Un “Mars Village” plutôt qu’un “Moon Village”

Mars Semi-direct Revisité…ou comment envoyer des hommes sur Mars avec les technologies d’aujourd’hui.

(partie 1/3: les contraintes et les principes).

Ceci est une réponse à Jan Wörner, nouveau directeur général de l’ESA.

Le 13 novembre, le nouveau directeur général de l’ESA, Johann Dietrich Wörner, a été interviewé par Olivier Dessibourg pour Le Temps (voir édition du 14 Novembre). Comme suite à la Station Spatiale Internationale, il a prôné la construction d’un « village lunaire » en précisant par ailleurs qu’«on ne dispose aujourd’hui pas de solutions technologiques à des coûts raisonnables pour mener à bien un voyage habité direct vers Mars».

A la Mars Society nous ne sommes pas d’accord. Mon collègue Jean-Marc Salotti, secrétaire du groupe de travail dédié aux missions habitées sur Mars de l’Académie Internationale d’Astronautique, a exposé le 9 Novembre à l’EPFL, sur invitation du Swiss Space Center et de Claude Nicollier, comment ces missions pourraient avoir lieu avec les technologies d’aujourd’hui.

Comme déjà écrit sur ce blog, plusieurs contraintes relatives à la masse transportée s’imposent il est vrai à de telles missions. Le piège gravitationnel est constitué en effet non seulement de la force de gravité exercée sur toute masse que l’on veut extraire de l’attraction de la planète de départ ; il l’est aussi de l’accélération causée par la force gravitationnelle de la planète de destination sur les corps qu’on veut y déposer sans qu’ils s’y écrasent. La première contrainte est d’abord celle des 130 tonnes. C’est le maximum que le nouveau lanceur lourd de la NASA, le « Space Launch System » (« SLS »), en cours de construction, pourra placer en orbite basse terrestre (« LEO »). La seconde contrainte est celle des 45 tonnes de masse que l’on peut injecter vers Mars à partir de LEO (après avoir brulé quelques 80 tonnes d’ergols pour en partir). C’est le maximum de charge utile que l’on peut embarquer sur Terre à bord d’un seul lanceur de 130 tonnes. La dernière contrainte est celle des 20 tonnes que l’on peut poser à la surface de Mars compte tenu des possibilités de freinage dont on dispose (à comparer aux 60 tonnes de charges utiles nécessaires pour une mission de 3 personnes).

Mais la bonne nouvelle est que l’on peut descendre sur Mars les masses nécessaires à une mission habitée en respectant ces contraintes. Pour la réduction de vitesse on dispose de plusieurs possibilités. La plus simple mais aussi la plus coûteuse en masse est l’utilisation de rétrofusées. C’est ce qu’on doit utiliser si l’on arrive trop vite près des planètes et/ou pour celles qui n’ont pas d’atmosphère. Par chance, pour une mission martienne, nous disposons d’une atmosphère donc d’une possibilité de freinage naturel (qui ne coûte rien en énergie embarquée). Elle peut être utilisée pour deux manœuvres successives.

Il s’agit d’abord de l’aérocapture. Elle est possible pourvu qu’on parte à la bonne date de la Terre et qu’on accepte que le voyage soit suffisamment long, de telle sorte qu’on puisse ainsi arriver près de Mars à une vitesse relative faible. Elle consiste alors à se freiner avec les couches supérieures de l’atmosphère de telle sorte qu’on puisse amorcer une mise en orbite du fait de l’attraction gravitationnelle de la planète. Il faut éviter la rentrée directe qui est extrêmement délicate et implique un risque d’échauffement trop fort mais ne pas rater la capture car le vaisseau spatial serait alors accéléré vers l’espace profond.

On se trouve après la mise en orbite, à une certaine vitesse par rapport à la surface de la planète ou l’on veut descendre. Sur Mars, cette vitesse est de l’ordre de 6 km/s. Descendre n’est pas facile. C’est ce qu’on appelle l’EDL (« Entry, Descent, Landing »). Pour des véhicules de même forme et de même densité, le coefficient balistique croit plus vite avec la taille du véhicule, que la portance. Si l’on veut descendre en une seule fois les 60 tonnes mentionnées plus haut sur Mars (dans l’hypothèse où elles seraient acheminées ensemble après assemblage en LEO), il faudrait en fait nettement plus que trois lancements car au-dessus de 20 tonnes déposées, l’essentiel serait de plus en plus « mangé » par les dispositifs de freinage nécessaires. Que faire ?

La solution proposée par Jean-Marc Salotti, qui est une version améliorée de l’architecture imaginée par Robert Zubrin, fondateur de la Mars Society, en 1992, consiste à laisser en orbite martienne le maximum de masse (véhicule de retour avec son moteur), descendre en surface seulement la masse indispensable et le faire en plusieurs modules ne dépassant pas une vingtaine de tonnes chacun.

Je vous dirai comment dans mon prochain post.

Image à la une: Illustration Manchu /Pierre Brisson / Association Planète Mars. A quelques 130 km au dessus de la surface de Mars, initiation de l’EDL d’une masse lourde, un habitat martien protégé par son bouclier gonflable.

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.