Le test du 20 avril du Starship (vol S24/B7) apporte beaucoup de données qui sont capitales pour poursuivre le projet. De ce fait, il n’est certainement pas négatif comme beaucoup d’observateurs mal informés et mal disposés envers SpaceX ont tenu à le dire mais malheureusement on est probablement encore loin d’un vol sans histoire.
Comme chacun devrait le savoir mais souvent refuse de le considérer, l’objet du vol S24/B7 du 20 avril était non pas de mettre quoi que ce soit en orbite mais de réunir autant de données que possible sur le décollage et le comportement en vol de l’ensemble intégré du Starship, cette fusée révolutionnaire qui doit nous emmener sur Mars et, auparavant, sur la Lune dans le cadre de la phase 3 du programme Artemis. Cependant, compte tenu de l’importance des modifications, ajustements, améliorations qu’il semble (en attendant les analyses approfondies) nécessaire d’apporter maintenant à l’ensemble du dispositif, il semble difficile que l’on puisse utiliser rapidement ce système de transport XXL.
Pour ce qui est du décollage, il est maintenant très clair que le pas de tir n’était pas adapté. Certes la table de lancement était suffisamment haute (25 mètres) comme on le verra ci-dessous, et un dispositif était prévu pour éviter que les gaz ultra-chauds ne refluent, puisqu’un anneau de jet (« sprinklers ») à gaz comprimé devant avoir cet effet, encerclait le trou au-dessus duquel était posé le lanceur. Mais l’ensemble ne comprenait pas de « carneau » (« flame trench ») comme en sont équipés toutes les autres plateformes de lancement dans tous les autres astroports du monde. Pour ceux qui l’ignorent, un carneau est une grande tranchée très profonde située en dessous du lanceur. Au fond, un déflecteur en béton permet d’orienter les gaz d’échappements vers une large ouverture (comme une gueule ouverte) pour les évacuer immédiatement après le déclenchement de l’ignition et avant le décollage, et empêcher, ce qui est arrivé dans le cas du test S24/B7, le creusement d’un cratère et les projections qui en résultent. A Baïkonour le carneau du premier pas de tir a une profondeur de 42 mètres. Au Cap Kennedy, celui qui a été spécialement construit pour le SLS ne fait que 13 mètres de profondeur mais il est très large. Celui du second pas de tir de Baïkonour fait 20 mètres. A Kourou, celui du Centre Spatial Guyanais fait 26 mètres. On voit donc que les profondeurs sont variables, avec bien sûr une adaptation des largeurs puisqu’ils doivent prendre en compte le volume de gaz éjecté par seconde. Peut-être les ingénieurs de SpaceX ont-ils considéré que la table de lancement étant aussi haute que les carneaux sont profonds et que portée par cinq piliers, elle laisserait suffisamment de volume libre pour que les gaz ultra-chauds animés d’une très grande vitesse, dégagent. Ils ont visiblement sous-estimé la puissance de l’éjection de ces gaz mais, plus vraisemblablement, l’erreur a été l’impasse au niveau du déflecteur et une mauvaise évaluation de la résistance des piliers de la table.
Si l’on considère d’abord le déflecteur, peut-être faut-il envisager que les gaz ne puissent être évacués que d’un seul côté, comme dans un carneau, et non pas de tous les côtés et entre les cinq pieds de la table ce qui rend peut-être la canalisation du flux plus difficile par la création de tourbillons. Il y a toute une étude de mécanique des fluides à effectuer et il est étonnant qu’elle n’ait pas été faite.
Il était prévu, sur le sol en-dessous du trou de la table, une plaque d’acier épaisse. Malheureusement cette plaque n’a pu être livrée à temps et les ingénieurs de SpaceX ont estimé qu’elle n’était pas indispensable ! C’est dommage de ne pas l’avoir attendue car, refroidie constamment par de l’eau circulant à grande vitesse au-dessus (« déluge ») et à l’intérieur (tuyaux) pour éviter qu’elle ne fonde, elle aurait sans doute pu éviter la création d’un cratère par les jets ultra-chauds des moteurs lors de l’allumage et les projections de matière qui ont détruit les trois premiers moteurs défaillants et endommagé les pieds de la table (dont l’ancrage au sol a peut-être aussi été affaibli par le cratère). On ne sait pas si même avec cette plaque, les piliers auraient résisté. Peut-être convient-il de les renforcer aussi avec un blindage d’acier également refroidi par une circulation d’eau ?
Il y a donc à ce niveau, beaucoup de réflexion, d’études et d’aménagements à faire avant le deuxième lancement.
Pour ce qui est de la défaillance en vol, on a pu constater que l’ensemble intégré a été propulsé dès le début avec une puissance limitée puisque trois moteurs sur trente-trois au décollage puis trois autres après (dont un qui a explosé…mais sans détruire les autres) ont fait défaut. La défaillance initiale est sans doute due à une détérioration par impact au décollage et elle n’était pas dramatique, le rapport 30/33 restant acceptable. Mais on ne sait pas ce qui s’est passé pour les trois autres. Le plus ennuyeux serait que leur défaillance soit due à l’environnement de l’ensemble de propulsion car cela remettrait en cause la structure même du lanceur qui effrayait beaucoup de spécialistes par le grand nombre contigus de moteurs (le Falcon Heavy qui en a 27, les regroupe en trois corps distincts de 9). Cependant, même avec 30 moteurs le Starship pouvait (et a pu) décoller et avec 27 seulement la force de propulsion a été suffisante pour lui permettre de continuer l’ascension et même atteindre puis dépasser Mach 1 (vitesse provoquant un effet acoustique très dangereux pour la structure du lanceur par les contraintes mécaniques qu’il génère du fait de sa très grande puissance*) puis le seuil de Max-Q (point de pression dynamique maximum également difficile à supporter pour toute fusée) qui sont les points les plus critiques de la trajectoire d’un lanceur (c’est pour cela que l’on parle d’une réussite à 50%). L’échec de la mise sur orbite est donc à rechercher ailleurs.
*exprimée en Watts, elle atteint plusieurs gigawatts.
Regardons les faits. Dès T+25’’ après le décollage (« T ») une explosion est survenue dans le bas du lanceur, arrachant une partie du revêtement extérieur. On n’en connaît ni la cause ni les conséquences. Ensuite le vaisseau a progressé en restant stable pendant un peu plus de deux minutes. A T+02’40’’, l’ensemble intégré avait engagé son inclinaison pour la mise en orbite. Cette inclinaison prématurée s’est poursuivie en boucle ce qui était normal pour déclencher la libération du vaisseau. Mais il ne s’est pas séparé alors du lanceur et l’ensemble s’est engagé dans trois loopings successifs avant que SpaceX, par sécurité, déclenche l’explosion depuis le sol. Juste avant l’explosion le Starship-vaisseau s’est peut-être détaché mais on ne sait pas si la séparation s’est faite « normalement » ou sous l’effet d’une tension mécanique trop forte. A ce stade, il est important d’insister sur le fait que l’explosion n’est pas involontaire, un « accident », mais résulte d’une décision de Space X qui a actionné depuis Starbase son système FTS (Flight Termination System) pour éviter que le Starship aille causer des dégâts hors de la zone de surveillance (il était encore propulsé).
On en déduit que (1) avec 27 moteurs, le vaisseau n’avait pas une poussée suffisante (déficit de 20%), d’autant que les ergols non brulés par les six moteurs restaient dans la masse à propulser et ils ont pu par leur surcharge (estimée de 900 à 1000 tonnes) créer un déséquilibre général. Par ailleurs (2) le système de « Guidance & Control » embarqué a été défaillant puisqu’il n’a pu constater que le Starship avait quitté sa trajectoire d’ascension programmée et qu’il était entré dans cette succession de loopings (ou bien qu’il l’a constaté mais n’a pu réagir).
Le problème est de savoir si le décollage à moitié réussi/raté a pu causer les dommages qui se sont révélés ultérieurement dans le comportement du lanceur ou s’il y a eu défaillance des trois moteurs qui se sont arrêtés après le décollage pour une autre raison. Nous le saurons certainement bientôt. L’ennui est que cela met en péril l’exécution de l’agenda du programme Artemis puisque le Starship HLS (Human Landing System) est censé relayer le SLS à partir de l’orbite lunaire NRHO (Near Rectilinear Lunar Orbit) pour descendre sur la Lune en 2025 en passant par une orbite basse circulaire. Agenda d’autant plus contrarié que le vol habité doit être évidemment précédé d’un test à vide sur cette orbite basse lunaire.
Pour le moment l’heure est à (1) étudier les données recueillies sur le décollage et le vol ; (2) décider des aménagements à apporter à la plateforme de décollage et éventuellement au lanceur SuperHeavy ; (3) effectuer ces aménagements et bien sûr à réparer les dégâts causés au sol.
Le premier communiqué de SpaceX, daté du 20 avril, tel que rapporté par Jim Hillhouse d’AmericaSpace, était tout à fait positif (voir ci-dessous). La NASA de son côté a félicité SpaceX rappelant que « toute grande réussite dans l’histoire a demandé un certain niveau de risques calculés ». Par ailleurs, Elon Musk parle d’un nouveau test dans deux ou trois mois. Il est sans doute un peu optimiste, comme d’habitude. Reste surtout à savoir comment la FAA appréciera. Compte tenu des difficultés qu’il a fallu surmonter pour obtenir son accord, le manque d’anticipation des risques environnementaux qui pouvaient se produire au décollage, et se sont effectivement produits, ne fait malheureusement pas montre de la part d’Elon Musk d’une psychologie très adaptée à la situation. On peut tout à la fois avoir confiance dans la faisabilité du Starship et le déplorer.
Illustration de titre : vol S24/B7 après décollage (crédit SpaceX via Twitter).
Première déclaration de SpaceX après le vol, d’après Jim Hillhouse:
“Starship gave us quite a show during today’s first flight test of a fully integrated Starship and SuperHeavy from Starbase in Texas.
At 8:33 CT, Starship successfully lifted off from the orbital launch pad for the first time. The vehicle cleared the pad and beach as Starship climbed to an apogee of 39 km over the Gulf of Mexico, the highest of any Starship to-date. The vehicle experienced multiple engines out during the flight test, lost altitude and began to tumble. The flight termination system was commanded on both the booster and ship. As is standard procedure, the pad and surrounding area was cleared well in advance of the test and we expect the road and beach near the pad to remain closed until tomorrow.
With a test like this, success comes from what we learn, and we learned a tremendous amount about the vehicle and ground systems today that will help us improve on future flights of Starship. Thank you to our customers, Cameron County, and the wider community for the continued support and encouragement. And congratulations to the entire Space team on an exciting first flight test of Starship!”
Liens:
https://www.presse-citron.net/cratere-scene-de-chaos-7-images-effrayantes-des-degats-de-starship/
https://www.kosmonavtika.com/lanceurs/soyouz/sol/carneau/carneau.html
https://www.nasa.gov/feature/launch-pad-39b-flame-trench-nears-completion
https://trustmyscience.com/spacex-starship-lancement-explosion-prevue/