Ceci est un nouveau message à tous ceux qui disent « on n’a jamais fait, on ne fera jamais ». Ingenuity, le drone hélicoptère de la NASA a volé, ces 19 et 22 avril, dans une atmosphère de 6 millibars, une pression égale à 0,006 fois l’atmosphère terrestre, c’est-à-dire celle qui existe dans notre stratosphère à 35 km d’altitude.
Sur Terre, le record d’altitude des hélicoptères est de 12,5 km. Les avions de ligne, à réaction, volent entre 9 et 12 km. Solarstratos, l’avion solaire stratosphérique à hélice sur lequel travaillent Raphaël Domjan et Roland Loos à Payerne, pourrait atteindre 25 km, les avions de chasse les plus performants peuvent voler à 30 km.
Mais attention, ce qui est recherché sur Mars, ce n’est pas de dépasser un record, c’est de parvenir à voler à quelques mètres au-dessus du sol pour des raisons utiles. Les avantages sont évidents, je vous les donne. Premièrement, se déplacer à la surface de la planète avec des roues (moyen utilisé jusqu’à présent par les « rovers » d’exploration) est difficile. Ça l’est d’abord en raison de l’irrégularité du relief en de nombreux endroits, des pentes souvent trop fortes, des rochers et cailloux, des aspérités diverses dont beaucoup, peu émoussées par une érosion faible, présentent des angles tranchants. Ça l’est également en raison des dunes et des bancs de sable, ou de poussière, très peu denses (« mouvants » et de ce fait dangereux comme l’a démontré l’enlisement puis la mort du rover Spirit en mai 2009). Deuxièmement, un orbiteur (satellite) voit très bien ce qui est en dessous de lui plus ou moins à la verticale mais il voit très mal presque tout ce qui se trouve sur les parois verticales ou en fortes pentes (avec un petit bémol pour la caméra CaSSIS de l’orbiteur TGO de l’ESA (Uni Berne) qui prend des photos avec un angle de +10° à -10° par rapport à la verticale). Troisièmement les orbiteurs dont les caméras sont équipées des zooms les plus puissants, telle HiRISE (à bord de MRO) ont une capacité de résolution limitée à 30 cm par pixel (c’est beaucoup mais il est toujours intéressant de faire mieux, en particulier en géologie, en minéralogie et éventuellement en paléogéoexobiologie). Un hélicoptère peut être porteur d’un instrument donnant une définition beaucoup plus fine d’une stratification ou d’une roche observée, qu’une caméra embarquée sur orbiteur. Quatrièmement les rovers évoluant au sol ne voient que leur environnement immédiat et ce qui est « à leur hauteur » ou en-dessous. Ils ne voient pas au-dessus ou derrière les rochers, ou encore ils voient mais ne peuvent atteindre pour observer ou prélever, si le chemin d’accès est trop difficile (cas évoqués ci-dessus). Cinquièmement, lorsque l’homme sera sur Mars, l’hélicoptère sera un moyen de faire parvenir « quelque chose » (une bombonne d’oxygène, un médicament, un outil) à un groupe d’hommes isolé ou distant.
Pour ce genre de fonctions, un plus-lourd-que-l’air est « moins bien » qu’un ballon ou un dirigeable puisqu’il doit emporter de l’énergie avec lui pour se maintenir en l’air. Cependant la piste du dirigeable, si elle n’est pas abandonnée, est très difficile à emprunter. Elle l’est en raison de la faible différence entre la pression interne d’un gaz quel qu’il soit (le seul possible étant en réalité le plus léger, l’hydrogène…mais il fuit très facilement !) et la très faible pression extérieure, même si la masse volumique du CO2 (1,87 kg/m3) qui constitue 95% de l’air martien est nettement plus élevée que celle de notre « mélange » atmosphérique. Nous* l’étudions actuellement à l’EPFL (et une présentation de faisabilité sera faite au GLEX de Saint Pétersbourg à l’occasion du 60ème anniversaire du vol de Gagarine). A noter que dans le domaine des plus-lourds-que-l’air, l’alternative à l’hélicoptère serait a priori le drone à réaction ou l’avion à décollage vertical (il n’y a pas de « piste » sur Mars, et s’il y en avait, elle devrait être très longue puisque l’air est très peu porteur et qu’en conséquence la vitesse nécessaire au décollage est de 5,5 fois ce qu’elle est sur Terre pour la même masse). A noter encore que l’avion devrait pour se maintenir en l’air se déplacer à très haute vitesse ce qui limite la précision de l’observation. Mais l’imagination est libre. Robert Zubrin, notamment, a conçu un « gashopper » qui serait une bonne solution (compression de l’air martien en utilisant l’énergie solaire captée par panneaux sur le corps de l’engin, puis expulsion de ce gaz comprimé). Robert Michelson, Professeur au CalTech, a, de son côté, travaillé entre 2002 et 2006 sur un entomoptère (drone à ailes battantes), fabuleuse imitation d’un être vivant.
*Roméo Tonasso, étudiant en Master, l’équipe de jeunes professionnelles de WoMars dont Laurène Delsupexhe et Alice Barthes, Claude Nicollier et moi-même. Je vous parlerai de cette étude après la présentation au GLEX (Global Space Exploration Conference) organisée par l’IAF (International Astronautical Federation) et Roscosmos (l’agence spatiale Russe). La conférence se déroulera du 14 au 18 juin.
Pour l’instant on teste un hélicoptère. Quelles en sont les caractéristiques ? D’abord la masse soulevée est très faible (1,8 kg dont 0,27 de batteries). Cela veut dire qu’on peut emporter seulement une caméra ou un spectromètre (avec son système de stockage de données et de transmission en télécommunication). C’est beaucoup et peu à la fois. Pour cette petite masse, dont l’essentiel est contenu dans un parallélépipède de 13,6 sur 19,5 cm, le système de sustentation et d’ascension doit être extrêmement efficace. Outre son moteur électrique, le système est composé d’un rotor contrarotatif, deux hélices tournant en sens contraire (pour la stabilité de la direction avec un effet indirect de sur-densification de l’atmosphère), très longues (1,2 mètres), avec un nombre de rotation extrêmement élevé (2400 à 2900 tours par minutes, soit dix fois plus qu’un rotor utilisé sur Terre). En effet la faible densité doit être compensée par un paramètre de superficie couverte par le rotor et une vitesse, aussi élevés que possible (à noter que cette vitesse est supersonique en bout de pale ce qui impose un dessin de pale particulièrement délicat). Pour alimenter le moteur on utilise un panneau solaire au-dessus des hélices et on accumule l’énergie dans une batterie lithium-ion pour acquérir une puissance allant de 510 à 350 Watts mais qui ne peut donner que 36 Watts-heures compte tenu des limites de stockage des batteries. A noter que sur ces 36 Wh, une bonne partie (20 Wh !) doit être utilisée pour chauffer les résistances à la température minimum nécessaires au maintien en vie de l’appareil pendant la nuit où la température descend à -90°C.
Le résultat c’est que l’hélicoptère peut s’élever jusqu’à 5 mètres du sol (altitude atteinte lors du second vol, celui du 22 avril) mais ne peut parcourir que jusqu’à 300 mètres au cours d’un vol de 90 secondes et à la fréquence d’un seul vol par jour (en fin d’après-midi). La programmation doit être très précautionneuse car la faible atmosphère impliquant un « nombre de Reynolds » faible, les changements de direction ne peuvent pas être rapides sous peine de déstabiliser l’appareil et de le faire « décrocher ». De même la descente ne peut se faire avec la précision que donnerait une portance de type terrestre et le dernier mètre est davantage une chute, très brève, qu’un atterrissage en douceur (comme le montre la vidéo réalisée).
On voit donc bien les limitations d’un tel engin. Cependant une heureuse surprise a été le peu de poussière soulevée au décollage et bien sûr à l’atterrissage, plus rapide. Il est certain qu’un engin propulsé par éjection de gaz donnerait lieu à un contact avec le sol beaucoup moins « propre ». Ce qu’il faut espérer pour les prochaines démonstrations puis utilisations, c’est un rechargement de la batterie plus rapide et un stockage d’énergie plus important (pour pouvoir aller plus loin). Peut-être ne sera-ce pas possible avec un panneau solaire. Ce panneau est apparu essentiel pour préserver l’autonomie d’Ingenuity mais ne peut-on envisager un petit moteur nucléaire ou un rechargement en électricité sur le rover lui-même, l’hélicoptère puisant dans l’énergie accumulée de ce dernier (c’est ce qu’avait envisagé Robert Michelson pour son entomoptère (« entomopter ») comme vous verrez sur la vidéo ci-dessous). Il faudrait dans ce cas que le rover puisse déployer un plateau, libre de tout instrument et d’une surface suffisante, pour servir de plate-forme d’atterrissage, de rechargement en énergie et éventuellement de récepteur d’échantillons. Mais la NASA s’oriente peut-être vers « autre chose », comme un drone du genre Dragonfly (celui qui doit se poser sur Titan). C’est une autre histoire !
Illustration de titre : Ingenuity en vol, vue d’artiste, crédit NASA/JPL-Caltech.
lien vers la vidéo de l’entomoptère de Robert Michelson :
PS1 : La NASA a annoncé ce 21 avril que l’instrument MOXIE embarqué sur Perseverance avait fonctionné. Il a extrait de l’oxygène de l’atmosphère de gaz carbonique de Mars (MOXIE est l’acronyme de « Mars Oxygen In-situ resources Experiment »; il a été conçu et réalisé par le MIT).
PS2: Première photo (crédit NASA) du 3ème vol (Dimanche 25 avril). Il s’agissait cette fois-ci, non plus seulement de décoller puis d’atterrir, mais aussi de parcourir une certaine distance en ligne droite au dessus du sol (50 mètres). Mission réussie! La vitesse était de 2 mètres par seconde.