Voyager dans l’Espace profond grâce à la science astronautique

L’astronautique, une navigation à l’intérieur d’un mécanisme d’horlogerie à de multiples dimensions.

La possibilité de répondre avec réalisme à l’appel de l’espace profond, évoquée dans mon précédent article*, passe d’abord par la maîtrise de la science astronautique. Avant son développement, rendu possible par les progrès en chimie, en physique des matériaux, en science de la propulsion, nous ne disposions pour connaître notre environnement spatial, que de l’astronomie. Cette autre science, très ancienne, est essentiellement passive d’un point de vue énergétique, dans le sens où l’on reçoit l’énergie émise ou réfléchie par les astres et l’on s’efforce (avec de plus en plus d’intelligence et de succès) de comprendre son origine et ses implications multiples. L’astronautique est au contraire, de ce même point de vue énergétique, active, dans la mesure où l’on s’efforce d’utiliser en la contrôlant, une énergie de plus en plus puissante, pour aller vers les astres.

*L’appel de l’espace profond (est-ce réaliste d’y répondre et jusqu’où peut-on envisager d’aller ?)

Nous sommes à l’aube de l’ère spatiale, avec des possibilités théoriques importantes que l’on commence à mettre en œuvre ou que l’on entrevoit mais avec des limitations pratiques terribles qui ne nous permettent d’envisager que des déplacements à l’intérieur proche de notre système stellaire (solaire). En clair la seule énergie que l’on peut utiliser vraiment ou pour l’essentiel (j’y reviendrai) est l’énergie chimique et elle implique l’emport d’une masse considérable d’ergols (carburant plus comburant) et de réservoirs les contenant qu’il faut arracher à la gravité terrestre aussi bien que la charge utile qui « pèse » beaucoup plus lourd (une vingtaine de fois!) que cette charge utile et qui en plus se consume / consomme très vite, étant juste suffisante pour nous arracher à la gravité terrestre et nous donner quelques « petits » kilomètres par seconde en plus des 30 kilomètres par seconde de vitesse de la Terre autour du Soleil.

On est ainsi amené à aborder l’autre contrainte majeure du voyage qui est celle de la distance et donc du temps. Il faut avec notre « petite » vitesse acquise relativement à celle de la Terre, six à neuf mois pour aller sur Mars dans les meilleures conditions, environ 3 ans pour aller dans le domaine de Jupiter, environ 6 ans dans celui de Saturne. Comme cette contrainte est évidemment liée à celle de l’énergie consommée, on retombe sur un problème de masse si l’on veut réaliser des déplacements un peu moins longs. Ainsi Elon Musk envisage des voyages de quatre (ou même trois !) mois seulement pour aller sur Mars (après un certain temps et la réalisation de quelques progrès technologiques) mais la vitesse nécessaire pour ce transit rapide implique une augmentation très forte de la consommation d’énergie, donc une limitation très forte de la masse utile transportée. In fine on choisira sans doute neuf mois pour les vols cargo et cinq mois pour les vols habités.

L’homme se trouve donc aujourd’hui vis-à-vis de l’espace comme il se trouvait vis-à-vis de l’océan au temps des caravelles. Il peut y faire quelques incursions mais il doit recourir à toutes les finesses de sa réflexion et de son imagination pour utiliser au mieux par des capacités limitées, des forces qui le dépassent infiniment. Pour pallier aux difficultés propres à l’énergie qu’il peut embarquer, il va ainsi jouer avec la gravité des astres et avec les dates du temps (les « fenêtres de tir »). L’astronautique est la science qui combine toutes ces possibilités et ces contraintes et c’est donc bien une science de la navigation.

De ce fait, la ligne droite n’est pas, ne peut pas être, la trajectoire d’un voyage spatial. En effet, après s’être hissé en « orbite de parking » (pour simplifier, « LEO » – pour « Low Earth Orbit ») au prix d’une « vitesse de satellisation minimale » de 7,9 km / seconde, le vaisseau va attendre de se trouver dans la meilleure position en fonction de sa destination, pour donner une impulsion supplémentaire (qui implique une consommation d’énergie supplémentaire !) pour gagner au moins 3,3 km/s de vitesse et ainsi atteindre la vitesse de 11,2 km/s, minimum, pour se libérer (« vitesse de libération ») de la force d’attraction de la gravité terrestre en vue d’atteindre cette destination. Il va chercher à bénéficier au maximum de la vitesse de la Terre par rapport au soleil pour profiter de cette dernière (sauf évidemment s’il ne va que vers la Lune qui fait partie de son propre système), comme un petit caillou dans une fronde.

Une fois « libéré » le vaisseau va rester pendant un certain temps sous influence résiduelle terrestre (ce qui va le freiner encore un peu). On dit qu’il va sortir progressivement de sa sphère de Hill (ou de Roche). Mais surtout il restera sous influence solaire, ce qui va le contraindre beaucoup plus longtemps (le seul vaisseau construit de la main de l’homme, à s’échapper de cette dernière est Voyager 1 lancé en Septembre 1977 par la NASA et qui se trouve aujourd’hui à la limite jusqu’où s’exerce cette influence, à quelques 21 milliards de km du Soleil). La contrainte solaire s’exprimera par une courbe, qui est un arc d’ellipse autour du soleil. C’est ainsi que l’on peut dire que la mission MSL (Curiosity) a atteint Mars après 567 millions de km alors que la distance maximale en ligne droite (lumière) n’est que de 400 millions de km (et que les deux planètes étaient distantes de 204 millions de km lors du lancement). La rectitude relative de la trajectoire et la vitesse à laquelle le vaisseau la parcourra, dépendra de la force de l’impulsion donnée au départ.

Sorti de la sphère de Hill, la vitesse ne sera que très peu freinée car l’attraction du soleil sera relativement faible et le vaisseau voyagera dans le vide (par définition sans atmosphère donc aucune matière “freinante”!). Ainsi une fusée partie de LEO avec une vitesse par rapport au soleil de quelques 33,3 km par seconde (30+3,3) aura encore une vitesse de 32,3 km/s au sortir de la sphère de Hill et d’un peu plus de 20 km par seconde en approchant de Mars 6 ou 8 mois plus tard (ce qui permet une capture gravitationnelle par cette planète).

Ensuite, le vaisseau spatial, s’il ne va pas vers les astres voisins immédiats de la Terre (et si ces astres, où les suivants en éloignement, se trouvent dans une configuration qui le lui permet), pourra bénéficier de leur puissance gravitationnelle pour accélérer et changer de direction. Ainsi on va chercher à utiliser Vénus pour rentrer sur Terre à partir de Mars si on repart dans les semaines suivant l’arrivée, ou bien Jupiter si on veut aller jusqu’à Saturne. C’est là où l’on peut réaliser que la date de départ d’un voyage est aussi essentielle que la puissance dont on dispose pour lancer le vaisseau dans l’espace, et on doit la choisir en fonction de la position où l’astre que l’on veut atteindre (ou utiliser) se trouvera quand arrivera l’engin qu’on y envoie mais aussi de la position des autres astres qui pourraient servir de relais. Dans l’exemple ci-dessus (mission MSL), Mars à la date du lancement du vaisseau qui devait l’atteindre, avait encore beaucoup de chemin à faire pour, en 8 mois et 17 jours de parcours de son orbite, atteindre le point de rencontre avec ce même vaisseau, à quelques 400 millions de km en ligne droite de la Terre.

L’astronautique n’a rien de simple et elle doit respecter des règles extrêmement précises comme si elle devait servir à guider un objet à l’intérieur d’un mécanisme d’horlogerie ultra « compliqué » à plusieurs dimensions. On rejoint ici l’astronomie qui sert de toile de fond à tous ces déplacements. L’image horlogère est très ancienne et très vraie. C’est déjà ce qu’avait compris les civilisations antiques (pensez au mécanisme d’Anticythère) et c’est cette profondeur et cette complexité alliées à la précision extrême qui en font toute la beauté !

Image à la Une: exemple de trajectoires, les orbites de Cassini dans le système de Saturne, entre 2004 et 2017. Crédit image NASA/JPL-CalTech. Elles impliquent des corrections de trajectoires faisant intervenir quelques impulsions énergétiques courtes à des moments très précis conjuguant vitesse de la sonde et proximité de l’astre.

Trajectoire Terre/Mars de la mission MSL (Curiosity). Crédit image : NASA/JPL-Caltech (ci-dessous):

L’appel de l’espace profond et la problématique du Voyage

Partir ! Partir loin ; partir au-delà de l’ISS, au-delà de la Lune ; partir voyager dans ce qu’on appelle l’« espace-profond » ; y vivre. C’est mon rêve comme celui de beaucoup de mes contemporains. L’opportunité apparaît nous être ouverte par l’évolution récente de nos technologies. Mais est-ce réaliste ? Et jusqu’où ?

NB : Le présent article et les suivants reprennent, après remaniement et quelques améliorations (je l’espère !), un des tous premiers articles de ce blog (« Voyage »). Il n’avait pas retenu beaucoup l’attention mais comme je pense qu’il est important, je lui donne une seconde chance !

Pour répondre à ces questions il faut considérer l’énergie dont on dispose pour se libérer de l’emprise de la gravité terrestre puis pour survivre; les moteurs et la « tuyauterie » capables de l’utiliser; la vitesse que l’on peut acquérir par rapport aux distances à parcourir pour aller « quelque part »; le volume où l’on va vivre, son enveloppe et ses équipements internes; les systèmes de support-vie que l’on peut faire fonctionner (auto-régénératifs de type MELiSSA, pour durer longtemps); les capacités de résistance de notre corps aux conditions extrêmes et notamment aux radiations spatiales et aux « débordements » d’activité de nos microbes commensaux (notre microbiote), de ceux de nos compagnons et de notre environnement qui tous voyageront avec nous à l’intérieur du super-microbiome d’un vaisseau spatial (avec ou sans notre autorisation) ; les compétences des membres de l’équipage forcément très réduit en nombre; les capacités de résistance et d’adaptation de notre esprit à un environnement particulièrement stressant ; nos chances de retour sur Terre, car pour le moment il n’est pas question comme certains l’envisagent avec inconscience, de ne pas revenir. Enfin je n’oublierai pas de mentionner un autre sujet qui n’est pas négligeable (mais pas non plus rédhibitoire), le coût, car il faut évidemment se payer le voyage.

L’objet de ce blog est de vous convaincre que la réponse, après étude sérieuse de ces sujets complexes et souvent interagissants, peut-être positive pourvu que l’on soit raisonnable. Cela ne veut pas dire que l’on ne prenne pas de risques importants (vitaux ou mortels selon le point de vue où l’on se place) mais que ces risques ne sont pas impossibles à prendre (c’est-à-dire qu’ils impliquent une trop forte probabilité de mort). Il faut donc être réaliste tout en restant audacieux. Dans ce contexte, notre objectif ne peut être aujourd’hui que la planète Mars parce qu’elle se situe à la limite de nos possibilités énergétiques et physiologiques, parce que son environnement est moins hostile que celui des autres corps célestes sur lesquels nous pourrions aller, qu’il nous offre des possibilités d’« ISRU » (« In Situ Resources Utilization ») qui nous dispenseront d’apporter trop de masse avec nous et parce que s’y établir serait une déclaration d’intention convaincante pour aller ensuite encore plus loin.

In fine ce qui est essentiel c’est de vouloir puisqu’on le peut.

Image à la Une: Aurora (ESA), credit ESA et Pierre Carril. Cette illustration a été commandée à Pierre Carril par l’ESA à l’époque du lancement du programme Aurora de cette dernière. Pierre Carril est l’un des meilleurs illustrateurs scientifiques français se consacrant à l’espace. Ses dessins sont toujours extrêmement rigoureux et porteurs de sens. 

Ce sont des lutins qui ouvrent la voie du programme Breakthrough Starshot

Les premiers progrès technologiques nécessaires pour mener à bien le projet Breakthrough Starshot sont en bonne voie. Rappelons que l’objet de ce projet est d’explorer les systèmes de Proxima et d’Alpha Centauri (les étoiles les plus proches du Soleil) avec une flotte de sondes ultralégères emportées par des voiles qui seront propulsées par la lumière.

Sur le plan organisationnel, Breakthrough Starshot est un programme de recherche et d’ingénierie fondé en Mars 2016 par Youri Milner, Stephen Hawking et Marc Zuckerberg qui s’appuient sur un Comité de conseillers scientifiques reconnus (surtout américains). Il est doté pour sa phase initiale de 100 millions de dollars. Les promoteurs se sont donnés vingt ans pour aboutir*.

Voir mes articles précédents sur le sujet. (21 et 28 décembre 2016; 4 janvier 2017) 

Proxima Centauri se trouve à 4,24 années-lumière de la Terre. Il faudrait 20.000 ans à un vaisseau doté d’une propulsion classique pour l’atteindre. Le principe du Programme est d’une part de réduire au maximum la masse à projeter tout en la dotant d’une charge utile permettant un minimum d’ajustements de trajectoire, la collecte d’informations sur le système stellaire visité, la transmission à la Terre des données collectées et, d’autre part, de fournir l’énergie lumineuse la plus puissante possible pendant la très courte période pendant laquelle les vaisseaux ne seront pas trop éloignés, pour que la vitesse acquise à la fin de cette période permette un retour d’informations dans un délai acceptable par rapport à la durée d’une vie humaine.

Ce principe implique (1) la miniaturisation des vaisseaux et leur fonctionnement coordonné (en essaim), (2) l’allègement et la réflectivité maximum des voiles photoniques et (3) la mise au point de lasers ultra-puissants.

Il semble théoriquement possible d’atteindre une masse d’un seul gramme pour le vaisseau et une masse d’un seul gramme pour la voile (qui aurait quatre m2). Le dispositif de propulsion serait une forêt de lasers, quelque part en altitude à la surface de la Terre, qui diffuseraient une énergie lumineuse de 100 milliards de W pendant 10 minutes en direction des voiles (larguées précédemment dans l’espace proche), durée nécessaire pour impulser aux vaisseaux une vitesse relativiste de 0,2c (20% de la vitesse de la lumière) et atteignent une distance de 2 millions de km (après laquelle les lasers deviendraient inefficients).

Une fois acquise, la vitesse de 0,2c se conserverait (puisque rien ne freine un objet lancé dans l’espace au-delà de la sphère de Hill* de la planète dont il provient, si ce n’est la force de gravité de plus en plus faible du Soleil) et permettrait d’atteindre le système de Proxima Centauri en 20 ans. Le grand nombre de vaisseaux prévus (un millier) doit permettre une observation commune de la cible et aussi procurer une redondance pour pallier les défaillances d’un certain pourcentage d’entre eux.

*sphère à l’intérieur de laquelle sa gravité s’exerce de façon sensible.

En juillet dernier, un test a été effectué sur une première série de vaisseaux miniaturisés, dénommés « sprites » (« lutins », en Français) conçus par Zac Manchester, ingénieur en aérospatial de l’Université Cornell. Lancés le 26 juin, en orbite basse terrestre, ils fonctionnent et communiquent avec la Terre. Tout petits (mais pas encore assez !) ils mesurent 3,5 x 3,5 cm et pèsent 4 grammes. Il s’agit en fait d’une carte électronique dans laquelle sont intégrés des capteurs (magnétomètre et gyroscope) un microprocesseur, un transmetteur radio et des cellules photovoltaïque pour fournir au vaisseau l’énergie dont il a besoin pour fonctionner (puissance 100 milliwatts).

Bien sûr il reste beaucoup à faire pour que le projet, très complexe et très futuriste, atteigne ses objectifs mais la miniaturisation du vaisseau est une étape incontournable et on peut déjà féliciter Zac Manchester pour la prouesse réalisée. Pour comparaison, on peut se référer à IKAROS de l’agence japonaise JAXA, qui lancé et déployé en 2010, a été le premier vaisseau spatial à propulsion photonique. Comme les sprites il fut placé en orbite basse terrestre mais il pesait 315 kg dont 300 kg pour le vaisseau et 15 kg pour la voile (de 14,1 mètres de côté, soit 178 m2) ! L’objet était de tester le déploiement de la voile et de démontrer sa capacité à naviguer sur instructions données de la Terre. L’engin prévu pour un minimum de 6 mois, a fonctionné jusqu’en Octobre 2015. Les progrès en miniaturisation sont donc très remarquables et laissent espérer encore mieux. NB : IKAROS utilisait la lumière du Soleil, ce qui n’est pas tout à fait la même chose que d’utiliser la lumière de lasers puisque la première est diffuse et la seconde concentrée et donc que la première nécessite une voile plus grande, mais dans les deux cas il s’agit de propulsion photonique.

Une inquiétude que j’ai et qui ne pourra être testée facilement, c’est l’effet qu’auront les GCR (« Galactic Cosmic Ray », radiations galactiques) sur les circuits miniaturisés pendant une longue période (les 20 ans du voyage). A l’intérieur du système solaire nous sommes un peu protégés de ces radiations par le rayonnement solaire. Les impacts de HZE (noyaux d’éléments lourds, tels que le fer) constituent un pourcentage faible des GCR (2%) ; ils sont néanmoins très dangereux par leur énergie et leur masse. Qu’en sera-t-il en dehors de la sphère de protection du soleil ? Seront-ils plus abondants ? Peut-être que les HZE ne seront pas plus nombreux puisque de toutes façons ils sont très peu arrêtés par les radiations solaires. Même si c’est bien le cas, la redondance prévue des sondes sera-t-elle suffisante pour que le dispositif reste utilisable après 20 ans de voyage malgré les impacts ? C’est ce que la suite de l’histoire nous dira ! Souhaitons donc bonne continuation à Breakthrough Starshot !

Image à la Une: un sprite, premier vaisseau spatial conçu dans le cadre du programme Breakthrough Starshot.

lien: https://breakthroughinitiatives.org/News/12

Image ci-dessous: ce à quoi pourrait ressembler un vaisseau spatial du programme quand il sera au point (voile de 4 m2 emportant un vaisseau de un gramme):

La Mer d’Eridania, une nouvelle piste pour la vie

On a identifié sur Mars le bassin d’une vaste mer asséchée qui est potentiellement très prometteur sur le plan exobiologique. Ce bassin est situé dans la région d’Eridania, dans les Hautes-Terres-du-Sud pas très loin des Basses-Terres-du-Nord, au Nord-Est du bassin d’Hellas et au Sud du Cratère Gusev (celui qu’a exploré le rover Spirit, jumeau d’Opportunity, avant de s’ensabler), auquel il est relié par le canal de déversement de Ma’adim Vallis (le Cratère Gusev étant situé en contrebas, à la limite de la dichotomie crustale de la planète).

D’après la compréhension que nous avions jusqu’à maintenant des conditions nécessaires à l’émergence du processus de vie, c’était les sources hydrothermales qui, sur Mars, semblaient lui offrir les conditions les plus propices. C’est sur cette hypothèse que deux des trois sites d’atterrissage de la prochaine mission « lourde » de la NASA, dénommée « Mars-2020 », les Columbia Hills (cratère Gusev, Spirit) et le Nord-Est de Syrtis Major (entre Isidis Planitia et Nili Fossae), ont été présélectionnés (le troisième étant le magnifique delta fluvial s’ouvrant dans le cratère Eberswalde).

On pense que pour que la vie soit apparue (sur Mars comme sur Terre), il a fallu de l’eau liquide et active (qui soit dans un état chimique et physique qui puisse permettre les liaisons chimiques), une abondance de minéraux dissous et circulants (grâce à des mouvements de l’eau), un différentiel de pH incitatif aux réactions thermodynamiques, de la chaleur mais pas trop (60°C plutôt que 100°C). Sur Terre trois types de sites présentent ces caractéristiques : certaines zones intertidales (ou de « balancement » des marées) dans les régions volcaniques, les rivières s’écoulant des sources géothermales de type Yellowstone et certaines cheminées de dorsales médio-océaniques (les moins chaudes, qui ont une vie très longue, type « Lost City »). Malheureusement, la planète Terre étant restée très active (tectonique des plaques et érosion), il reste très peu de roches de cette époque, juste postérieure à l’Hadéen et formées dans ces sites, qui n’aient pas été métamorphisées et soient toujours lisibles. Sur Mars au contraire, on trouve beaucoup de roches très anciennes puisque la surface a peu changé depuis 3,5 milliards d’années (pas de tectonique des plaques et très peu d’érosion) mais on n’a pas eu de zones intertidales (absence de gros satellite de type Lune) et on n’a pas eu non plus de dorsale médio-océanique (absence de tectonique des plaques horizontale). C’est pour cela qu’on recherchait d’abord des vestiges de sources géothermales de type Yellowstone.

Un document d’étude publié le 10 juillet 2017 dans Nature, « Ancient hydrothermal seafloor deposits in Eridania basin on Mars », par Joseph Michalski et al. (y compris Paul Niles, un des spécialistes de paléobiogéologie de la NASA), présente et analyse les mérites du bassin de la Mer d’Eridania, le faisant apparaitre comme un site comparable, disons de la même famille que ces sources géothermales mais encore plus intéressant. En effet on y observe un type de relief dont l’origine pourrait se situer entre ces sources et les cheminées des dorsales médio-océaniques. L’époque des vestiges remonte à 3,8 milliards en moyenne. Elle se situe après le dernier grand bombardement météoritique (« LHB ») et donc après que la planète ait pu suffisamment se refroidir et alors que son atmosphère était encore suffisamment épaisse pour que sa pression permette une gamme importante de températures entre point de glaciation et point d’ébullition de l’eau (facteur de stabilité pour les réactions chimiques). C’est à ce moment que la vie est apparue sur Terre (et ce ne pouvait être avant). La mer a persisté du Noachien tardif à l’Hespérien tardif, époque à laquelle le site a été resurfacé par volcanisme (soit une longue période de quelques 400 millions d’années).

La Mer d’Eridania contenait de grandes quantités d’eau, sans doute nettement plus que n’en contient la Mer Caspienne (le double lors de la période la plus humide), sur 500 à 1500 mètres de profondeur. Au fond, la pression a pu atteindre les 20 à 30 atmosphères ce qui n’est pas autant que celle que l’on trouve dans l’environnement des dorsales médio-océaniques (plusieurs centaines d’atmosphères) mais nettement plus qu’en surface et cette pression élevée a pu être un facteur facilitant la complexification des molécules organiques, puisque caractéristique de ces endroits profonds. En même temps l’épaisseur de la couche d’eau a pu fournir par elle-même une protection contre les radiations (solaires ou galactiques). En complément (indispensable), le magma était proche du sol sous-marin, donc source d’émissions volcaniques et de percolations d’eau chaude chargée de sels minéraux. Les roches qui tapissent le fond de cette ancienne mer, forment des « chaos » constitués de buttes concaves de type « kīpuka* » du fait des circonstances de leur formation subaquatique et du fait que leur formation a été suivie d’un nappage volcanique. Les buttes témoignent de concrétions et d’hydratation dans d’excellentes conditions à partir des roches magmatiques (« ultra-mafiques » c’est-à-dire riches en fer en magnésium et aussi en calcium) et sur la durée. On trouve sur une grande épaisseur (supposée de 400 m à 1 km), dans les bassins occidentaux du site (Ariadnes Colles et Atlantis Chaos), un énorme volume (de l’ordre de 10.000 km3) de dépôts d’argiles, de carbonates, et de sulfites qui n’ont pu se former que dans un environnement hydrothermal sous-marin. La nature du fer présent sous forme de fer ferreux, Fe2+ (non oxydé), dans les dépôts indique un milieu réducteur tout à fait comparable à celui qui existait dans les océans terrestres primitifs anoxiques. Par ailleurs le magnétisme résiduel est l’un des plus élevés de la planète, ce qui témoigne de l’activité du magma à cet endroit, de l’ancienneté du lieu et du fait qu’il n’a pas été trop perturbé après sa formation (les épanchements de lave sur le fond du bassin tôt dans l’histoire – fin de l’Hespérien – ont servi à conserver ce qui se trouvait en dessous mais n’ont pas noyé l’ensemble du relief -les buttes, sauf dans sa partie Est).

*Un kīpuka, terme d’origine hawaïenne, est une portion de terrain entouré par des sols d’origine volcanique plus récents qu’elle, généralement des coulées de lave.

Les facteurs favorables sont donc les suivants : l’époque, l’environnement aqueux, le différentiel de pH, l’épaisseur de la couche d’eau, la chaleur, la richesse en nutriments minéraux, la longue durée de cette situation. On se trouve effectivement en présence d’un milieu original et sans doute plus prometteur pour la recherche exobiologique que les sites actuellement retenus pour l’atterrissage de MARS-2020…mais il est trop tard pour l’introduire dans la sélection ! Nous aurions déjà une base habitée sur Mars, on pourrait envoyer sur les lieux une équipe de paléobiogéologues pour prélever des échantillons, sans attendre!

Image à la Une : site de la Mer d’Eridania (crédit Joseph Michalski et al. / Nature Communications)

Image ci-dessous : modèle géologique de la Mer d’Eridania (crédit idem):