Les radiations, un risque certain mais acceptable (1/4)

Il est bien établi que l’espace est un milieu hostile pour l’homme. Des faits incontestables le confirment mais il ne faut pas en exagérer les dangers, compte tenu de la compréhension que nous en avons et des technologies que nous pouvons utiliser pour les contrer.

Le danger vient d’abord des radiations.

En effet l’espace n’est pas totalement vide. Outre ce que l’on peut y voir, les planètes ou les astéroïdes de toutes tailles (y compris celles qui donnent nos météorites), il y a ce que l’on ne voit pas, les radiations. Elles parcourent l’espace animées d’une grande vitesse (jusqu’à 300.000 km/s) et sont porteuses d’autant plus d’énergie que leur longueur d’onde est courte et / ou que la masse de leurs particules est élevée et leur vitesse est élevée. Les radiations les plus énergétiques sont ionisantes, c’est-à-dire qu’elles sont capables par leur impact d’arracher un ou plusieurs électrons à des atomes ou des molécules. Elles peuvent même fragmenter les molécules ou les noyaux atomiques. Elles créent ainsi des radiations secondaires (rayons X dans le premier cas, rayons gamma dans le second).

Parmi les radiations ionisantes, on distingue essentiellement les émissions électromagnétiques, de hautes fréquences et de très courtes longueurs d’onde (c’est à dire les rayons ultraviolets les plus durs, “c”, les rayons x et les rayons gammas) et les rayonnements particulaires (protons, autres noyaux atomiques ou molécules neutres) émanant du soleil (les “SeP” ou Solar energetic Particles“) ou de l’ensemble de l’Univers (les “GCR” ou Galactic Cosmic Rays). Les radiations électromagnétiques n’ayant pratiquement pas de masse, ce sont les plus rapides (vitesse de la « lumière ») mais celles qui ont les longueurs d’onde les plus grandes (donc toutes les radiations électromagnétiques sauf les rayons X durs et surtout les rayons gamma résultant principalement du choc des radiations hautement énergétiques sur la coque du vaisseau spatial) peuvent être arrêtées relativement facilement par des protections ( l’atmosphère ou la coque du vaisseau spatial); les radiations particulaires et les radiations électromagnétiques “dures” le peuvent d’autant moins qu’elles sont fortement énergétiques (massives et/ou rapides).

Dans l’espace profond de notre système solaire, outre le flux constant de rayonnement électromagnétique solaire et le flux constant de radiations particulaires solaires relativement peu énergétiques, on doit faire face à des flux particulaires plus énergétiques, ceux, constant, des GCR et ceux, relativement rares, des « Solar Particle Events » (« SPE ») qui sont des vents de SeP résultant d’éruptions solaires et qui peuvent durer plusieurs heures. Les SeP sont unidirectionnelles, elles proviennent exclusivement du soleil; les GCR sont isotropes, ils proviennent  de l’ensemble de l’Univers (mais principalement de notre galaxie). Certains SPE sont beaucoup plus intenses que d’autres (les éjections de masse coronale, les « CME », étant les plus violents) mais leurs particules sont moins énergétiques (massives et rapides) que les GCR. Sur un cycle d’activité solaire d’environ onze ans, les SPE sont plus fréquents en phase de forte activité solaire. Pendant ces périodes les GCR, pénètrent moins (jusqu’à un facteur 2) dans le domaine solaire, mieux protégé par la force du bouclier magnétique généré par le soleil. Plus on s’éloigne du soleil moins les SPE sont puissants, les GCR gagnant légèrement en intensité.

Pour mémoire, il existe une troisième source de radiations ionisantes, la Ceinture de Van Allen, qui résulte du champ magnétique terrestre qui enveloppe la planète, généré par sa dynamo interne. Cette ceinture freine une bonne partie des radiations, les piège, les concentre et les rejette. Elle est tout autant nocive mais de faible épaisseur relative. Il faut donc éviter d’y séjourner en s’éloignant trop lentement de la Terre (par exemple à bord de vaisseaux à propulsion continue mais relativement lente, comme ceux qui utilisent la propulsion électrique).

Les GCR sont donc les flux les plus agressifs. Ils sont composés de 98% de noyaux atomiques ionisés et de « HZE » (noyaux atomiques lourds) et de 2% d’électrons (sans importance). Sur les 98%, 88% sont des protons (noyaux d’hydrogène), 10% des noyaux d’hélium et 2% de HZE, jusqu’au fer. Les SPE, peu nombreux, sont très irréguliers. Ils peuvent survenir de zéro à trois fois par cycle solaire. Ils sont constitués (sauf tempêtes solaires très violentes) surtout de protons dont l’énergie est beaucoup plus faible que celle des particules lourdes des GCR (de 1 à une centaine de méga électron volts, « MeV », contre 500 à 1000 MeV par nucléon de GCR).

Disons le tout de suite, lors d’un vol dans l’espace profond (au-delà de la ceinture de van Allen), on peut se protéger relativement bien des radiations électromagnétiques et des SeP ou des protons des GCR mais on ne se protège pratiquement pas des éléments lourds des GCR (HZE) et des rayons gamma.

Mais avant de vous dire comment on peut « limiter les dégâts », il faut parler des doses totales reçues. Ce sont finalement elles qui par leur force constituent le vrai danger, plus que l’énergie des particules individuelles dont elles sont constituées. Peu de particules très énergétiques sont en effet moins redoutables que beaucoup de particules d’énergie moyenne (on parle d’intensité des radiations). Ce sera l’objet de mon prochain billet.

Image à la une : NASA, Sources of ionizing radiations in interplanetary Space, illustration du 30 Mai 2013.

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.