Les radiations et la vie

Radiations 4/4.

Implications des radiations pour l’exobiologie et la vie humaine.

Par leur impact et leur effet ionisant, les radiations particulaires spatiales détruisent les liens des molécules impactées notamment ceux des molécules organiques et en particulier des molécules organiques biologiques, longues et complexes. Les rayons ultraviolets (surtout les UV”c”), radiations électromagnétiques à courtes longueurs d’onde, et surtout les rayons gamma résultant du choc des particules spatiales les plus énergétiques (“HZE”), sont également agressifs pour la vie.

Comme on l’a vu dans les billets précédents, la surface de Mars bénéficie d’une protection naturelle contre les radiations (socle planétaire et atmosphère). Cependant cette protection est insuffisante pour qu’on y mène une vie « tranquille », comme sur Terre. Il n’y a pas de couche d’ozone dans l’atmosphère pour filtrer les rayons ultraviolets (la surface de Mars reçoit jusqu’à 600 fois les doses terrestres au niveau de la mer) et la faible densité des gaz composants l’atmosphère laisse passer une grande partie du rayonnement particulaire.

Pour ses missions longues, l’homme pourra se protéger des radiations en utilisant le régolite ou l’eau martienne comme bouclier mais la vie martienne qui a pu naître en surface ou dans le sous-sol immédiat à des époques où l’atmosphère était plus épaisse, n’a très probablement pas pu y subsister, en raison précisément des radiations. En dépit des fantasmes et des craintes, la surface de Mars est très probablement stérile.

On estime ainsi que même les bactéries terrestres résistantes aux radiations comme Deinococcus radiodurans (image à la une), pourraient séjourner quelque temps en surface à l’état de spores, mais qu’elles y seraient assez rapidement tuées. Elles ne pourraient survivre en profondeur sous cette forme, à environ 1 m (selon la densité et la composition de la roche), que si elles ont pu bénéficier de répits à l’issue de périodes n’excédant pas quelques 450.000 ans. Cette périodicité relativement courte sur le plan géologique n’est pas impossible compte tenu des changements d’inclinaison périodiques de l’axe de rotation de la planète à l’occasion desquels les glaces peuvent fondre et l’atmosphère s’épaissir. Cela a été également possible dans le passé à l’occasion des événements volcaniques qui ont enrichi l’atmosphère (de moins en moins fréquemment). On verra bien ce que nous montreront les échantillons de forages à deux mètres que doit effectuer le laboratoire mobile (rover) “Pasteur” de la mission “ExoMars” que l’ESA projette de lancer en mai 2018 (si elle arrive à boucler son financement). De toute façon, on ne pourra trouver aujourd’hui en surface que des fossiles et ces vestiges de vie seront dénaturés par les radiations (et de ce fait difficiles à identifier en termes biochimiques).

Tant que l’on ne creuse pas profondément, on peut être rassurés pour la vie des astronautes et l’on ne devrait pas s’inquiéter du risque qu’ils rapportent sur Terre des germes martiens (« back-contamination »). Une installation permanente (au-delà d’un cycle de mission de 18 mois sur place) pose par contre potentiellement un problème puisqu’elle imposera l’utilisation du sol. C’est lui (régolite ou glace d’eau) qui devra servir de bouclier pour protéger la vie. Auparavant les premiers hommes sur Mars, dans l’intérêt de leur survie (éviter une agression biologique) et pour l’intérêt de la Science, devront impérativement « tirer au clair » l’histoire d’une hypothétique “vie martienne”. A-t-elle abouti, par des chemins parallèles aux nôtres mais forcément différents du fait d’une histoire différente ? A-t-elle échoué mais jusqu’à quel stade le processus prébiologique a-t-il progressé ? Si cette hypothèse se vérifie, l’avancement du processus a-t-il abouti à des molécules complexes, nocives pour la vie terrestre (comme peuvent l’être des prions, même si elles sont moins complexes) du fait de leur « intérêt » pour quelques éléments rares sur Mars dont nous serions porteurs (l’eau, le carbone, par exemple) ?

Le débat reste ouvert jusqu’à ce que l’exploration, robotique et humaine, nous apporte les éléments de réponses. Peut-être les pics de méthane faibles et rares observés par Curiosity dans le cratère Gale et provenants de son sous-sol, sont-ils les premières manifestations de ce danger et/ou phénomène extraordinairement passionnant?

Image à la Une: bactérie Deinococcus radiodurans. l’être vivant (terrestre) le plus résistant aux radiations. Si le processus de vie a abouti sur Mars, des êtres comparables (mais génétiquement différents) pourraient exister dans les profondeurs du sol.

 

La Neuvième planète est elle la Cinquième ?

Parmi les commentaires suscités par l’article des deux chercheurs du CalTech, Mike Brown et Konstantin Batygin, sur l’hypothèse de la « neuvième planète » de notre système solaire, celui d’Alessandro Morbidelli, astronome de l’Université de Nice qui a lancé l’hypothèse du « Grand Tack » qu’on peut traduire par « Grande virée de bord », renforce la nouvelle proposition en donnant plus de poids à l’hypothèse de la « cinquième planète ».

Pour comprendre il faut reprendre l’histoire racontée par Alessandro Morbidelli en 2011, belle histoire mais étayée tout de même par des simulations informatiques très convaincantes. Ainsi, après que la lumière du jeune Soleil se soit allumée au centre de son nuage primitif de poussières et de gaz en rotation, les planètes commencèrent à se former autour de tourbillons du nuage, loin du centre, là où la matière n’avait pas été trop raréfiée par la constitution du Soleil lui-même et au-delà de la « Limite de Glace » où les éléments les plus légers et l’eau avait été rejetés par la chaleur et les radiations intenses. Ainsi les noyaux des astres qui allaient devenir Jupiter, Saturne, Neptune, Uranus et (c’est l’hypothèse de la cinquième géante gazeuse) une autre planète, que l’on peut nommer « X », située entre Saturne et Neptune, commencèrent à accréter toute la matière qui se trouvait dans leur environnement en fonction de la force de gravité croissante qu’ils exerçaient sur elle. Il ne restait en dessous de Jupiter que des anneaux de roches asséchées et encore inorganisées, là où, un peu plus tard, après que le jeune Soleil se soit un peu calmé, se formeraient les planètes telluriques, dont notre très chère Terre.

Dans leur spirale continue vers le Soleil, c’est la matière en direction du Soleil qui était accrétée et insensiblement Jupiter s’en rapprochait, jusqu’à descendre en dessous de la Limite de Glace dans ce qui est aujourd’hui la Ceinture d’Astéroïdes et même dans la région occupée aujourd’hui par la future planète Mars. Si la planète géante avait continué, notre système se serait finalement stabilisé comme la plupart des autres caractérisé par la même métallicité, avec un « Jupiter chaud » dans la région de Mercure ou encore plus près du Soleil. Heureusement et c’est notre chance, un des nombreux hasards extraordinaires qui en fin de compte font que « nous sommes là », Jupiter était suivi dans sa descente infernale par Saturne et au bout d’un moment les deux planètes se trouvèrent dans un système de résonnance particulier qui fit qu’elles se stabilisèrent puis repartir vers l’extérieur du système. La matière de la Terre, Vénus et Mercure, qui commençaient à se structurer, était sauvée ; celle de la Ceinture d’Astéroïdes et de Mars était considérablement appauvrie, ce qui explique en particulier que Mars n’ait qu’une masse égale à 1/10ème de celle de la Terre.

Mais le mouvement de balancier du couple Jupiter / Saturne, devenues énormes et avides de toujours plus de matière, continua son rebroussement bien au-delà de son point de départ et Saturne vint empiéter dans le territoire des autres géantes gazeuses extérieures. Neptune qui se trouvait avant Uranus fut expulsée au-delà de cette dernière, dans une région très riche en petits corps glacés qui, déstabilisés, se mirent à pleuvoir par milliards vers le Soleil, rapportant aux planètes telluriques l’eau dont elles avaient été privées. Selon David Nesvorny et Alessandro Morbidelli, ce pourrait être un peu avant cet événement spectaculaire que la planète X, confrontée directement à Saturne, aurait subi une expulsion encore plus violente et disparu totalement « du paysage ».

On se demande maintenant si, au lieu de partir errer dans l’espace interplanétaire, loin de toute étoile (le cas existe), la planète X, la cinquième géante, n’aurait pas été rattrapée quand même « par les cheveux » d’une gravité juste suffisante et maintenue in extremis dans le système. Ce serait évidemment notre « neuvième planète » !  On voit bien sur l’« image à la une » l’équilibre qu’elle restaurerait, en opposition, on pourrait dire en « contrepoids », à toutes les autres petites planètes-naines transneptuniennes dont les orbites se déploient de l’autre côté du Soleil. Elles « tirent » toutes d’un côté et la grosse planète X tire de l’autre.

La géographie de notre système solaire apparaît ainsi de plus en plus clairement, comme une image informatique floue qui peu à peu se précise. La Neuvième Planète serait la pièce manquante du puzzle qui donnerait au reste de la figure géométrique de notre système stellaire tout son sens. Il nous reste à distinguer sa faible lueur sur une orbite qu’elle doit parcourir en 10.000 ans tant elle est longue et qu’elle est lente. Il nous faudra peut-être à nous aussi très longtemps pour la voir mais si nous la trouvons grâce au raisonnement impeccable de nos astronomes assistés d’ordinateurs surpuissants, nous vivrons un grand moment de l’histoire des sciences, digne de ceux que connurent nos prédécesseurs lors de la découverte d’Uranus et de Neptune.

Références / Liens :

“Evidence for a distant giant planet in the solar system”, in The Astronomical Journal, 151 :22 (12pp), de Février 2016, par Konstantin Batygin et Michael Brown

« A low mass for Mars from Jupiter’s early gas-driven migration » in Research Letter, Nature, doi:10.1038/nature10201, 14 juillet 2011 par Kevin Walsh, Alessandro Morbidelli, et autres.

“Young solar system’s fifth giant planet?” in “the Astrophysical research letters” 742:L22 (6pp), 1 décembre 2011, par David Nesvorny, Dept of Space Studies, SW Research Institute, Boulder, Colorado.

Image à la Une: schéma des orbites observées des planètes-naines transneptuniennes et de l’orbite hypothétique de la planète X.

La Neuvième Planète (1/2)

La Neuvième planète, une probabilité de plus en plus forte ce qui ne veut pas dire une certitude.

Je comprends bien l’engouement du public pour la nouvelle mais toujours hypothétique « Neuvième Planète » (rang qui était celui de Pluton jusqu’à ce qu’elle soit rétrogradée à la qualité de « planète-naine » en 2006). Il est inspiré par le goût du mystère et de l’étrange. L’existence potentielle de cet astre se trouve depuis très longtemps dans l’esprit des astronomes puisque très vite après la découverte de Neptune par Urbain Le Verrier en 1846, une perturbation avait été notée dans l’orbite de cette dernière. On a cru, un moment furtif, que Pluton était la réponse. Las ! Sa masse était insuffisante pour fournir une explication exhaustive. Ce fut ensuite dans les dernières dizaines d’années (depuis 1992) la découverte d’une série d’autres « objets » transneptuniens, localisés dans la ceinture de Kuiper, comme Sedna, Quaoar ou Eris…

A chaque fois, on nous a annoncé LA découverte qui aller « boucler » l’explication du système solaire et à chaque fois on a été déçu car chacun des astres décelés s’est avéré n’être qu’une planète-naine, du genre Pluton, dont la masse était insuffisante et l’orbite « anormale ». Petit à petit cependant un schéma nouveau se dessine qui suggère des probabilités de moins en moins flous pour les masses dont ils restent à préciser la localisation. De fait, les ellipses des planètes-naines de la Ceinture de Kuiper, s’étendant toutes du même côté du soleil, appellent une sorte de « contrepoids », invisible, nécessaire à leur équilibre instable. C’est ce qu’on « vu » deux chercheurs du CalTech, Mike Brown et Konstantin Batyguin, et ce sont des personnes dont la parole a du poids car Mike Brown, spécialiste des objets transnuptoniens, est le scientifique qui a convaincu ses pairs de la logique de la rétrogradation de Pluton, après qu’il ait découvert Eris.

Le premier problème pour aller plus loin c’est que ce contrepoids, étant très loin du soleil, on suppose entre 200 et 1200 « UA » alors que Pluton évolue entre 29 et 49 UA (1 UA égale la distance Terre / Soleil), se déplace très lentement sur une orbite extrêmement longue (on estime à 10.000 à 12.000 ans le temps nécessaire à la parcourir). Le deuxième problème c’est que la quantité de lumière reçue du Soleil à cette distance est extrêmement faible (juste un peu plus que celle d’une grosse étoile) et que la lumière réfléchie vers notre région centrale du système solaire est d’autant plus faible. Le troisième c’est que le volume de l’astre est relativement petit ; on parle d’une planète gazeuse (type Uranus) d’une quinzaine de masses terrestres. Comme les astronomes distinguent les planètes des étoiles par le mouvement relatif de leur image sur la voute céleste, la difficulté pour la repérer est énorme. Enfin il n’est pas du tout sûr qu’il n’y ait qu’un seul astre ; un petit nombre de masses d’une somme égale à cette unique planète et dont les orbites seraient situées du même « côté » du soleil, pourrait aussi « faire l’affaire ».

Alors ?

Nous avons besoin d’un coup de chance, l’occultation d’une étoile répertoriée par exemple, ou encore la détection entre deux clichés, du déplacement infime d’un point de lumière presqu’imperceptible. Ce n’est pas « gagné » mais, si nous n’avons pas ce coup de chance, « on y arrivera » quand même, petit à petit, en détectant les uns après les autres les objets relativement massifs restants de la Ceinture de Kuiper, jusqu’à ce que le schéma des orbites se complète de façon satisfaisante pour l’équilibre général des masses. Le pas le plus récent a été fait en Novembre 2015 par l’identification de « V774104 » (voir image à la Une), un astre de 500 à 1000 km de diamètre (la moitié de Pluton), le plus distant observé à ce jour, à 103 UA du soleil.

A supposer que cette matière soit concentrée dans un seul astre, quel sera son intérêt « touristique »? Faible, car elle sera pratiquement inaccessible à nos fusées les plus puissantes (plusieurs dizaines d’années de voyage). Si on accède à sa surface (s’il est confirmé qu’elle n’est pas gazeuse) on ne pourra pas s’y mouvoir compte tenu d’une gravité beaucoup trop forte sauf si le plus important des « morceaux » de cette masse était de l’ordre de celui de la Terre. Auquel cas on y retrouverait la gravité terrestre mais la température serait inférieure à -200°C et le jour aussi noir que la nuit. Cela dégagerait toutefois une magnifique voûte étoilée.

Les chercheurs du CalTech ont loué du temps d’observation au télescope japonais Subaru situé au sommet du Mont Mauna Kea de l’ile de Hawai. Ils doivent couvrir à peu près un quart de l’orbite présumée de la planète (le segment d’arc le plus lointain). Nous leur adressons tous nos vœux de réussite. En attendant, cette « neuvième planète » restera un objet de discussions avec un contenu de plus en plus précis, donc moins de rêves et de fantasmes.

Image à la une : vue d’artiste de la planète-naine V774104, crédit : NASA/JPL-CalTech

Mars, l’endroit le mieux protégé de l’espace, après la Terre

Les radiations (3/4)

Que se passe-t-il une fois sur Mars?

Lorsque l’on réalise que l’organisme humain accumule les radiations reçues (c’est-à-dire qu’il est durablement impacté par elles), il devient évident que l’homme ne peut, aujourd’hui, supporter de voyages interplanétaires plus longs que quelques mois sans dommages, le premier étant d’être privé de pouvoir répéter ces voyages de nombreuses fois. La durée « normale » d’un trajet jusqu’à Mars, six mois environ, est sans doute le maximum raisonnable. C’est un motif important pour ne pas chercher à mener des missions habitées plus lointaines en l’état actuel de nos technologies.

Mais que se passera-t-il une fois arrivés sur Mars ? On le sait assez bien aujourd’hui directement grâce à l’instrument « RAD » (pour « Radiation Assessment Detector ») embarqué à bord du rover Curiosity et indirectement grâce à l’orbiteur MAVEN (de la NASA) qui étudie actuellement la haute atmosphère martienne (entre 6000 et 125 km).

Le premier fait à noter, mais il est valable pour toutes les planètes où l’on pourrait se poser, c’est que la masse planétaire fait écran à la moitié du rayonnement spatial et, la nuit, à la totalité du rayonnement solaire, puisqu’on a cette masse sous les pieds.

La particularité de Mars est ailleurs, dans son atmosphère (de CO2). Elle est équivalente à une colonne d’un poids d’environ 20 g/cm2 (contre 1 kg/cm2 pour l’atmosphère terrestre). C’est peu mais suffisant pour arrêter les particules énergétiques solaires (« SeP ») d’une énergie inférieure à 150 MeV (en fait les particules “normales”). Attention cependant, il ne faut pas oublier que la densité de l’atmosphère varie avec l’altitude et cela est très sensible sur Mars où elle est ténue. Ainsi la pression passe de 611 pascal (0,006 bar) au niveau moyen (« Datum », équivalent du niveau de la mer), à 1150 pascal au fond du plus profond des bassins d’impact (Hellas) et à 30 pascal seulement au sommet du Mont Olympus (21 km au-dessus du Datum).

Malheureusement la planète Mars, contrairement à la Terre, n’a plus de dynamo interne donc pas de champ magnétique global piégeant une grande partie des radiations les plus énergétiques dans l’équivalent d’une Ceinture de van Allen. Elle dispose tout au plus d’une sorte d’ombrelle, l’onde de choc qu’elle génère par la vitesse de son déplacement par rapport au Soleil et, en dessous, d’une zone de concentration de particules magnétisées et ionisées. Ces voiles percés renforcent un peu mais pas beaucoup le bouclier atmosphérique.

Le résultat de ces conditions contradictoires, c’est qu’à l’altitude du Datum et au niveau de la moelle osseuse de l’homme, les résultats en « dose équivalente » de radiations étalés sur la durée normale d’un séjour sur Mars (18 mois) seraient de 12 rem pour le rayonnement galactique, « GCR », (mais de 18 rem à 12 km d’altitude). Il ne faut pas oublier d’y ajouter les doses équivalentes provenant des tempêtes solaires, les « SPE » (constitués de beaucoup de SeP très denses) mais celles-ci ne se produisent que sporadiquement. Pour exemple, le SPE de février 1956 a produit une dose équivalente de 6,6 rem à l’altitude du Datum (mais de 10 rem à 12 km d’altitude) et celui d’août 72 a produit 3 rem à la même altitude (NB : sur un séjour de 18 mois, il est raisonnable de prévoir deux SPE mais on peut en avoir zéro ou trois). Bien entendu on ne parle pas ici des rayons ultraviolets dont on peut se protéger beaucoup plus facilement (par le tissu épais d’un scaphandre ou la simple coque d’un module habitable transportés depuis la Terre, par exemple).

Si on prend en compte le flux normal de GCR (de 180 à 225 micro Gy/jour), on voit que les doses équivalentes totales reçues pour un séjour de 500 jours à la surface de Mars seraient égales aux doses reçues pendant les deux voyages de 6 mois Terre / Mars et Mars / Terre, un peu plus de 0,3 Sievert. On voit bien que ces quantités sont importantes mais acceptables par rapport au plafond fixé par les règles internationales de 1 à 4 sievert sur une « carrière » selon l’âge et le sexe (et au risque de cancer accru de 3%, seulement, qui en est la base). 

Vu sous un autre angle, on peut dire que les rem reçus en surface de Mars (au Datum), ne sont pas supérieurs à ceux reçus dans l’ISS, avec un bémol cependant, la forte force de pénétration des HZE des GCR (à étudier davantage).

Il ne faut pas oublier par ailleurs que le débit de dose (la quantité reçue pendant une durée déterminée) est aussi important que la dose. Autrement dit, un verre de vodka tous les jours pendant un mois n’a pas la même nocivité que la même quantité ingérée dans une seule soirée. De ce point de vue ce sont surtout les SPE dont il faudra se protéger et cela n’est pas trop difficile.

Il est de toute façon intéressant pour les séjours longs de prévoir des protections plus sérieuses que celles des vêtements ou des coques métalliques des modules habitables. A ce stade il y a deux solutions, le régolite martien ou l’eau martienne. Du fait des radiations secondaires (qui résultent de l’éclatement des noyaux atomiques de numéro atomique élevé, les « HZE ») sous l’impact des radiations primaires, l’épaisseur de régolite doit être beaucoup plus grande que celle de l’eau. Il faudrait 2 mètres de régolite ou 40 cm d’eau pour restituer un environnement radiatif de type terrestre. Mais pour les séjours relativement courts (18 mois, entre deux conjonctions des planètes favorables pour un voyage entre Mars et la Terre) on pourrait se contenter de 20 cm de régolite ou d’une dizaine de cm d’eau qui pourraient réduire déjà de 25% les doses équivalentes. (NB: cette observation implique que le sous-sol immédiat -le premier mètre en tout cas- ne contient pas de vie martienne nocive pour l’homme.)

Pour l’eau, cela tombe bien puisqu’on peut assez facilement en obtenir sur Mars (à partir de l’atmosphère ou à partir du sous-sol qui contient souvent de la glace d’eau, ou même des banquises enterrées en nombreux endroits des zones « tempérées » (sans compter les calottes polaires). Ces boucliers ne seraient pas trop difficiles à réaliser. L’eau pourra être stockée dans des sacs en plastique et, pour « profiter » du régolite, plutôt que de l’excaver et de le transporter, on pourrait aussi creuser des habitats dans des falaises ou équiper des cavernes. Evidemment on ne pourra rester tout le temps sous cette protection lourde mais les déplacements en scaphandre ou dans des véhicules en surface ne seront pas très dangereux compte tenu de leurs durées forcément limitées (on peut toujours envisager de se protéger temporairement davantage en cas de SPE).

Enfin, à l’intérieur des habitats, on pourra porter des vestes anti-radiations du type AstroRad de la société StemRad (voir ici mon article à ce sujet). Cela aurait l’effet positif annexe d’ajouter du poids aux personnes et donc de rendre leur réaccoutumance à la gravité terrestre moins difficile. Accessoirement, ce pourrait même devenir un article de mode!

Il faut bien voir que l’environnement radiatif martien est considérablement moins défavorable que celui des autres astres voisins, notamment de la Lune qui ne bénéficie d’aucune atmosphère (et qui est plus proche du soleil).

Mars peut donc bien être considéré comme l’endroit le plus sûr de l’espace en dehors de la Terre.

Lien : http://authors.library.caltech.edu/42648/1/RAD_Surface_Results_paper_SCIENCE_12nov13_FINAL.pdf

Image à la une : vue d’artiste du CME de Mars 2015. La projection de matière coronale solaire atteint Mars. Crédit NASA Goddard Space Flight Center 

Blog_25_Mesure_radiations_PIA16020_Hassler_1_RAD_Surface_Observations_Updated-br

légende graphe: mesure sur quelques heures, le 7 août 2012, des radiations en surface de Mars par l’instrument RAD à bord de Curiosity. La moyenne (200) est celle prévalant dans l’ISS soit la moitié des doses absorbées dans l’espace profond. Les pics sont provoqués par des impacts d’ions lourds (HZE). 

Credit: NASA/JPL-Caltech/SWRI

Pendant le voyage interplanétaire, le risque radiatif est important mais “gérable”

Les radiations 2/4

Les radiations, doses acceptables et doses réelles

En termes de radiations, il faut distinguer la « dose » et la « dose équivalente ». La première mesure l’énergie absorbée par quantité de matière « touchée ». Son unité est le Gray (Gy) qui est égal à 100 rad (mesure ancienne). La matière touchée de référence est communément l’eau car elle est très proche chimiquement de celle des tissus vivants (abondance d’hydrogène) et elle a le même pouvoir de freinage. La dose équivalente prend en compte un facteur qualitatif (« Q ») fonction du type de particule, évalué lui-même en fonction de son pouvoir de pénétration (“LET” pour Linear energy Transfer”). On la mesure en Sievert (« Sv »), égal à 100 rem (ancienne mesure). A noter que la nocivité d’une dose de radiation est fonction non seulement de la quantité reçue mais aussi de la durée pendant laquelle elle est reçue. La même quantité sera d’autant plus nocive qu’elle est reçue (ou absorbée) dans un laps de temps plus court.

Selon la quantité et la durée d’absorption, les radiations peuvent avoir des effets aigus à court terme ou « seulement » des effets retards (“stochastiques”). Une dose de 2 à 4 Gy sur quelques heures peut être mortelle dans les 20 à 40 jours (effet aigu”). Seuls les SPE (« Solar Particle Event », provenant du Soleil) qui peuvent effectivement durer quelques dizaines de minutes ou quelques heures, sont susceptibles de générer de tels effets aigus, les GCR (« Galactic Cosmic Rays », provenant de notre Galaxie), certes constants, n’étant pas assez intenses. Les effets retards (des SPE comme des GCR) peuvent survenir des mois ou des années après l’absorption. Il peut s’agir de divers troubles organiques, dont des cancers. En 1995, une réglementation sanitaire internationale, au bénéfice de la population des astronautes de la Station Spatiale Internationale (« ISS »), a fixé des limites (“ALARA” pour “as low as readily achievable”) d’exposition cumulée qui, si elles sont dépassées, sont estimées induire un risque de 3% d’augmentation d’apparition ultérieure de cancer (“REID” pour “Risk of exposure Induced Death”):  100 à 400 rem sur une carrière, en fonction de l’âge et du sexe, 50 rem sur un an et 25 rem sur 30 jours (au niveau de la moelle osseuse).

Ces limites sont relativement élevées par rapport à ce que recevrait un astronaute en mission vers Mars, en faisant incidemment remarquer que l’augmentation de 3% du risque d’avoir un cancer pourrait ne pas décourager certains…qui pourraient à l’occasion décider d’arrêter de fumer.

La dose équivalente pendant un aller et retour “normal” Terre / Mars / Terre (deux fois six mois) est estimée à 40 rem (donc seulement 20 rem pour un voyage dans un seul sens) au niveau de la moelle osseuse, sans protection. Mais elle tomberait à 27 rem derrière la protection d’un écran de 15 cm d’eau (donc 14 rem pour un seul voyage) qui arrêterait une grande partie des protons. La dose équivalente résultant d’un seul SPE est nettement plus dangereuse car forte et brève puisqu’elle peut dépasser 1 sievert sans protection (elles atteignent rarement ce niveau). Mais comme on peut se protéger plus facilement des SPE que des éléments énergétiques lourds faisant partie des GCR, c’est-à-dire qu’une même protection serait beaucoup plus efficace puisque les particules sont beaucoup moins énergétiques, un écran d’eau de 15 cm permettrait de réduire la dose équivalente d’un tel SPE à 25 rem. Par ailleurs, leur plus faible énergie (vitesse plus faible des particules SeP) permet de mieux anticiper ces « événements ». Compte tenu de ce que les SPE voyagent sensiblement moins vite que la lumière, un poste d’observation sur Terre ou, mieux, robotique au voisinage de Mercure, pourrait donner un préavis de plusieurs heures aux voyageurs vers Mars et leur permettrait, d’organiser leurs réserves d’eau et de nourriture pour faire bouclier et de se préparer à séjourner dans le caisson protégé. D’autre part les probabilités de souffrir de plus d’un SPE par mission sont très faibles.

L’eau est donc la solution. Pourquoi ? Parce que dans l’eau les radiations particulaires de protons des GCR ou SPE interceptent surtout des atomes d’hydrogène dont le noyau ne possède qu’un proton ce qui rend impossible les radiations secondaires par fragmentation des noyaux (comme dans le cas de heurts d’éléments chimiques lourds) et dispersion de leurs protons et neutrons affectés d’une haute énergie du fait de l’impact. Cela évite du même coup la création de terribles rayons gamma. Pour le voyage vers Mars, il faudrait donc disposer les réserves d’eau et les provisions alimentaires tout autour d’un caisson de sécurité au centre de l’habitat. On atteindra sans problème l’épaisseur souhaitable de 15 cm.

On voit bien que du point de vue des radiations, le voyage vers Mars ne sera pas une « promenade de santé ». Mais on peut penser que chaque astronaute ne fera pas dans sa vie (ou sa « carrière ») un grand nombre de voyages, qu’avec le temps (le développement des technologies de propulsion), les voyages deviendront plus courts (trois mois ?) et que la difficulté de transporter des masses importantes sera moins grande. On peut imaginer la mise en orbite d’un grand vaisseau (comme on en voit au cinéma ?), constitué de plusieurs modules et d’éléments gonflables les enveloppant, remplis d’eau qui servirait de protection et pourrait être utilisée pour la nutrition ou les besoins sanitaires pendant le voyage (à noter que l’eau sale est tout aussi protectrice que l’eau propre !). Par ailleurs, il est intéressant de noter que les GCR sont moins intenses en périodes de forte activité solaire (cycle de onze ans) car pendant ces périodes le bouclier magnétique généré par le soleil est beaucoup plus puissant et protège l’ensemble de son système. Paradoxalement on aura donc intérêt à prendre le risque de faire le voyage pendant ces périodes à partir du moment où l’on disposera d’une bonne provision d’eau (ou de matériau riche en hydrogène tel que le polyéthylène haute densité).

En attendant, il faut pousser notre étude des GCR pour mieux apprécier leurs doses équivalentes. Sur initiative de la Mars Society Switzerland, l’Association Planète Mars (« APM », section française de la Mars society) a proposé la réalisation d’un micro satellite, de type Cubesat (trois unités), « Birdy », dont l’objet est l’étude des radiations sur le chemin de Mars. Modélisée par des étudiants de l’Ecole Centrale de Lille et de l’Université National Cheng Kung (« NCKU ») de Taïwan sous la direction de deux membres de l’APM (Boris Segret, également chercheur à l’Observatoire de Paris, LESIA-ESEP, et Jordan Vannitsen, doctorant à NCKU), cette sonde n’attend maintenant qu’une agence qui accepterait de la réaliser « en vrai » et de la prendre en charge (secondaire) à bord d’un de ses lanceurs vers Mars (elle serait larguée par le vaisseau après qu’il ait quitté l’orbite terrestre).

Lien :

http://icubesat.org/papers/2014-2/2014-a-2-1-birdy-interplanetary-cubesat-to-mars-to-provide-observational-data-at-low-risk/

image à la une : éruption solaire du 18 juin 2015, crédit NASA, Solar Dynamic Observatory

Les radiations, un risque certain mais acceptable (1/4)

Il est bien établi que l’espace est un milieu hostile pour l’homme. Des faits incontestables le confirment mais il ne faut pas en exagérer les dangers, compte tenu de la compréhension que nous en avons et des technologies que nous pouvons utiliser pour les contrer.

Le danger vient d’abord des radiations.

En effet l’espace n’est pas totalement vide. Outre ce que l’on peut y voir, les planètes ou les astéroïdes de toutes tailles (y compris celles qui donnent nos météorites), il y a ce que l’on ne voit pas, les radiations. Elles parcourent l’espace animées d’une grande vitesse (jusqu’à 300.000 km/s) et sont porteuses d’autant plus d’énergie que leur longueur d’onde est courte et / ou que la masse de leurs particules est élevée et leur vitesse est élevée. Les radiations les plus énergétiques sont ionisantes, c’est-à-dire qu’elles sont capables par leur impact d’arracher un ou plusieurs électrons à des atomes ou des molécules. Elles peuvent même fragmenter les molécules ou les noyaux atomiques. Elles créent ainsi des radiations secondaires (rayons X dans le premier cas, rayons gamma dans le second).

Parmi les radiations ionisantes, on distingue essentiellement les émissions électromagnétiques, de hautes fréquences et de très courtes longueurs d’onde (c’est à dire les rayons ultraviolets les plus durs, “c”, les rayons x et les rayons gammas) et les rayonnements particulaires (protons, autres noyaux atomiques ou molécules neutres) émanant du soleil (les “SeP” ou Solar energetic Particles“) ou de l’ensemble de l’Univers (les “GCR” ou Galactic Cosmic Rays). Les radiations électromagnétiques n’ayant pratiquement pas de masse, ce sont les plus rapides (vitesse de la « lumière ») mais celles qui ont les longueurs d’onde les plus grandes (donc toutes les radiations électromagnétiques sauf les rayons X durs et surtout les rayons gamma résultant principalement du choc des radiations hautement énergétiques sur la coque du vaisseau spatial) peuvent être arrêtées relativement facilement par des protections ( l’atmosphère ou la coque du vaisseau spatial); les radiations particulaires et les radiations électromagnétiques “dures” le peuvent d’autant moins qu’elles sont fortement énergétiques (massives et/ou rapides).

Dans l’espace profond de notre système solaire, outre le flux constant de rayonnement électromagnétique solaire et le flux constant de radiations particulaires solaires relativement peu énergétiques, on doit faire face à des flux particulaires plus énergétiques, ceux, constant, des GCR et ceux, relativement rares, des « Solar Particle Events » (« SPE ») qui sont des vents de SeP résultant d’éruptions solaires et qui peuvent durer plusieurs heures. Les SeP sont unidirectionnelles, elles proviennent exclusivement du soleil; les GCR sont isotropes, ils proviennent  de l’ensemble de l’Univers (mais principalement de notre galaxie). Certains SPE sont beaucoup plus intenses que d’autres (les éjections de masse coronale, les « CME », étant les plus violents) mais leurs particules sont moins énergétiques (massives et rapides) que les GCR. Sur un cycle d’activité solaire d’environ onze ans, les SPE sont plus fréquents en phase de forte activité solaire. Pendant ces périodes les GCR, pénètrent moins (jusqu’à un facteur 2) dans le domaine solaire, mieux protégé par la force du bouclier magnétique généré par le soleil. Plus on s’éloigne du soleil moins les SPE sont puissants, les GCR gagnant légèrement en intensité.

Pour mémoire, il existe une troisième source de radiations ionisantes, la Ceinture de Van Allen, qui résulte du champ magnétique terrestre qui enveloppe la planète, généré par sa dynamo interne. Cette ceinture freine une bonne partie des radiations, les piège, les concentre et les rejette. Elle est tout autant nocive mais de faible épaisseur relative. Il faut donc éviter d’y séjourner en s’éloignant trop lentement de la Terre (par exemple à bord de vaisseaux à propulsion continue mais relativement lente, comme ceux qui utilisent la propulsion électrique).

Les GCR sont donc les flux les plus agressifs. Ils sont composés de 98% de noyaux atomiques ionisés et de « HZE » (noyaux atomiques lourds) et de 2% d’électrons (sans importance). Sur les 98%, 88% sont des protons (noyaux d’hydrogène), 10% des noyaux d’hélium et 2% de HZE, jusqu’au fer. Les SPE, peu nombreux, sont très irréguliers. Ils peuvent survenir de zéro à trois fois par cycle solaire. Ils sont constitués (sauf tempêtes solaires très violentes) surtout de protons dont l’énergie est beaucoup plus faible que celle des particules lourdes des GCR (de 1 à une centaine de méga électron volts, « MeV », contre 500 à 1000 MeV par nucléon de GCR).

Disons le tout de suite, lors d’un vol dans l’espace profond (au-delà de la ceinture de van Allen), on peut se protéger relativement bien des radiations électromagnétiques et des SeP ou des protons des GCR mais on ne se protège pratiquement pas des éléments lourds des GCR (HZE) et des rayons gamma.

Mais avant de vous dire comment on peut « limiter les dégâts », il faut parler des doses totales reçues. Ce sont finalement elles qui par leur force constituent le vrai danger, plus que l’énergie des particules individuelles dont elles sont constituées. Peu de particules très énergétiques sont en effet moins redoutables que beaucoup de particules d’énergie moyenne (on parle d’intensité des radiations). Ce sera l’objet de mon prochain billet.

Image à la une : NASA, Sources of ionizing radiations in interplanetary Space, illustration du 30 Mai 2013.