Les télescopes spatiaux pour observer tout ce que nous ne pouvons voir à partir de la Terre

La Terre est sélectivement protégée des rayonnements électromagnétiques spatiaux par le champ magnétique terrestre (ce qui génère les Ceintures de Van Allen) et par son atmosphère. Cette protection a permis à la vie d’éclore et de prospérer à sa surface mais elle gêne aussi l’arrivée jusqu’à nous d’une bonne partie des informations sur l’univers portées par ces rayonnements. La possibilité qui nous est offerte aujourd’hui de pouvoir aller dans l’espace, nous affranchit de cette limitation et des pollutions induites par l’activité de l’homme…et nous en profitons.

Tout rayonnement est porteur d’informations sur son émetteur que ce soit les rayons gammas, de longueurs d’onde extrêmement courtes, à un bout du spectre, aux ondes radioélectriques très longues, à l’autre bout, et à la lumière visibles, entre les deux. Certains de ces rayonnements sont piégés par le champ magnétique de la Terre dans ce qu’on appelle les Ceintures de Van Allen. Les molécules de l’atmosphère terrestre en bloquent d’autres et finalement nous ne recevons au sol qu’un peu d’ultraviolet (A et B mais pas de C), le rayonnement visible, une grande partie des infrarouges et une partie du rayonnement radio le moins long (voir « image à la Une »). Par ailleurs l’atmosphère, par sa matière même aussi bien que ses mouvements internes, introduit des perturbations (turbulences) dans le cheminement des photons reçues. Ces perturbations ont empêché les progrès dans la capacité de résolution des télescopes optiques, jusqu’à l’invention et la mise en pratique de l’optique adaptative (le prototype “COME-ON”, réalisé sous l’impulsion de l’astrophysicien français Pierre Léna, date de la fin des années 1980 mais la technologie n’a vraiment été utilisée qu’à partir de la fin des années 1990).

Les astronomes qui rêvaient des télescopes spatiaux dès 1946 avec Lyman Spitzer (Yale), ont donc réagi avec enthousiasme à l’avènement de l’ère spatiale. Depuis les années 1970 une cinquantaine de télescopes ont été lancés. Ils couvrent quasiment la totalité du spectre électromagnétique, ils sont de plus en plus puissants et de plus en plus sophistiqués en raison notamment des conditions à remplir pour pouvoir observer les longueurs d’ondes les plus extrêmes ou simplement pour gagner en puissance de pénétration dans l’espace.

Dans le segment visible et infrarouge du spectre, on connait Hubble mais on va bientôt disposer du James Webb Space Telescope (« JWST ») réalisation de la NASA, de l’ESA et de l’ASC (Canada), qui va être lancé pour le remplacer en Mars 2021 (départ originellement prévu en Octobre 2018 reporté). Son miroir primaire (segmenté) aura un diamètre de 6,5 mètres, contre 2,4 mètres pour Hubble. Il sera 100 fois plus puissant et il orbitera autour du Soleil au point de Lagrange 2 (protégé par un énorme bouclier thermique/radiateur). Dans le domaine de l’infrarouge il ira beaucoup plus loin que Hubble (ondes de 25 µm au lieu de 2,5 µm). La possibilité de traiter ce rayonnement est essentiel pour un télescope qui doit étudier les objets les plus lointains dont le déplacement vers le rouge (« redshift ») est très important. A noter que l’on a commencé à parler d’un successeur au JWST, « ATLAST » (« Advanced Technology Large Aperture Space Telescope ») qui aurait un miroir primaire segmenté de 16 mètres ! Cependant ce n’est encore qu’un concept. Les décideurs américains un peu échaudés par les dépassements de budget répétés du JWST, attendront pour se lancer sur cette nouvelle piste. En parallèle à ces géants, « Gaïa » (ESA), positionné en L2, cartographie le ciel et « Képler » (NASA), dans le sillage de la Terre, recherche les exoplanètes aussi petites que possible de notre environnement.

Mais c’est surtout dans le domaine des rayonnements qui n’arrivent pas jusqu’à la surface de la Terre que l’accès à l’espace rend et va rendre les plus grands services. A noter que les télescopes qui les recueillent ont souvent une orbite très excentrique pour sortir des Ceintures de Van Allen et donc bénéficier d’un espace sans « écran » en même temps que d’une période d’observation non occultée par la Terre, plus longue. Par ailleurs ils ont une durée de vie limitée car ils ont non seulement besoin d’énergie pour fonctionner mais aussi, pour mieux isoler les radiations à très courtes longueurs d’onde, d’un liquide de refroidissement (hélium liquide). On peut distinguer plusieurs catégories :

Les collecteurs de rayons Gamma (longueurs d’ondes les plus petites donc les plus énergétiques). Parmi eux « Fermi » (NASA) traque ce qu’on appelle les « GRB » (« sursauts de rayons gamma) provoqués par les effondrements d’étoiles géantes, ou les trous noirs eux-mêmes dans leur activité dévoreuse de matière ou, indirectement, les phénomènes liés à la possible « matière-noire ».

Les collecteurs de rayons X. Parmi eux, deux télescopes de la NASA, « Chandra » et plus récemment « NuSTAR », et un de l’ESA, « XMM-Newton ». Comme Fermi, ils « chassent » les phénomènes les plus violents. Ils sont très longs car, compte tenu des faibles longueurs d’onde des rayonnements recherchés, ils doivent les capter en lumière rasante pour les identifier. En fait, au sens strict, ces instruments (comme d’ailleurs les antennes pour ondes radio) ne sont pas des télescopes car ils ne disposent pas d’optique, mais plutôt des capteurs…ou des collecteurs!

Pour les rayonnements ultraviolets, on a « GALEX » de la NASA (mission terminée en 2013 mais données toujours en cours d’exploitation). De l’autre côté du visible, en infrarouge, on a « Herschel » (ESA) et « Spitzer » (NASA). Herschel a la particularité de se trouver au point de Lagrange L2 et d’avoir le plus grand miroir dédié au rayonnement infrarouge (3,5 mètres). Plus loin, vers les grandes longueurs d’onde (ondes radio), on a « Planck » (ESA) dont la mission s’est terminée en 2013 et qui traquait les détails du rayonnement primordial, et « Spektr R » (Russe) qui est doté d’une très grande antenne de 10 mètres de diamètre et doit être utilisé dans des dispositifs interférométriques avec des radiotélescopes au sol.

Enfin, tout au bout du spectre, la nouvelle découverte des ondes gravitationnelles (expérience LIGO) a suscité le projet « eLISA » de l’ESA (« Evolved Laser Interferometer Space Antenna ») qui devrait être réalisé à la suite de la mission du satellite LISA Pathfinder lancé en décembre 2015.

Il faut bien voir que ces différentes longueurs d’ondes permettent soit de surmonter (traverser) des obstacles (nuages de poussière ou rayonnements parasites dans d’autres longueurs d’onde), soit d’observer des objets différents soit de mieux les caractériser en fonction précisément des longueurs d’ondes dans lesquelles s’expriment leur activité. Bien entendu les missions en surface de la Lune (face cachée), ou de Mars devront permettre d’y construire un jour des télescopes à grandes surfaces collectrices qui agiront sans doute en complément des autres télescopes dans l’univers (avantage d’un ciel pur et d’une gravité beaucoup plus faible).

Image à la Une : graphe de l’opacité atmosphérique en fonction de la longueur d’onde (crédit ESA/Hubble (F. Granato). La hauteur de la surface brune représente l’opacité de l’atmosphère pour une longueur d’onde donnée. Les fenêtres principales sont les longueurs d’onde du visible et des ondes radios entre 1 mm et 10 mètres.

Image ci-dessous : liste des télescopes spatiaux en fonction des longueurs d’onde qu’ils couvrent (crédit : NASA Goddard Space Flight Center):

Les ELT, dernière génération des grands télescopes terrestres

L’astronomie optique* à partir de la surface terrestre est en train d’effectuer un bon fantastique de capacité sur la base de deux technologies nouvelles, l’optique active / adaptative et les miroirs segmentés. En effet ces technologies permettent la construction en cours des ELT (Extremely Large Telescope) qui succèdent ainsi aux grands télescopes des années 1990/2000 du type VLT (Very Large Telescope). Nous disposons déjà du LBT (Large Binocular Telescope) et allons d’ici à 2025 pouvoir utiliser les TMT (Thirty Meter Telescope), GMT (Giant Magellan Telescope) et E-ELT (European Extremely Large Telescope). Des sources d’énergies spatiales qui nous sont encore inaccessibles (époque de la réionisation de l’univers, trou noir galactique) de même que les exoplanètes de taille terrestre des systèmes stellaires proches, nous deviendront ainsi « visibles ».

*l’astronomie qui collecte les rayonnements visibles et de l’infrarouge proche.

Bien entendu rien n’est simple et les grands télescopes optiques de miroirs primaires monoblocs de 8 à 9 mètres de diamètre (la génération précédente) restent encore des instruments très utiles et suffisants pour explorer une multitude de phénomènes moins difficilement accessibles. De même les ELT (aux miroirs de plus de 10 mètres) ne retirent pas leur intérêt aux télescopes spatiaux ou aux radiotélescopes qui permettent d’exploiter d’autres sources d’émissions. Enfin on passe souvent des uns aux autres en jouant des spécificités différentes et on fait aussi travailler les instruments ensemble pour bénéficier de leur complémentarité. On peut cependant dire qu’avec les ELT on monte en gamme avec des possibilités d’investigation nettement supérieures.

Les quatre ELT ont beaucoup en commun même si la progression se poursuit de l’un à l’autre (les TMT et l’E-ELT étant plus évolués que le LBT et le GMT). Il y a eu un saut par rapport à la génération précédente parce qu’à partir des 8 à 9 mètres de diamètre, les grands miroirs primaires monolithiques butent sur de vrais problèmes de réalisation et d’utilisation. La masse, le volume, les variations thermiques, les déformations dues au poids deviennent extrêmement difficiles à gérer. Arrivés à cette constatation, les concepteurs des télescopes Keck mis en service en 1993, avaient déjà démontré les possibilités et les avantages des miroirs minces (de 0,5 à 5 cm d’épaisseur) segmentés (hexagones de moins d’un mètre d’apothème). La substitution de ces miroirs aux lourds miroirs concave monoblocs traditionnels n’était évidemment possible que grâce à l’optique active (pour pallier les déformations dues à la masse même des miroirs) puis adaptative (une multitude d’actuateurs agissant extrêmement rapidement pour adapter la surface aux perturbations atmosphériques) que les progrès de l’informatique rendaient possible (et qui se sont accélérés). L’avantage de masse, l’avantage thermique, l’avantage de transport et de manipulation sont énormes. C’est donc cette voie que l’on utilise maintenant d’une façon générale, pour continuer à augmenter la taille des miroirs primaires.

L’instrumentation est semblable dans tous les cas (mais également évolutive vers des capacités de plus en plus remarquables). Il s’agit de caméras extrêmement puissantes, de spectrographes, et d’appareils pour coordonner les ondes collectées, situés sur des plateformes extérieures au tube du télescope. La lumière leur est accessible via un miroir tertiaire mobile de type « Nasmyth » qui la renvoie latéralement (par un orifice ménagé dans la paroi du tube) et qui permet de passer très rapidement de l’un à l’autre du fait de leur disposition sur ces plateformes (également nommées “Nasmyth” du nom de l’inventeur de ce troisième miroir, le mécanicien et astronome écossais James Nasmyth).

Voyons les spécificités de chacun de ces ELT.

Le LBT

Le Large Binocular Telescope se trouve à la limite des grands télescopes et des ELT. Sa caractéristique principale est d’être constitué de deux miroirs monolithes, chacun de 8,4 mètres (et de 16 tonnes !). La surface de collection égale celle d’un télescope de 11,8 mètres. Les centres étant séparés de 14,4 mètres, il procure une base interférométrique de 22,4 mètres. L’optique adaptative est générée au niveau des miroirs secondaires. Il est situé à 3200 mètres d’altitude dans le désert d’Arizona (Monts Graham). C’est le plus ancien des ELT, sa construction a commencé en 1996 et la première lumière de ses deux miroirs ensemble a été recueillie en 2008.

Le GMT

Le Giant Magellan Telescope aura la particularité d’être constitué de 7 miroirs monolithes de 8,4 mètres chacun (et de 17 tonnes !) utilisés comme segments qui sont disposés comme les pétales d’une fleur (6 pour la corolle et un pour le cœur). Le diamètre sera ainsi de 24,5 mètres et la surface de collecte de 368 m2. Les miroirs primaires seront desservis par 7 miroirs secondaires, flexibles car c’est aussi à leur niveau que se trouvera l’optique adaptative. Sa résolution sera 10 fois celle de Hubble, dans le visible et l’infrarouge proche (de longueurs d’ondes 320 nanomètres à 25 microns). Le télescope est situé à 2550 m d’altitude et en zone aride (Atacama, Cerro de las Campanas), tout près des deux précédents télescopes de Magellan de 6,50 mètres. Sa construction a commencé en 2015 ; elle doit être achevée en 2024.

Avec les deux autres ELT on passe à un niveau supérieur de puissance et d’adaptabilité puisqu’ils utilisent les miroirs primaires segmentés déjà décrits.

Le TMT

Le Télescope de Trente Mètres aura un miroir primaire de…30 mètres, fait de 492 segments hexagonaux de 1,44 de diamètre et de 50 mm d’épaisseur. Son optique adaptative sera située comme les autres au niveau du miroir secondaire (3,1 mètres), flexible. Un miroir tertiaire elliptique (3,6 m x 2,5 m) et articulé renverra aux différents instruments (spectromètres et caméras) sur deux plateformes Nasmyth (de part et d’autre du tube). Il exploitera surtout le visible et l’infrarouge (longueurs d’onde de 310 nanomètres dans l’UV à 28 microns dans l’infrarouge).

Sa surface de collecte sera égale à 10 fois le télescope Keck (144 fois celle de Hubble) et la résolution obtenue, égale à 3 fois le Keck (et plus de 10 fois la résolution de Hubble dans l’infrarouge proche et les longueurs d’onde plus élevées). Il devait être situé au sommet du Mauna Kea (Hawaï), à 4050 mètres d’altitude mais une controverse avec les Hawaïens pourrait le faire se « poser » ailleurs (Canaries ?). La construction devrait se dérouler entre 2018 et 2022.

L’E-ELT

L’« European ELT » sera sans contexte « la star » des ELT. Son miroir primaire aura un diamètre de 39 mètres et sera donc de loin le plus grand. Il sera constitué de 798 segments de 1,44 mètre et de 40 mm d’épaisseur ; les segments seront répartis en 5 miroirs primaires (hexagonaux, côte à côte). Sa surface de 978 m2 permettra de collecter plus de 100.000.000 de fois de lumière que l’œil humain, plus de 8.000.000 de fois que la lunette de Galilée et plus de 26 fois que l’un des quatre télescopes unitaires du VLT. En fait il recueillera plus de lumière que tous les télescopes de classe 8 à 10 mètres de la planète réunis. Ses autres miroirs seront aussi très grands : miroir secondaire de 4 mètres et miroir tertiaire, renvoyant vers les instruments, de 3,75 mètres. Il sera localisé dans l’Atacama, sur le Cerro Amazones, à 3060 mètres d’altitude (à 20 km du Cerro Paranal où se trouve le VLT de l’ESO). La première lumière est prévue pour 2024.

Il ne serait pas exagéré de qualifier ces ELT de joyaux du patrimoine scientifique de l’humanité tant ils concrétisent la quintessence de notre intelligence et de notre savoir-faire collectif.

Image à la Une : vue d’artiste de l’E-ELT (crédit : ESO). Remarquez la taille des personnages mis en référence visuelle.

Image ci-dessous : les trois autres ELT : LBT, GMT, TMT:

L’observatoire, instrument évolutif de connaissance porté par le flot du progrès

Les étoiles ont été une des premières interrogations s’imposant à l’homme du fait de sa prise de conscience du monde. Très tôt il construisit des observatoires pour tenter de voir mieux, réfléchir et comprendre. D’abord il confronta le mystère à l’œil nu et, partout dans le monde, pour mieux se concentrer ou se libérer des obstacles de l’environnement, il choisit de placer ces observatoires au sommet de montagnes ou d’édifices spécialement conçus, de fait les premiers « instruments » d’observations dédiés.

Le progrès technologique avançant, comme toujours sur le bord d’un éventail très ouvert, il advint, vers la fin du 16ème siècle, que l’environnement (travaux de l’opticien Giambattista della Porta) devint prégnant d’un nouveau saut dans l’instrumentation. Dans ce contexte, un amateur de miroirs, le Hollandais Jacob Metius ou peut-être ensemble ses compatriotes Hans Lippershey et Zacharias Jansen, eurent vers 1608 l’idée de regarder au travers de deux verres de forme convexe (objectif) et concave (oculaire) disposés aux extrémités d’un tube. Ils découvrirent ainsi la « lunette d’approche ». Tournée vers le ciel par l’Anglais Thomas Harriot puis par Galilée en 1609, elle devint la « lunette astronomique ». C’était il y a seulement 4 siècles !

L’attention étant portée sur l’objet nouveau et l’esprit scientifique (c’est-à-dire la recherche systématique d’un progrès vérifiable et répétable) se développant, le « télescope » fut théorisé en 1663 par l’Ecossais James Gregory (la lumière n’est plus réfractée par l’optique, elle est réfléchie par des miroirs) et réalisé par Isaac Newton en 1671.

Par la suite, on assiste à un accroissement inouï des capacités des télescopes. On va passer d’une faculté de résolution de 4,5 secondes d’arc à l’époque de Galilée (un agrandissement de 14 fois par rapport à la capacité de l’œil humain) à 6 millisecondes d’arc aujourd’hui avec l’« E-ELT » de l’ESO, en cours de construction. Et on va aussi passer du recueil des seules ondes lumineuses à celui de la totalité de la gamme des rayonnements électromagnétiques (et même demain d’autres « messagers » telles que les neutrinos ou des ondes gravitationnelles).

Ceci résulte des progrès, voulus et fortuits, dans nombre de différents domaines scientifiques et technologiques. Progrès en optique (prisme, spectrographie), progrès dans la connaissance des ondes (travaux d’Hippolyte Fizeau en 1848 conduisant à la compréhension de l’effet « Doppler-Fizeau », lois de Maxwell en 1864 sur l’électromagnétisme), le choix et le travail des matériaux (passage de miroirs en cuivre aux miroirs en verre recouverts d’une couche opaque, d’argent, puis d’aluminium, puis d’autres surfaces, comme le béryllium du télescope JWST), progrès en architecture (permettant la construction de bâtiments gigantesques en matériaux nouveaux), progrès dans les transports (possibilité d’aller rapidement n’importe où dans le monde et notamment dans les montagnes des déserts de l’hémisphère Sud), dans les communications (transmission immédiate des données partout dans le monde), invention puis développement de l’informatique (à laquelle on va confier tout travail répétitif mais aussi tout travail de distinction de différences, de changements, d’anomalies, de déplacements), progrès aussi dans la connaissance même de l’environnement spatiale (avant la construction du télescope du Mont Palomar, Hubble n’aurait sans doute pu concevoir l’existence d’une multitude de galaxies), progrès enfin dans la science des instruments d’observation (on construit des réflecteurs et des instruments de plus en plus grands et on trouve des solutions à la croissance de leur masse).

Parmi les grandes étapes on peut noter en 1789 le télescope de Herschel avec son réflecteur de 122 cm de diamètre ; en 1917, le télescope du Mont Wilson (Etats-Unis) avec son miroir de Hooker de 250 cm ; en 1949, le télescope du Mont Palomar (Etats-Unis) avec son miroir de 500 cm. Quatre ouvertures se produisent alors, (1) l’interférométrie dans les années 1970 (travaux d’Antoine Labeyrie) qui permet d’additionner les lumières reçues par plusieurs télescopes ;  (2) les grands miroirs constitués de segments multiples permettant de dépasser la taille des miroirs monobloc en verre ; (3) l’envoi de télescopes dans l’espace en dehors de l’écran et des perturbations de l’atmosphère ; (4) l’optique active  qui permet la coordination de segments de miroirs pour pallier les déformations des grands miroirs eux-mêmes du fait de leur masse, puis l’optique adaptative pour contrer les effets des perturbations atmosphériques (tout cela n’étant bien sûr possible que grâce à une informatique permettant des calculs de plus en plus nombreux et rapides avec répercussion quasi immédiate sur une forêt d’actionneurs).

Dans ces conditions, la puissance de discernement des télescopes se poursuit en s’accélérant en deux vagues : d’abord en 1993, les télescopes 1 et 2 de Keck aux miroirs primaires segmentés de 9,8 mètres de diamètre chacun (utilisés en interférométrie) ; en 2005 le télescope SALT (South African Large Telescope) au miroir de 11,1 mètres monobloc ; Hubble et son miroir de 2,4 mètres, opérationnel depuis 1993; le VLT (Very Large Telescope) de l’ESO comprenant 4 miroirs monoblocs de 8,2 mètres (et deux petits) fonctionnant en interférométrie ce qui donne l’équivalent d’un miroir de 130 à 200 mètres (avec son système d’optique adaptive il est deux fois plus précis que Hubble) .

Ensuite le JWST (James Webb Space Telescope) avec son miroir de 6,5 mètres, segmenté, doit remplacer Hubble en 2018 1; l’E-ELT (European – Extremely Large Telescope)2 doit recevoir sa première lumière en 2024, et dans la décennie qui vient l’EHT (Event Horizon Telescope)3 doit lier par « interférométrie à très longue base » de multiples radiotélescopes sur toute la surface de la Terre. Cela lui donnera une taille virtuelle égale au diamètre terrestre et il pourra, on l’espère, « voir » (en ondes millimétriques) le trou noir super-massif, cœur de notre galaxie, derrière la source intense d’ondes radio nommée « Sagitarius A* ».

Les ELT et l’interférométrie (optique et radio) font reculer notre horizon vers des limites totalement inimaginables il y a cinquante ans. Très loin des débuts de l’astronomie, nous sommes arrivés à une époque où les hommes ne regardent plus le ciel de leurs yeux au sommet d’observatoires quasi désertés (sauf par les techniciens) mais sur les écrans de leurs ordinateurs, dans les données recueillies par leurs machines. Nul doute cependant que la grandeur du spectacle maintenant intellectualisé et abstrait ne continue à les émerveiller par sa grandeur et sa puissance.

1NB : Plus de quarante autres télescopes ont été lancés dans l’espace pour observer l’environnement et les sources lointaines dans une très grande variété de longueurs d’ondes.

2NB : A part le LBT (Binoculaire) achevé, il y a trois autres ELT en cours de réalisation, le GMT (Magellan), le TMT (Trente Mètres) et l’E-ELT.

3NB : il y a déjà des interféromètres « à longue base » en service, notamment ALMA, mais ils sont évidemment plus « petits » que l’EHT (qui est dit “à très longue base”).

Image à la Une : Observatoire archaïque de Kokino, en Macédoine, à la frontière de la Serbie. Il date de l’Age du Bronze (2ème millénaire avant notre ère).

Image ci-dessous : vue d’artiste du prochain observatoire « E-ELT » de l’ESO (European Southern Observatory); ce qu’on peut faire de mieux en sophistication et en puissance aujourd’hui (image crédit ESO). Il aura un miroir primaire segmenté de 39 mètres.

Breakthrough Starshot une organisation d’aujourd’hui pour relever le défi du futur

Breakthrough Starshot me semble être, un peu comme MELiSSA, un modèle de ce que devrait être toute entreprise de recherche à notre époque.  Elle rassemble en son cœur une équipe de spécialistes reconnus ; elle définit clairement et ouvertement son projet et sollicite toutes contributions sur les points précis qui lui semblent poser problème ; elle s’adresse au monde entier ; elle est largement informelle ; elle soigne sa communication.

Les membres du « Board » et du « Management & Advisory Committee » sont pour la plupart des personnalités connues et incontestables, surtout des Américains mais pas seulement. Au « Board », Youri Milner et Marc Zuckerberg sont deux hommes d’affaires qui ont réussi, Stephen Hawking est un des grands astrophysiciens de notre époque et un passionné de l’exploration spatiale. Les 26 membres du « Management & Advisory Committee » sont presque tous des scientifiques de premier plan dans les domaines concernés par le projet. On remarque le Chairman Avi Loeb, astronome de Harvard; le Directeur exécutif, Pete Worden, ancien directeur du Centre de Recherche Ames de la NASA, le mathématicien Freeman Dyson (les sphères de Dyson), les prix Nobel, Saul Perlmutter (astronome) et Steven Chu (physicien), l’astronome royal britannique, Martin Rees, le président de Microwave Sciences, Jim Benford. A côté de ce « Committee », l’équipe de 13 “postdocs” et d’étudiants de Harvard, de tous niveaux (même un undergraduate, Henry Lin, lauréat de l’« Intel young scientist award » !) mais forcément brillants, prépare l’avenir. Compte tenu de la durée de sa mise au point et de sa réalisation, on se trouve en présence d’un projet multigénérationnel et tous ces jeunes seront motivés mais aussi formés au contact de leurs anciens pour aller jusqu’à la réalisation (sans compter qu’ils développent des connaissances propres qu’ils pourront appliquer en fonction des besoins). L’aspect communication est aussi soigné comme le montre la présence de Marc Zuckerberg, celle de Stephen Hawking, celle d’Ann Druyan, productrice du film « Contact » (d’après le roman de Carl Sagan) ou celle de deux prix Nobel ou encore du président de la Planetary Society, Lou Friedman.

L’aspect le plus original du projet est qu’il est totalement coopératif. Il est présenté sur un site Internet accessible à tous, aussi bien pour préciser son objectif et son sens que pour poser les problèmes qui doivent être résolus. Toutes les sources sont citées ; la communauté des personnes intéressées et capables d’apporter des solutions est sollicitée pour les soumettre ; si elles sont trouvées pertinentes, le Management & Advisory Committee les publiera et y joindra ses commentaires. Les avancées seront publiées en ligne sur le site ; un dialogue peut ainsi s’engager avec le monde entier pour faire progresser le projet.

Alors, cher lecteur, si vous avez des compétences utiles dans cette perspective, allez sur le site, réfléchissez aux problèmes, soumettez vos idées. Pour vous inciter à le faire, voici quelques-uns des sujets que l’équipe scientifique de Breakthrough Starshot considère comme importants et améliorables (outre ceux déjà vus de l’énergie nécessaire à la propulsion et de la puissance de l’accélération) :

L’approvisionnement en énergie : pour le fonctionnement du vaisseau après impulsion, il faut trouver la ressource la plus compacte possible, produisant le maximum d’énergie sur 20 ans, et aussi modulable que possible (pour l’économiser et disposer d’une puissance variable correspondant à des besoins différents selon l’avancement du voyage). La solution se trouve d’une part dans un matériau radioactif et dans la maniabilité du dispositif qui permettra de stocker l’énergie de ce matériau et de la relâcher lorsque le besoin surviendra; d’autre part dans l’utilisation par la voile de l’énergie de l’étoile voisine (revêtement photovoltaïque de la voile sur sa face orientée en direction du déplacement), et enfin dans l’utilisation possible de l’échauffement générée par l’interaction entre la voile et le milieu interstellaire.

La miniaturisation des instruments d’observation : toute avancée dans la miniaturisation sera la bienvenue mais aussi dans l’adaptation des appareils à la vitesse du vaisseau spatial. Il traversera le système d’Alpha Centauris à la vitesse de 216 millions de km/h et il faudra que les appareils suivent la cible dont ils doivent collecter les données (problème de pointage et de focus).

L’orientation des voiles vers les lasers : Le problème se pose à deux moments : (1) lors du largage des vaisseaux en orbite haute terrestre afin que les voiles soient parfaitement ouvertes vers les lasers et (2) pour maintenir l’orientation lors de la phase d’impulsion qui en dix minutes donnera une accélération de 0 à 216 millions de km/h. Le problème apparenté est celui de l’envoi de l’information sur la trajectoire du vaisseau vers la Terre lorsqu’il se trouvera à environ une Unité Astronomique de la Terre et du renvoi quasi immédiat d’un correctif de trajectoire si nécessaire.

La protection des équipements contre les agressions du milieu interstellaire, notamment du fait de la vitesse de déplacement des vaisseaux. Il s’agit de trouver le bouclier le plus efficace tout en étant le plus léger. Le bronze au béryllium est proposé mais sa masse est élevée.

A noter que tout développement positif de la propulsion photonique par lasers pourra être utilisé pour les transports urgents et de très faible masse sur des distances plus courtes, par exemple entre la Terre et Mars (et réciproquement). Il est évident que tout accroissement de masse réduira la vitesse et qu’il faudra aussi mettre au point un dispositif de freinage (autre laser au point d’arrivée?) pour permettre la capture par la planète, sous cette réserve on peut imaginer le transport en urgence de quelques molécules extrêmement précieuses c’est-à-dire non fabricables localement (par exemple un médicament ou un circuit intégré).

Image à la Une (crédit NASA): du Soleil à Alpha Centauri, le premier voyage de Breakthrough Starshot. L’échelle des distances est logarithmique.

Liens:

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