dont un simple programme d’exploration pourrait avoir besoin. Même pour un prix élevé, comme 300 millions de dollars par astronaute, la NASA sauterait sur l’occasion d’envoyer ses hommes sur Mars pour l’explorer. Mais ce prix ne serait pas pertinent pour n’importe qui se portant volontaire pour partir s’établir sur Mars. Pour que la colonisation de Mars soit réalisable, le prix du billet sur le Starship doit être suffisamment bon marché pour qu’une personne de la classe moyenne puisse se l’offrir.

Une telle personne pourrait être en mesure de recueillir 300.000 $ en vendant sa maison et un bon travailleur pourrait obtenir une somme similaire en hypothéquant son travail (comme cela a été fait au temps de l’Amérique coloniale). Parvenir à un tel prix de billet nécessiterait de réduire les coûts de lancement et de transport spatial d’au moins trois ordres de grandeur par rapport à ceux qui prévalent aujourd’hui, ce qui n’est possible qu’en rendant les systèmes de transport spatial, réutilisables : un Boeing 737 coûte environ 100 millions de dollars et transporte généralement environ 100 passagers— s’il était détruit après un seul vol, les billets coûteraient plus d’un million de dollars par personne. Ce n’est qu’en rendant le Starship réutilisable que les voyages dans l’espace peuvent être rendus abordables comme le sont les voyages en avion.

En février 2020, j’ai voyagé avec ma femme, Hope, à Boca Chica, une petite ville du Texas sur une terre très plate et basse, près de la frontière mexicaine, là où SpaceX développe son Starship et s’étend rapidement. Musk veut y créer une ville et l’appeler « Starbase ». Un groupe de mariachi jouait à l’extérieur, divertissant de longues files de personnes attendant pour demander un emploi. Des centaines étaient déjà à l’œuvre dans le complexe. Bientôt, il y devrait y en avoir des milliers. Il était évident que Musk ne construisait pas de navire, il construisait un chantier naval. Au cours de son programme de navettes déroulé sur 30 ans, la NASA a construit cinq Shuttle, un tous les six ans en moyenne. Lors de notre visite, Musk se préparait à construire des prototypes de Starship à raison d’un par mois, ce qu’il a fait.

Plutôt que de choisir de tout analyser pendant des années ou des décennies avant d’effectuer un premier test en vol, comme l’a fait la NASA, l’approche de Musk consiste à construire, lancer, s’écraser, résoudre les problèmes, puis réessayer. Il s’est frayé un chemin au travers de la problématique de presque toute l’enveloppe de l’étage supérieur du Starship. Avec le succès du vol SN15, il est désormais en mesure de le faire voler encore et encore. Musk vise des altitudes plus élevées et une perfection opérationnelle accrue jusqu’à ce que son équipe puisse le faire les yeux bandés. Les SN16 et SN17 qui intègrent encore plus d’avancées par rapport au SN15, sont presque terminés.

Qu’un programme spatial soit mené non pas avec trois ou quatre mais avec des dizaines de vaisseaux – et éventuellement des centaines – est révolutionnaire. Les lancements de Starships se compteront par semaine, voire par jour. Le taux moyen de quatre vols de Shuttle par an signifiait qu’avec un coût annuel de programme de 4 milliards de dollars par an, le coût réel d’un seul vol était de 1 milliard de dollars. Une noria transorbitale de Starship, employant 5.000 personnes, coûterait à peu près la même somme par an. Musk a pour objectif de gérer 200 vols par an, ce qui est possible avec 20 vaisseaux opérationnels seulement, chacun remis en vol à nouveau tous les 36 jours. Cela donnerait 5 millions de dollars par vol, soit 1/200ème du coût du Shuttle avec cinq fois sa charge utile, pour une amélioration globale de mille fois.

Les avantages du Starship pour l’exploration robotique et humaine sont difficiles à surestimer. Perseverance récemment arrivé sur Mars, peut y déposer une tonne en surface. Le Starship, avec sa capacité de 100 tonnes, peut y faire débarquer une armée de robots. Ceux-ci pourraient inclure de nombreux explorateurs de type Persévérance et des versions beaucoup plus grandes de l’hélicoptère Ingenuity. De plus petits rovers équipés de caméras haute résolution pourraient cartographier la zone, transmettre les données à la Terre et permettre à des millions de scientifiques de parcourir le paysage en réalité virtuelle et de diriger les machines vers tout ce qui leur semble intéressant. Des robots-constructeurs aussi, peut-être sous forme humanoïde, pourraient construire une base martienne capable de convertir le dioxyde de carbone et la glace d’eau en ergols pour les fusées fonctionnant au méthane et à l’oxygène pour le stocker dans des réservoirs. Avec une telle structure, entièrement constituée à l’avance, des Starships pourrait commencer à envoyer des hommes sur Mars.

Les rovers sont des outils merveilleux, mais ils ne peuvent résoudre les questions scientifiques fondamentales que Mars – autrefois très semblable à la Terre primitive – pose à l’humanité : la vie est-elle un phénomène singulier, propre à la Terre, ou est-elle également apparue sur Mars ? Si oui, a-t-elle utilisé le même système d’information ADN-ARN, ou un autre ? La vie telle que nous la connaissons sur Terre est-elle LA vie, ou est-ce juste un exemple entre autres, parmi une vaste tapisserie de possibilités ? Trouver des preuves de la vie passée impose une chasse aux fossiles. Perseverance s’y appliquera, mais des « limiers » humains – capables de voyager loin sur des terrains difficiles, d’escalader, de creuser, de travailler délicatement et de suivre intuitivement des indices – pourraient faire ce travail beaucoup mieux. Trouver la vie existante pour déterminer sa nature nécessitera de forer jusqu’à des centaines de mètres pour atteindre les eaux souterraines où la vie pourrait encore prospérer, en prélevant des échantillons, en les cultivant et en les soumettant à analyse. C’est à des années-lumière des capacités de rovers robotiques.

Mais il y a plus. Le Starship ne nous donnera pas seulement la possibilité d’envoyer des explorateurs humains sur Mars, la Lune et d’autres destinations du système solaire interne, il nous offrira une augmentation de deux ordres de grandeur de la capacité opérationnelle globale pour faire à peu près tout ce qu’on veut faire dans l’espace. Cela inclut non seulement la poursuite d’un programme musclé de sondes vers le système solaire externe et rendant économiquement faisable toutes sortes d’investigations expérimentales en orbite terrestre, mais encore la possibilité de construire des télescopes spatiaux géants. Beaucoup de nos connaissances en physique sont issues de l’astronomie parce que l’Univers est le plus grand et le meilleur laboratoire qui soit. Il n’y a pas de meilleur endroit pour faire de l’astronomie que l’Espace. Le télescope spatial Hubble, au miroir de 2,4 mètres de diamètre, a fait des découvertes extraordinaires. Que pourrons-nous apprendre une fois que nous serons capables de construire des télescopes de 2,4 kilomètres de diamètre dans l’espace profond ? Les possibilités dépassent littéralement l’imagination. »

Robert Zubrin est aussi président de Pioneer Astronautics, société d’étude qui a obtenu plusieurs contrats de la NASA. L’édition 25ème anniversaire de son livre fondateur, The Case for Mars, The Plan to Settle the Red Planet and Why We Must , a été récemment publiée par Simon et Schuster. Vous pouvez le suivre sur twitter.

Notes de bas de page :

  1. M. Machay, M. & A. Steinberg. “NASA funding in Congress : Monney matters”, in European Journal of Business Science and Technology 6, 5-20 (2020).
  2. J.M. Logsdon & J.R. Miller. « US-Russian cooperation in human space flight: Assessing the impacts». NASA.gov (2001).
  3. Bien que clairement meilleure sur le plan conceptuel que l’offre de National team, la conception de Dynetics n’a jamais vraiment eu de chance, car l’équipe qui la constituait n’était pas assez crédible pour se voir confier la responsabilité de quelque chose d’une telle importance pour le programme spatial. Cependant Dynetics a reçu une bonne compensation en étant chargé d’assurer une large base de soutien à Artemis.
  4. Il ne faudrait que deux vaisseaux-réservoirs pour faire voler un Starship à vide vers Mars, ou cinq (NdT : un pour la mise en orbite du vaisseau spatiale et quatre pour la suite du voyage aller) si on l’envoie avec 100 tonnes de cargaison.

Image de titre: un Starship approchant la Lune. Crédit AleksandrMorrisovich /Shutterstock

Publication d’origine :

https://nautil.us/issue/100/outsiders/the-profound-potential-of-elon-musks-new-rocket?mc_cid=a5b9967fe7&mc_eid=b569b718a5

Présentation de Nautilus :

https://nautil.us/about

 

Les Chinois ont atterri sur Mars!

Avertissement:

Cet article a été initié juste après l’atterrissage de Tianwen-1 alors qu’il n’y avait aucune image et que les responsables chinois ne donnaient aucune explication sur cette absence. On a appris plusieurs jours après, que l’orbiteur de Tianwen n’avait pas été en position d’assurer le relai des images (mais il l’avait été de l’atterrissage lui-même) et que la NASA n’avait pas prêté son concours à l’agence spatiale chinoise, la CNSA. 

Le fait est que Tianwen-1 a bien atterri et que son rover Zhurong est bien descendu de l’atterrisseur jusque sur le sol de Mars…où il a éventuellement pris des photos qui ont bien été transmises à la Terre. Retour vers mon article et ses post-scriptum:

Ce 15 mai à 07h00, quatre heures après que les autorités chinoises nous aient annoncé que l’atterrisseur de la mission Tianwen-1 s’était posé sur Mars, nous n’avons qu’une vidéo de 01h40 sur YouTube annonciatrice de l’évènement !

Rappelons que les Américains nous font suivre en direct leur descente, leur atterrissage et l’acquisition de leur première image.

Attendons donc la suite mais cela est bien décevant et montre que la coopération entre compétiteurs, Chine et USA (qui disposent de plusieurs relais dans l’environnement martien), n’est pas évidente.

Je vous tiendrai informés.

illustration de titre: capture d’écran de la vidéo de la CNSA (agence chinoise). Cette vue d’artiste marquée “success”, est pour le moment la seule “preuve” de l’atterrissage de Tianwen-1.

lien: https://www.youtube.com/watch?v=KVKGDitCtXU

PS du17 mai:

Selon le “Global Times”, un organe de presse chinois autorisé,

Zhurong rover is expected to be separated from the lander and start roving on Mars by May 22 if everything goes well, Wu Yanhua, deputy head of the CNSA, told media on Saturday“.
Mais les deux premières photos mutuelles (rover vers atterrisseur et atterrisseur vers rover) ne doivent être faites que le 27 mai et le premier envoi de “données scientifiques”, le 28 mai (selon “Cosmic Penguin” un “geek astronomy & spaceflight”, installé à Hong-Kong). Comme le fait remarquer Cosmic Penguin, cela implique que la plateforme d’atterrissage a bien une caméra, comme le rover (et qu’ils n’ont pas voulu ou pu s’en servir).
Vous remarquerez que je ne suis pas le seul à trouver que le manque de première photo se fait sentir. Il est probable que la mission Tianwen-1 est bien parvenue sur Mars mais on ne sait toujours pas dans quel état.
Attendons donc le 27 mai!
PS du 19 mai:
 
Finalement, le CNSA n’a pas attendu le 27 mai pour publier la première photo prise sur le sol de Mars par l’atterrisseur de Tianwen-1. La voici:
Une autre photo a été prise du rover, Zhurong, vers lui-même. Il est alors encore sur sa plateforme d’atterrissage (voir lien ci-dessous).
Vous remarquerez la platitude extrême du paysage. L’agence Chinoise n’a évidemment pris aucun risque et cela se comprend pour un premier atterrissage. L’ellipse était très large (33 km, contre 7 km pour Perseverance) et la localisation avait été précautionneusement étudiée depuis l’orbite. D’autre part cet endroit est très en-dessous du datum (altitude moyenne de la planète) ce qui a permis un freinage atmosphérique plus long.
On attend maintenant que le rover teste ses équipements et commence à les utiliser. D’ores et déjà on doit (en particulier, je le dois) reconnaître que les Chinois ont réussi l’exploit de se poser sur Mars sans s’y écraser, prouesse que seuls les Américains et jadis les Russes-soviétiques ont réussi.
La localisation (25°Nord, 109°E) à la limite d’Utopia Planitia et d’Elysium Planitia, ne semble pas très intéressante sur le plan du relief mais il ne faut pas s’arrêter à ce qu’on voit. Zhurong est équippé d’un radar “RoSPR” (Rover-mounted Subsurface Penetrating Radar) qui peut pénétrer le sol jusqu’à 100 mètres de profondeur et a une capacité de discernement de 1 mètre à la verticale (il dispose de deux canaux, l’un à basse fréquence -moyenne 55 MHZ, l’autre à haute fréquence, – moyenne 1,3 GHZ).
On peut toujours espérer repérer des gisements de glace d’eau car l’on sait que l’on se trouve sur le site d’un ancien Océan dont les eaux ont disparu pour une bonne partie en profondeur (l’autre ayant été dissipée dans l’espace).
Pour mémoire, la masse de Zhurong est de 250 kg et celle de Perseverance de 1000 kg. Il est équippé de 6 instruments scientifiques (dont RoSPR).
lien vers l’information de la CNSA :
PS du 22 mai:
Zhurong est descendu aujourd’hui sur le sol de Mars comme le montre la photo prise par sa caméra arrière.
La descente s’est faite à 02h40 UTC (04H40 notre heure).
Une nouvelle étape est franchie avec succès!
Si tout fonctionne “normalement”, la mission va durer 90 jours; si tout fonctionne “encore mieux”, on ne peut pas dire, sauf que la puissance énergétique provient de panneaux solaires (Moteur nucléaire RTG pour Perseverance) et que leur production d’énergie devrait être insuffisante en hiver. Etant donné que, dans l’hémisphère Nord, où se trouve Zhurong, nous avons passé l’equinoxe de Printemps le 07 février 2021 et que l’équinoxe d’automne n’est que le 24 février 2022, puis le solstice d’hiver le 21 juillet 2022, la durée maximum d’exploration reste très ouverte.

Espoir

Ce 5 mai 2021, au dessus de la base de Boca Chica au Texas (appelée “Starbase” par SpaceX), Le Starship SN15 de SpaceX a testé avec succès un vol à 10 km d’altitude. Il a manœuvré en l’air selon les commandes données, il a éteint l’un après l’autre ses trois moteurs, il a transféré ses carburant/comburant pour la descente du réservoir de stockage au réservoir actif, il a rallumé ses moteurs et, à l’issu d’une descente contrôlée, il s’est reposé en douceur au sol, sans exploser.

“SN” signifie Serial Number. La stratégie de SpaceX est de tester puis corriger. Les soi-disant “échecs” sont faits pour apprendre, ce que beaucoup d’observateurs n’ont toujours pas compris.

Ce succès est un camouflet à tous les sceptiques qui ne croyaient pas que ce vol soit possible. Il survient le jour du 60ème anniversaire du premier “saut de puce” d’un Américain, Alan Shepard, dans l’espace.

SpaceX est conforté comme leader mondial de l’industrie spatiale et se montre digne de la confiance que lui a accordé récemment le gouvernement américain en lui attribuant le contrat pour atterrir sur la Lune avec ce Starship dans le cadre du programme Artemis.

Vous verrez, il y aura d’autres succès et un jour des hommes voleront dans ce vaisseau et ils iront sur Mars.

Congratulations SpaceX! Congratulations Elon!

Illustration de titre: Le SN15 de retour sur sa base de lancement de Starbase. Capture d’écran SpaceX.

lien vers la vidéo du vol (sur YouTube): https://www.spacex.com/vehicles/starship/

NB: le décollage intervient après 6:23 minutes de compte.

 

La combinaison spatiale vue comme un vaisseau individuel et personnel

La combinaison spatiale est un équipement vital pour les hommes qui envisagent d’évoluer dans l’espace ou à la surface accessible d’autres astres. La NASA la considère comme un vaisseau spatial individuel équipé d’un système de support vie (« PLSS » pour « Personal Life Support System »). Elle a beaucoup évolué depuis la première sortie dans l’espace d’Alexeï Leonov, le 18 mars 1965 ou les missions Apollo (1969 à 1972), tout au long des séjours dans la Navette (« Shuttle ») puis dans l’ISS. Comme tout équipement conçu pour faciliter la vie de l’homme en milieu hostile, elle devient de plus en plus sure et confortable (ou de moins en moins inconfortable). Lorsque l’homme sera sur Mars pour explorer et a fortiori pour y vivre, la combinaison sera certainement devenue facile et agréable à porter, comme aujourd’hui la combinaison souple et légère en néoprène des plongeurs, par rapport au lourd scaphandre de la première plongée conçue et réalisée par l’ingénieur allemand Auguste Siebe en 1819. Dans cette perspective, deux voies sont ouvertes, celle de la combinaison pressurisée (type xEMU en développement chez la NASA) et celle de la combinaison à contre-pression mécanique (type BioSuit en cours d’étude au MIT).

Mais avant de les regarder de plus près, voyons d’abord à quels besoins elles doivent répondre. Ils sont multiples. Elles doivent protéger l’homme contre les différences de pression, contre les différences de température, contre les radiations, contre les accrocs ou les perforations. Elles doivent permettre la respiration, permettre la visibilité, permettre la mobilité et l’action, permettre l’hydratation, permettre l’hygiène (y compris contrer les mauvaises odeurs) et permettre la communication. Bien entendu ces besoins sont à ajuster en fonction de l’environnement spatiale ou planétaire. Par exemple l’évacuation de la chaleur ne pourra se faire de la même manière sur la Lune et sur Mars où il y a une certaine atmosphère et une température diurne beaucoup plus « fraiche ».

Considérons d’abord la combinaison-pressurisée.

En fonction des besoins et de la partie concernée du corps, on distingue différents segments, le casque, le torse, le pantalon (de la ceinture aux pieds), les bottes et les gants, et les articulations entre ces segments. A l’ensemble il faut ajouter les annexes indispensables (portées dans un sac à dos) : la provision d’air respirable (oxygène et éventuellement un peu d’azote si l’on veut un peu plus de pression), le système de traitement du gaz carbonique, la réserve d’énergie et les moteurs permettant le conditionnement, la circulation des fluides et le traitement du gaz carbonique, l’eau pour s’hydrater, sans oublier le nécessaire pour maintenir le système hygiéniquement sain et durable et les capteurs informant le « passager » des niveaux de fluides vitaux et des dangers qui pourraient résulter d’un fonctionnement imparfait de son « vaisseau » individuel.

La combinaison pressurisée est une sorte d’enveloppe-coquille souple, hermétiquement close, gonflée d’oxygène (l’option gaz neutre additionnel n’étant pas actuellement retenue), qui permet la respiration (minimum 20,7 kPa d’oxygène mais 24,1 kPa est recommandé) et le maintien, du fait du gonflement (la pressurisation), d’une pression acceptable pour le corps. Les problèmes posés par cette combinaison sont que, gonflée, elle a tendance à se rigidifier (d’où la difficulté à faire jouer les articulations), qu’elle est relativement massive et encombrante et que les accrocs sont très dangereux puisqu’ils peuvent entrainer une dépressurisation.

Si l’on considère la combinaison non plus « géographiquement » mais « géologiquement », c’est à dire en épaisseur, on voit qu’elle est constituée de nombreuses couches (jusqu’à 16), chacune ayant, naturellement une fonction. Elles forment deux « vêtements ». C’est d’abord, à l’intérieur et au contact de la peau, le système de conditionnement. Il a pour fonction le chauffage et le rafraichissement avec circulation de fluides à l’intérieur d’une centaine de mètres de tubes très fins incorporés dans un tissu élastique (élasthanne ou « spandex » chez les Américains) et couvrant tout le corps, avec une multitude d’évents permettant d’évacuer la sueur (l’humidité peut varier de 30 à 70% selon l’activité). C’est ensuite la « peau » extérieure, totalement étanche et blanche pour refléter la chaleur. Celle-ci est très élevée au Soleil dans l’environnement terrestre, 1360 W/m2, moins dans l’environnement martien, entre 490 et 715 W/m2. Mais la chaleur, dans un milieu totalement étanche, provient surtout du corps en fonctionnement interne et en exercice (sur la Lune on a pu exprimer une chaleur allant de 70 à 800W selon l’« EVA » – « Extra Vehicular Activity »). Cette chaleur doit pouvoir être évacuée. La température interne recherchée est de 22°C mais elle peut varier de 18 à 27°C. Entre les deux vêtements une poche-vessie (« bladder ») entoure les segments du torse et du pantalon. Plutôt qu’une seule poche, c’est une succession de poches aplaties reliées entre elles. L’air doit impérativement circuler et vite (vitesse 0,15 à 0,17 m3 par minutes) car le gaz respirable se charge en gaz carbonique par la respiration et doit être impérativement et immédiatement recyclé. Dans les EMU (« Extravehicular Mobility Units ») actuels, l’air propre, provenant de deux sources d’oxygène « embarquées » (« Primary Oxygen Circuit » avec 0,55 kg d’Oxygène et « Secondary Oxygen Pack » avec 1,19 kg d’oxygène), entre par le casque et sort, chargé de CO2 et d’impuretés, par des tubes à la taille et aux chevilles, vers le CCC (Contaminant Control Cartridge) du sac à dos. Le CCC peut retenir le gaz carbonique pendant 8 heures (6 heures à l’époque d’Apollo) ce qui dépend bien sûr de l’intensité de l’activité qu’on peut avoir mais indique assez précisément la durée maximum de l’autonomie de la combinaison. La CCC utilise les produits chimiques mentionnés plus haut. Le système PLSS à l’époque d’Apollo (« A7L ») avait une masse entre 38 et 58 kg. Il fut ensuite amélioré pour la Navette puis pour l’ISS mais il prit encore de la masse (de 91 à 140 kg), ce qui n’avait pas beaucoup d’importance (sauf inertie) en apesanteur.

Où en est-on ? La NASA travaille sur le « xEMU » (« Exploration EMU ») pour le programme Artemis avec en perspective les missions martiennes. Cette combinaison se distinguera d’abord par son « x » de l’EMU actuel c’est-à-dire qu’on la prévoit pour se déplacer non plus en flottant dans l’espace mais sur ses pieds (donc avec de meilleures articulations et de bonnes bottes). Il s’agit ensuite de mettre au point un vêtement et surtout des annexes de plus faible masse*, qu’on puisse mettre et enlever plus facilement, avec un meilleur approvisionnement en eau, une meilleure évacuation de la chaleur et une meilleure gestion des déchets. Cette dernière se faisait jusqu’à présent par la transpiration couplée à un sublimateur (vers l’extérieur). On projette de le remplacer par le « Spacesuit Water Membrane Evaporator » (« SWME ») plus fiable et plus efficace. Le recyclage du CO2 se faisait anciennement avec de l’hydroxyde de lithium (LiOH) et se fait aujourd’hui avec de l’oxyde d’argent (MetOx) selon la formule Ag2O (solide) + CO2 (gaz) → Ag2CO3 (solide). Mais le système est lourd, le recyclage est lent. On a trouvé une solution, le Rapid Cycle Amine, plus rapide et de moindre masse qui fonctionne aussi comme déshumidificateur et purificateur bactériologique. On recherche toujours un recyclage en boucle fermée mais ce sera pour « plus tard », peut-être grâce aux progrès de la recherche MELiSSA. On a aussi bien pris conscience de la poussière (martienne aussi bien que lunaire) et de ses inconvénients/risques. On est prêt à y faire face avec un nouveau revêtement extérieur et des filtres pour éviter que la poussière puisse s’incruster dans le tissu, pénétrer le PLSS ou gripper les jointures. Enfin les progrès technologiques dans les microtechniques et l’électronique permettent une plus grande finesse de la « plomberie », une meilleure redondance pour la sécurité et une meilleure réactivité aux dangers.

*l’idéal, pour Mars, serait d’atteindre une masse de scaphandre + annexes de 100 à 120 kg. Sous une gravité de 0,38g, cette masse péserait 38 à 45 kg qui, s’ajoutant à un poids de quelques 25 à 30 kg, restituerait pour le corps d’un Terrien, une sensation à laquelle il a été habitué. Le problème resterait un centre de gravité un peu trop haut en raison du “backpack” (sac à dos).

Les dernières innovations ont été faites dans les jointures. De nouveaux matériaux et roulements permettent de se pencher, de plier les genoux, de lever les bras ou de les replier sur soi, bien plus qu’auparavant. Les bottes ont maintenant des semelles flexibles (moins fatigantes pour marcher). La partie haute du torse est un gilet rigide. On pourra désormais y entrer par l’arrière ce qui permettra à cette partie d’être plus ajustée au corps. Les gants sont devenus haptiques, c’est-à-dire qu’en plus d’être chauffés avec des résistances ultrafines et souples, ils sont aussi dotés de capteurs qui restituent les sensations du toucher à la main qui se trouve à l’intérieur. Le pantalon, en matériaux nouveaux, sera équipé de plis qui permettront de se courber de pivoter sur ses hanches, de plier les genoux.

Un seul problème n’est pas résolu c’est celui de l’excrétion. Les astronautes continueront à porter des couches. Ils ne les utilisent pas forcément (ils n’aiment pas ça et cela n’étonnera personne !) mais leur capacité d’absorption et de sensation de “sec” ont beaucoup progressé depuis les premières années, ce qui a d’ailleurs bénéficié aux couches commercialisées sur Terre pour les bébés et les vieillards. A noter à ce sujet que si certaines sorties dans l’espace ont duré plus de huit heures, leur durée raisonnable se situe plutôt entre 2 et 4 heures.

Considérons ensuite la combinaison à contre pression mécanique.

Cette combinaison « MCP » (pour « Mechanical Counter Pressure ») est un peu comme les combinaisons de plongée. Elle est au moins aussi ancienne que les combinaisons pressurisées mais n’a pas connu le même engouement de la part des institutions qui pouvaient les faire utiliser par les pilotes fréquentant les hautes altitudes (même si elle l’a été quelques fois), ni ensuite par la NASA. Le MIT avec la Professeure Dava Newman l’a remis sur le devant de la scène avec son « BioSuit » sur lequel elle travaille depuis 2001.

L’intérêt est un encombrement moindre, une masse moindre (6,5 kg + 18 kg pour le système de respiration), un risque moindre de catastrophe en cas de perforation (puisque la pressurisation subsiste si celle-ci survient).

Il s’agit de revêtir une combinaison souple mais étanche que l’on plaque au plus près du corps après l’avoir enfilée (anciennement pour les pilotes d’avion stratosphériques, en gonflant des boudins d’air tout au long du vêtement, maintenant grâce aux tissus élastiques). Le système de conditionnement se situe à l’intérieur de la couche de mousse entre la peau et la couche externe étanche. Les parties du corps qui bougent peu (soigneusement étudiées d’après la morphologie dynamique de l’homme) sont renforcées par des bandes fixes (dites « lignes de non extension ») qui tiennent entre elles des panneaux de tissu plus souple. L’oxygène n’est utilisé que pour la respiration et ne l’est plus pour la pressurisation. Pour donner toutefois davantage de volume au gaz respirable et faciliter le gonflement des poumons malgré un tissu très ajusté, les personnes qui étudient ce BioSuit proposent une vessie plate pectorale reliée avec le casque qui permet une inspiration plus large d’oxygène à chaque fois que l’on en a besoin. Le problème est la jonction entre le casque et la combinaison enveloppant le corps. Elle doit évidemment être hermétique. Une sorte de collier fixe est recommandée par Jeremy P. Stroming dans son étude. Pour l’isolation thermique les tests ont montré, dans cette même étude, qu’une couche d’aérogel sous la couche externe de la combinaison était nécessaire car les pertes de chaleur sont importantes (contrairement à ce qui se passe dans les combinaisons préssurisées).

Le casque et les gants sont communs aux deux systèmes (sauf aux jointures). Le besoin pour l’homme de se toucher le visage avec sa main est bien connu. On satisfait ce besoin par des plaques de mousse plastique fixées au casque auxquelles on peut accéder en bougeant la tête. Pour l’avenir on pourrait envisager une brossette fixée dans un aimant, mobile à la surface intérieure du casque et que l’on pourrait actionner par un autre aimant à l’extérieur du casque. La grande invention concernant les gants est celle des gants haptiques déjà mentionnées et pour les bottes, de nouvelles bottes souples avec articulation aux chevilles. A noter enfin qu’une combinaison à MCP, plus fine qu’une combinaison pressurisée, pourrait permettre de porter par-dessus un gilet Astrorad, protecteur de radiations, ou plutôt d’en incorporer les éléments dans une couche enveloppant la combinaison « de base ». Même si cette couche protectrice est un peu lourde et un peu volumineuse, on aura de la marge avec le BioSuit.

Il faut donc imaginer les futurs résidents martiens comme des gens heureux de revêtir ces « petites merveilles » de technologies. On peut imaginer que sur Mars, un « beau scaphandre » soit considéré comme une belle voiture sur Terre. Ceci d’autant plus qu’on n’aura pas avant longtemps de « belles voitures » individuelles sur Mars mais plutôt de gros rovers collectifs pressurisés, équipés comme des camping-cars avec un support vie considérable pour aller « loin » ou des hyperloops pour aller d’une base à l’autre ou encore des engins aériens à propulsion de type « LEM » (« Lunar Excursion Module » utilisées pour s’élever du sol lors des missions Apollo) équipés de gashopper pour aller d’un point de la planète à l’autre. Là encore il faut faire confiance à l’imagination humaine et à nos capacités de faire évoluer nos technologies. Les tissus seront de plus en plus résistants, et de plus en plus agréables à porter. Les articulations seront de plus en plus sophistiquées pour permettre tous les mouvements nécessaires. Reste le problème de l’excrétion comme mentionné plus haut. On arrivera bien à traiter nos « rejets métaboliques » comme y sont parvenus les « Fremen » avec leurs « distilles » dans la saga « Dunes » de Frank Herbert (un classique de la Science-fiction pour ceux qui ne connaîtrait pas ce chef d’œuvre publié en 1965) magnifiquement revue et filmée par David Lynch en 1984. A noter cependant que les Fremen ne portent pas de casques, ce qui manque totalement de réalisme!

Illustration de titre : le BioSuit MCP de Dava Newman (à gauche et à droite) et le xEMU de la NASA (au centre). BioSuit crédit Dava Newman, Apollo Professor of Aeronautics and Astronautics, MIT; xEMU, crédit NASA. Il semble incontestable que le BioSuit serait plus souple et moins encombrant!

Liens :

https://www.nasa.gov/feature/a-next-generation-spacesuit-for-the-artemis-generation-of-astronauts

https://www.nasa.gov/johnson/HWHAP/suit-up-for-mars

Design and evaluation of elements of a life support system for mechanical counterpressure spacesuits (mit.edu)   par Jeremy Paul Stroming pour sa thèse de Master, 19 Mai 2020, sous la direction de Dava Newman (MIT).