Un StratoBus martien?

A la surface de Mars, il n’y a pas de route, beaucoup de cailloux, des « flaques » de sables mouvants, des dunes, des ruptures de pentes. Tous ces obstacles posent problèmes pour les véhicules qui s’y déplacent. Le rover Spirit s’est ensablé, Curiosity a dû rebrousser chemin pour éviter le même sort et on doit ménager ses roues d’aluminium qui sont très abimées par les roches acérées sur lesquelles il a dû rouler.

Que faire ? Utiliser la voie aérienne semble une alternative logique. Le problème est que la densité de l’atmosphère ténue (0,006 bar) est équivalente à celle qui existe à 35 km au dessus du niveau de la mer (de la planète Terre !). Dans ces conditions les engins volants plus lourds que l’air ont énormément de mal à obtenir une portance (« lift ») suffisante. La vitesse peut palier cette difficulté mais les pistes nécessaires à l’envol des drones-avions seraient très longues et les drones-hélicoptères qui seraient les plus utiles pour l’observation, semblent trop lourds. Par ailleurs leur autonomie serait réduite par le fait que l’essentiel de l’énergie qu’ils pourraient embarquer devraient être consacrée à leur sustentation. Reste les engins plus légers que l’air.

Les dirigeables (plutôt que les ballons) semblent la solution. Ils présentent l’avantage de ne consommer d’énergie que pour se diriger et non pour se maintenir en l’air. Ils pourraient au cours de longues missions, explorer les canyons, les fonds de cratères, les falaises, ou simplement les territoires difficilement accessibles du fait de la présence de nombreux rochers, de pierres ou de bancs de sable. Ils embarqueraient des caméras, des radars, des spectromètres pouvant obtenir des définitions beaucoup plus fines que les satellites. Récemment le problème s’est posé de l’identification de la nature des « RSL », ces lignes brunâtres apparaissant sur certaines pentes aux heures chaudes. Les raies étaient trop fines pour être isolées par les spectromètres embarqués sur satellites. Ce ne serait pas le cas pour les mêmes appareils placés à bord de ces machines volantes.

Alors de tels dirigeables sont-ils possibles ?

Un concept, le « StratoBus », mis au point en 2014 chez Thalès Alenia Space par l’ingénieur Jean-Philippe Chessel, permet de l’espérer. De dimensions importantes (malheureusement !), 70 à 100 mètres de long, 20 à 30 mètres de large, ce dirigeable-drone à l’enveloppe extérieure en toile de fibres de carbone, non rigide, serait gonflé à l’hydrogène. Il pèserait 5 tonnes (rappelons que le lanceur lourd de la NASA, le « SLS » pourrait déposer 20 tonnes en surface de Mars) et pourrait emporter une charge utile de 250 kg à 20 km d’altitude. Son énergie proviendrait de panneaux solaires épousant les courbes de l’enveloppe sur un quart de la surface et, pour la nuit, de piles à combustible réversibles (fournies par CEA Liten). La collecte d’énergie solaire serait maximisée par l’orientation permanente vers le soleil de la surface couverte de panneaux solaires, grâce à un anneau fixé autour du ballon permettant de tourner l’enveloppe. A l’intérieur du ballon un concentrateur solaire permet de doper la quantité d’énergie reçue.

Certes les conditions martiennes ne sont pas vraiment les mêmes que les conditions terrestres. Il faudrait que le dirigeable puisse voler à une altitude équivalente à 35 km mais, d’un autre côté, on pourrait lui assigner une charge utile plus faible (pour mémoire la masse des instruments embarqués par le rover Curiosity est de 80 kg). Comment le gonfler ? Sur Mars, on pourrait relativement facilement obtenir de l’hydrogène à partir de l’eau ou, alternativement, du monoxyde de carbone (CO) à partir du gaz carbonique (CO2) de l’atmosphère (mais la portance donnée par ce gaz plus lourd serait évidemment trop faible). Au départ de la Terre, on pourrait relativement facilement le loger non gonflé et plié dans un module de vaisseau spatial (cylindre de 8 mètres de diamètres et de 8 mètres de hauteur).

Pour l’adapter à Mars il faudrait faire un effort mais l’étude « vaut le coup » et le coût (par rapport aux autres engins d’exploration). Alors quelle école d’ingénieurs va se lancer ?

Lien : https://www.thalesgroup.com/fr/worldwide/espace/magazine/space-qa-stratobus

Image à la une: StratoBus © Thales Alenia Space, Master Image Productions

Après Jeff Bezos, Elon Musk l’a fait, grandeur nature!

La réusabilité est une des clefs de l’accès à l’espace, à bas coût.

Elon Musk a déclaré:

If one can figure out how to effectively reuse rockets just like airplanes, the cost of access to space will be reduced by as much as a factor of a hundred. A fully reusable vehicle has never been done before. That really is the fundamental breakthrough needed to revolutionize access to space.” 

Cette nuit du 21 décembre 2015, SpaceX, la société d’Elon Musk, sous-traitante de la NASA pour l’approvisionnement de la Station Spatiale Internationale, a lancé une grappe de onze satellites et le premier étage, le plus lourd, de son lanceur “Falcon 9”, a été reconduit sur Terre où il s’est reposé sans dommage à quelques km de son aire de lancement.

Pour apprécier l’exploit sur le plan économique, il faut savoir que le premier étage est celui qui donne l’impulsion décisive pour arracher à la gravité terrestre la masse injectée dans l’espace. 90% de la masse des ergols (qui constitue elle même 95% de la masse totale de la fusée) est contenue dans ces gigantesques réservoirs équipés de moteurs. A contrario, il ne faut pas se cacher que le premier étage du lanceur utilise du carburant pour redescendre “en douceur” et que cela réduit la capacité d’emport en orbite de la masse utile de 30 à 40%.

La faisabilité de la récupération du lanceur est donc ici confirmée, on pourrait dire « grandeur nature », après la réussite de la société Blue Origin de Jeff Bezos qui a récupéré il y a quelques semaines le « module de propulsion » de sa propre fusée « New Shepard ». Ce « module » est en effet un jouet à côté du premier étage du Falcon 9. Le premier étage de Falcon 9 mesure plus de 50 mètres de haut et 3,7 mètres de diamètre, le module de propulsion de New Shepard ne mesure que 8 mètres de haut et son diamètre est tout aussi important (la stabilité du premier étage du Falcon 9 est donc beaucoup plus difficile à assurer). Le premier étage de Falcon 9 redescend aussi d’une altitude bien supérieure (plus du double) de celle d’où redescend le module de propulsion de New Shepard qui se contente d’atteindre la limite officielle de l’espace, à 100 km d’altitude. Les rétrofusées du module de propulsion de New Shepard peuvent assurer un vol « sustentateur » de type hélicoptère, les rétrofusées du premier étage de Falcon 9 ne font que freiner la descente, ce qui est évidemment plus délicat.

La première réaction de Stéphane Israël, président directeur général d’Arianespace, le rival européen de SpaceX, le matin du 22 décembre, a été de dire que ce retour n’était pas si intéressant que cela car « qui voudrait utiliser un lanceur qui a déjà servi ». Je pense que cette réaction exprime tout simplement sa jalousie, d’autant qu’Arianespace envisage bel et bien également une récupération des moteurs, seuls, du premier étage de son futur lanceur Ariane 6, avec un système dit « Adeline » et que ce système toujours en cours d’étude, est loin d’être au point.

Certes les calculs restent à faire, en fonction des équipements récupérés. Avant de les réutiliser, il faudra les remettre en état puisqu’ils auront subi un stress certain mais on sait que les moteurs ont bien fonctionné, jusqu’au sol, et on peut avoir l’intuition que tous les contrôles et ajustements nécessaires seront faits pour un coût beaucoup moindre que la fabrication. L’effort n’est pas négligeable car on peut évaluer le coût d’un premier étage à 65% du total du lanceur (coût estimé à 60 millions de dollars). N.B les carburants (kérosène et oxygène liquide) constituent une part négligeable puisqu’ils sont estimés à quelques 200.000 dollars.

La prochaine phase est donc l’évaluation des frais de remise en état et la phase suivante sera la réutilisation effective de ce matériel de « seconde main ». Mais déjà, on peut dire « Bravo Elon Musk! »

lien: http://www.spacex.com/ 

Image à la une: premier retour sur Terre du premier étage d’un lanceur Falcon 9 de la société SpaceX, réalisé le 21 décembre 2015, crédit SpaceX

Cultiver ses fraises sur Mars

La production de végétaux comestibles, en attendant celle de protéines animales, sera pour un établissement humain sur Mars, une étape très importante à franchir puisqu’elle sera une des conditions essentielles des missions habitées de durée plus longue qu’un cycle de 30 mois (2 fois six mois de voyage et 18 mois de séjour).

Comme toute activité sur Mars, elle pose les problèmes de masse, de volume et d’adaptation aux conditions locales. En ce qui concerne les masses et les volumes, les contraintes sont claires, le « moins » est le « mieux » mais bien sûr le « moins » doit cependant être suffisant pour une quantité d’aliments significatifs (idéalement pouvant permettre l’autosuffisance). En ce qui concerne les conditions locales on constate, du côté positif, que Mars procure une gravité minimum (0.38g) qui permet à l’eau de couler et peut donner une orientation aux plantes dans leur croissance ; qu’il y a abondance de gaz carbonique nécessaire à la photosynthèse, qu’on peut extraire de l’eau du sol ; que le sol devrait par ailleurs contenir les minéraux essentiels à la nutrition. Du côté négatif, la pression moyenne de 611 pascals est évidemment insuffisante ; les variations de température sont trop amples et les minimum trop bas ; le sol martien manque totalement d’éléments organiques ; les sels de perchlorates y sont omniprésents ; l’ensoleillement serait suffisant dans la région intertropicale pendant l’été boréal (bien que l’irradiance soit inférieure de moitié à celle de la Terre) mais le risque de longues périodes de très faible luminosité (tempêtes de poussière) est toujours prégnant ; enfin les radiations solaires et galactiques peuvent causer des dégâts considérables à tout moment.

Pour répondre à ces contraintes, il faut mettre en place des cultures sous serre pressurisée et chauffée dans laquelle l’accès direct aux rayonnements solaires (et galactiques) doit être évité. Il faut aussi, pour répondre aux contraintes de masse (structure de la serre) et à leurs corollaires de volume (volume de la serre), imaginer une utilisation très dense de la surface cultivable et du volume laissé au développement des plantes, ainsi que la rotation rapide des cycles de culture. L’absence de matière organique et les qualités incertaines du sol doivent être prises en compte en choisissant, au début du moins, une alimentation par hydroponie afin de donner aux plantes tous les nutriments dont elles ont besoin mais uniquement ceux-ci. Compte tenu de la promiscuité qui sera imposée aux plantes, il faut par ailleurs, pour éviter la propagation des pathologies phytosanitaires, prévoir des compartiments permettant d’isoler chaque culture ou même de segmenter une même culture. Pour la même raison, il faut privilégier l’utilisation des robots plutôt que l’action (ou les « promenades ») de l’homme. De toute façon la main d’œuvre étant ce qu’il y aura de plus rare dans une base martienne, les hommes ne pourront s’astreindre à une obligation permanente de jardinage.

Les contraintes connues, comment y faire face ?

Il n’est pas question comme Marc Whitney dans le film « Seul sur Mars », de prendre du sol martien, d’y mélanger des excréments et d’y faire pousser des pommes de terre. Soyons sérieux !

On imagine bien des modules cylindriques ou sphériques dont la pression interne pourrait être nettement inférieure à 1 bar (0,5 ?) et dont l’atmosphère pourrait être sensiblement plus riche en gaz carbonique que ceux réservés à l’habitation. Ces serres seraient chauffées à une température variable et modulée selon les cultures. Les cultures devraient être étagées sur rayonnages de façon à occuper au maximum le volume. Pour contrôler au mieux l’état sanitaire, l’alimentation se ferait sur support artificiel par hydroponie. Pour isoler les cultures du quasi vide extérieur et faire écran aux radiations, on peut envisager une coque constituée de poches de glace d’eau maintenue entre deux bâches d’ETFE (éthylène tétrafluoroéthylène – C4H4F4-, matériau semi-cristallin transparent, souple, auquel on peut donner forme par injections). Ces bâches seraient maintenues en forme cylindrique ou sphérique simplement par le différentiel de pression intérieur / extérieur ou, comme le préconise Fabulous, société de conseil en impression 3D pour le projet SFERO, être tenues par une structure en fer martien imprimée.

Une société singapourienne, « Skygreens », créée en 2011 par Jack Ng, présente un exemple de ce que la technologie agricole ainsi que de ce que l’utilisation en densité et volume pourraient être. Selon ses propres brevets (déposés par Sky Greens Vertical Farming System), elle produit aujourd’hui des légumes pour les habitants de Singapour dans une des tours de cette ville. Elle travaille sur sol épandu dans des bacs qui effectuent une noria verticale entre un réservoir d’eau et la lumière solaire en utilisant un principe de différence de gravité, basé sur l’évaporation. Le résultat est spectaculaire tant au point de vue visuel (voir « image à la une ») que du rendement (la société annonce que par unité de surface, il serait au moins 10 fois supérieurs à celui de cultures horizontales). On peut très bien concevoir la transposition de ce principe sur Mars.

Pour commencer à étudier cette transposition, pourquoi ne pas créer une serre expérimentale près d’une cabane très fréquentée de nos montagnes suisses, analogue à ce que pourrait être une serre martienne ? Skygreens serait prête à nous accompagner. Les légumes seraient vendus aux randonneurs et visiteurs de la cabane et on y étudierait toutes les technologies nécessaires à un fonctionnement optimal.

Lien : http://www.skygreens.com/

Image à la une : Photo Sky Urban Solutions, Singapore.

La sirène du directeur général de l’ESA s’appelle la Lune

Mars Semi-direct Revisité…ou comment envoyer des hommes sur Mars avec les technologies d’aujourd’hui. Partie 3/3.

Dans les deux billets précédents, je vous ai exposé les contraintes et les principes qui doivent être respectées pour une mission habitée sur Mars sur le plan des transports de masses, puis la solution qui est proposée par Jean-Marc Salotti qui satisfait à ces contraintes et ces principes. Dans ce billet je vais conclure en mettant en rapport la faisabilité du village martien avec celle du village lunaire. 

A la Mars Society nous considérons la Lune comme une sirène qui n’a de cesse de distraire les agences spatiales de leur chemin vers Mars. Et l’on déplore que la dernière personnalité séduite soit le nouveau directeur général de l’ESA, le Dr. Jan Wörner.

Mais pourquoi pas la Lune ?

Il faut d’abord bien voir que l’effort principal pour envoyer un vaisseau dans l’espace interplanétaire est de l’extraire du puits de gravité terrestre (phase 1 du voyage). Pour emporter un équipage humain sur la Lune aussi bien que pour aller sur Mars nous aurons besoin du lanceur « SLS » de 130 tonnes en orbite basse terrestre (« LEO ») préparé actuellement par la NASA. C’est l’équivalent du Saturn V des missions lunaires du programme Apollo dans les années 1970.

Au sol, ce vaisseau rempli d’ergols (carburant + comburant), pèsera quelques 3000 tonnes. On voit donc que moins de 5% de cette masse parviendra en LEO. 95% de la masse correspondent aux ergols qu’il faut brûler pour obtenir la puissance nécessaire à la satellisation des 130 tonnes.

Ensuite pour arriver dans l’environnement martien aussi bien que dans l’environnement lunaire (phase 2 du voyage), il faut utiliser la quasi-totalité de la masse restante des ergols, soit environ 85 tonnes pour Mars, 75 tonnes pour la Lune. A noter qu’ils sont brûlés presque totalement en une seule fois, pour quitter LEO et aller vers la Lune ou vers Mars. On touche là à l’un des paradoxes essentiels du voyage spatial. Mars est certainement beaucoup plus loin que la Lune (l’arc d’orbite pour y parvenir est de quelques 600 millions de km alors que celui pour parvenir à la Lune n’est que de quelques 380 mille km) mais la différence, énorme, a peu d’influence sur le tonnage des ergols nécessaires au voyage. La distance compte relativement peu sur le plan de l’énergie consommée car l’impulsion initiale ayant été donnée, la vitesse obtenue se conserve très bien puisque dans le vide spatial on n’est freiné par aucune atmosphère et la seule force de gravité sensible, celle du soleil, est très lointaine (elle courbe toutefois la trajectoire et ralenti un peu la vitesse).

A ce stade (phase 2) on pourrait déclarer un léger « avantage Lune » mais cet avantage disparaît dans la phase 3, suivante, car La Lune n’a pas d’atmosphère et on ne peut donc l’utiliser pour capturer le vaisseau spatial (aérocapture) et le freiner jusqu’au sol. En d’autre termes, en partant d’une LEO pour aller se poser sur la Lune, une somme de différentiels de vitesses (« ΔV ») de 6km/s est nécessaire, soit 3,2km/s pour atteindre une orbite d’insertion translunaire (phase 2), 0,9km/s pour se faire capturer en orbite lunaire basse (gravité) et 1,9km/s pour atterrir sur la Lune (phase 3), alors que le ΔV nécessaire pour aller depuis une LEO jusqu’à la surface de Mars n’est que de 4,5km/s, soit 4km/s pour l’insertion sur la trajectoire vers Mars (phase 2), 0,1km/s pour des ajustements d’orbite après aérocapture et 0,4km/s pour atterrir en utilisant un bouclier thermique pour le freinage aérodynamique (phase 3).

Là où « ça se complique », c’est que les dispositifs de freinage dans l’atmosphère martienne (bouclier et parachute) ont une masse loin d’être nulle (d’autant plus forte que la masse à descendre est plus importante) et que la gravité martienne est le double de la gravité lunaire.

In fine, la masse des équipements de freinage et la plus forte gravité martienne compensent la plus forte consommation d’ergols dans les rétrofusées pour atterrir sur la Lune (sans oublier la masse de réservoir supplémentaire nécessaire pour contenir ces ergols) et, pour une même masse au départ de 130 tonnes en orbite basse terrestre, on ne peut déposer en surface de chacun des deux astres que la même masse de 20 tonnes.

Par contre, une fois sur la Lune, les désavantages par rapport à Mars s’accumulent. La Lune est beaucoup plus proche du soleil que Mars et l’intensité du rayonnement solaire y est la même que sur Terre mais sans l’adoucissement que procurerait une atmosphère de type terrestre. La température passe de +125° au plus chaud le jour à -175° au plus froid la nuit. Sur Mars, dans la région du cratère Gale où s’est posé Curiosity, la température varie de -80°C la nuit à quelques degrés au dessus de zéro le jour. Sur la Lune les jours sont de 28 de nos jours terrestres alors qu’ils sont de 24h38 sur Mars. Cela a des conséquences. Une alternance jour / nuit rapide permet non seulement de lisser les températures mais aussi de conserver plus facilement l’énergie solaire accumulée pendant le jour. De ce fait, il est impossible d’utiliser des panneaux solaires sur la Lune ou de faire pousser des végétaux dans des serres. Sur la Lune il n’y a pas d’eau (sauf de façon anecdotique dans quelques cratères des pôles perpétuellement dans l’obscurité) alors qu’on trouve de la glace d’eau partout sur Mars. Sur la Lune il n’y a aucune protection contre les radiations solaires ou les micrométéorites alors que sur Mars l’atmosphère donne une protection équivalente à celle dont les astronautes bénéficient dans la Station Spatiale Internationale. Sur Mars l’atmosphère de CO2 permet d’obtenir du carbone et de l’oxygène, totalement absents de la Lune. Sur la Lune la faible gravité, moitié moindre que sur Mars pose des problèmes de coordination des mouvements comme on peut le voir sur les films tournés lors des missions Apollo dans les années 1970. Enfin sur la Lune, compte tenu d’une histoire géologique active beaucoup moins longue et de l’absence d’action de l’eau liquide, les perspectives offertes à la Recherche sont beaucoup moins importantes.

Le seul avantage de la Lune par rapport à Mars, c’est sa proximité relative qui permet des voyages très courts (quelques jours) et tout au long de l’année alors que l’on ne peut partir sur Mars que tous les 26 mois compte tenu de la position et de la vitesse orbitale respectives des planètes. Ce n’est certes pas négligeable mais les conditions de séjour sur la Lune étant beaucoup plus dures que celles prévalant sur Mars, il semble évident que l’homme doive d’abord s’y installer avant de s’installer sur la Lune.

Pour les agences spatiales et les gouvernants qui approuvent leur politique et leurs budgets, la Lune est une tentation constante. Il ne faut surtout pas succomber à une facilité apparente, tout comme nous l’avons fait en décidant de construire la Station Spatiale Internationale dans l’espace immédiat, car ce serait entrer dans une nouvelle impasse nous empêchant d’aller véritablement essaimer dans l’espace profond.

Image à la une, illustration “un village martien”; crédit: Manchu / Association Planète Mars. Les dômes de vie sont pressurisés, les hangars ne le sont pas. Une capsule apportée par un vaisseau spatial jusqu’en orbite basse martienne se pose au sol. Un drone passe au premier plan. Au second plan des serres et des panneaux solaires.

Le “plan” du voyage ou comment se jouer des contraintes

Mars Semi-direct Revisité…ou comment envoyer des hommes sur Mars avec les technologies d’aujourd’hui

(partie 2/3: Le plan).

Lors de mon billet précédent je vous ai présenté les contraintes qui se posaient sur le plan astronautique pour une mission habitée en surface de Mars. Je vous présente aujourd’hui la solution proposée par Jean-Marc Salotti*, pour y satisfaire. Elle me semble la meilleure à ce jour.

A l’année « n » (par exemple dans huit ans, à la fin du deuxième mandat du prochain président des Etats-Unis), un premier lanceur envoie à la surface de Mars un véhicule (« MAV ») utilisable à la fin de la mission, pour le retour de la surface de Mars jusqu’à l’orbite de parking martienne, avec un bouclier thermique pour aérocapture et traversée de l’atmosphère martienne. Ce MAV est à moitié vide c’est-à-dire sans comburant mais avec carburant (du méthane liquide), un laboratoire de production du comburant nécessaire pour remonter jusqu’à cette orbite (de l’oxygène que l’on extraira du gaz carbonique de l’atmosphère martienne) et un générateur électrique de type RTG (nucléaire thermoélectrique) pour faire fonctionner le laboratoire puis les pompes pour remplir le réservoir du MAV. Pendant la même fenêtre de tir (après quelques jours ou quelques semaines), un deuxième lanceur envoie l’habitat du voyage de retour sur Terre avec un bouclier pour aérocapture (seulement), cet élément ne devant donc pas descendre en surface mais rester en orbite de parking martienne. A noter que cet habitat, qui n’est pas destiné à se poser en surface de la planète Mars ou de la Terre, peut être du type du module Bigelow “B330”, ici en “image à la une”.

La masse à l’approche de Mars pour chacun de ces deux lancements est inférieure à 45 tonnes qui est la masse correspondant aux 130 tonnes que le lanceur lourd de la NASA est capable de mettre en orbite basse terrestre avant injection transplanétaire. Pour le lancement n°1 (celui du MAV), la masse à déposer sur Mars est de 20 tonnes et le système de descente ainsi que l’énergie embarquée qu’il utilisera, seront inférieurs à 40 tonnes.

Lors de la fenêtre de tir suivante, n+26 mois (après avoir vérifié que l’oxygène a bien été produit et stocké dans le MAV), un troisième lanceur envoie en orbite de parking terrestre (“LEO”) l’habitat du voyage aller qui sera aussi l’habitat en surface de Mars, avec un bouclier pour aérocapture et traversée de l’atmosphère. Quelques jours après, les astronautes et leur équipement de support vie rejoignent cet habitat dans une capsule Orion, avec un quatrième lanceur. Le vol emporte aussi un moteur de retour de Mars rempli de ses ergols et un bouclier d’aérocapture. Les astronautes passent dans l’habitat et laissent sur orbite le moteur de retour avec sa capsule Orion. Les deux ensembles, habitat d’une part, moteur de retour avec capsule Orion d’autre part (chacun d’une masse inférieure à 45 tonnes après départ de LEO) sont alors envoyés séparément de LEO vers Mars.

A n+32 mois, après aérocapture, les astronautes descendent à la surface de Mars dans leur habitat (d’une masse totale au sol de 20 tonnes), derrière leur bouclier. A n+34 le moteur de retour (envoyé avec le quatrième lanceur) arrive en orbite martienne avec sa capsule Orion et rejoint l’habitat du voyage de retour (envoyé avec le deuxième lanceur) auquel il se fixe par simple amarrage (“docking”).

A noter que lors d’aucune des phases de la mission, la masse au départ de la Terre n’a été supérieure à 130 tonnes, la masse après le départ de LEO n’a été supérieure à 45 tonnes et la masse déposée en surface de Mars n’a été supérieure à 20 tonnes. Les barrières technologiques qui s’imposent en matière de masse à toutes missions lourdes sur Mars, ont ainsi été respectées.

Après 500 jours en surface de la planète et de séjour dans l’habitat (au sol), lorsque la configuration des planètes est à nouveau favorable, l’équipage monte à bord du MAV et s’envole vers l’orbite de parking pour rejoindre le vaisseau de retour sur Terre qui y a été envoyé avec le deuxième lanceur. Il passe à bord de ce véhicule, abandonne le MAV (qui retombera sur Mars un jour) et part vers la Terre qu’il atteindra après un nouveau voyage de 6 mois.

Cette architecture astucieuse permet l’utilisation optimale des masses, de l’énergie et aussi de nos finances. En effet, indépendamment du coût du développement du lanceur lourd de 130 tonnes qui est presque achevé (35 milliards), cette mission ne coûterait qu’environ 50 milliards de dollars étalés sur 12 à 15 ans. On peut envisager qu’un lancement de SLS pourrait coûter environ 2,5 milliards (tout dépendra du nombre de lanceurs que l’on produira et du nombre de lancements qu’on effectuera). On est très, très, loin du millier de milliards que certains adversaires des missions habitées avancent comme argument dirimant.

*Jean-Marc Salotti, Dr en informatique (spécialité intelligence artificielle) de l’Institut Polytechnique de Grenoble, diplômé de l’International Space University, est secrétaire du groupe de travail de l’Académie Internationale d’Astronautique chargé de faire des recommandations aux agences spatiales pour les architectures de missions martiennes habitées. Il est aussi membre du Comité directeur de l’Association Planète Mars, branche française de la Mars Society et enseignant chercheur à l’Ecole Nationale de Cognitique de l’Institut Polytechnique de Bordeaux.

Image: coupe du module gonflable B330 de Bigelow aerospace (http://bigelowaerospace.com/ ) . Il a une masse de 20 tonnes et un volume intérieur de 330m3. Comparé au module Destiny de la Station Spatiale Internationale, il offre 210% d’espace en plus pour 1/3 seulement de sa masse. ©2015 Bigelow aerospace.

Un “Mars Village” plutôt qu’un “Moon Village”

Mars Semi-direct Revisité…ou comment envoyer des hommes sur Mars avec les technologies d’aujourd’hui.

(partie 1/3: les contraintes et les principes).

Ceci est une réponse à Jan Wörner, nouveau directeur général de l’ESA.

Le 13 novembre, le nouveau directeur général de l’ESA, Johann Dietrich Wörner, a été interviewé par Olivier Dessibourg pour Le Temps (voir édition du 14 Novembre). Comme suite à la Station Spatiale Internationale, il a prôné la construction d’un « village lunaire » en précisant par ailleurs qu’«on ne dispose aujourd’hui pas de solutions technologiques à des coûts raisonnables pour mener à bien un voyage habité direct vers Mars».

A la Mars Society nous ne sommes pas d’accord. Mon collègue Jean-Marc Salotti, secrétaire du groupe de travail dédié aux missions habitées sur Mars de l’Académie Internationale d’Astronautique, a exposé le 9 Novembre à l’EPFL, sur invitation du Swiss Space Center et de Claude Nicollier, comment ces missions pourraient avoir lieu avec les technologies d’aujourd’hui.

Comme déjà écrit sur ce blog, plusieurs contraintes relatives à la masse transportée s’imposent il est vrai à de telles missions. Le piège gravitationnel est constitué en effet non seulement de la force de gravité exercée sur toute masse que l’on veut extraire de l’attraction de la planète de départ ; il l’est aussi de l’accélération causée par la force gravitationnelle de la planète de destination sur les corps qu’on veut y déposer sans qu’ils s’y écrasent. La première contrainte est d’abord celle des 130 tonnes. C’est le maximum que le nouveau lanceur lourd de la NASA, le « Space Launch System » (« SLS »), en cours de construction, pourra placer en orbite basse terrestre (« LEO »). La seconde contrainte est celle des 45 tonnes de masse que l’on peut injecter vers Mars à partir de LEO (après avoir brulé quelques 80 tonnes d’ergols pour en partir). C’est le maximum de charge utile que l’on peut embarquer sur Terre à bord d’un seul lanceur de 130 tonnes. La dernière contrainte est celle des 20 tonnes que l’on peut poser à la surface de Mars compte tenu des possibilités de freinage dont on dispose (à comparer aux 60 tonnes de charges utiles nécessaires pour une mission de 3 personnes).

Mais la bonne nouvelle est que l’on peut descendre sur Mars les masses nécessaires à une mission habitée en respectant ces contraintes. Pour la réduction de vitesse on dispose de plusieurs possibilités. La plus simple mais aussi la plus coûteuse en masse est l’utilisation de rétrofusées. C’est ce qu’on doit utiliser si l’on arrive trop vite près des planètes et/ou pour celles qui n’ont pas d’atmosphère. Par chance, pour une mission martienne, nous disposons d’une atmosphère donc d’une possibilité de freinage naturel (qui ne coûte rien en énergie embarquée). Elle peut être utilisée pour deux manœuvres successives.

Il s’agit d’abord de l’aérocapture. Elle est possible pourvu qu’on parte à la bonne date de la Terre et qu’on accepte que le voyage soit suffisamment long, de telle sorte qu’on puisse ainsi arriver près de Mars à une vitesse relative faible. Elle consiste alors à se freiner avec les couches supérieures de l’atmosphère de telle sorte qu’on puisse amorcer une mise en orbite du fait de l’attraction gravitationnelle de la planète. Il faut éviter la rentrée directe qui est extrêmement délicate et implique un risque d’échauffement trop fort mais ne pas rater la capture car le vaisseau spatial serait alors accéléré vers l’espace profond.

On se trouve après la mise en orbite, à une certaine vitesse par rapport à la surface de la planète ou l’on veut descendre. Sur Mars, cette vitesse est de l’ordre de 6 km/s. Descendre n’est pas facile. C’est ce qu’on appelle l’EDL (« Entry, Descent, Landing »). Pour des véhicules de même forme et de même densité, le coefficient balistique croit plus vite avec la taille du véhicule, que la portance. Si l’on veut descendre en une seule fois les 60 tonnes mentionnées plus haut sur Mars (dans l’hypothèse où elles seraient acheminées ensemble après assemblage en LEO), il faudrait en fait nettement plus que trois lancements car au-dessus de 20 tonnes déposées, l’essentiel serait de plus en plus « mangé » par les dispositifs de freinage nécessaires. Que faire ?

La solution proposée par Jean-Marc Salotti, qui est une version améliorée de l’architecture imaginée par Robert Zubrin, fondateur de la Mars Society, en 1992, consiste à laisser en orbite martienne le maximum de masse (véhicule de retour avec son moteur), descendre en surface seulement la masse indispensable et le faire en plusieurs modules ne dépassant pas une vingtaine de tonnes chacun.

Je vous dirai comment dans mon prochain post.

Image à la une: Illustration Manchu /Pierre Brisson / Association Planète Mars. A quelques 130 km au dessus de la surface de Mars, initiation de l’EDL d’une masse lourde, un habitat martien protégé par son bouclier gonflable.