Compte tenu des contraintes exposées dans mon blog la semaine dernière et de nos capacités technologiques, l’installation de l’homme sur Mars au-delà de la première base devra suivre un cheminement assez prévisible. Je lance ici quelques pistes.
Logiquement, la première préoccupation sera le choix d’une localisation ; en fonction de cette localisation, on devra concevoir un plan de développement de la Colonie sur la base d’une organisation logistique aussi efficiente, fiable, et économe en moyens que possible. Sur ces prémices viendra l’importation progressive (en fonction de l’augmentation de la population et du déploiement de son activité) des réacteurs nucléaires (de type Megapower) générateurs d’électricité. Une fois l’énergie disponible, on pourra développer toute une arborescence d’activités.
Il s’agira d’extraire des matières premières puis de les transformer en produits semi-finis puis en produits finis en utilisant notamment (mais évidemment pas seulement) les imprimantes 3D et toutes sortes de logiciels conçus sur Terre ou sur Mars. Il faudra construire et équiper toutes sortes de locaux de production, certains pressurisés et viabilisés, d’autres, non (fours à verre ou fonderies de métaux par exemple). Il faudra aussi construire toujours plus d’habitats privatifs, à faible volume viabilisé unitaire (inutile d’exagérer !) et de dômes sociaux, et importer/construire/produire avec de plus en plus de « part locale » des équipements (électricité, climatisation, plomberie, ameublement, robots nettoyeurs) pour ces habitats et ces dômes. Il faudra construire et équiper des relais tout au long des routes conduisant « ailleurs » pour servir d’abris ou de dépôts d’équipements urgents et d’oxygène en cas de panne des véhicules. Il faudra aussi produire et recycler les gaz respirables, contrôler en permanence la pression, la composition, la pureté bactériologique de l’atmosphère des locaux viabilisés. Il faudra extraire la glace d’eau, la transporter, la stocker, la distribuer, la recycler. Il faudra construire des serres pour végétaux et des réservoirs à spirulines, à poissons ou à crevettes, et bien sûr contrôler et piloter la croissance de tous ces êtres vivants destinés à la consommation des êtres humains, puis en faire la récolte, préparer les aliments avec certaines exigences organoleptiques et les stocker bien conservés, recycler les déchets y compris les excréments humains (toutes les molécules organiques seront précieuses). Il faudra cultiver des plantes fibreuses ou utiliser les débris végétaux de plantes comestibles, pour produire des vêtements et des chaussures (…et recycler les déchets !). Il faudra construire et viabiliser des couloirs pour joindre les habitats, les dômes et les locaux de production. Il faudra développer des réseaux d’antennes de télécommunications pour émettre et capter les émissions terrestres ou planétaires relayées par une demi-douzaine de satellites géostationnaires (l’atmosphère martienne trop ténue, avec une ionosphère insuffisante, réfléchit très mal les ondes hertziennes). Enfin il faudra évidemment prendre soin des êtres humains, les soigner, physiquement et mentalement, donc développer non seulement, et autant que possible, une industrie pharmaceutique locale (on pourra très longtemps importer des médicaments de la Terre car leur rapport masse / efficacité est très faible) mais aussi former certains d’entre les résidents aux meilleures pratiques médicales.
Tout au long de ce processus, des hommes, très qualifiés dans toutes disciplines, et toutes les machines qui ne peuvent être produites sur Mars (la totalité au début, de moins en moins ensuite) devront être importés de la Terre ; des habitats, des serres, divers dômes fonctionnels construits. On aura donc, en même temps, la création de nouvelles branches d’activités à partir du tronc commun de l’énergie. Et le « fonctionnel », les branches, partant du tronc commun, n’empêcheront pas la « floraison », c’est à dire les activités non strictement nécessaires au fonctionnement de la colonie. Elles devront au contraire la favoriser dans la mesure où toutes ces activités « superflues » du strict point de vue de la survie des hommes, seront indispensables pour donner une finalité à la Colonie et aussi pour générer des revenus qui lui permettront de persister, de commercer avec la Terre (c’est-à-dire non seulement importer mais aussi exporter), de prospérer et éventuellement de pouvoir devenir autonome vis-à-vis d’elle (sans nécessairement qu’elle le devienne). Il y aura bien sûr parmi ces « fleurs », de la recherche scientifique provenant de la nécessité de connaître la planète sur laquelle on vivra, mais aussi des sciences déconnectées de cette nécessité et dont la croissance sera simplement mais fortement suscitée puis soutenue par le désir ou le besoin de savoir ou le plaisir de créer. Mars pourrait, par exemple, être un lieu privilégié pour l’astronomie.
NB : La Terre, planète où l’on privilégie (ou du moins l’on accepte) la poursuite de la croissance de la population en dépit de la surpopulation évidente et quoi qu’il en coûte, et où l’on ne réagit pas assez vigoureusement au laisser-aller écologique, risque fort de voir son environnement naturel réduit à quelques réserves, aux souvenirs et aux symboles. Que restera-t-il de la forêt amazonienne dans cent ans ? que restera-t-il des dernières tortues marines ou des baleines quand la masse de déchets plastiques flottants aura été multipliée par 10 ? Vers quels autres animaux encore sauvages se tourneront les tenants de traditions idiotes en mal de virilité, quand les derniers pangolins ou les derniers rhinocéros auront été massacrés ? Enfin que restera-t-il des possibilités d’explorer le ciel immense depuis la Terre quand des multitudes de constellations de satellites en orbite basse, comme malheureusement celles d’Elon Musk, auront obscurci notre ciel ?
On peut concevoir que des télescopes gigantesques utilisant toute la gamme des rayonnements électromagnétiques (la faible atmosphère n’empêchera aucun d’entre eux d’arriver jusqu’au sol à la différence de ce qu’on doit accepter sur Terre) et de vastes réseaux d’antennes ou de capteurs pour intercepter toutes sortes de rayonnements soient installés, comme sur Terre les réseaux SKA ou ALMA ou encore les installations LIGO/VIRGO ou IceCube. Sur Mars, les conditions désertiques (à l’atmosphère ténue, sèche et relativement stable) sont favorables, le ciel est clair comme en haute altitude sur Terre, la gravité est moindre et donc les larges structures résistent plus facilement à leur poids. Ces grands télescopes et ces vastes réseaux de capteurs pourront travailler en interférométrie avec/ou simplement en complément des instruments des observatoires terrestres. L’avantage des observatoires martiens sur les observatoires spatiaux viendra du fait que leurs installations pourront être plus puissantes que dans l’espace (assemblages plus facile sur un sol planétaire que dans l’espace de plus nombreux miroirs primaires ou antennes de plus grandes tailles, par exemple) et aussi du fait qu’ils seront plus facilement réparables (beaucoup de nos télescopes spatiaux meurent simplement de ne pouvoir être réapprovisionnés en liquide cryogénique et on a vu combien il a été difficile de corriger la myopie de Hubble).
En ce qui concerne la localisation, je vois bien une chaîne de « nodules » de colonies dans des sites d’altitude et de latitude aussi basses que possible (pour la densité de l’atmosphère et l’illumination constante tous les jours tout au long de l’année), à proximité de gisements de glace d’eau et de telle ou telle matière première en plus des sources « atmosphère » et « poussière » omniprésentes. Je rappelle que l’atmosphère de CO2 sera source de carbone et d’oxygène et que la poussière qui résulte d’un brassage planétaire de particules arrachées au sol par le vent, sera source d’une grande variété de minéraux et facile d’exploitation (le prélèvement est plus facile que l’extraction). L’autre intérêt de la multiplicité des nodules sera de pouvoir exploiter à partir de chacun d’eux, un territoire de surface proportionnée à sa population et donc de limiter les transports de matière première sur longues distances qui seront toujours difficiles (coût de l’infrastructure pour une population limitée répartie sur une surface immense). Il faudra cependant une possibilité de communication physique entre les différents nodules et comme mode de transport j’imagine bien un « ring » d’« hyperloop » autour de la planète. Quand Elon Musk a proposé au Monde en 2013 ce système en « open-source », il avait certainement en tête cette utilisation, particulièrement bien adaptée à l’environnement martien puisque la densité atmosphérique martienne est très faible, que les distances à parcourir seront très grandes et qu’il sera très difficile d’utiliser des avions ou des dirigeables (possible peut-être pour des masses très réduites et donc utilisable pour la recherche robotisée mais pas, ou très marginalement, pour le transport des personnes).
En ce qui concerne l’urbanisme des nodules, je vois bien un plan concentrique afin d’éviter les trop grandes distances à parcourir. Car il faudra toujours économiser l’énergie et éviter les sorties (maniement délicat des sas, pertes d’atmosphère, difficultés et risques inhérents au port des combinaisons) et l’on se déplacera donc, si on le peut, dans des couloirs pressurisés. Ce plan concentrique comprendra, outre les linéaires de modules habitat + serres + segment de couloir (intégrés comme proposé par Richard Heidmann), les dômes sociaux dont je parlais, répartis et dupliqués de telle sorte que si un accident arrive dans l’un d’entre eux (météorites, contamination, dépressurisation) ou simplement si on décide de le fermer pour entretien ou rénovation, on puisse utiliser les autres. Donc, outre les modules centraux, il y aura des modules périphériques et les liaisons se feront aussi bien par couloirs circulaires (pour desservir les lignes d’habitats et de serres) que par couloirs radiaux pour passer d’une ligne circulaire à l’autre et accéder aux dômes. Il faudra aussi limiter la taille des implantations pour pouvoir les gérer au mieux et pour pouvoir y circuler à pied sans difficulté. On peut imaginer, constituant chaque nodule, des unités circulaires d’environ un millier d’habitants reliées entre elles. Une dizaine de telles unités circulaires se recoupant l’une l’autre au niveau de leurs deux derniers cercles extérieurs, avec dômes sociaux aux intersections, et disposées elles-mêmes en cercle, comme des pétales, constituerait une taille satisfaisante (mais la taille maximum sera aussi fonction des ressources naturelles disponibles à proximité). Outre les pétales, on peut imaginer un hub central (peut-être enterré pour assurer une meilleure protection contre les radiations en cas de besoin) auquel convergent des couloirs radiaux venant de chaque pétale*, mais la communication de toute façon possible d’un pétale à l’autre permettrait éventuellement de se passer du hub. Si une cité risque de dépasser la taille optimum, on en construira une autre dans laquelle on pourra se rendre par hyperloop à partir de toutes et par rover pressurisé à partir de la plus proche.
NB:*avant de publier mon article je réalise que cette forme d’organisation circulaire en « pétales » ressemble un peu aux premiers fossiles d’êtres vivants métazoaires (multiplicité organisée et fonctionnelle d’êtres unicellulaires) identifiés sur Terre, à Franceville au Gabon (“Gaboniata”) et qui date de 2,1 milliards d’années. Le parallélisme me semble intéressant car il peut confirmer la logique de la proposition.
L’ensemble de la Colonie, au travers de ses multiples nodules devra aussi disposer d’un « système nerveux ». Pour servir l’ensemble de la population, assurer les télécommunications avec la Terre, stocker les données indispensables au fonctionnement de l’informatique sans souffrir du “time-lag” avec la Terre, commander à une multitude de robots (manque de main d’œuvre, danger de travailler à l’extérieur, nombre de capteurs, recherche dans divers domaines, astronomie, conservatoire des connaissances humaines), l’infrastructure informatique devra être très importante. Il faudra donc des équipements de réseaux informatiques, émetteurs et récepteurs, serveurs, datacenters, avec redondances et pièces de rechange stockées dans chaque nodule car une panne signifierait réellement la mort. C’est pour cela (mais pas seulement) qu’il ne devrait pas y avoir de « capitale » de la Colonie, ni de « président » auquel toute prise de décision remonterait. Compte tenu des risques divers (épidémie, météorite, déficience d’un satellite servant de relais de télécommunication, etc…) la plus grande autonomie d’administration devra être laissée à chaque nodule (et la collégialité pour la prise de décisions à l’intérieur de chaque nodule). Cela n’empêchera évidemment pas que la coopération et la concertation entre eux soient la règle.
Au-delà de ces pistes et remarques, comment imaginer plus précisément une colonie d’un million d’habitants ?! On peut rêver, il faut rêver et je souhaite que nos descendants parviennent à la construire un jour et à y vivre mais pour y parvenir il faut d’abord construire la première base. A partir de là, tout sera possible.
Image ci-dessous : unité d’habitat privatif, selon Richard Heidmann (crédit Richard Heidmann). Vous voyez dans la partie haute, l’habitat proprement dit sur deux niveaux, en dessous le segment de corridor qui permet de joindre l’unité aux autres (en ligne, de part et d’autre), et devant, les serres pour la croissance de végétaux comestibles. La protection contre les radiations est donnée par la couverture du toit et la visière devant la fenêtre frontale. L’épaisseur de la glace est de 40 cm, la structure est en verre et en acier produits sur Mars.
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Index L’appel de Mars 20 03 27
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