Le “plan” du voyage ou comment se jouer des contraintes

Mars Semi-direct Revisité…ou comment envoyer des hommes sur Mars avec les technologies d’aujourd’hui

(partie 2/3: Le plan).

Lors de mon billet précédent je vous ai présenté les contraintes qui se posaient sur le plan astronautique pour une mission habitée en surface de Mars. Je vous présente aujourd’hui la solution proposée par Jean-Marc Salotti*, pour y satisfaire. Elle me semble la meilleure à ce jour.

A l’année « n » (par exemple dans huit ans, à la fin du deuxième mandat du prochain président des Etats-Unis), un premier lanceur envoie à la surface de Mars un véhicule (« MAV ») utilisable à la fin de la mission, pour le retour de la surface de Mars jusqu’à l’orbite de parking martienne, avec un bouclier thermique pour aérocapture et traversée de l’atmosphère martienne. Ce MAV est à moitié vide c’est-à-dire sans comburant mais avec carburant (du méthane liquide), un laboratoire de production du comburant nécessaire pour remonter jusqu’à cette orbite (de l’oxygène que l’on extraira du gaz carbonique de l’atmosphère martienne) et un générateur électrique de type RTG (nucléaire thermoélectrique) pour faire fonctionner le laboratoire puis les pompes pour remplir le réservoir du MAV. Pendant la même fenêtre de tir (après quelques jours ou quelques semaines), un deuxième lanceur envoie l’habitat du voyage de retour sur Terre avec un bouclier pour aérocapture (seulement), cet élément ne devant donc pas descendre en surface mais rester en orbite de parking martienne. A noter que cet habitat, qui n’est pas destiné à se poser en surface de la planète Mars ou de la Terre, peut être du type du module Bigelow “B330”, ici en “image à la une”.

La masse à l’approche de Mars pour chacun de ces deux lancements est inférieure à 45 tonnes qui est la masse correspondant aux 130 tonnes que le lanceur lourd de la NASA est capable de mettre en orbite basse terrestre avant injection transplanétaire. Pour le lancement n°1 (celui du MAV), la masse à déposer sur Mars est de 20 tonnes et le système de descente ainsi que l’énergie embarquée qu’il utilisera, seront inférieurs à 40 tonnes.

Lors de la fenêtre de tir suivante, n+26 mois (après avoir vérifié que l’oxygène a bien été produit et stocké dans le MAV), un troisième lanceur envoie en orbite de parking terrestre (“LEO”) l’habitat du voyage aller qui sera aussi l’habitat en surface de Mars, avec un bouclier pour aérocapture et traversée de l’atmosphère. Quelques jours après, les astronautes et leur équipement de support vie rejoignent cet habitat dans une capsule Orion, avec un quatrième lanceur. Le vol emporte aussi un moteur de retour de Mars rempli de ses ergols et un bouclier d’aérocapture. Les astronautes passent dans l’habitat et laissent sur orbite le moteur de retour avec sa capsule Orion. Les deux ensembles, habitat d’une part, moteur de retour avec capsule Orion d’autre part (chacun d’une masse inférieure à 45 tonnes après départ de LEO) sont alors envoyés séparément de LEO vers Mars.

A n+32 mois, après aérocapture, les astronautes descendent à la surface de Mars dans leur habitat (d’une masse totale au sol de 20 tonnes), derrière leur bouclier. A n+34 le moteur de retour (envoyé avec le quatrième lanceur) arrive en orbite martienne avec sa capsule Orion et rejoint l’habitat du voyage de retour (envoyé avec le deuxième lanceur) auquel il se fixe par simple amarrage (“docking”).

A noter que lors d’aucune des phases de la mission, la masse au départ de la Terre n’a été supérieure à 130 tonnes, la masse après le départ de LEO n’a été supérieure à 45 tonnes et la masse déposée en surface de Mars n’a été supérieure à 20 tonnes. Les barrières technologiques qui s’imposent en matière de masse à toutes missions lourdes sur Mars, ont ainsi été respectées.

Après 500 jours en surface de la planète et de séjour dans l’habitat (au sol), lorsque la configuration des planètes est à nouveau favorable, l’équipage monte à bord du MAV et s’envole vers l’orbite de parking pour rejoindre le vaisseau de retour sur Terre qui y a été envoyé avec le deuxième lanceur. Il passe à bord de ce véhicule, abandonne le MAV (qui retombera sur Mars un jour) et part vers la Terre qu’il atteindra après un nouveau voyage de 6 mois.

Cette architecture astucieuse permet l’utilisation optimale des masses, de l’énergie et aussi de nos finances. En effet, indépendamment du coût du développement du lanceur lourd de 130 tonnes qui est presque achevé (35 milliards), cette mission ne coûterait qu’environ 50 milliards de dollars étalés sur 12 à 15 ans. On peut envisager qu’un lancement de SLS pourrait coûter environ 2,5 milliards (tout dépendra du nombre de lanceurs que l’on produira et du nombre de lancements qu’on effectuera). On est très, très, loin du millier de milliards que certains adversaires des missions habitées avancent comme argument dirimant.

*Jean-Marc Salotti, Dr en informatique (spécialité intelligence artificielle) de l’Institut Polytechnique de Grenoble, diplômé de l’International Space University, est secrétaire du groupe de travail de l’Académie Internationale d’Astronautique chargé de faire des recommandations aux agences spatiales pour les architectures de missions martiennes habitées. Il est aussi membre du Comité directeur de l’Association Planète Mars, branche française de la Mars Society et enseignant chercheur à l’Ecole Nationale de Cognitique de l’Institut Polytechnique de Bordeaux.

Image: coupe du module gonflable B330 de Bigelow aerospace (http://bigelowaerospace.com/ ) . Il a une masse de 20 tonnes et un volume intérieur de 330m3. Comparé au module Destiny de la Station Spatiale Internationale, il offre 210% d’espace en plus pour 1/3 seulement de sa masse. ©2015 Bigelow aerospace.

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.