Sur Mars le rover Curiosity a atteint la Terre Promise !

Le rover Curiosity de La NASA a procédé le 6 avril à un forage suivi d’un prélèvement déposé le 10 avril dans son laboratoire interne, SAM (Sample At Mars). Ce forage est très particulier car il a été effectué dans un banc d’argile situé à mi-pente du Mont Sharp au cœur du cratère Gale. On attend les résultats de l’analyse.

L’argile, roche sédimentaire, n’est pas un matériau indifférent car non seulement elle se forme dans beaucoup d’eau, après dépôt dans des conditions calmes, mais sur Terre elle est aussi associée à la vie. En effet sa texture et sa structure en feuillets facilitent la création de vésicules de petites tailles (proches de celle des bactéries). Des expériences sur Terre ont montré que des acides gras (lipides amphiphiles dont les phospholipides, comme pour nos cellules vivantes) peuvent pénétrer les vésicules et s’y assembler pour former des liposomes1. Cela a pu être, sur Terre, un chemin vers l’apparition des premières formes de vie, procaryotes (bactéries ou archées). Les terrains argileux sont par ailleurs d’excellents conservateurs de fossiles.

Curiosity avait déjà trouvé des mudstones dans l’arène du cratère Gale mais le mudstone est une roche moins évoluée (mélange de vase séchée et d’argiles) au grain plus fin et moins favorable aux phénomènes décrits ci-dessus (le limon étant dans l’autre direction, une roche à grain plus gros).

Nous sommes en présence du terrain qui, vu des satellites orbitant autour de Mars (notamment MRO -Mars Reconnaissance Orbiter), avait justifié le choix du Cratère Gale pour la mission MSL (Mars Science Laboratory) et la continuation de la mission vers des terrains plus élevées n’apportera sans doute rien en termes de recherche biologique ou, pour être plus modeste et sans doute plus réaliste, « prébiotique ». En effet plus haut on trouvera les couches de sulfates formées à une époque postérieure à celle des argiles, quand les volcans étaient plus actifs et la présence d’eau moins constante. Nous sommes donc ici dans ce qu’on pourrait appeler « la Terre promise ».

Alors cette terre attendue depuis 2012 (date de l’atterrissage de Curiosity) sera-t-elle celle où nous découvrirons le Graal ? Il faut bien voir que les instruments de Curiosity sont un peu faibles par rapport au défi.

Ils ont notamment une capacité de discernement visuel un peu limité, une douzaine de microns pour la caméra MAHLI, celle dont la capacité de grossissement est la plus forte, alors que nos bactéries ont une taille de l’ordre du micron. Dans le domaine biologique on ne peut espérer que découvrir un tapis microbien regroupant de très nombreux individus qui présenteraient ensemble l’abondance de certains traits et peut-être une structure significative. La paléomicrobiogéologue Nora Noffke (Old Dominion) spécialiste de ces formations, avait crû en apercevoir au début de la mission MSL, dans la région dite « Kimberley », mais la suggestion de son observation avait été rejetée, sans examen, par le responsable scientifique de l’exploration de la NASA, Ashwin Vasavada (le « MSL Project Scientist »). Son argument était qu’on pouvait expliquer (de loin!?) la formation par un processus naturel et que la nature de l’environnement suggérait qu’il s’agissait probablement de grès simplement érodés par la pluie. Les images étaient troublantes et j’ai toujours regretté cette désinvolture mais il est vrai que l’identification visuelle peut prêter à controverses. La taphonomie est difficile sur Mars car les formations sont de toute façon très anciennes et leur évolution possible, encore mal connue.

Une autre possibilité d’identification est celle de l’analyse chimique. Curiosity peut y procéder à distance avec ses lasers, ChemCam qui a visé les bords du prélèvement avant et après l’opération (en cours d’analyse), puis APXS en toute proximité, et ensuite dans son laboratoire SAM – Sample At Mars (également en cours d’analyse). Jusqu’à présent les équipes de MSL n’ont utilisé que l’analyse à chaud, en portant à très hautes températures les molécules des échantillons prélevés (dans son chromatographe en phase gazeuse mais aussi dans son « TLS » (Tunable Laser Spectrometer, spectromètre laser ajustable) déchiffrant la composition moléculaire des échantillons dans l’une des 56 coupelles où ils étaient déposés. Cette méthode a permis de beaux résultats mais son défaut est de rendre les molécules vulnérables aux sels de perchlorates qui deviennent très agressifs lorsqu’ils sont chauffés et qui brouillent le résultat. J’attends avec impatience que la NASA décide de faire quelques analyses à froid. Elle le peut car elle a embarqué neuf coupelles de réactifs liquides qui le permettraient. Jusqu’à présent elle n’a pas voulu les utiliser (pour ne pas gâcher ses « cartouches » ?) mais le moment est sans doute venu de le faire !

Le forage “Aberlady” s’est passé dans d’excellentes conditions car d’une part le sol était très meuble et d’autre part le foret qui avait connu une très longue défaillance a pu fonctionner à nouveau grâce à l’ingéniosité des ingénieurs de la NASA. Le site a été nommé d’après un village en Ecosse.

Comme vous voyez, il se passe toujours quelque chose sur Mars et l’intérêt est maintenu à un très haut niveau.

1Travaux de Anand Subramaniam (University of California, Merced).

Image à la Une: site Aberlady après forage. On peut remarquer la texture de la roche et constater que le foret a bien fait son œuvre. La cuillère du bras mobile a ensuite ramassé ce qu’il lui fallait pour l’analyse de SAM. Curieusement le socle de la roche s’est soulevé lorsque le foret a été retiré (d’où les lézardes en périphérie du trou de prélèvement). Chemcam en a profité pour faire l’analyse du bord de la plaque (il est toujours intéressant d’aller « voir » sous les roches ou à leur marge, un sol moins exposé aux radiations). Credit: NASA/JPL-Caltech/MSSS.

Illustrations ci-dessous: vues rapprochées des derniers forages de Curiosity, prises avec la caméra Mastcam (mast camera) à gauche pour Aberlady et avec la caméra MAHLI (Mars Hand Lens Imager) à droite pour Kilmarie (ce dernier se trouve à 50 cm sur la droite d’Aberlady). L’objectif se trouvait, pour cette seconde photo, à une douzaine de cm de la cible. Les trous d’une profondeur de 5 cm font environ 2.5 cm de diamètre :

 

Illustration ci-dessous: mosaïque de photos prises en février 2019 à l’entrée de la « Clay-bearing unit » où se trouve le site Aberlady (un peu plus loin, vers la droite). A l’horizon les hauteurs de Vera Rubin ridge, traversées antérieurement par le rover. Dans le creux, des dunes de sables. Crédit: NASA/JPL-Caltech/MSSS.

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Index l’appel de Mars au 24/04/2019

Notre-Dame a brûlé et j’enrage

Notre-Dame a brûlé, je suis triste et en colère.

L’inconcevable est arrivé à une époque où la technologie est reine et aurait pu et dû l’empêcher.

Ce fier monument qui avait franchi le temps, cette merveilleuse création de la foi et de l’esprit, élancée vers le ciel depuis le Moyen-Age, qui avait survécu aux multiples troubles ayant agité l’histoire de France, à la Révolution, à la Commune, à la Guerre, Notre-Dame, a brûlé !

Le cœur immuable de Paris qu’ont chanté les poètes dans notre si belle langue française, qui elle-même a évolué au cours du temps, et qui accueillait pour un même réconfort les faibles et les puissants, a brûlé !

Cette complexité et cette perfection aboutie, cette œuvre d’architecte et cette prière matérialisée, ce refuge et cette affirmation, cet éclat de lumière et ce lieu de paix, a brûlé !

Dans l’ancien temps une église et a fortiori une cathédrale était un livre où le croyant pouvait se remémorer tout ce qui avait trait à sa religion et s’en inspirer ; il lui suffisait de contempler les vitraux ou les statues, de s’imprégner de son atmosphère mystérieuse comme jadis ses ancêtres, des hautes futaies de la grande forêt gauloise. Aujourd’hui que lisons nous dans les cendres et les gravats ?

Sans doute qu’en dehors d’être devenus beaucoup plus sceptiques, nous sommes devenus bien indifférents aux « forces de l’esprit » et aux valeurs artistiques de nos prédécesseurs mais aussi que nous sommes bien présomptueux et bien maladroits.

Il serait étonnant et peu crédible que l’incendie ne résulte pas des travaux engagés pour restaurer la flèche de Viollet-le-Duc. Hélas ! Nous avons d’un côté un travail extraordinaire d’ingénierie ayant abouti à la construction d’un échafaudage gigantesque et d’une habilité touchant au prodige puisqu’il ne repose pas sur la construction qu’il enserre, et de l’autre au moins deux négligences banales : (1) la non-surveillance de l’échafaudage ; (2) le non-respect de précautions préalables élémentaires évidentes pour entreprendre quoi que ce soit dans la charpente d’une telle construction. Dans la « forêt », il n’y avait pas de gicleur (« sprinkler ») ! La question est « comment peut-on être à la fois si sophistiqué et si incapable ? » Et ce qui est terrible, c’est qu’il n’y a pas de réponse satisfaisante ou plutôt aucune justification valable à ces négligences.

Les craintes qu’on peut avoir sur l’ensemble du patrimoine religieux (et autres) de Paris sont immenses. Je tremble pour la Sainte-Chapelle, pour Saint-Eustache, pour la Madeleine ! D’après le directeur de La Tribune de l’Art, Didier Rikner*, la mairie de Paris sous la mandature d’Anne Hidalgo, n’a dépensé, depuis bientôt 5 ans (elle a été élue en 2014) pour l’ensemble du patrimoine parisien, que 50** millions d’euros (à comparer à un budget annuel de plus de 5 milliards d’euros). Et ce qui est encore plus lamentable c’est que la communication sur les besoins a été nulle puisque les personnes responsables s’en moquaient. « Nous » aurions autrement certainement reçu à temps pour effectuer les travaux préventifs indispensables, à défaut des fonds de l’Etat, des dons suffisants des riches Français qui aujourd’hui se précipitent pour réparer la catastrophe. Quand on a ce « track record », on se cache et on ne fait pas semblant de s’intéresser à son patrimoine en débloquant pour l’occasion…50 millions d’euros, comme le fait la Maire de Paris !

*éditorial dans Le Figaro du 16 avril.

**pour toute la France, ce pays dont le passé matériel est si riche, le budget de l’Etat consacré au patrimoine n’est que 300 millions sur un total de 390 milliards (2019) !

Nous sommes 24 heures après l’incendie et je pleure sur cette incapacité évidente de l’administration française, commanditaire et responsable de la surveillance des travaux*, qui par son impéritie, a causé un dommage extrêmement grave à une des expressions les plus parfaites de notre civilisation. Les dons privés ont été considérables et immédiats, un milliard en 24 heures et il y en aurait eu encore plus s’il n’y avait autant d’impôts. Encore une fois la preuve est donnée que nous avons beaucoup moins besoin d’Etat que certains hommes politiques (notamment la quasi totalité des hommes politiques français) veulent nous faire croire. Plus d’Etat, hors le stricte régalien, c’est l’irresponsabilité généralisée et tout simplement moins de services publics (ici culturels) de qualité. L’obésité ce n’est ni l’efficacité ni la mobilité, c’est la démagogie et le gâchis.

*Depuis la Révolution de 1789, l’église cathédrale a été mise « à la disposition de la nation ». L’Etat en est propriétaire, responsable de l’état, de l’entretien et des réparations de l’édifice, l’affectataire (l’évêque) étant tenu de conserver en l’état le lieu et le mobilier et de participer au gardiennage.

Seeing the un-seeable

« Voir l’impossible à voir » ; c’est ainsi qu’a été synthétisée par la National Science Fondation américaine (« NSF »)1, la prouesse réalisée par l’Event Horizon Telescope (« EHT ») ce 10 avril, l’obtention de la première image d’un trou-noir.

1La NSF a été coordinatrice de cette “collaboration”.

Pour la première fois en effet les hommes, grâce à leurs « merveilleuses machines » et beaucoup d’informatique, ont obtenu une image d’un de ces monstres autour desquels les étoiles de nos galaxies tournent dans une ronde infernale jusqu’à ce qu’elles se fassent anéantir en leur sein.

Les « merveilleuses machines » ce sont les huit télescopes du réseau EHT (Event Horizon Telescope array)2 qui, « couvrant » la quasi-totalité de la surface de la Terre pour former un télescope virtuel géant, ont collecté les émissions radio millimétriques (1,3 mm) reçues de ce monstre en avril 2017, puis les ont combinées ensemble par interférométrie à très longue base (« VLBI »). La prouesse a consisté non seulement à collecter les données (5 pétaoctets !) mais à les assembler ensuite dans des corrélateurs pour en mettre en évidence les caractères significatifs et en extraire une synthèse visible. Il a fallu dix ans pour constituer le réseau EHT, en adaptant divers télescopes3 du Groenland à l’Antarctique en passant par Hawaï, Mexico, l’Arizona, l’Espagne, le Chili, pour leur permettre de travailler ensemble. Il a fallu une conjonction climatique assez extraordinaire sur Terre (la vapeur d’eau pose problème pour les émissions dans la longueur d’onde millimétrique choisie!) pour que tous les instruments puissent tous ensemble, sur seulement quatre jours, collecter l’information (le déplacement du télescope au cours de l’observation du fait de la rotation de la Terre, a permis de remplir un peu plus la surface du télescope virtuel). Il a fallu ensuite deux ans pour concentrer les données dans des centres de traitement en les transportant physiquement depuis les observatoires (le nombre de données rendait impossible la transmission par Internet !) puis les traiter. Le résultat final, obtenu après de multiples contrôles et vérifications, est une image de définition jamais égalée, de 20 μas – 20 microsecondes d’arc (on pourrait lire un journal à New-York en étant à Paris). C’est pour cela qu’on peut dire que le travail de synthèse est au moins aussi remarquable que le travail de collecte.

L’image que vous voyez en titre d’article surprend par son caractère attendu. Un trou noir ressemble à…un trou noir tel qu’on l’imaginait par la théorie, un disque obscur entourée d’un halo de lumière. On peut dire cependant qu’il fallait qu’on en obtienne la vérification. Les théories ont besoin d’être confirmées et l’image est une base qui peut conduire à de nouvelles réflexions.

L’explication du trou-noir est que la compression de matière en un seul lieu peut devenir telle (par exemple par suite de l’effondrement d’une étoile massive en fin de vie ou bien par suite d’accumulation de quantités énormes de matière) que la force d’attraction gravitationnelle qu’elle génère, empêche même la lumière de s’échapper ; elle « courbe l’espace-temps ». On ne voit pas le trou noir mais les conséquences qu’il a sur son environnement. Le halo est constitué des photons qui, avec gaz et matière déchirée et broyée des astres voisins, accélérés dans leur chute à des vitesses proches de celle de la lumière, sont entraînés comme dans le trou d’un évier par force giratoire jusqu’à disparaître lorsqu’ils atteignent l’Horizon-des-Evénements. Cet Horizon définit la distance fatidique du centre de gravité, jusqu’à laquelle cette force d’attraction gravitationnelle gigantesque s’exerce (rayon de Schwarzschild), en empêchant toute émission (avec quelques nuances possibles, théorisées par le célèbre Stephen Hawking).

Le trou-noir, par la force immense qu’il exerce sur toute matière, est un élément essentiel de la structure de notre univers, peut-être le moteur de nos galaxies. C’est peut-être lui qui par sa rotation et par son attraction entraîne les myriades d’étoiles qui tournent autour de lui (quand bien sûr il n’a pas «consommé» toute matière alentour). Autrement dit, c’est peut-être grâce aux trous-noirs que se maintient la cohésion des galaxies, ce qui permet les échanges de matières, notamment la diffusion de la métallicité à l’occasion des supernovas.

La cible d’observation que l’on voit aujourd’hui est le trou noir du cœur de la galaxie Messier 87 (« M87 ») distante de 53,5 millions d’années-lumière. Il a été choisi parce qu’il est particulièrement gros, une masse de 6,6 × 109 M (6,6 milliards de masses solaires) et un diamètre de 38 milliards de km qui, dans notre système solaire, s’étendrait jusqu’à plus de deux fois au-delà de Pluton (aphélie 7,4 milliards de km) alors que le trou-noir de notre Voie Lactée, « SgrA* » (Sagitarius A*) ne devrait avoir que quelques 22 millions de km de diamètre4 (et seulement 4,3 millions de masses solaires), et aussi car cette galaxie contient très peu de poussière. SgrA* est donc plus difficile à observer Mais l’EHT y travaille également et on devrait pouvoir contempler son image prochainement.

4Le diamètre du soleil est de 1,5 millions de km mais le trou noir SgrA* est situé à 25.000 années-lumière (notre galaxie a un diamètre de 100.000 années-lumière). Vu de la Terre, le diamètre de SgrA* mesure 53 microsecondes d’arc donc plus du double de celui de M87 (22 microsecondes d’arc) mais son environnement est très encombré et très actif (actuellement).

L’observation confirme les prédictions d’Albert Einstein sur la gravité et l’espace-temps (la « relativité générale ») et l’on doit à cette occasion s’émerveiller encore une fois de la force conceptuelle extraordinaire de cet homme qui, sans instrument, avec son seul cerveau, a pu théoriser l’inimaginable il y a plus de 100 ans.

Les astrophysiciens du monde entier vont maintenant travailler sur cette image, l’affiner en utilisant des longueurs d’ondes submillimétriques (plus précises) et des méthodes multimessagers (autres émissions que les ondes électromagnétiques), pour progresser dans la compréhension du trou-noir avec son environnement immédiat. On pourra sans doute bientôt expliquer comment se forment les jets de plasma qui s’en échappent à une vitesse relativiste ou comment se forment les halos de neutrinos et de rayons X complétant ceux de lumière et de matière.

Pour aller plus loin, on envisage aussi d’utiliser les télescopes spatiaux. Dans cet esprit (mais évidemment plus tard !), des capteurs installés sur Mars de façon à y former comme sur Terre un télescope virtuel planétaire, nous donneraient des capacités encore plus extraordinaires. Puisque la collecte de données est déconnectée de leurs traitements, on pourrait synchroniser la collecte du réseau martien avec celle du réseau terrestre puis transmettre les données sur Terre pour compléter celles qu’on y aurait collectées et en faire la synthèse.

C’est pour demain et nous vivons une époque formidable !

 

Lien :

https://eventhorizontelescope.org/

https://www.nsf.gov/news/news_summ.jsp?cntn_id=298276

https://physicsworld.com/a/the-story-behind-the-first-ever-image-of-a-black-hole/

https://www.space.com/first-black-hole-photo-by-event-horizon-telescope.html?utm_source=notification

https://www.nsf.gov/news/special_reports/blackholes/

2membres de la Collaboration EHT : ALMAAPEXIRAM 30-meter telescopeJames Clerk Maxwell TelescopeLarge Millimeter Telescope Alfonso SerranoSubmillimeter ArraySubmillimeter TelescopeSouth Pole Telescope.

3ordinateurs, et informaticiens du Max Planck Institute for Radio Astronomy et du MIT Haystack Observatory.

Image à la Une : Trou-noir de la galaxie M87 ; Crédit : Event Horizon Telescope collaboration et al.

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Index L’appel de Mars 19 04 08

Se nourrir sur Mars, un défi à notre portée

Les lois de Kepler imposant leurs contraintes aux voyages de la Terre vers Mars, aucun envoi vers Mars ne peut avoir lieu en dehors des fenêtres de lancements ouvertes depuis la Terre tous les 26 mois. En marge de ces fenêtres, le coût énergétique du transport devient très rapidement prohibitif avant d’être technologiquement totalement impossible. Par ailleurs, compte tenu de la capacité d’emport de nos fusées, il est inconcevable de transporter la totalité ou même une partie importante de la masse des produits alimentaires nécessaires pour un cycle synodique, à un établissement regroupant quelques dizaines de personnes. La conséquence est que la quasi-totalité de la nourriture d’une colonie humaine sur Mars devra être produite sur Mars.

Élever des animaux est plus difficile que de faire pousser des plantes et il est impossible de faire pousser ou d’élever quoi que ce soit en dehors d’un environnement pressurisé. Par conséquent, la production alimentaire sera essentiellement végétale et devra être pratiquée dans des serres, des aquariums et, accessoirement, dans des habitats viabilisés spécialisés pour animaux de petite taille. Les producteurs d’aliments auront trois objectifs: quantité, variété, qualité organoleptique et trois considérations spéciales: maintenir un environnement sain pour leurs produits (tous seront des êtres vivants), une qualité énergétique et diététique maximale pour un volume et une masse minimale pour le consommateur, une quantité de déchets non-réutilisables minimum.

Mars présente d’énormes avantages par rapport à d’autres endroits en dehors de la Terre: (1) elle offre une gravité minimale (0,38 g) qui permet la verticalité et l’écoulement de l’eau; (2) l’éclairement énergétique du soleil (“irradiance”) au niveau de son orbite (entre 492 et 715 W/m2 contre 1321 à 1413 pour la Terre) est tel qu’il vaut la peine d’utiliser la lumière naturelle ; (3) son rythme circadien, avec des nuits de longueur acceptable (à la différence de la Lune), facilitera la culture de plantes supérieures et l’élevage des animaux; (4) son atmosphère est constituée à près de 96% de gaz carbonique, dont les plantes ont besoin; (5) il y a de la glace d’eau disponible dans de nombreux endroits, y compris la zone intertropicale; (6) de l’azote peut être extrait de l’atmosphère.

Produire des aliments sera loin d’être aussi facile sur Mars que sur Terre mais nous pourrons y parvenir. Voyons les différents points importants:

(1) la densité atmosphérique étant trop basse (moins du centième de celle de la Terre, 6 millibars en moyenne au niveau d’altitude moyen -“Datum”), les gaz atmosphériques respirables, contenus dans des serres, devront être pressurisés, ce qui est pratiqué couramment ; la difficulté, maîtrisable, étant la différence de pression entre extérieur et intérieur, donc les risques de fuites et les risques de faiblesse structurelle des serres. Le plus on réduira cette différence, le mieux ce sera.

(2) la plupart des êtres vivants ont besoin d’oxygène et ce gaz devra être produit sur Mars puis diffusé dans les serres; on pourra l’obtenir à partir du CO2 de l’atmosphère (réaction de Sabatier, avec apport d’hydrogène issue de la glace d’eau martienne, mais aussi du travail « naturel » des spirulines – voir plus bas). NB: on exclut la décomposition thermique du CO2 trop coûteuse en énergie.

(3) Il faudra veiller à un bon « mix » atmosphérique pour les plantes ; on devra maintenir des quantités et des pourcentages comparables à ceux que l’on a sur Terre, l’oxygène aux environ de 21% car il faut éviter l’hyperoxie aussi bien que l’hypoxie, le gaz carbonique jusqu’à 1000 ppm (environ 1% du total terrestre) mais pas tout le temps (c’est l’optimum pour la photosynthèse…lorsque la lumière est suffisante mais les besoins varient en fonction de la lumière et de l’évolution du cycle végétatif au long des saisons). La solution pour maintenir la quantité de ces deux gaz tout en baissant la pression, est de maintenir leurs quantités optimales en valeur absolue et de réduire la quantité d’azote, gaz tampon, neutre. On pourrait ainsi descendre jusqu’à 0,52 bars. En dessous d’une quantité minimum de gaz neutre, les risques d’incendie deviendraient trop grands et l’oxygène seraient trop agressifs pour les systèmes respiratoires. A noter que les 1000 ppm de gaz carbonique sont valables pour les plantes mais pas pour les hommes ni les animaux (niveaux actuels sur Terre 400 ppm et c’est un taux historiquement élevé).

(4) la lumière naturelle pourrait être insuffisante pendant les longs mois de l’hiver martien austral (l’irradiance descend en dessous de 500 W/m2) ou pendant les tempêtes de poussière; elle devra donc être complétée par une lumière artificielle (ce qui représente un coût en énergie) ; nous estimons (travaux de Richard Heidmann) la puissance moyenne de l’éclairage auxiliaire nécessaire pour 1 000 habitants à 15 MW (plusieurs milliers de tubes lumineux !);

(5) la température moyenne sur Mars est froide et les serres devront donc être chauffées (ce qui coûte aussi de l’énergie!); une partie non négligeable de la puissance de chauffage nécessaire pourra être extraite de la source «froide» des générateurs nucléaires, principale énergie à laquelle les résidents devront recourir ;

(6) dans les serres, les volumes disponibles pour la croissance des plantes seront limités; nous devrons donc cultiver des plantes avec les meilleurs ratios volume + masse sur valeur nutritive ou élever des animaux offrant l’apport nutritionnel le plus élevé par rapport à leur masse;

(7) pour la même raison (volume viabilisé réduit), les infections microbiennes pourront se propager très rapidement et nous devrons faire très attention à la contamination microbienne.

Les premiers organismes qu’on devra cultiver seront des spirulines, des algues vertes qui sont des bactéries, respirent le gaz carbonique et rejettent de l’oxygène. Cet oxygène sera utilisé par tous les êtres vivants y compris les plantes supérieures, les animaux et l’homme qui le respireront. Leurs déchets métaboliques organiques, seront utilisés pour nourrir de nouveaux êtres vivants qui seront à leur tour exploités. En résumé, nous devrons essayer de recréer au mieux, dans un environnement limité d’habitats pour les hommes, de serres, de réservoirs et d’habitats pour animaux, un « système de support de vie micro-écologique alternatif ». C’est exactement ce à quoi travaillent les équipes du programme MELiSSA (ESA/ESTEC) et c’est le meilleur concept imaginable pour maintenir l’équilibre dans une boucle dynamique, c’est-à-dire sans qu’il soit nécessaire de faire intervenir autre chose de l’extérieur pour le maintenir (l’avantage recherché étant l’absence – ou au moins un minimum – d’importations de produits chimiques de la Terre).

La plupart des produits à consommer et à assimiler et digérer par l’homme seront des légumes, des céréales et/ou pseudo-céréales (quinoa) et des petits fruits (baies) ainsi que des spirulines, déjà mentionnées pour l’oxygène, (très riches en protéines, y compris des acides aminés essentiels et de qualité organoleptique tout à fait acceptable). Mais le poisson (tilapia) pourra être élevé assez tôt dans des bassins (dont l’eau pourrait servir de filtre contre les radiations) et, au fil des années, on pourrait importer des volailles (pour les œufs!) et des petits animaux, lapins et, idéalement mais ce sera plus difficile, des chèvres (lait et fromage!) et / ou des porcs (chair). Les principales préoccupations concernant les animaux terrestres étant les nombreux mois nécessaires au voyage (le peu de place disponible et la nécessité de restituer une gravité artificielle minimum pendant le vol – on espère pouvoir le faire!) et, tout le temps, la nécessité de prendre soin de leur environnement microbien, microbiotes et microbiomes (à l’intérieur et à l’extérieur des animaux), en relation avec celui des plantes et celui des êtres humains.

La surface minimale pour faire croître des végétaux en quantité suffisante pour l’alimentation d’une personne est estimée de 60 à 100 mètres carrés selon le cultivar et le mode de culture. Construire des volumes viabilisés sous une pression acceptable (au minimum 0,52 bars comme vu ci-dessus) coûtera très cher et sera très consommateur de travail et de temps, nous devrons donc les utiliser le plus intensivement qu’il est possible, c’est-à-dire construire plusieurs niveaux de culture dans le même volume. Un bon exemple de ce que nous pourrions faire est expérimenté dans certaines exploitations de « fermes urbaines », comme le «Sky Green Vertical Farming System», de Singapour : les bacs de culture sont actionnés dans une noria verticale par la constante évolution de leur poids (ils sont plus lourds après avoir été arrosés et s’allègent avec leur respiration et l’évaporation de l’eau). Le cadre de la noria peut atteindre 9 mètres de haut avec 38 niveaux de bacs (nous n’aurions pas besoin d’une telle hauteur sur Mars, mais ces caractéristiques impliquent la faisabilité de l’installation d’une noria plus petite – sans doute de quelques 2,5 à 3 mètres de hauteur). La rotation permet de s’assurer que les plantes reçoivent une lumière, une irrigation et des nutriments uniformes, par leur passage aux différents points de la structure. Le système consomme très peu d’énergie. Sur Mars, les nutriments ne seront pas disséminés dans le sol, afin de limiter les pertes et de mieux contrôler les échanges, mais seront directement acheminés vers la plante par hydroponie dans les bacs, le support étant constitué de perles minérales neutres biochimiquement, obtenues à partir de régolithe martien (débarrassé de ses perchlorates) et facilement contrôlables pour son contenu microbien.

Les risques de maladies contagieuses seront très préoccupants car leur diffusion sera très facile et rapide du fait des volumes habitables limités (pas d’effet tampon résultant de grands volumes). Par conséquent, le contrôle microbien sera essentiel (il devra y avoir des capteurs biologiques partout), les contacts entre êtres vivants (ou plus précisément leurs microbiomes) devront être limités au maximum, ce qui implique que les cultures soient robotisées (l’agriculture de loisir par main de l’homme n’est pas recommandée). Il devra y avoir autant, de serres, d’aquariums ou d’habitats pour animaux, que possible et ils devront être bien séparés les uns des autres (sas). Un équilibre sera à trouver en fonction de nos capacités technologiques pour construire des serres et de l’efficacité du travail des robots en fonction des volumes à traiter.

Au-delà de la culture proprement dite, une autre préoccupation sera d’adapter le rythme de production aux besoins nutritifs des résidents, tout au long des cycles synodiques car les aliments sont périssables ! Un stockage approprié est la première solution et à cet égard le conditionnement sous vide et la congélation seront facilement réalisables. Au-delà, les avantages de disposer de lumière artificielle complémentaire et, d’une manière générale, de contrôler l’environnement de croissance dans de multiples lieux viabilisés différents, permettront d’adapter la quantité et de privilégier telle ou telle longueur d’onde du spectre (choix du bleu ou du rouge) de la lumière, la température, l’humidité, au cycle et aux besoins spécifiques de chaque plante. Nous aurons des fraises et des tomates en hiver et des pommes en été, la flexibilité pouvant facilement être étendue à n’importe quelle cultivar (même si nous préférerons ne pas dépenser trop d’énergie pendant l’hiver austral).

Les déchets sont le dernier problème à considérer. Compte tenu de la rareté de la matière organique sur Mars, l’objectif sera la récupération et le recyclage total. On se fixera donc un objectif « zéro déchet » mais il sera évidemment difficile à atteindre (on se trouvera certainement sur une courbe asymptotique). La nitrification de rejets métaboliques ou de parties non consommables des végétaux (et des animaux !) sera pratiquée dans la boucle du système de support vie et les systèmes de collecte devront être adaptés; quand des animaux pourront être élevés, les chèvres (ou les porcs) consommeront beaucoup de ce que les humains ne peuvent ingérer; d’autres déchets pourront être transformés par un processus chimique ou physique (tiges, coques, noyaux, coquilles, os) transformés, compressés pour produire divers objets utiles ou (matières organiques) être utilisés pour commencer à bonifier certaines parcelles de sol martien libérées de leurs perchlorates.

Une nourriture acceptable est un élément essentiel de l’attrait d’un long séjour sur Mars (18 mois). Tous les résidents l’apprécieront, en particulier les touristes qui devraient fournir une part non négligeable des revenus de la colonie. Nous devrions pouvoir leur donner satisfaction aussi rapidement que possible (peut-être dès le troisième cycle synodique – moins de 8 ans – suivant le premier voyage). Cela fait partie des considérations à prendre en compte pour créer une base martienne économiquement viable.

Liens :

fermes urbaines:

 http://www.skygreens.com/

Towards a closed life support system loop:

http://www.esa.int/Our_Activities/Space_Engineering_Technology/Melissa

Microbial control:

http://planetaryprotection.nasa.gov/file_download/97/MIDASS-ESA.pdf

Production agricole en milieu fermé, artificialisé et isolé par Jean DUNGLAS Membre de l’Académie d’agriculture de France. Manuscrit révisé le 31 mai 2018 – Publié le 14 juin 2018

https://www.academie-agriculture.fr/sites/default/files/agenda/jdunglasmilieuxfermes.pdf

ESTEE, Earth Space Technical Ecosystem Enterprises: http://est2e.com/

Image à la une : intérieur de la ferme urbaine de Skygreens à Singapour, crédit Sky Urban Solutions, Singapore.

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Index L’appel de Mars 02 04 19