Pendant le voyage interplanétaire, le risque radiatif est important mais “gérable”

Les radiations 2/4

Les radiations, doses acceptables et doses réelles

En termes de radiations, il faut distinguer la « dose » et la « dose équivalente ». La première mesure l’énergie absorbée par quantité de matière « touchée ». Son unité est le Gray (Gy) qui est égal à 100 rad (mesure ancienne). La matière touchée de référence est communément l’eau car elle est très proche chimiquement de celle des tissus vivants (abondance d’hydrogène) et elle a le même pouvoir de freinage. La dose équivalente prend en compte un facteur qualitatif (« Q ») fonction du type de particule, évalué lui-même en fonction de son pouvoir de pénétration (“LET” pour Linear energy Transfer”). On la mesure en Sievert (« Sv »), égal à 100 rem (ancienne mesure). A noter que la nocivité d’une dose de radiation est fonction non seulement de la quantité reçue mais aussi de la durée pendant laquelle elle est reçue. La même quantité sera d’autant plus nocive qu’elle est reçue (ou absorbée) dans un laps de temps plus court.

Selon la quantité et la durée d’absorption, les radiations peuvent avoir des effets aigus à court terme ou « seulement » des effets retards (“stochastiques”). Une dose de 2 à 4 Gy sur quelques heures peut être mortelle dans les 20 à 40 jours (effet aigu”). Seuls les SPE (« Solar Particle Event », provenant du Soleil) qui peuvent effectivement durer quelques dizaines de minutes ou quelques heures, sont susceptibles de générer de tels effets aigus, les GCR (« Galactic Cosmic Rays », provenant de notre Galaxie), certes constants, n’étant pas assez intenses. Les effets retards (des SPE comme des GCR) peuvent survenir des mois ou des années après l’absorption. Il peut s’agir de divers troubles organiques, dont des cancers. En 1995, une réglementation sanitaire internationale, au bénéfice de la population des astronautes de la Station Spatiale Internationale (« ISS »), a fixé des limites (“ALARA” pour “as low as readily achievable”) d’exposition cumulée qui, si elles sont dépassées, sont estimées induire un risque de 3% d’augmentation d’apparition ultérieure de cancer (“REID” pour “Risk of exposure Induced Death”):  100 à 400 rem sur une carrière, en fonction de l’âge et du sexe, 50 rem sur un an et 25 rem sur 30 jours (au niveau de la moelle osseuse).

Ces limites sont relativement élevées par rapport à ce que recevrait un astronaute en mission vers Mars, en faisant incidemment remarquer que l’augmentation de 3% du risque d’avoir un cancer pourrait ne pas décourager certains…qui pourraient à l’occasion décider d’arrêter de fumer.

La dose équivalente pendant un aller et retour “normal” Terre / Mars / Terre (deux fois six mois) est estimée à 40 rem (donc seulement 20 rem pour un voyage dans un seul sens) au niveau de la moelle osseuse, sans protection. Mais elle tomberait à 27 rem derrière la protection d’un écran de 15 cm d’eau (donc 14 rem pour un seul voyage) qui arrêterait une grande partie des protons. La dose équivalente résultant d’un seul SPE est nettement plus dangereuse car forte et brève puisqu’elle peut dépasser 1 sievert sans protection (elles atteignent rarement ce niveau). Mais comme on peut se protéger plus facilement des SPE que des éléments énergétiques lourds faisant partie des GCR, c’est-à-dire qu’une même protection serait beaucoup plus efficace puisque les particules sont beaucoup moins énergétiques, un écran d’eau de 15 cm permettrait de réduire la dose équivalente d’un tel SPE à 25 rem. Par ailleurs, leur plus faible énergie (vitesse plus faible des particules SeP) permet de mieux anticiper ces « événements ». Compte tenu de ce que les SPE voyagent sensiblement moins vite que la lumière, un poste d’observation sur Terre ou, mieux, robotique au voisinage de Mercure, pourrait donner un préavis de plusieurs heures aux voyageurs vers Mars et leur permettrait, d’organiser leurs réserves d’eau et de nourriture pour faire bouclier et de se préparer à séjourner dans le caisson protégé. D’autre part les probabilités de souffrir de plus d’un SPE par mission sont très faibles.

L’eau est donc la solution. Pourquoi ? Parce que dans l’eau les radiations particulaires de protons des GCR ou SPE interceptent surtout des atomes d’hydrogène dont le noyau ne possède qu’un proton ce qui rend impossible les radiations secondaires par fragmentation des noyaux (comme dans le cas de heurts d’éléments chimiques lourds) et dispersion de leurs protons et neutrons affectés d’une haute énergie du fait de l’impact. Cela évite du même coup la création de terribles rayons gamma. Pour le voyage vers Mars, il faudrait donc disposer les réserves d’eau et les provisions alimentaires tout autour d’un caisson de sécurité au centre de l’habitat. On atteindra sans problème l’épaisseur souhaitable de 15 cm.

On voit bien que du point de vue des radiations, le voyage vers Mars ne sera pas une « promenade de santé ». Mais on peut penser que chaque astronaute ne fera pas dans sa vie (ou sa « carrière ») un grand nombre de voyages, qu’avec le temps (le développement des technologies de propulsion), les voyages deviendront plus courts (trois mois ?) et que la difficulté de transporter des masses importantes sera moins grande. On peut imaginer la mise en orbite d’un grand vaisseau (comme on en voit au cinéma ?), constitué de plusieurs modules et d’éléments gonflables les enveloppant, remplis d’eau qui servirait de protection et pourrait être utilisée pour la nutrition ou les besoins sanitaires pendant le voyage (à noter que l’eau sale est tout aussi protectrice que l’eau propre !). Par ailleurs, il est intéressant de noter que les GCR sont moins intenses en périodes de forte activité solaire (cycle de onze ans) car pendant ces périodes le bouclier magnétique généré par le soleil est beaucoup plus puissant et protège l’ensemble de son système. Paradoxalement on aura donc intérêt à prendre le risque de faire le voyage pendant ces périodes à partir du moment où l’on disposera d’une bonne provision d’eau (ou de matériau riche en hydrogène tel que le polyéthylène haute densité).

En attendant, il faut pousser notre étude des GCR pour mieux apprécier leurs doses équivalentes. Sur initiative de la Mars Society Switzerland, l’Association Planète Mars (« APM », section française de la Mars society) a proposé la réalisation d’un micro satellite, de type Cubesat (trois unités), « Birdy », dont l’objet est l’étude des radiations sur le chemin de Mars. Modélisée par des étudiants de l’Ecole Centrale de Lille et de l’Université National Cheng Kung (« NCKU ») de Taïwan sous la direction de deux membres de l’APM (Boris Segret, également chercheur à l’Observatoire de Paris, LESIA-ESEP, et Jordan Vannitsen, doctorant à NCKU), cette sonde n’attend maintenant qu’une agence qui accepterait de la réaliser « en vrai » et de la prendre en charge (secondaire) à bord d’un de ses lanceurs vers Mars (elle serait larguée par le vaisseau après qu’il ait quitté l’orbite terrestre).

Lien :

http://icubesat.org/papers/2014-2/2014-a-2-1-birdy-interplanetary-cubesat-to-mars-to-provide-observational-data-at-low-risk/

image à la une : éruption solaire du 18 juin 2015, crédit NASA, Solar Dynamic Observatory

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.