Junon va dévoiler certains secrets de Jupiter

Le 4 juillet, le roi des astres gravitant autour du soleil va accueillir l’épouse que l’Homme, descendant de Prométhée l’audacieux puis d’Ulysse le rusé, a façonnée pour dévoiler ses secrets. A l’instar de la déesse, les instruments de la sonde « Juno » (Junon) de la NASA vont pénétrer les nuées derrière lesquelles Jupiter dissimule sa vie secrète. La mission fait suite à la mission Galileo (1995 à 2003) qui visait principalement les satellites de Jupiter, et elle tient évidemment compte de son expérience, notamment des nuisances que lui causèrent les radiations piégées par la magnétosphère de la géante gazeuse.

Émerveillons-nous d’abord du voyage.  Parti le 5 août 2011 à bord d’un lanceur Atlas V d’ULA (Joint-venture Lockheed Martin et Boeing), le vaisseau porteur aura donc voyagé 5 ans pour atteindre sa destination (insertion en orbite jovienne). La distance qui sépare nos deux planètes fluctue entre 590 et 960 millions de km mais la distance parcourue par Juno sera au total de 2,83 milliards de km. La raison de cette énorme différence tient à la complexité de la trajectoire. Afin d’économiser l’énergie, pour pouvoir précisément en transporter suffisamment, la NASA a envoyé le vaisseau au-delà de l’orbite de Mars pour le faire revenir vers la Terre (30 août et 3 septembre 2012) à toute vitesse, afin de réaliser un passage à proximité (556 km seulement, le 9 octobre 2013) lui permettant de bénéficier de l’« assistance gravitationnelle » de notre planète comme d’une fronde pour le propulser à plus grande vitesse vers Jupiter (27 km/s contre seulement 3 km/s après le départ de la Terre). Les marins de l’ancien temps utilisaient les courants et les vents, les ingénieurs en astronautiques d’aujourd’hui utilisent l’énergie embarquée, éventuellement l’énergie solaire, la mécanique céleste (l’évolution de la position des planètes) et la gravité. Comme jadis, la ligne droite ne peut être la trajectoire privilégiée pour un voyage car les astres, et d’abord le soleil, exercent leurs forces contradictoires ou complémentaires sur ce qui se trouve à leur portée.

Saluons ensuite l’audace du plan du vol d’exploration. Comme la déesse Junon, la sonde de la NASA va utiliser la ruse pour rester aussi peu de temps que possible dans le champ magnétique de Jupiter qui l’enveloppe de deux gigantesques tores déformés par le vent solaire, dans lesquelles les radiations, piégées, sont extrêmement fortes et denses. Arrivée dans l’environnement jovien au-dessus du plan de l’écliptique et attirée par une force de gravité énorme, Juno va plonger vers le pôle Nord à très grande vitesse. Après avoir passé son périastre le 5 juillet (à 05h15 UTC* +2), à la distance extrêmement proche de 5.000 km de la « surface » de la planète (diamètre de 142.000 km) et à la vitesse de 200.000 km/h, elle va repartir par-delà le pôle Sud, toujours animée d’une grande vitesse mais décroissante (attraction de Jupiter !), sur une orbite très elliptique qui va l’emporter jusqu’à un apoastre à plus de 5 millions de km, où elle n’évoluera qu’à 2000 km/h. La capture aura eu lieu grâce à une phase de rétropropulsion de 35 minutes (utilisant l’hydrazine) au-dessus de la zone intertropicale de Jupiter qui aura freiné le vaisseau juste ce qu’il faut. Ce type d’orbite elliptique lui permettra de franchir la magnétosphère à l’endroit où elle est la moins épaisse, aux pôles, et de survoler la planète en passant sous les ceintures de radiations. Elle parcourra trente-deux fois cette orbite, en un peu plus d’une année (32 fois 14 jours) avant de plonger, épuisée quand même par les rayonnements (elle aura reçu quelques cent millions de rad), dans les profondeurs insondables de Jupiter.

Admirons encore le bijou technologique. Un orbiteur de 3,6 tonnes, très volumineux avec ses 4,5 mètres de haut et 20 mètres d’envergure compte tenu de ses trois grands panneaux solaires déployés, car il lui faut une très grande surface pour capter l’énergie nécessaire si loin du soleil (l’irradiance solaire au niveau de l’orbite de Jupiter n’est que 25% de celle qui parvient à l’orbite terrestre). Il est truffé d’équipements sophistiqués (spectroscopes, radiomètres) dont les éléments les plus fragiles sont confinés dans un coffre antiradiations d’un mètre cube aux parois de 1 cm d’épaisseur, en titane. A noter qu’à la différence de la plupart des sondes américaines envoyés dans l’espace profond qui disposaient d’un petit moteur nucléaire, cette fois ci la NASA a choisi une énergie « propre », preuve des progrès effectués dans l’efficience des panneaux solaires.

Mais à quoi tout cela va-t-il servir ?

C’est ce que je développerai dans mon prochain billet !

Image à la Une : Juno devant Jupiter, conception d’artiste pour la NASA (crédit NASA).

Lien : site de la NASA pour la mission Juno : https://www.nasa.gov/mission_pages/juno/main/index.html

*UTC (“Coordinated Universal Time”) est identique à GMT (“Greenwich Mean Time”). En Suisse, en été, l’heure légale est UTC + 2. Lors de l’insertion en orbite Jupiter se trouvera à 852 millions de km de la Terre et donc à 47 minutes lumière. Nous ne connaîtrons donc le résultat des manœuvres d’insertion qu’avec ce décalage de temps.

Le 1er juillet à 16h45 (UTC +2) , Juno est encore à 3,89 millions de km de Jupiter; elle s’en approche à la vitesse de 34.660 km/h.

Le 2 juillet à 17h45 (UTC+2), Juno est à 3 millions de km de Jupiter; elle s’en approche à la vitesse de 38.000 km/h. L’accélération se fait sensible du fait de l’attraction grandissante de Jupiter.

Le 3 juillet à 08h10 (UTC +2), Juno est à 2,44 millions de km de Jupiter; elle s’en approche à 41.000 km/h. La sonde apparaît juste en haut de l’écran de suivi de trajectoire de la NASA (voir “exlopre/ cinematic view / above Jupiter”).

Le 4 juillet à 00h00 (UTC+2), Juno est à 1,75 millions de km de Jupiter, elle s’en approche à 47.000 km / h. Elle a atteint l’orbite de Callisto, le satellite le plus éloigné de Jupiter. L’insertion se fera dans 1 jour, 4 heures et 28 minutes.

Aller sur Mars ou vivre dans les îles ?

S’il est théoriquement et financièrement possible de construire des îles de l’espace aux Points de Lagrange, pourquoi vouloir s’établir sur Mars ? 

Construire des îles de l’espace ne sera pas facile. Il s’agit d’envoyer en L2 (point de Lagrange 2) des quantités énormes de matériaux, de les travailler dans l’espace et en apesanteur (du moins pour construire la première île) pour les transformer en poutres de métal, en plaques de verre, en gaz respirable, en terres cultivables ; il s’agit de construire ensuite en L5 avec ces produits semi-finis les structures des îles, dans les mêmes conditions. Construire des bases sur Mars sera moins difficile puisqu’on aura les matériaux de base sur place et qu’il « suffira » d’envoyer en surface de Mars les machines nécessaires à la production d’énergie et à la création de nouvelles machines et des structures d’accueil (avec toutefois la difficulté de l’espacement des fenêtres de lancement depuis la Terre).

La vie sur Mars, par contre, sera moins confortable que dans les îles de l’espace. Nous l’avons vu : gravité réduite au sol mais habitats plus petits compte tenu cependant de cette gravité (absente aux points de Lagrange), port du scaphandre obligatoire dès que l’on sortira de la base en raison de la ténuité de l’atmosphère (par ailleurs irrespirable), durée du jour non exactement égale à celle du jour terrestre, amplitude forte des variations de température quotidiennes (de l’ordre de 60 à 80°C) et encore durée du voyage et espacement des fenêtres où ce voyage est possible, aussi bien depuis la Terre que depuis Mars. Dans les îles la vie sera plus facile. On peut même dire qu’« elle sera belle ». L’environnement sera modulable exactement selon les désirs de leurs habitants (gravité, luminosité, température et même relief du terrain). Peut-être certaines personnes seront-elles négativement sensibles dans les Îles-1 à l’intensité de la force de Coriolis en raison de la rotation relativement rapide des habitats mais ce ne sera plus le cas dans les îles de seconde et de troisième génération qui n’auront pas besoin de tourner aussi vite sur elles-mêmes pour recréer une gravité de 1g sur leur sol puisque leur diamètre sera beaucoup plus grand.

Dans les deux cas, il faudra aussi mettre au point un système satisfaisant de contrôle de l’environnement et de support vie (« ECLSS ») fonctionnant en boucle fermée. Dans ce domaine des progrès restent à faire (j’approfondirai dans de prochains billets).

Alors que choisir ?

Je dirais qu’il sera plus facile de commencer par habiter à la surface de Mars mais que, in fine, la meilleure solution serait les îles. C’est là où l’homme trouvera vraiment sa liberté et des possibilités presque infinies de développement et d’accomplissement car, après avoir commencé avec celles de la Lune, on pourra exploiter les ressources des astéroïdes.

Il faut donc commencer. Si l’homme ne choisit pas d’entreprendre des séjours sur Mars aujourd’hui, il ne construira peut-être jamais d’îles de l’espace. C’est bien cela qui nous menace. En effet les directions de la NASA et de l’ESA n’y font référence que de façon rhétorique. L’espace les intéresse surtout dans la mesure où il est tourné vers la Terre. La NASA imagine toutes sortes d’étapes intermédiaires avant Mars et l’ESA, sous l’initiative de son nouveau directeur, Jan Wörner, commence seulement à regarder la Lune.

Malheureusement le « Moon Village » qu’elle propose, outre qu’il serait plus difficile à réaliser et moins « vivable » qu’une base martienne*, semble plutôt être une sorte de base antarctique que l’amorce d’un établissement permanent et autonome. Du fait de toutes les difficultés que poseraient sa création et son maintient, cela risque fort d’être une impasse, comme l’a été la Station Spatiale Internationale, une entreprise longue, coûteuse et décourageante qui pourrait être pour les adversaires de l’aventure spatiale, l’occasion d’en fermer définitivement la porte. En fait une base lunaire n’aurait de sens que comme première phase d’un projet d’îles de l’espace, pour abriter une équipe d’hommes contrôlant l’extraction minière pour approvisionner en matière les constructeurs de ces îles comme le préconisait Gerard O’Neill. Mais compte tenu des difficultés de construire dans l’espace, ce choix me semble être prématuré, donc une erreur stratégique.

Tous nos espoirs reposent sur les grands entrepreneurs américains, les Elon Musk, Jeff Bezos, Larry Page, Bigelow et sur le staff de la NASA, passionné de l’espace profond. Sans eux, pas de souffle, pas de véritable ambition spatiale, pas d’esprit d’aventure mais une ronde sans fin autour d’une Terre vieille, surchargée par la surpopulation, usée par la surexploitation de ses ressources et mourant lentement entourée des déchets spatiaux accumulés par la faute des êtres « conscients » qu’elle aura engendrés. 

*gravité très faible, force des radiations beaucoup plus grande en surface du fait de l’absence d’atmosphère, quasi-absence de glace d’eau, jours très longs, écarts de températures beaucoup plus grands.

Image à la Une: Illustration de Rick-Guidice pour la NASA, montrant la vie à l’intérieur d’une île-1.

Les îles de l’espace 3/4

PS: j’ai encore des choses à vous dire à propos des îles de l’espace mais un événement important qui doit survenir début juillet, mérite que je lui donne la priorité .

Les îles de l’Espace, un rêve certes mais quand même une possibilité

Avant de parvenir au stade d’« île-3 », Gérard O’Neill et les ingénieurs qui travaillaient avec lui (notamment au Ames Space Center de la NASA) dans les années 70, prévoyaient, raisonnablement, qu’il faudrait passer par des étapes intermédiaires. Ils envisageaient d’abord une sorte de Station Spatiale Internationale positionnée au point de Lagrange L5 pour abriter les personnes qui construiraient en ce lieu une « île-1 », premier exemplaire de la première génération des îles de l’espace, plus petite qu’île-3.

« Île-1 » serait une « sphère de Bernal » (sphère pressurisée dont le principe a été conçu en 1929 par le physicien britannique John Desmond Bernal) de 460 mètres de diamètre (donc de 1450 mètres de circonférence). Une rotation d’un tour en 31 secondes de la sphère sur elle-même créerait à la surface interne de son sol une gravité de 1 g à l’équateur et une gravité plus faible mais toujours acceptable pour un organisme terrien, dans une bande de 2 fois 375 mètres de part et d’autre de l’équateur (la gravité serait encore 0,7 g à 45° de latitude), le reste étant occupé par des fenêtres recevant indirectement la lumière du soleil. La surface au sol, utile, n’est pas très grande (quelques 33,22 hectares) mais suffisante pour établir une zone de vie confortable pour une petite communauté. Gerard O’Neill estimait qu’île-1 pourrait accueillir une population de 10.000 habitants. Il serait sans doute plus prudent de n’en envisager que 5.000. Ce ne serait déjà « pas si mal » ! Pour la production agricole et le petit élevage, O’Neill compte 600.000 m2 dans deux groupes de 12 tores d’un diamètre légèrement inférieur à celui de la sphère, positionnés aux deux pôles, autour de l’axe de rotation de la sphère. Avec une population moitié moindre, on pourrait donc « faire avec » la moitié de cette surface, soit 2 groupes de 6 tores.

L’île serait constituée de matériaux lunaires. Ils ont l’avantage de comprendre presque tous les minéraux nécessaires (n’oublions pas que la Lune provient du manteau de la Terre primitive), notamment du silicium, du fer, du magnésium, du titane et de l’oxygène (ce dernier ne se trouve pas à l’état de gaz sur la lune mais dans les minéraux oxydées). Ils sont aussi relativement accessibles, et c’est cela leur avantage par rapport aux matériaux terrestres ou même martiens. En effet la vitesse de libération pour sortir de l’attraction lunaire est de 2,4 km/s alors qu’il faut 11,2 km/s pour s’arracher à la gravité terrestre et 5 km/s pour s’arracher à celle de Mars. De plus, un corps qui part de la surface de la Lune vers l’espace, n’a pas à traverser une atmosphère qui le freine.

Gerard O’Neill a calculé les masses nécessaires pour construire une île-1. Il estime qu’il faudrait quelques 3,7 millions de tonnes, soit 150.000 tonnes pour la structure métallique, 20.000 tonnes pour les vitrages, 400.000 tonnes pour le sol et les bâtiments, 150.000 tonnes pour l’oxygène et 3.000.000 tonnes pour le bouclier antiradiations périphérique. Il manquerait du carbone, de l’hydrogène et de l’azote mais on pourrait trouver ces éléments dans les astéroïdes (pour la première île-1 il faudrait plutôt les faire venir de la Terre). Pour visualiser la quantité de matière à extraire de la Lune, il faut envisager un carré de 750 mètres de côté sur 4 mètres d’épaisseur. C’est beaucoup à terrasser mais ce n’est pas impossible.

Gerard O’Neill a imaginé un moyen pour acheminer à très faible coût, ces masses de la Lune vers le Point de Lagrange L2. Il s’agit d’utiliser un accélérateur électromagnétique dont la piste de lancement, de 10 km, serait installée sur le sol de la Lune avec une pente très faible. L’accélérateur fonctionnerait avec des aimants, en matériaux supraconducteurs, et sur une piste de rails générant une sustentation magnétique dynamique. La faible gravité lunaire et l’absence d’atmosphère permettraient de décoller à grande vitesse, presqu’à l’horizontale, grâce à la forte accélération permise par la rampe électromagnétique. L’énergie, dont le besoin est estimé à une puissance de 100 mégawatts, serait fournie par des centrales solaires, de préférence à des générateurs nucléaires (faible masse). Les matériaux lunaires, après un tri grossier, seraient conditionnés dans des sacs en fibres de verre (fondus à partir de la silice lunaire) et placés dans des godets récupérables qui en quelque sorte serviraient de frondes. La vitesse impulsée serait calculée pour que la charge atteigne L2 à vitesse réduite (en tenant compte du freinage imposé par la gravité lunaire). La trajectoire serait ensuite éventuellement ajustée à partir du poste de contrôle lunaire. Gerard O’Neill estime qu’un tel dispositif pourrait envoyer dans l’espace un million de tonnes de matériaux lunaires par an.

A l’arrivée en L2, il y aurait un collecteur qui serait une sorte de vaste filet. Compte tenu du guidage au départ de la Lune, il ne devrait pas y avoir de pertes. De L2 les matériaux seraient acheminés vers L5 (qui jouit d’une vaste zone de stabilité autour du point de Lagrange) par un cargo nécessitant très peu d’énergie (puisqu’en dehors de forces d’attractions fortes).

Il faudra ensuite traiter les matériaux avec une installation industrielle, située en L5, pour en faire des produits semi-finis et des objets utilisables. Le plus difficile sera la construction de la première île car il n’y aura alors aucune gravité en L5. L’une des priorités sera donc de mettre cette première île en rotation dès que possible (dès que l’armature de la sphère géodésique de l’île sera construite), à partir de la « Station Spatiale » et de la première centrale électrique solaire.

Sur la Lune il faudra une petite base permanente mais, une fois construite par une cinquantaine de personnes, elle pourrait fonctionner avec seulement 8 à 10 personnes.

Que feront les habitants de ces îles de l’espace ? Eh bien, ils vivront, c’est-à-dire qu’ils travailleront et échangeront entre eux. Ils pourront aussi, c’est le projet de Gerard O’Neill, construire pour la Terre des centrales électriques flottant dans l’espace. Ces centrales  recueilleraient l’énergie solaire et la réfléchiraient par micro-ondes vers des stations relais construites sur la Terre. Cette énergie, par définition renouvelable, serait continue (le soleil ne se couche jamais dans l’espace) et peu chère une fois le miroir spatial récepteur déployé.

Avec les îles de l’espace on a un très beau rêve d’ingénieur. Mais que donc choisir ? Ces îles ou Mars ? J’en discuterai dans mon prochain billet (les îles de l’espace 2/4).

Image à la Une: “île-1”, une sphère de Bernal complétée par ses tores agricoles, son axe centrale de circulation, son bouclier anti-radiations, son jeu de miroirs réglables pour retransmettre indirectement la lumière visible à l’intérieur (pour limiter les radiations) et ses radiateurs pour diffuser dans l’espace la chaleur excédentaire. Dans l’environnement immédiat flotte une centrale électrique solaire. L’illustration est de l’artiste Rick Guidice qui travaillait avec la NASA pour la visualisation de ce projet.

Au-delà de Mars, les Iles de l’Espace

Dans les années 1970, le Dr. Gerard K. O’Neill, physicien, enseignant-chercheur à l’université de Princeton (décédé en 1992), développa le concept de colonies dans l’espace (« The High Frontier : Human Colonies in Space », 1976). Ces colonies seraient logées dans des sphères, des torques, ou d’immenses cylindres qui seraient construits dans l’espace et positionnés aux points de Lagrange terrestres (points d’équilibre gravitationnel*) puis, ultérieurement, plus loin dans l’espace profond. Ce concept avait été imaginé par le scientifique allemand, pionnier de l’astronautique, Hermann Oberth, en 1954 (« Menschen im Weltraum »).

Ces îles sont technologiquement beaucoup plus complexes à réaliser que des bases en surface de Mars mais elles pourraient, un jour, constituer des soupapes de sécurité pour l’expansion hors de la Terre ou pour la survie de l’humanité, en permettant la continuation d’une vie confortable et modulable sur le plan environnemental (et culturel ?) selon les désirs de leurs habitants.

La forme la plus élaborée d’île de l’espace (« Island Three » dans l’historique de la réflexion de Gerard O’Neill) consiste en deux cylindres de 32 km de long et 8 km de diamètre (surface de 800 km2), effectuant leur rotation côte à côte en sens contraire (pour l’équilibre de l’ensemble). Une vitesse de 28 tours par heure permettrait de restituer une gravité terrestre sur les parois intérieures. La surface interne est divisée en six bandes longitudinales égales. Elles alternent sol artificiel (donc 400 km2 habitables) et fenêtres sur l’espace. Les fenêtres ne reçoivent pas directement la lumière solaire (danger des radiations de type SPE de SeP comme indiqué dans billets antérieurs) mais indirectement via de grands miroirs dont l’inclinaison par rapport au cylindre peut varier (jusqu’à fermeture totale). A l’une des extrémités, une couronne de modules abrite des cultures agricoles (l’isolation de l’habitat permet une optimisation au point de vue température, composition de l’atmosphère, humidité, pression, conditions sanitaires).  A noter que cette couronne de modules étant d’un diamètre plus grand que le cylindre, tourne à une vitesse plus faible afin de ne pas générer une gravité artificielle intérieure trop forte. Les activités nécessitant la manipulation de masses importantes se ferait au niveau de l’axe de rotation du cylindre puisque à cet endroit la force de gravité artificielle est nulle. Les cylindres fonctionnent sans problème à l’énergie solaire puisque les points de Lagrange bénéficient de la même irradiance que la Terre (vastes champs de panneaux solaires flottant dans l’espace).

Evidemment l’aménagement des îles serait laissé au choix de leurs habitants. Cela inclut choix de relief et de géographie des sols artificiels, choix de température et de saisonnalité (angle des miroirs et durée de leur ouverture), choix de pression, choix d’humidité, choix de végétation, choix d’animaux, choix d’insectes, etc… (dans la limite des conditions d’équilibre d’un environnement quel qu’il soit).

A l’intérieur de ces cylindres les radiations de type GCR (voir billets précédents) seront d’autant plus faibles qu’on aura renforcé en épaisseur la coque extérieure du cylindre.

L’adaptabilité aux besoins environnementaux de l’homme est ce qui fait tout l’avantage de ces îles de l’espace. C’est là où se trouve la différence avec les bases martiennes dans lesquelles il faudra faire face à des contraintes planétaires incontournables telles que la gravité réduite (0,38g). En négatif, on peut dire que vivre dans un tel environnement totalement terraformé ne serait pas vraiment vivre « ailleurs ». On se priverait des paysages martiens, de la vastitude d’une planète entière et de l’intérêt de l’étude d’un milieu différent. A moins d’utiliser ces îles non seulement comme lieu de vie mais comme véhicule pour aller plus loin.

Dans cet esprit, on peut très bien concevoir d’appliquer un module de propulsion aux cylindres afin de les lancer dans l’espace à destination d’astres lointains, les planètes extérieures du système solaire, la Ceinture de Kuiper, le nuage d’Oort. Mais plus on s’éloignerait plus l’atténuation de l’irradiance solaire poserait problème. Il faudrait donc rapidement trouver une source d’énergie autre que solaire (probablement nucléaire mais on se situe dans un futur lointain).

Le concept d’île de l’espace a inspiré nombre d’auteurs de science-fiction « dure », à commencer par Arthur C. Clarke dans sa série « Rama » commencée en 1973 et terminée en 1993. La roue de « 2001 Odyssée de l’espace » s’inspire exactement de ces principes.

Le projet de Gerard O’Neill connut un très grand succès quand il fut lancé au début des années 70. De nombreux scientifiques se joignirent à lui et la NASA finança plusieurs études sur le sujet. La logique est impeccable et tout est prévu dans les moindres détails. Comme vous le savez, l’humanité n’a malheureusement rien entrepris pour confronter la théorie à la réalité et l’enthousiasme est passé. Maintenant, construire des structures aussi grandes et aussi massives n’est évidemment pas tâche facile. Je vous en parlerai dans mon prochain billet.

Les îles de l’espace 1/4

*un point dans l’espace où les champs de gravité de deux corps orbitant l’un autour de l’autre fournissent exactement la même force centripète, maintenant ainsi tout objet qui y est situé, dans la même position relative. Dans le système Terre, Lune, Soleil, il y a cinq points de Lagrange. L4 et L5 sont des régions de stabilité (si on s’en éloigne on a tendance à y revenir) ; L1, L2, L3 sont des points de stabilité (si on s’en éloigne, on a tendance à s’en éloigner davantage). Le futur grand télescope James Webb (JWST) qui doit remplacer Hubble, sera situé en L2 (en opposition à la Terre par rapport au Soleil).

Image à la Une : Island-Three de Gerard O’Neill (illustration de Rick Guidice pour la NASA, credit NASA Ames Research Center).

Image ci dessous : A l’intérieur d’un des cylindres d’Island-Three (Illustration de Rick Guidice pour la NASA, credit NASA Ames Research Center). On distingue bien les 6 bandes du cylindre. leurs tailles inégales en apparence est un effet de perspective car on ne se trouve pas dans l’axe du cylindre mais légèrement en dessous. Au dessus de nous, un des trois miroirs géants réfléchit le soleil vers la bande en dessous de nous. Les mêmes miroirs existent pour les autres bandes et il suffit de jouer sur leurs inclinaisons pour faire “avancer” le soleil de l’aube au crépuscule. Au fond, à plus de 30 km, le cylindre se termine par une demi-sphère autour d’un axe par lequel passe les communications avec l’extérieur. Au niveau de cet axe, la gravité est nulle:

Astronomer Chris Impey examines the possibilities of the universe in his new book Beyond. "I like the idea that the universe — the boundless possibility of 20 billion habitable worlds — has led to things that we can barely imagine," he says. In the 1970s, NASA Ames conducted several space colony studies, commissioning renderings of the giant spacecraft which could house entire