Junon va dévoiler certains secrets de Jupiter

Le 4 juillet, le roi des astres gravitant autour du soleil va accueillir l’épouse que l’Homme, descendant de Prométhée l’audacieux puis d’Ulysse le rusé, a façonnée pour dévoiler ses secrets. A l’instar de la déesse, les instruments de la sonde « Juno » (Junon) de la NASA vont pénétrer les nuées derrière lesquelles Jupiter dissimule sa vie secrète. La mission fait suite à la mission Galileo (1995 à 2003) qui visait principalement les satellites de Jupiter, et elle tient évidemment compte de son expérience, notamment des nuisances que lui causèrent les radiations piégées par la magnétosphère de la géante gazeuse.

Émerveillons-nous d’abord du voyage.  Parti le 5 août 2011 à bord d’un lanceur Atlas V d’ULA (Joint-venture Lockheed Martin et Boeing), le vaisseau porteur aura donc voyagé 5 ans pour atteindre sa destination (insertion en orbite jovienne). La distance qui sépare nos deux planètes fluctue entre 590 et 960 millions de km mais la distance parcourue par Juno sera au total de 2,83 milliards de km. La raison de cette énorme différence tient à la complexité de la trajectoire. Afin d’économiser l’énergie, pour pouvoir précisément en transporter suffisamment, la NASA a envoyé le vaisseau au-delà de l’orbite de Mars pour le faire revenir vers la Terre (30 août et 3 septembre 2012) à toute vitesse, afin de réaliser un passage à proximité (556 km seulement, le 9 octobre 2013) lui permettant de bénéficier de l’« assistance gravitationnelle » de notre planète comme d’une fronde pour le propulser à plus grande vitesse vers Jupiter (27 km/s contre seulement 3 km/s après le départ de la Terre). Les marins de l’ancien temps utilisaient les courants et les vents, les ingénieurs en astronautiques d’aujourd’hui utilisent l’énergie embarquée, éventuellement l’énergie solaire, la mécanique céleste (l’évolution de la position des planètes) et la gravité. Comme jadis, la ligne droite ne peut être la trajectoire privilégiée pour un voyage car les astres, et d’abord le soleil, exercent leurs forces contradictoires ou complémentaires sur ce qui se trouve à leur portée.

Saluons ensuite l’audace du plan du vol d’exploration. Comme la déesse Junon, la sonde de la NASA va utiliser la ruse pour rester aussi peu de temps que possible dans le champ magnétique de Jupiter qui l’enveloppe de deux gigantesques tores déformés par le vent solaire, dans lesquelles les radiations, piégées, sont extrêmement fortes et denses. Arrivée dans l’environnement jovien au-dessus du plan de l’écliptique et attirée par une force de gravité énorme, Juno va plonger vers le pôle Nord à très grande vitesse. Après avoir passé son périastre le 5 juillet (à 05h15 UTC* +2), à la distance extrêmement proche de 5.000 km de la « surface » de la planète (diamètre de 142.000 km) et à la vitesse de 200.000 km/h, elle va repartir par-delà le pôle Sud, toujours animée d’une grande vitesse mais décroissante (attraction de Jupiter !), sur une orbite très elliptique qui va l’emporter jusqu’à un apoastre à plus de 5 millions de km, où elle n’évoluera qu’à 2000 km/h. La capture aura eu lieu grâce à une phase de rétropropulsion de 35 minutes (utilisant l’hydrazine) au-dessus de la zone intertropicale de Jupiter qui aura freiné le vaisseau juste ce qu’il faut. Ce type d’orbite elliptique lui permettra de franchir la magnétosphère à l’endroit où elle est la moins épaisse, aux pôles, et de survoler la planète en passant sous les ceintures de radiations. Elle parcourra trente-deux fois cette orbite, en un peu plus d’une année (32 fois 14 jours) avant de plonger, épuisée quand même par les rayonnements (elle aura reçu quelques cent millions de rad), dans les profondeurs insondables de Jupiter.

Admirons encore le bijou technologique. Un orbiteur de 3,6 tonnes, très volumineux avec ses 4,5 mètres de haut et 20 mètres d’envergure compte tenu de ses trois grands panneaux solaires déployés, car il lui faut une très grande surface pour capter l’énergie nécessaire si loin du soleil (l’irradiance solaire au niveau de l’orbite de Jupiter n’est que 25% de celle qui parvient à l’orbite terrestre). Il est truffé d’équipements sophistiqués (spectroscopes, radiomètres) dont les éléments les plus fragiles sont confinés dans un coffre antiradiations d’un mètre cube aux parois de 1 cm d’épaisseur, en titane. A noter qu’à la différence de la plupart des sondes américaines envoyés dans l’espace profond qui disposaient d’un petit moteur nucléaire, cette fois ci la NASA a choisi une énergie « propre », preuve des progrès effectués dans l’efficience des panneaux solaires.

Mais à quoi tout cela va-t-il servir ?

C’est ce que je développerai dans mon prochain billet !

Image à la Une : Juno devant Jupiter, conception d’artiste pour la NASA (crédit NASA).

Lien : site de la NASA pour la mission Juno : https://www.nasa.gov/mission_pages/juno/main/index.html

*UTC (“Coordinated Universal Time”) est identique à GMT (“Greenwich Mean Time”). En Suisse, en été, l’heure légale est UTC + 2. Lors de l’insertion en orbite Jupiter se trouvera à 852 millions de km de la Terre et donc à 47 minutes lumière. Nous ne connaîtrons donc le résultat des manœuvres d’insertion qu’avec ce décalage de temps.

Le 1er juillet à 16h45 (UTC +2) , Juno est encore à 3,89 millions de km de Jupiter; elle s’en approche à la vitesse de 34.660 km/h.

Le 2 juillet à 17h45 (UTC+2), Juno est à 3 millions de km de Jupiter; elle s’en approche à la vitesse de 38.000 km/h. L’accélération se fait sensible du fait de l’attraction grandissante de Jupiter.

Le 3 juillet à 08h10 (UTC +2), Juno est à 2,44 millions de km de Jupiter; elle s’en approche à 41.000 km/h. La sonde apparaît juste en haut de l’écran de suivi de trajectoire de la NASA (voir “exlopre/ cinematic view / above Jupiter”).

Le 4 juillet à 00h00 (UTC+2), Juno est à 1,75 millions de km de Jupiter, elle s’en approche à 47.000 km / h. Elle a atteint l’orbite de Callisto, le satellite le plus éloigné de Jupiter. L’insertion se fera dans 1 jour, 4 heures et 28 minutes.

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.