Colonisation à grande échelle de la planète Mars ; quelques idées de développement (2)

Compte tenu des contraintes exposées dans mon blog la semaine dernière et de nos capacités technologiques, l’installation de l’homme sur Mars au-delà de la première base devra suivre un cheminement assez prévisible. Je lance ici quelques pistes.

Logiquement, la première préoccupation sera le choix d’une localisation ; en fonction de cette localisation, on devra concevoir un plan de développement de la Colonie sur la base d’une organisation logistique aussi efficiente, fiable, et économe en moyens que possible. Sur ces prémices viendra l’importation progressive (en fonction de l’augmentation de la population et du déploiement de son activité) des réacteurs nucléaires (de type Megapower) générateurs d’électricité. Une fois l’énergie disponible, on pourra développer toute une arborescence d’activités.

Il s’agira d’extraire des matières premières puis de les transformer en produits semi-finis puis en produits finis en utilisant notamment (mais évidemment pas seulement) les imprimantes 3D et toutes sortes de logiciels conçus sur Terre ou sur Mars. Il faudra construire et équiper toutes sortes de locaux de production, certains pressurisés et viabilisés, d’autres, non (fours à verre ou fonderies de métaux par exemple). Il faudra aussi construire toujours plus d’habitats privatifs, à faible volume viabilisé unitaire (inutile d’exagérer !) et de dômes sociaux, et importer/construire/produire avec de plus en plus de « part locale » des équipements (électricité, climatisation, plomberie, ameublement, robots nettoyeurs) pour ces habitats et ces dômes. Il faudra construire et équiper des relais tout au long des routes conduisant « ailleurs » pour servir d’abris ou de dépôts d’équipements urgents et d’oxygène en cas de panne des véhicules. Il faudra aussi produire et recycler les gaz respirables, contrôler en permanence la pression, la composition, la pureté bactériologique de l’atmosphère des locaux viabilisés. Il faudra extraire la glace d’eau, la transporter, la stocker, la distribuer, la recycler. Il faudra construire des serres pour végétaux et des réservoirs à spirulines, à poissons ou à crevettes, et bien sûr contrôler et piloter la croissance de tous ces êtres vivants destinés à la consommation des êtres humains, puis en faire la récolte, préparer les aliments avec certaines exigences organoleptiques et les stocker bien conservés, recycler les déchets y compris les excréments humains (toutes les molécules organiques seront précieuses). Il faudra cultiver des plantes fibreuses ou utiliser les débris végétaux de plantes comestibles, pour produire des vêtements et des chaussures (…et recycler les déchets !). Il faudra construire et viabiliser des couloirs pour joindre les habitats, les dômes et les locaux de production. Il faudra développer des réseaux d’antennes de télécommunications pour émettre et capter les émissions terrestres ou planétaires relayées par une demi-douzaine de satellites géostationnaires (l’atmosphère martienne trop ténue, avec une ionosphère insuffisante, réfléchit très mal les ondes hertziennes). Enfin il faudra évidemment prendre soin des êtres humains, les soigner, physiquement et mentalement, donc développer non seulement, et autant que possible, une industrie pharmaceutique locale (on pourra très longtemps importer des médicaments de la Terre car leur rapport masse / efficacité est très faible) mais aussi former certains d’entre les résidents aux meilleures pratiques médicales.

Tout au long de ce processus, des hommes, très qualifiés dans toutes disciplines, et toutes les machines qui ne peuvent être produites sur Mars (la totalité au début, de moins en moins ensuite) devront être importés de la Terre ; des habitats, des serres, divers dômes fonctionnels construits. On aura donc, en même temps, la création de nouvelles branches d’activités à partir du tronc commun de l’énergie. Et le « fonctionnel », les branches, partant du tronc commun, n’empêcheront pas la « floraison », c’est à dire les activités non strictement nécessaires au fonctionnement de la colonie. Elles devront au contraire la favoriser dans la mesure où toutes ces activités « superflues » du strict point de vue de la survie des hommes, seront indispensables pour donner une finalité à la Colonie et aussi pour générer des revenus qui lui permettront de persister, de commercer avec la Terre (c’est-à-dire non seulement importer mais aussi exporter), de prospérer et éventuellement de pouvoir devenir autonome vis-à-vis d’elle (sans nécessairement qu’elle le devienne). Il y aura bien sûr parmi ces « fleurs », de la recherche scientifique provenant de la nécessité de connaître la planète sur laquelle on vivra, mais aussi des sciences déconnectées de cette nécessité et dont la croissance sera simplement mais fortement suscitée puis soutenue par le désir ou le besoin de savoir ou le plaisir de créer. Mars pourrait, par exemple, être un lieu privilégié pour l’astronomie.

NB : La Terre, planète où l’on privilégie (ou du moins l’on accepte) la poursuite de la croissance de la population en dépit de la surpopulation évidente et quoi qu’il en coûte, et où l’on ne réagit pas assez vigoureusement au laisser-aller écologique, risque fort de voir son environnement naturel réduit à quelques réserves, aux souvenirs et aux symboles. Que restera-t-il de la forêt amazonienne dans cent ans ? que restera-t-il des dernières tortues marines ou des baleines quand la masse de déchets plastiques flottants aura été multipliée par 10 ? Vers quels autres animaux encore sauvages se tourneront les tenants de traditions idiotes en mal de virilité, quand les derniers pangolins ou les derniers rhinocéros auront été massacrés ? Enfin que restera-t-il des possibilités d’explorer le ciel immense depuis la Terre quand des multitudes de constellations de satellites en orbite basse, comme malheureusement celles d’Elon Musk, auront obscurci notre ciel ?

On peut concevoir que des télescopes gigantesques utilisant toute la gamme des rayonnements électromagnétiques (la faible atmosphère n’empêchera aucun d’entre eux d’arriver jusqu’au sol à la différence de ce qu’on doit accepter sur Terre) et de vastes réseaux d’antennes ou de capteurs pour intercepter toutes sortes de rayonnements soient installés, comme sur Terre les réseaux SKA ou ALMA ou encore les installations LIGO/VIRGO ou IceCube. Sur Mars, les conditions désertiques (à l’atmosphère ténue, sèche et relativement stable) sont favorables, le ciel est clair comme en haute altitude sur Terre, la gravité est moindre et donc les larges structures résistent plus facilement à leur poids. Ces grands télescopes et ces vastes réseaux de capteurs pourront travailler en interférométrie avec/ou simplement en complément des instruments des observatoires terrestres. L’avantage des observatoires martiens sur les observatoires spatiaux viendra du fait que leurs installations pourront être plus puissantes que dans l’espace (assemblages plus facile sur un sol planétaire que dans l’espace de plus nombreux miroirs primaires ou antennes de plus grandes tailles, par exemple) et aussi du fait qu’ils seront plus facilement réparables (beaucoup de nos télescopes spatiaux meurent simplement de ne pouvoir être réapprovisionnés en liquide cryogénique et on a vu combien il a été difficile de corriger la myopie de Hubble).

En ce qui concerne la localisation, je vois bien une chaîne de « nodules » de colonies dans des sites d’altitude et de latitude aussi basses que possible (pour la densité de l’atmosphère et l’illumination constante tous les jours tout au long de l’année), à proximité de gisements de glace d’eau et de telle ou telle matière première en plus des sources « atmosphère » et « poussière » omniprésentes. Je rappelle que l’atmosphère de CO2 sera source de carbone et d’oxygène et que la poussière qui résulte d’un brassage planétaire de particules arrachées au sol par le vent, sera source d’une grande variété de minéraux et facile d’exploitation (le prélèvement est plus facile que l’extraction). L’autre intérêt de la multiplicité des nodules sera de pouvoir exploiter à partir de chacun d’eux, un territoire de surface proportionnée à sa population et donc de limiter les transports de matière première sur longues distances qui seront toujours difficiles (coût de l’infrastructure pour une population limitée répartie sur une surface immense). Il faudra cependant une possibilité de communication physique entre les différents nodules et comme mode de transport j’imagine bien un « ring » d’« hyperloop » autour de la planète. Quand Elon Musk a proposé au Monde en 2013 ce système en « open-source », il avait certainement en tête cette utilisation, particulièrement bien adaptée à l’environnement martien puisque la densité atmosphérique martienne est très faible, que les distances à parcourir seront très grandes et qu’il sera très difficile d’utiliser des avions ou des dirigeables (possible peut-être pour des masses très réduites et donc utilisable pour la recherche robotisée mais pas, ou très marginalement, pour le transport des personnes).

En ce qui concerne l’urbanisme des nodules, je vois bien un plan concentrique afin d’éviter les trop grandes distances à parcourir. Car il faudra toujours économiser l’énergie et éviter les sorties (maniement délicat des sas, pertes d’atmosphère, difficultés et risques inhérents au port des combinaisons) et l’on se déplacera donc, si on le peut, dans des couloirs pressurisés. Ce plan concentrique comprendra, outre les linéaires de modules habitat + serres + segment de couloir (intégrés comme proposé par Richard Heidmann), les dômes sociaux dont je parlais, répartis et dupliqués de telle sorte que si un accident arrive dans l’un d’entre eux (météorites, contamination, dépressurisation) ou simplement si on décide de le fermer pour entretien ou rénovation, on puisse utiliser les autres. Donc, outre les modules centraux, il y aura des modules périphériques et les liaisons se feront aussi bien par couloirs circulaires (pour desservir les lignes d’habitats et de serres) que par couloirs radiaux pour passer d’une ligne circulaire à l’autre et accéder aux dômes. Il faudra aussi limiter la taille des implantations pour pouvoir les gérer au mieux et pour pouvoir y circuler à pied sans difficulté. On peut imaginer, constituant chaque nodule, des unités circulaires d’environ un millier d’habitants reliées entre elles. Une dizaine de telles unités circulaires se recoupant l’une l’autre au niveau de leurs deux derniers cercles extérieurs, avec dômes sociaux aux intersections, et disposées elles-mêmes en cercle, comme des pétales, constituerait une taille satisfaisante (mais la taille maximum sera aussi fonction des ressources naturelles disponibles à proximité). Outre les pétales, on peut imaginer un hub central (peut-être enterré pour assurer une meilleure protection contre les radiations en cas de besoin) auquel convergent des couloirs radiaux venant de chaque pétale*, mais la communication de toute façon possible d’un pétale à l’autre permettrait éventuellement de se passer du hub. Si une cité risque de dépasser la taille optimum, on en construira une autre dans laquelle on pourra se rendre par hyperloop à partir de toutes et par rover pressurisé à partir de la plus proche.

NB:*avant de publier mon article je réalise que cette forme d’organisation circulaire en « pétales » ressemble un peu aux premiers fossiles d’êtres vivants métazoaires (multiplicité organisée et fonctionnelle d’êtres unicellulaires) identifiés sur Terre, à Franceville au Gabon (“Gaboniata”) et qui date de 2,1 milliards d’années. Le parallélisme me semble intéressant car il peut confirmer la logique de la proposition.

L’ensemble de la Colonie, au travers de ses multiples nodules devra aussi disposer d’un « système nerveux ». Pour servir l’ensemble de la population, assurer les télécommunications avec la Terre, stocker les données indispensables au fonctionnement de l’informatique sans souffrir du “time-lag” avec la Terre, commander à une multitude de robots (manque de main d’œuvre, danger de travailler à l’extérieur, nombre de capteurs, recherche dans divers domaines, astronomie, conservatoire des connaissances humaines), l’infrastructure informatique devra être très importante. Il faudra donc des équipements de réseaux informatiques, émetteurs et récepteurs, serveurs, datacenters, avec redondances et pièces de rechange stockées dans chaque nodule car une panne signifierait réellement la mort. C’est pour cela (mais pas seulement) qu’il ne devrait pas y avoir de « capitale » de la Colonie, ni de « président » auquel toute prise de décision remonterait. Compte tenu des risques divers (épidémie, météorite, déficience d’un satellite servant de relais de télécommunication, etc…) la plus grande autonomie d’administration devra être laissée à chaque nodule (et la collégialité pour la prise de décisions à l’intérieur de chaque nodule). Cela n’empêchera évidemment pas que la coopération et la concertation entre eux soient la règle.

Au-delà de ces pistes et remarques, comment imaginer plus précisément une colonie d’un million d’habitants ?! On peut rêver, il faut rêver et je souhaite que nos descendants parviennent à la construire un jour et à y vivre mais pour y parvenir il faut d’abord construire la première base. A partir de là, tout sera possible.

Image ci-dessous : unité d’habitat privatif, selon Richard Heidmann (crédit Richard Heidmann). Vous voyez dans la partie haute, l’habitat proprement dit sur deux niveaux, en dessous le segment de corridor qui permet de joindre l’unité aux autres (en ligne, de part et d’autre), et devant, les serres pour la croissance de végétaux comestibles. La protection contre les radiations est donnée par la couverture du toit et la visière devant la fenêtre frontale. L’épaisseur de la glace est de 40 cm, la structure est en verre et en acier produits sur Mars.

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Index L’appel de Mars 20 03 27

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La cité-état martienne d’un million d’habitants n’est pas pour demain (1)

La Mars Society américaine a lancé pour 2020 un concours pour distinguer les meilleures propositions de faisabilité d’une « cité-état » martienne d’un million d’habitants. Je n’y participerai pas, à la différence de ce que j’ai fait l’année dernière avec Richard Heidmann (Association Planète Mars) et Tatiana Volkova en 2019 (EPFL) pour le concours portant sur l’établissement d’une première base d’un millier d’habitants. En effet l’objectif me parait trop lointain, c’est-à-dire qu’avant que la faisabilité d’une telle cité-état se pose réellement, les technologies nécessaires pour la développer vont évoluer, en fonction notamment de la concrétisation de la première phase. Il me semble que nous devons laisser ce projet grandiose aux générations futures et nous consacrer entièrement à la « première marche ». La monter nous permettra d’envisager la suite qui, pour l’instant, n’est que science-fiction.

J’évoque cependant ce concours pour mettre en évidence les contraintes (cette semaine) et lancer quelques idées concernant ce futur lointain (la semaine prochaine).

Les contraintes sont faciles à présenter car on connaît bien les nécessités du voyage et assez bien l’environnement martien. Elles résultent de la distance de Mars (au Soleil et à la Terre), de sa géologie (histoire planétaire, structure et composition géologique) et du fait qu’elle souffre de ne disposer d’eau et d’atmosphère qu’en quantités certes non négligeables mais limitées.

Le problème des distances a trois conséquences, l’irradiance au niveau de l’orbite de Mars, les transports entre la Terre et Mars et le décalage de temps (« time-lag ») dans les télécommunications. L’irradiance de 492 à 715 W /m2 dont bénéficie l’orbite de Mars est un peu inférieure à la moitié de celle qui est constatée au niveau de l’orbite terrestre (1321 à 1413 W/m2) et elle varie fortement en raison de l’excentricité de l’orbite de Mars (0,093 contre 0,017 pour la Terre). Cela a des conséquences pour l’utilisation de l’énergie solaire. On ne peut pas négliger cet apport « naturel »; il faut l’utiliser, mais on ne peut s’en contenter. Il faut penser bien entendu à la production d’énergie pour les besoins multiples d’une activité humaine, pour les serres utilisées pour la production d’aliments, mais aussi pour le chauffage des habitats. On en aura besoin surtout la nuit où la température descend très vite à -120°C mais même pendant le jour où la température est le plus souvent légèrement négative (dans la zone intertropicale) et pendant les tempêtes de poussière qui peuvent être globales et durer plusieurs semaines.

La distance entre les deux planètes restera toujours la même, de 56 à 400 millions de km, et l’optimum de masse utile sur énergie dépensée impliquera toujours un voyage de 6 à 9 mois pour parcourir un arc de quelques 600 millions de km pour franchir la distance de 400 millions de km en ligne droite. On pourra aller un peu plus vite (4 mois ?) surtout si on arrive à mettre au point des vaisseaux à accélération continue (propulsion nucléaire, ou photonique) mais en mode propulsion chimique toute accélération impliquera plus d’énergie et donc moins de masse utile transportée (sans oublier que la montée en orbite terrestre devra toujours se faire en propulsion chimique). Enfin on ne va pas « s’amuser » à partir d’une planète pour tenter de rejoindre l’autre en dehors de la période favorable du cycle synodique et la conjonction favorable ne se présente que tous les 26 mois. Il en sera toujours ainsi. Donc les voyages Mars – Terre – Mars resteront longs, chers, peu fréquents (comparés aux voyages autour des globes terrestre ou martien) et les volumes transportés seront toujours limités. Dernier « détail » qui renforcera l’isolement relatif, les voyageurs seront plus exposés aux radiations pendant le voyage que pendant leur séjour ou leur vie sur Mars (et bien sûr, sur la Terre). Par conséquent personne ne « s’amusera » non plus à faire une multitude de voyages. Trois ou quatre dans une vie seront suffisants si l’on veut conserver un bon capital santé (surtout si l’on choisit de vivre sur Mars où les doses de radiation reçues seront de toute façon plus élevées que sur Terre). Il n’y aura pas de « carrière » de pilote-de-ligne interplanétaire.

Le time-lag n’empêchera pas les contacts fréquents entre les deux planètes mais il aura pour conséquence des difficultés sérieuses de communication (délais minimums de 3 à 22 minutes pour faire parvenir un message et donc de 5 à 44 minutes pour obtenir une réponse) ce qui gênera considérablement les échanges en direct avec la Terre et l’utilisation des serveurs informatiques terrestres.

Le sol et l’atmosphère de Mars présentent beaucoup d’avantages en tant que ressources potentielles et c’est pour cela qu’on peut envisager de les utiliser pour produire sur place tout ce dont un établissement martien aura besoin (« ISRU » pour « In Situ Resources Utilization ») comme l’a recommandé Robert Zubrin. Et il faudra pouvoir le faire aussi vite que possible et de plus en plus pour que la croissance d’un tel établissement ne cesse, faute de pouvoir mobiliser suffisamment de capacités de transports Terre/Mars pour fournir aux résidents les biens de premières nécessités ou simplement les pièces de rechanges dont ils auront besoin. A cet effet, on peut compter disposer des mêmes éléments chimiques sur Mars que sur Terre mais pas tout à fait de la même minéralogie.

NB : Mars a été constituée ou plutôt accrétée, à partir des mêmes gaz, des mêmes poussières puis des mêmes astéroïdes et planétoïdes que la Terre. Ces éléments et les constituants des astéroïdes et planétoïdes ont ensuite évolué au sein d’un milieu planétaire (gravité, densité chaleur) dans une minéralogie comparable à celle de la Terre primitive. Le fer et les métaux sidérophiles, plus lourds, sont descendus au cœur de la planète très malléable (pour ne pas dire liquide) des origines. Il y a eu ainsi un étagement des constituants, couche après couche, jusqu’aux éléments les plus légers en surface, principalement la silice. Bien sûr l’homogénéité n’a jamais été parfaite mais la tendance s’est affirmée avec le temps, avec les brassages convectifs dus à la chaleur dans le globe planétaire visqueux. Cette imperfection tenait notamment à l’afflux périodique et fréquent des astéroïdes et planétoïdes qui rajoutaient de la diversité en surface (en même temps que leur énergie cinétique qui se convertissait en chaleur dans l’ensemble du globe). Puis, alors que la croûte se solidifiait, est intervenu le Grand Bombardement Tardif (LHB), vers -4 milliards d’années. Cet épisode de notre histoire commune a permis aux deux planètes un enrichissement important en minéraux lourds accessibles (les métaux) et aussi en eau car les deux planètes, Mars et la Terre, avaient été formées en deçà de la ligne de glace et donc comportaient à l’origine peu d’éléments volatils libres (les gaz et l’eau primitifs étant solidement liés chimiquement à d’autres éléments). Sans doute y avait-il jusque-là une tectonique des plaques primitives, des morceaux de croûtes se formant en surface et sombrant de temps en temps dans les couches inférieurs magmatiques pour y être refondues et transformées. Puis, au fur et à mesure que la croûte se généralisait en surface et s’épaississait, le volcanisme se manifesta de plus en plus violemment, permettant au magma de percer la croûte pour libérer les tensions qu’il subissait, enrichissant par la même occasion l’atmosphère (notamment en souffre et en gaz carbonique). Au centre, compte tenu de la chaleur et de la densité, un noyau solide entouré d’un noyau liquide générait par rotation différentielle et frottement, un champ magnétique globale. C’est notre histoire commune.

A partir de là l’histoire planétologique diverge, évidemment progressivement. Les planètes continuent toutes deux à se refroidir et la croûte à épaissir mais la Terre dix fois plus massive et se refroidissant, de ce seul fait, moins vite, amorce une tectonique des plaques horizontales qui continue à ce jour alors que la croûte de Mars épaissit très vite et que son magma trop visqueux ne permit pas la généralisation du phénomène (il a peut-être été ébauché). La Terre restant pleinement active, créa à sa surface (et continue à créer) une minéralogie extrêmement diversifiée à laquelle une atmosphère importante et riche, ainsi que l’eau liquide toujours présente, contribuent rapidement et abondamment (produisant en abondance, carbonates, sulfates, oxydes, argiles…) et à laquelle au bout d’un certain temps se joint la vie, dans un océan profond et très accueillant pour ne pas dire très facilitateur.

La minéralogie de Mars est, en fin de compte, moins riche que celle de la Terre et il sera sans doute un peu plus difficile d’exploiter les éléments que cette évolution très tôt ralentie puis stoppée vers -3,5 milliards d’années a permis (par exemple probablement moins de filons de certains métaux, ces concentrations résultant de l’action de l’eau aussi bien que du volcanisme ; peu de carbonates, pas de charbon, pas de pétrole).

Les carences actuelles en eau et en atmosphère posent une autre contrainte pour le développement d’une colonie humaine de grande taille. Certes Mars possède de l’eau et une atmosphère, ténue mais non négligeable, beaucoup plus que la Lune, mais autant il semble possible de les utiliser pour une population de petite taille, autant les colonies à grande échelle (plus de quelques milliers d’habitants et a fortiori un million !) posent des problèmes qui dépassent nos capacités technologiques d’aujourd’hui. L’eau, que l’on trouve dans le sol sous forme de glace, doit être extraite, transportée, puis après usage, recyclée. Cela peut-être fait et cela sera fait mais ce sera toujours coûteux en énergie et l’abondance de la ressource sera toujours limitée et inégalement répartie à la surface du globe. On peut imaginer un recyclage presque total y compris des eaux « noires » mais ce ne sera pas pour tout de suite (va-t-on pouvoir recycler plus que ce qu’on recycle aujourd’hui dans l’ISS et va-t-on récupérer l’eau contenue dans les cadavres humains ?). De toute façon les molécules d’eau que l’on aura fait éclater pour en extraire de l’oxygène et de l’hydrogène pour utiliser ces deux éléments séparément et éventuellement les lier à d’autres dans des processus chimiques divers (production d’éthylène par exemple), seront perdues en tant que molécules d’eau. Donc il y aura des pertes, donc un besoin de renouvellement d’approvisionnement (avec arbitrage entre coût du recyclage marginal et coût de la nouvelle ressource). Et l’obtenir de façon acceptable quantitativement et économiquement sera long et difficile. Pour l’atmosphère, le problème ne sera pas tant l’oxygène que l’on obtiendra assez facilement à partir de l’eau ou du gaz carbonique, mais bien plus la faible pression et la faible quantité d’azote (relativement et en absolu). La pression forcera à limiter en taille les grandes structures pressurisées en surface puisque plus la structure est grande, plus la pression interne (on choisira sans doute 500 millibars) qui s’exerce vers un environnement extérieur quasi vide (pression atmosphérique moyenne sur Mars, 6 millibars), est difficile à contenir. Actuellement, au-delà des champs d’habitats linéaires et de faible volume unitaire reliés par des couloirs, imaginés par Richard Heidmann, on peut envisager des dômes hémisphériques de 30 mètres de diamètre en structure géodésique mais ces dômes (comme l’a calculé Richard Heidmann) devraient être ancrés dans des fondations en duricrete (équivalent martien du bêton) de 2 mètres d’épaisseur contre 1 mètre pour les dômes de 20 mètres. L’alternative serait d’habiter de vastes cavernes. Certes on le fera certainement mais à quelle échelle ? Il faudrait en creuser, en dehors des quelques cavernes naturelles qu’on pourra trouver et aménager, mais il me semble difficile d’envisager de faire vivre des dizaines de milliers de personnes (un millions ?!) dans des cavernes (on le fera sans doute pour l’excellente protection contre les radiations qu’elles procureront, mais on le fera marginalement). L’autre problème est la rareté de l’azote (2% d’une atmosphère dont la pression au sol est de 6 millibars en moyenne). Un gaz neutre sera indispensable dans la composition de l’air respirable des bulles viabilisées, parce que ni l’homme ni les plantes ne peuvent durablement respirer de l’oxygène pur (risque d’hyperoxie) et que les habitats où la proportion d’oxygène serait trop élevée, risqueraient à tout moment des incendies « définitifs ». Il faut donc oublier les vastes halls avec hauteur sous-plafond démesurée et quasi vides (comme ceux que certains de nos concurrents ont proposés dans le premier concours pour une base de 1000 habitants. C’est de la science-fiction.

Le troisième problème qui résultera de la faible densité atmosphérique, pour un établissement important sur Mars, encore plus que pour la première base, c’est les communications physiques entre les habitants. Il sera impossible de circuler à l’air libre sans protection et circuler avec protection sera possible mais compliqué, gênant et dangereux (dépressurisation et asphyxie). Cela aura beaucoup de conséquences !

Il faut bien voir que, compte tenu de ces diverses contraintes, certaines régions de Mars ne seront pas colonisables. Ce sont les zones trop sèches, trop froides à certaines saisons (les hautes latitudes et les pôles !), ou d’altitude trop élevée car l’atmosphère est rapidement plus ténue au fur et à mesure que l’on s’élève. Au sommet du Mont Olympus, 21 km au-dessus du Datum (altitude moyenne), on est quasiment dans l’espace (pression atmosphérique 0,3 millibars) mais déjà dans les hautes terres du Sud (plus de 50% de la surface de la planète) la pression atmosphérique est évidemment inférieure à la moyenne de 6 millibars. On recherchera toujours à minimiser les dépenses énergétiques.

Compte tenu de ces contraintes, je donnerai la semaine prochaine quelques pistes sur les possibilités de structures et d’organisation de colonies importantes sur Mars (plusieurs dizaines de milliers d’habitants, voire davantage).

Illustration de titre: Base Alpha, sur Mars, crédit SpaceX.

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Index L’appel de Mars 20 03 17

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Le plan d’Elon Musk pour coloniser la planète Mars

Je passe cette semaine la parole à Robert Zubrin qui vient de faire dans un texte magistral publié par la National Review, l’exposé le plus clair que j’ai lu sur la faisabilité de l’établissement de l’homme sur Mars. Selon lui (et je partage totalement ce point de vue), cette faisabilité repose sur le désir d’individus volontaires et capables, dont principalement Elon Musk, et sur l’esprit de Liberté. C’est cette combinaison qui a permis par la créativité, l’innovation sans entraves, le travail et la création de richesses propres, la réalisation du rêve américain. Et c’est cette même combinaison qui permettra l’ouverture sur Mars d’une nouvelle « frontière » pour l’humanité. Contrairement à ce que beaucoup croient, ce ne peut pas être les décisions des dirigeants des Etats aux commandes de lourdes bureaucraties car ils sont contraints par des procédures collectives, et des préoccupations électoralistes (auxquelles ils se soumettent volontiers car leur but est de se faire élire puis le plus souvent de rester au pouvoir), à l’indécision et au désir de « faire plaisir à tout le monde ». La démonstration, frappante, de cet état de fait est exposée par la comparaison entre le développement du programme Starship d’Elon Musk et celui du programme SLS de la NASA.

Elon Musk’s Plan to Settle Mars
par le Dr. Robert Zubrin

publié dans la National Review le 22/02/20

(traduction Pierre Brisson)

La semaine dernière, ma femme Hope et moi nous sommes rendus à Boca Chica, au Texas, pour rencontrer Elon Musk. Pendant que nous parlions à l’intérieur du siège local de SpaceX, un groupe de mariachis jouait à l’extérieur, offrant un divertissement à de longues files de personnes faisant la queue pour postuler à plusieurs catégories d’emplois. Les centaines déjà embauchées travaillaient dans le complexe. Il y en aura bientôt des milliers.

Musk appelle son projet « Starship » (vaisseau des étoiles). C’est une fusée à deux étages propulsée au méthane/oxygène, en acier inoxydable, avec une capacité de charge utile égale à la Saturn V, celle qui a envoyé les astronautes d’Apollo sur la Lune. La Saturn V, cependant, était « consommable » (i.e. non réutilisable), chaque unité étant détruite lors de son unique utilisation. Le Starship sera, lui, entièrement réutilisable, comme un avion de ligne, et il promet donc une réduction radicale des coûts de transport de charge utile.

La capacité du Starship doit encore être démontrée. Pourtant, voici Musk qui ne construit pas seulement le premier vaisseau expérimental pour « prouver le concept » mais, comme nous l’avons vu le lendemain, un centre de production aérospatiale et une flotte. Est-il fou? Selon les critères conventionnels de l’industrie aérospatiale, il l’est certainement. Mais il y a une logique dans sa folie.

Je connais Musk depuis environ deux décennies maintenant. En 2001, j’étais parmi ceux qui l’ont aidé à le convaincre de faire de Mars son objectif. Son plan est basé dans une large mesure sur mon propre travail qui est généralement connu sous le nom de « plan Mars Direct ». Publié en 1990 et élaboré en détail en 1996 dans mon livre The Case for Mars, Mars Direct a constitué une rupture radicale avec les précédentes réflexions de la NASA sur la façon dont les missions humaines sur Mars pourraient être menées. Mais le plan de Musk basé sur son Starship est encore plus radical.

A l’exception d’une période dans les années 1990 où la NASA, sous la direction de Mike Griffin, son administrateur associé pour l’exploration, adopta une version quelque peu diluée de Mars Direct, l’agence spatiale est restée dans un paradigme présenté par Wernher von Braun, selon plusieurs variations, entre 1948 et 1969. D’après ce paradigme, on devrait d’abord construire des stations orbitales qui seraient utilisées comme plates-formes pour la construction en orbite de vaisseaux spatiaux interplanétaires géants utilisant des systèmes de propulsion avancés, qui voyageraient depuis l’orbite de la Terre (ou selon la politique actuelle et de manière plus absurde, depuis l’orbite lunaire) vers l’orbite de Mars. Quittant ces vaisseaux-pères orbitaux, de petites navettes de débarquement emporteraient des équipages jusqu’à la surface martienne pour « planter le drapeau », laisser quelques empreintes, puis revenir en orbite après un court séjour.

Au contraire, les plans Mars-Direct et Starship utilisent tous les deux le vol direct, de l’orbite terrestre à la surface de Mars, avec retour direct de la surface de Mars à la Terre en utilisant comme ergols le méthane et l’oxygène produits sur la planète rouge à partir de matière locale. Les deux plans écartent tout besoin d’infrastructure orbitale, de construction orbitale, de vaisseaux-pères interplanétaires, de petites navettes de débarquement ou de propulsion avancée. Les deux impliquent des séjours de longue durée sur Mars dès la toute première mission. Pour les deux, l’objectif principal de la mission n’est pas de voler jusqu’à Mars mais d’y accomplir quelque chose de sérieux.

Mais il y a une différence. Dans Mars Direct, le modeste véhicule de retour sur Terre et le module d’habitation de l’équipage sont libérés tous les deux par le lanceur qui les place en orbite, atterrissant sur la Planète-rouge avec une masse combinée, habitat plus charge utile, d’environ 40 tonnes. Dans le plan de Musk, un Starship est mis en orbite terrestre puis ravitaillé en carburant par six vaisseaux pétroliers, après quoi le vaisseau entier est piloté jusqu’à Mars, déposant une masse habitat-plus-charge-utile pouvant atteindre 200 tonnes. Ainsi, alors que le plan Mars-Direct pourrait envoyer des équipages de « seulement » quatre à six astronautes à la fois sur la planète rouge, un Starship pourrait en prendre en charge 50 ou même plus.

Le plan de Musk offre plus de capacités que Mars-Direct, mais cette capacité a un prix. Plus précisément, si on veut faire revenir l’équipage, on devra faire le plein d’ergols d’un Starship qui en a besoin d’environ 1.000 tonnes. Dans le plan Mars-Direct, le véhicule de retour sur Terre beaucoup plus modeste envoyé sur la planète rouge avant l’équipage n’a besoin que de 100 tonnes. La puissance énergétique nécessaire installée en surface de Mars et les autres besoins qu’il faudra satisfaire pour les opérations du Starship représentent un facteur dix fois plus élevé que ceux nécessaires pour réaliser une mission Mars Direct.

On devra donc construire à l’avance une base importante à l’aide de plusieurs Starships envoyés sur Mars, en sens « aller » uniquement et chargés de nombreux équipements de base avec une surface équivalente à dix terrains de football de panneaux solaires et des robots pour tout installer. Ce n’est qu’après que tout cela sera mis en place que le Starship transportant le premier équipage pourra arriver. Cela rend le système sous-optimal pour l’exploration. Mais l’exploration n’est pas ce que Musk a en tête.

Si Mars Direct peut être comparé à une version évolutive du programme Apollo, le plan de Musk serait à comparer au D-Day. Musk a besoin d’une flotte. Il crée donc un « chantier naval » pour construire une flotte. Mais pourquoi construire une flotte avant de tester ne serait-ce qu’un seul vaisseau ? Il y a plusieurs raisons. La première est que Musk veut être prêt à encaisser des pertes. Lorsque le premier Starship sera prêt pour son premier vol d’essai, il en aura trois ou quatre autres déjà construits et « sur le pont », prêts à être modifiés pour corriger tout ce qui aurait pu causer l’échec du premier. Son principe : lancez, échouez, réparez, recommencez, jusqu’à ce que cela fonctionne, puis continuez à lancer, en améliorant la charge utile et en réduisant le temps de rotation, en faisant progresser les performances, vol par vol, férocement.

Mais il y a une autre raison pour construire une flotte. C’est pour rendre le Starship bon marché. La NASA a construit cinq navettes spatiales sur une période de douze ans, chacune coûtant plusieurs milliards de dollars. Musk crée un centre de construction conçu pour produire à terme des Starships à la cadence de 50 ou plus par an. Cela peut sembler fou, mais ce n’est pas impossible. En 1944, les États-Unis fabriquaient des porte-avions d’escorte au rythme d’un par semaine. Des dizaines d’équipes distinctes travaillaient simultanément, chacune sur sa propre partie du navire pendant quelques jours avant de passer le travail à l’équipe suivante. Si Musk met en place un dispositif semblable avec un effectif de 3.000 personnes, cela signifiera des coûts de main-d’œuvre de l’ordre de 6 millions de dollars par vaisseau, ou de 15 à 20 millions de dollars chacun en incluant les matériaux et l’avionique.

S’il peut obtenir des coûts aussi bas, alors une fois que la base martienne sera opérationnelle, avec des capacités d’agriculture sous serre et de production industrielle croissantes, les vaisseaux transportant chacun 100 passagers pourront voler jusqu’à Mars et y rester, si nécessaire, pour fournir un logement, à un coût par passager de moins de 200.000 $. Fixons donc le prix du billet à 300.000 $ – la valeur nette d’une maison de taille et de conforts moyens, soit environ sept ans de salaire pour un Américain moyen. A l’époque coloniale, des travailleurs acharnés prenaient leur billet pour l’Amérique en échange de sept ans de travail. C’est un prix que beaucoup de gens peuvent payer – et ont payé – quand ils veulent vraiment « se bouger ». Ce qu’il faut simplement en plus, c’est notre mère Liberté pour accueillir les immigrées. Si elle les attend là-bas, ils viendront et prospéreront grâce à leur créativité.

Sur ce dernier point, Musk et moi sommes d’accord. Il est peu probable qu’une colonie sur une autre planète soit en mesure de réaliser un profit en exportant quelque produit matériel que ce soit vers la Terre. Les coûts de transport seront tout simplement trop élevés et les chiffres des « business-plans » basés sur de tels concepts n’auraient aucun sens. Mais la propriété intellectuelle est une tout autre chose puisqu’elle peut être transmise sur des distances interplanétaires presque gratuitement. La valeur la plus élevée que des données peuvent avoir est celle qui peut être contenue dans un brevet. Une colonie sur Mars sera composée d’une population techniquement extrêmement capable dans un environnement pionnier où les personnes seront libres d’innover et même contraintes d’innover. Ce sera comme l’Amérique du XIXe siècle, mais bien plus encore, une véritable cocotte-minute pour l’innovation. Comme l’historien Frederick Jackson Turner l’a souligné dans son célèbre essai « La signification de la frontière dans l’histoire américaine » (1982), une situation analogue a fait de la jeune Amérique le berceau de la culture la plus inventive de tous les temps, l’ingéniosité « yankee » apportant au monde les bienfaits de l’électricité, des bateaux à vapeur, des télégraphes, de machines diverses permettant des économies de main-d’œuvre, de l’enregistrement sonore, des ampoules électriques, des téléphones, des centrales électriques – et peu après qu’il ait écrit son essai, des avions et de la production en série des automobiles. Ainsi, pour répondre à ses besoins, l’ingéniosité martienne, fortement motivée et non-bureaucratique, devrait produire des avancées révolutionnaires dans la robotique, l’intelligence artificielle, les organismes génétiquement modifiés, la biologie de synthèse et dans de nombreux autres domaines. Ces inventions, créées pour répondre aux nécessités de Mars, pourraient faire l’objet de brevets qui seront commercialisés sur Terre, apportant aux Martiens les revenus nécessaires pour financer les importations de systèmes complexes, qui à la différence des matériaux en vrac comme la nourriture, les tissus, les carburants, l’acier, l’aluminium, le verre et le plastique, pourraient être trop difficiles à réaliser ou produire sur Mars, du moins pour un certain temps.

A l’heure présente, Musk se focalise sur la création de son centre de construction aérospatiale, une tâche qu’il considère comme beaucoup plus importante que celle de simplement perfectionner son Starship. Mais il y a beaucoup plus de problèmes que Musk devra résoudre pour que tout cela fonctionne. Le remplissage en orbite des réservoirs de propergols cryogéniques n’a pas encore été démontré et la technologie de production de propergols in situ sur Mars, certes bien comprise, n’est toujours pas prête à être utilisée. Les Starships revenant de Mars seront confrontés à des barrières thermiques beaucoup plus fortes que les véhicules qui reviennent simplement de l’orbite terrestre (NdT : vitesse plus élevée). La protection thermique légère qui suffit dans le second cas peut ne pas fonctionner dans le premier. Les panaches d’échappement des très lourds Starships pourraient créer des cratères dangereux lors des atterrissages sur Mars, obligeant Musk à adopter plutôt un plan de type Mars Direct, utilisant des véhicules plus petits, peut-être des mini-Starships à partir d’un grand-Starship en orbite terrestre. Je crois que cette considération, combinée à la très grande puissance énergétique requise pour faire le plein d’un grand-Starship sur la planète rouge, pourrait finalement l’obliger à développer une version miniature du Starship. Un tel «Mini» pourrait être porté jusqu’à l’orbite terrestre par un grand Starship, puis séparer de ce dernier pour terminer la mission sur le modèle Mars Direct, permettant au grand-Starship de retourner sur Terre pour être à nouveau mis en orbite en l’espace de quelques jours. Le Mini pourrait également être lancé indépendamment, comme étage supérieur réutilisable du Falcon 9, déjà opérationnel, de SpaceX, donnant ainsi à la société une capacité de lancement de charges moyennes, entièrement réutilisable. Musk préfère tout faire avec un seul design. Nous verrons s’il peut s’en tirer.

Le budget de fonctionnement de la NASA est plus de dix fois supérieur à celui de la société SpaceX de Musk qui cependant est en train de la dépasser rapidement en performance. Le lanceur de charges lourdes très en retard de l’agence spatiale, actuellement connu sous le nom de SLS, était une conception raisonnable pour un « booster » qu’on pouvait extrapoler rapidement à partir de la navette, lorsqu’il a été proposé pour la première fois en 1988. Mais il arrive maintenant une génération trop tard, avec moins de capacité d’emport de charge utile que le Starship et un coût environ 50 fois supérieur par vol. La NASA dit qu’elle est engagée dans un effort de type « tout le monde sur le pont » pour faire atterrir des astronautes sur la Lune vers  2024, mais il y a peu de chances qu’elle y parvienne car elle a imaginé un plan hyper-complexe impliquant d’abord la construction d’une station spatiale en orbite lunaire et ensuite en ayant recours à quatre lancements, cinq éléments de vol et six opérations de rendez-vous par mission. Bien que cette approche offre l’avantage politique de faire bénéficier du programme le plus grand nombre d’acteurs possible, l’opérabilité du plan est extrêmement discutable.

La conception de la mission martienne de la NASA est encore pire. Elle implique de loger un énorme « DST » (« Deep Space Transport » soit : « Système de transport dans l’espace profond ») sur la station spatiale en orbite lunaire, puis d’envoyer le DST vers une autre station spatiale qui, selon l’agence, doit être construite en orbite autour de Mars. Le temps de transit de l’orbite lunaire à l’orbite de Mars pour ce système futuriste est de 300 jours dans chaque sens – près de deux fois ce dont les rovers Spirit et Opportunity ont eu besoin pour faire le voyage de la Terre à la planète rouge en  2003. De plus, contrairement à Spirit et Opportunity, le DST ne devrait pas atterrir sur Mars.

Si on veut explorer ou s’installer sur Mars, on doit atterrir sur Mars. Le but du plan DST cependant, n’est ni l’exploration ni l’installation de l’homme sur Mars, c’est de dépenser. Plutôt que d’offrir le chemin le plus simple et le plus efficace vers la planète rouge, l’architecture DST propose le chemin le plus complexe, afin de fournir des « justifications » (N.B : et non des « raisons ») pour autant de nouveaux programmes de développement technologique que possible.

L’approche de Musk est tout le contraire. Le programme de la NASA est axé sur la satisfaction des fournisseurs. Le sien est déterminé par l’objectif. Il ne cherche pas à justifier les dépenses par un ensemble de technologies « potentiellement utiles ». Il veut que son programme se fasse avec le moins possible de nouveaux développements. Son attitude est « Montrez-moi pourquoi j’en ai besoin ». Il se peut qu’il pousse cela un peu loin. Comme indiqué, je pense qu’il serait sage de développer un Mini-Starship pour réduire les besoins en énergie pour produire sur Mars le carburant de retour sur Terre. Il n’est pas d’accord. « Démontre le moi », dit-il. Nos conclusions sur ce point divergent, mais j’aime vraiment la façon dont il pense.

C’est le genre de réflexion qui peut nous amener sur Mars.

Robert Zubrin

Fin de traduction.

Je reprends la plume pour faire observer que l’épanouissement du génie ingénieurial et organisationnel (pour les vaisseaux) d’Elon Musk dans la direction de Mars, n’aurait pas été possible sans le génie ingénieurial et concepteur (pour l’architecture de mission) de Robert Zubrin. Les deux sont de fortes personnalités qui ne s’embarrassent pas de paradigmes anciens et qui ont pu exprimer leur potentiel créateur grâce à la liberté intellectuelle, administrative et financière qu’offre malgré tout encore, les Etats-Unis d’Amérique.

La société de ce pays est, en dépit d’une évolution bureaucratique négative et de pressions écologiques extrémistes de plus en plus en fortes, toujours tournée vers l’avenir, portée par l’esprit d’innovation et d’aventure. « Last but not least », la multiplicité des centres de décisions et des concurrents, donc la responsabilité de chacun, stimule plus efficacement que dans la plupart des autres pays, la recherche de l’efficacité dans l’économie des moyens. La Suisse ouverte à la concurrence mondiale et disposant à la fois des moyens financiers et des compétences technologiques est évidemment un cas à part, où la liberté a encore comme aux Etats-Unis, beaucoup de latitude, mais avec des moyens quand même plus limités. Et il lui manque peut-être l’esprit d’aventure américain qu’expriment si bien Robert Zubrin et Elon Musk !

Pierre Brisson

lien vers l’article en Anglais de Robert Zubrin, tel que publié dans la National Review:

https://www.nationalreview.com/2020/02/mars-elon-musk-plan-to-settle-red-planet/

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Index L’appel de Mars 23 02 19

Compte tenu de la pandémie de coronavirus covid-19, l'”événement” martien prévu le 24 mars à Lausanne dans les locaux du Temps, a été reporté. Il n’est en effet pas raisonnable de s’exposer et d’exposer les autres à une contagion.

Je souhaite à mes lecteurs de traverser sans dommage cette épreuve. Elle aura démontré que sur notre vaisseau spatial Terre, nous sommes de fait solidaires et que nous devons nous comporter en conséquence.

La prolifération microbienne posera sur Mars des problèmes semblables à ceux qu’elle a posés jadis sur l’Ile de Pâques…

…mais il sera moins difficile d’y faire face !

En ces temps où le covid-19 étend son empire sur le monde, il me semble intéressant d’attirer l’attention sur la situation où se trouvait l’Île de Pâques, « Rapa Nui* » pour ses indigènes aujourd’hui, à l’époque pas si lointaine (jusqu’en 1967) où l’île n’avait pas d’aéroport. Elle illustre bien les problèmes de propagation des contaminations et les problèmes auxquels seront confrontées les colonies martiennes dans le domaine microbien.

*« Grande Rapa » par différence avec Rapa Iti (Petite Rapa), cette dernière étant la plus isolée, au Sud-Est, des îles de la Polynésie française, et la moins lointaine, avec Pitcairn (l’île des mutinés du Bounty !), de Rapa Nui. Le nom de Rapa Nui est récent. Il fut donné à l’île de Pâques (découverte par le Hollandais Jakob Roggeveen le jour de Pâques 1722), lors du rapatriement des quelques personnes des deux îles (Rapa Nui et Rapa Iti) ayant survécu à leur esclavage au Pérou (1862-1863).

NB : Je me réfère ici largement à ce qu’écrivait Thor Heyerdahl dans son très beau livre « Aku-Aku le secret de l’Ile de Pâques » (1957), qui a enchanté mon adolescence.

A l’époque où Thor Heyerdhal la parcourait, Rapa Nui, l’ile la plus éloignée de toute autre terre habitée et donc forcément le centre ou le « nombril » du monde pour ses habitants (« Te Pito o te Henua »), n’avait de contact avec le monde extérieur que par le navire de guerre qui venait une fois par an affirmer son appartenance au Chili et lui apporter quelques marchandises et équipements de nécessité ou de confort. Les navires de particuliers qui arrivaient jusque-là, comme le chalutier (adapté aux besoins de la mission !) de Thor Heyerdahl, étaient si rares qu’ils constituaient des événements historiques. Le premier résultat c’est que, sur le plan biologique, il y avait une rupture quasi totale entre le microbiome* insulaire et le microbiome de la biosphère humaine (que l’on pourrait appeler l’« humanosphère-reste-du-monde »). Le deuxième résultat c’était que ces deux microbiomes évoluaient séparément pendant une période relativement longue et que le microbiome humanosphère-reste-du-monde était beaucoup plus riche et vigoureux que le microbiome pascuan, car composé des microbiotes** de très nombreux individus en relations, et qu’il évoluait beaucoup plus vivement. Le troisième résultat c’était que lorsqu’il y avait contact, celui-ci était violent puisqu’il n’y avait aucune transition, aucun lissage dans le temps, presqu’aucune accommodation possible. Le quatrième résultat c’était que la quasi-totalité des habitants de l’île tombait malade (notamment d’une sorte de grippe, le « cocongo ») lors de l’arrivée du bateau qui était vue ainsi comme la meilleure (le contact) et la pire des choses (la maladie).

*environnement microbien de tout végétal ou animal y compris l’être humain – on pourrait dire “sa bulle microbienne”, par extension toute bulle microbienne attachée à un ensemble d’êtres vivants; **totalité des composants microbiens commensal de cet environnement (intérieur et extérieur au végétal et à l’animal).

La situation sera la même pour les habitants de la colonie martienne vis-à-vis des passagers du vaisseau interplanétaire terrien qui arrivera sur Mars tous les 26 mois.

Evidemment les résidents martiens ne seront (pas tout à fait) autant désarmés pour faire face au choc sanitaire que l’étaient les pauvres Pascuans du milieu du XXème siècle. Ils ne disposeront certes d’aucun vaccin puisque par définition il n’y aura pas possibilité de transmission de quelque matière que ce soit , organique ou autre, entre la Terre et Mars. On peut cependant envisager pour atténuer le choc de la reprise de relations physiques, que les contacts entre passagers et résidents soient interdits pendant une quarantaine après l’arrivée sur Mars, soit le temps nécessaire à la vaccination des résidents contre les germes dont le développement sur Terre aurait pu les faire observer comme dangereux ou au minimum incapacitants pendant la période synodique écoulée (comme les deux dernière grippes par exemple). La quarantaine pourrait servir réciproquement à la protection des arrivants contre les germes qui se seraient développés au sein de la petite communauté martienne pendant la rupture des relations physiques. Par ailleurs, pour traiter toutes sortes de pathologies non virales (ou plutôt pour atténuer les effets de celles-ci), les Martiens pourront avoir copié les médicaments mis au point dans les laboratoires terrestres puisqu’ils auront pu recevoir par télécommunication les formules chimiques conçues sur Terre et bien sûr reproductibles sur Mars en utilisant les matières premières martiennes. On peut aussi envisager, pour lutter contre les bactéries, l’utilisation de la phagothérapie en alternative aux antibiotiques. Peut-être cette dernière méthode de soin serait-elle moins difficile à développer sur Mars, surtout dans les premiers temps de la colonisation, car l’industrie pharmaceutique suppose, dans ses productions les plus sophistiquées, la maîtrise de processus délicats (et parce que leur rapport masse/utilité est très faible, donc qu’ils seront transportables depuis la Terre).

A côté du problème posé par ces évolutions divergentes et par ces retrouvailles, il faut aussi envisager qu’il puisse se développer sur Terre une épidémie virale au moins aussi contagieuse que le covid-19, avec de nombreuses expressions asymptomatiques mais, avec une période d’incubation longue, et in fine beaucoup plus létale. Il nous est impossible de maîtriser l’évolution de la biosphère virale. Elle est en nous aussi bien qu’elle nous enrobe et nous cohabitons avec elle depuis nos origines. Nous ne pouvons que lutter contre elle pour nous défendre, avec jusqu’ici un certain succès, pour conserver un statu quo sanitaire. Ce statu quo n’est absolument pas garanti. Il doit être à chaque attaque virale, gagné de haute lutte. Ce sont les réactions de défense de notre système immunitaire contre la force aveugle d’une autre forme de vie acharnée à se nourrir pour se reproduire et qui sans cesse mute pour prévaloir sur ses compétiteurs, mais aussi notre intelligence humaine qui permettent de conserver un équilibre. Un échec de notre médecine (donc une mortalité ou une incapacité fortes) créerait une pagaille indescriptible sur Terre, y compris des émeutes, des révolutions, des guerres et un recul de la civilisation. Dans ce cas, une colonie sur Mars pourrait rester un isolat indemne, comme un monastère au Moyen-Age au milieu des destructions causées par la folie des Barbares, un conservatoire à partir duquel la vie pourrait repartir, sur Terre ou ailleurs dans l’Univers.

Sur place, une fois le choc sanitaire de l’arrivée du vaisseau « encaissé », la plus grande prudence devra perdurer dans la Colonie. En effet, le volume habitable constitué de bulles viabilisées, sera très petit au début et le restera très longtemps. Cela est dû au fait que la terraformation tant prônée par certains, est proprement impossible; cela est dû aussi aux difficultés techniques et au coût élevé de construire, de viabiliser puis d’entretenir de grandes structures isolant de grands volumes. Le nombre d’habitants sera donc lui aussi petit (très probablement limité à quelques milliers d’individus ou au mieux, à quelques dizaines de milliers) mais la densité de l’habitat, très élevée. En conséquence l’effet tampon (« buffer effect ») biologique sera très limité, les désordres biologiques pouvant, s’ils sont laissés libres, se répercuter très rapidement du point de départ à l’ensemble du volume habitable. De ce point de vue la petite colonie martienne sera aussi un bon analogue à Rapa-Nui. Toute maladie microbienne ou viral à forte létalité pouvait et peut encore y faire des ravages. On l’a bien vu lorsque la quasi-totalité de la population a été déportée en esclavage pour exploiter le guano au Pérou. Presque tous les déportés sont morts, très vite, car ils étaient tous en même temps exposés aux mêmes maladies dont la variole sans avoir jamais reçu aucune protection immunitaire, et les survivants ont contaminés à leur retour ceux qui étaient restés sur place. Sur 3000 habitants avant la déportation, seuls 111 survécurent !

Dans la colonie martienne, les moyens de prévenir ou de limiter les épidémies, seront, outre les vaccins, les phages et les médicaments, la multiplicité des bulles viabilisées disposant de porte de sécurité à leurs ouvertures, cette multiplicité étant exigées par ailleurs par des nécessités techniques (contraintes exercées sur les structures par le différentiel de pression atmosphérique entre extérieur et intérieur), et des risques d’explosions de l’une ou de l’autre (impact de petites météorites). Les différentes bulles pourront être périodiquement vidées de leur atmosphère pour être purifiées ; le vide est un bon nettoyant biologique. Mais il faudra aussi, au-delà des règles d’hygiène extrêmement strictes, et contrôlées, pouvoir nettoyer avec des antibactériens et des fongicides les moindres recoins des habitats car l’expérience a prouvé que les « petites bêtes » ont la vie dure ! Des capteurs seront partout présent pour mesurer les pourcentages de gaz atmosphériques et aussi la composition bactérienne de l’atmosphère. Biomérieux a récemment mis au point pour l’ESA et MELiSSA, un analyseur bactérien,  MiDASS (Microbial Detection in Air System for Space), qui permettra de repérer et d’analyser très rapidement les gênes pathogènes…toutes ressources dont ne disposaient pas les anciens Pascuans !

Image de titre : Alignement de moai devant la mer au crépuscule (cliché novo-monde.com)

Image ci-dessous : Rapa-Nui perdue dans l’Océan ! Sur la carte, un tout petit point à peine visible au centre du cercle que j’ai tracé pour le mettre en évidence. L’île est à 3600 km des côtes chiliennes, à 3400 km de Rapa-Iti et à 2000 km de Pitcairn. Les premiers habitants sont sans doute arrivés entre 400 et 1200 après JC.

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Index L’appel de Mars 20 03 06

NB: en raison de la pandémie de coronavirus covid-19, l’événement prévu pour le 24 Mars par Le Temps dans ses locaux, est annulé. Il aura lieu à une date ultérieure.