Elon Musk se lance à la conquête de Mars

Le 27 septembre sera une date qui restera dans l’histoire. Ce sera le jour où Elon Musk aura présenté* pour la première fois son plan pour transporter sur Mars les hommes désirant y créer un établissement permanent et faire ainsi de l’être humain une espèce multiplanétaire. Nous soutenons sans réserve ce plan qui reprend beaucoup des éléments de l’architecture de mission proposée par Robert Zubrin, fondateur de la Mars Society, dès le début des années 1990 et qui ressemble beaucoup au projet qu’avait élaboré il y a quelques mois Richard Heidmann, fondateur de la branche française de la Mars Society (« Association Planète Mars ») qui d’autre part est ingénieur en propulsion et ancien Directeur Orientation Recherche et Technologie chez SNECMA (concepteur et constructeur des fusées Ariane).

*Au 67ème congrès de l’IAC (International Astronautical Congress) à Guadalajara, au Mexique.

Sur le fond, il s’agit d’envoyer sur Mars le maximum de masse utile au moindre coût et le plus rapidement possible, lorsque cette masse est composée d’êtres humains (problèmes des radiations et de l’apesanteur).

Elon Musk propose un vaisseau gigantesque de 49,5 mètres de haut, placé au-dessus d’un lanceur de 77,5 mètres (l’ensemble constituera ce qu’il appelle un “ITS” (pour “Interplanetary Transport System”); le diamètre est au plus large, de 17 mètres au niveau du vaisseau et de 12 mètres au niveau du lanceur. Ce lanceur monstrueux sera capable de monter 550 tonnes en orbite basse terrestre (les plus gros lanceurs tels que le Saturn V des missions lunaires Apollo ne pouvaient aller au delà de 130 tonnes). Il sera équipé de 42 moteurs Raptor (pas plus volumineux que les Marlin du Falcon 9 actuel de SpaceX mais capable de gérer une pression-chambre  de 300 atmosphères, 3 fois plus élevée que celle du Marlin!), tandis que le vaisseau spatial sera propulsé par 9 moteurs Raptor. La poussée totale sera de 13.000 tonnes (contre 3.500 tonnes pour la fusée Saturn V). Il s’agit de soulever 10.500 tonnes au départ alors que Saturn V ne pouvait soulever “que” 3000 tonnes. Pour alléger le poids au maximum, les réservoirs (c’est une première) seront en fibre de carbone.

L’idée originale d’Elon Musk est de positionner le vaisseau transplanétaire en orbite terrestre de parking sans carburant et sans passager ; puis de remplir les réservoirs par un vaisseau « tanker » identique au vaisseau mais rempli d’ergols, en fait un énorme réservoir ; enfin d’amener les passagers dans un vaisseau taxi. Bien entendu les lanceurs du vaisseaux habitat et du tanker, redescendront sur leur pas de tir, seront reconditionnés puis réutilisés (la réutilisation est un des apports majeurs d’Elon Musk à l’astronautique)

L’ITS, grâce à la quantité d’ergols emportée (méthane brûlant dans l’oxygène), peut rejoindre Mars en seulement 150 à 90 jours (la durée dépendra de la masse hors carburant transportée) au lieu des 180 jours minimum des missions actuelles.

Il se posera sur Mars en entier et à la verticale en utilisant la rétropropulsion à partir d’une vitesse de descente initiale de 8,5 km/s (comme la fusée de Tintin et toujours grâce à la masse énorme d’ergols importée de la Terre). Il est en effet trop lourd pour être freiné par parachute(s). Le retour du vaisseau seul (sans nouveau lanceur car le puits de gravité martien est moins profond que celui de la Terre) se fera avec des ergols produits sur Mars selon la technologie bien connue utilisant la réaction de Sabatier (recommandée par Robert Zubrin en 1990).

Compte tenu de ce système et en supposant bien sûr un grand nombre de vaisseaux (construits, entretenus, renouvelés) en service et réutilisés entre 12 et 15 fois , le coût du transport serait au début de l’ordre de seulement 200.000 dollars par passager (du fait des économies d’échelle). Il pourrait descendre rapidement à 140.000 dollars et à terme à 90.000 dollars. C’est parce que les prix seront bas que l’on pourra aussi compter sur de nombreux « clients ». Après une période assez courte (fin du XXI ème siècle?) la population martienne pourrait atteindre un million de personnes…et parmi eux certains commenceront à regarder encore plus loin (création de dépôts de carburant dans la ceinture d’astéroïdes, pour servir de relais vers les lunes de Jupiter ou de Saturne, Pluton et la ceinture de Kuiper).

Le lancement vers Mars du premier ITS est envisagé pour 2022. Dans l’immédiat SpaceX continue la mise au point du Raptor (première mise à feu réussie) et perfectionne sa capsule Dragon pour la rendre opérationnelle jusqu’à la surface de Mars (premier lancement en 2018 et second lors de la fenêtre de tir suivante, en 2020).

Un seul regret sur le plan astronautique : Elon Musk n’a pas parlé de remédiation à l’absence de gravité pendant le voyage. Richard Heidmann avait pensé comme l’avait préconisé Robert Zubrin, a recréer une gravité artificielle par force centrifuge. En l’occurrence, il faudrait lancer deux ITS en même temps, les relier par un filin et mettre le couple en rotation.

Le sujet du support vie n’est pas abordé non plus. Il faut espérer que l’on fasse des progrès pour qu’il devienne vraiment régénératif (MELiSSA). En l’état de nos connaissances, il devrait cependant être suffisamment performant pour un voyage court comme celui considéré. Une fois sur Mars on peut envisager, en dehors de la régénération naturelle de type MELiSSA, des correctifs chimiques produits sur Mars à partir des ressources martiennes.

La vie de l’homme sur Mars (au delà du support vie, la construction et l’entretien de la base, les transports planétaires) n’est pas non plus considérée. Disons que c’est en dehors de son sujet. Il dit d’ailleurs que son seul but est de rendre possible le transport (sous entendu d’autres devront se poser la question de la vie de l’homme sur Mars et y répondre).

La recherche scientifique n’est pas non plus évoquée. Il faut évidemment espérer que le peuplement de cette terre vierge se fasse avec le plus grand respect possible de l’environnement. Il faudra y veiller mais la rareté sur Mars des matières organiques et de l’eau, forcera à la non dispersion des déchets et à leur recyclage très complet.

Reste le problème du financement. Pour le moment Elon Musk n’a pas de solution précise. Il compte sur le succès de ses entreprises, la possibilité de lever des fonds dans le public et auprès d’investisseurs, au fur et à mesure de la progression positive de son projet. Il pense aussi que les agences suivront après démarrage de l’initiative. Mais de toute façon les sommes ne seraient pas énormes par les temps qui courent. Il les estime « seulement » à une dizaine de milliards de dollars.

Les dés sont jetés. On to Mars !

Image à la Une: “Premier regard sur Mars”. Flottant dans le vaisseau géant qui l’emporte sur Mars, une passagère jette un premier regard sur sa nouvelle planète. Crédit image: SpaceX.

lien vers la présentation d’Elon Musk diffusée sur YouTube (elle commence à la minute 21:55): http://www.spacex.com/Mars

Voir aussi l’article d’Olivier Dessibourg dans Le Temps du 28 septembre 2016, page 10 (sciences).

Images ci-dessous: coupe de l’ITS, crédit Space X. La première image (1) montre le lanceur (77,5 mètres) qui est le cylindre à gauche et le vaisseau spatial (49,5 mètres) qui est la pointe renflée à droite. La deuxième image, en dessous (2), montre le vaisseau après séparation du lanceur. La séparation se fait en orbite terrestre; le lanceur redescend sur Terre où il sera reconditionné et réutilisé; le vaisseau spatial part vers Mars propulsé par ses 9 moteurs Raptor. Il y arrivera après un voyage de 90 à 150 jours. Vous pouvez voir la baie vitrée de “l’image à la une” tout en haut de l’image (2), à la pointe du vaisseau.

(1)

ITS

(2)

Coupe du vaisseau

Il faut de tout pour faire un monde

Dans mon billet précédent j’ai parlé de Mars comme Université. Je voudrais mettre aujourd’hui le projecteur sur les autres activités, celles des habitants qui feront fonctionner la première colonie de mille habitants, telle que nous l’avons étudiée avec mon ami Richard Heidmann.

Outre les scientifiques, les ingénieurs et les touristes, toutes les professions seront représentées dans cette Colonie. En effet les « Martiens » devront faire face à toutes les sollicitations d’une vie active, à tous les besoins de service (y compris ceux de policiers, de juges, de psychiatres, de banquier) et à la production de presque tous les biens tangibles nécessaires à cette vie car il ne pourra y avoir que très peu de recours aux importations. D’abord parce que les arrivages sur Mars ne seront possibles que tous les 26 mois (il faudra attendre que les deux planètes soient en position favorable l’une par rapport à l’autre en raison de la mécanique céleste), ensuite parce qu’on cherchera toujours à limiter les masses importées (et l’encombrement) en raison du coût du transport et du volume utilisable des soutes des vaisseaux spatiaux. Dans le même esprit on limitera aussi le nombre de personnes faisant fonctionner la Colonie puisque leur transport, le volume de leur habitat, leur maintien en bonne santé et leur rémunération coûteront fort cher. La société martienne sera donc extrêmement mécanisée et robotisée.

Les deux premières solutions pour atténuer ces contraintes, seront bien sûr les télécommunications avec la Terre* et l’impression 3D, la troisième sera un recrutement extrêmement rigoureux du personnel fonctionnel sur des critères de compétence et d’ingéniosité (on pourrait aussi parler de débrouillardise).

*NB : Il ne faut pas oublier que la vitesse de la lumière n’étant “que” de 300.000 km/s, le temps nécessaire à une information pour parvenir jusqu’à l’autre planète va de 3 à 22 minutes.

On aura donc une société extrêmement informatisée avec des personnes exerçant des fonctions très sophistiquées et d’autres moins mais auxquelles le contexte de l’environnement martien imposera des exigences élevées. Regardons en de près quelques-uns :

Le ménage par exemple. Ce ne sera pas une petite affaire et l’effectuer (largement en surveillant des robots) constituera une lourde responsabilité. Il consistera en effet à contrôler très sérieusement la viabilité des zones habitées. Cela signifie qu’il faudra non seulement enlever les poussières mais en prendre des échantillons qu’on analysera pour vérifier que le contenu rapporté de l’extérieur est minimum (risque de silicose ou d’empoisonnement aux perchlorates), vérifier la composition atmosphérique de chaque bulle de vie et remédier aux déséquilibres de proportions de gaz ou de pression ; examiner les parois, les meubles et les sols pour stopper une éventuelle prolifération de bactéries ou de champignons ; contrôler les analyses bactériologiques de l’air et de l’eau effectuées grâce aux capteurs MiDASS. Mais ce n’est pas tout. L’environnement extérieur Martien est fragile et sujet d’études. Il n’est pas question de le polluer et de le transformer avant de le connaitre. Les « ingénieurs-sanitaires » devront donc traiter les « poussières » et déchets pour les recycler ou les détruire (pyrolyse ?), les cendres devant probablement être isolées dans des containers étanches.

Pour prendre un autre exemple, le cuisinier, qui sera plus un « cuisinier-diététicien », devra gérer l’environnement sanitaire de ses produits avec un soin extrême et penser toujours que (1) on ne gâche rien (puisque tout est si difficile à produire), (2) toute matière, organique ou autre, doit être autant que possible recyclée et (3) la nourriture n’est pas faite que pour le plaisir mais doit d’abord permettre de survivre dans des conditions diététiques idéales.

De manière générale une profession très demandée sera celle d’« ingénieur-bricoleur ». En dehors de l’utilisation de l’imprimante 3D pour renouveler le petit outillage ou les meubles, il faudra réparer, faire fonctionner des machines complexes ou simples, fatiguées par l’usage ou simplement victime de défaillances. On ne jettera (presque) rien sur Mars. Avant de mettre une machine en pièces ou au rebut, on cherchera à la réparer ou à la réutiliser d’une manière quelconque, en entier ou en partie.

Pour régler les rapports entre les gens il faudra introduire l’argent et on aura donc aussi une banque (et un ou deux banquiers) sur Mars. On ne peut en effet envisager de soumettre des personnes différentes, dont le seul intérêt commun sera d’avoir choisi de résider sur Mars pendant 18 mois, au même rythme de vie, ou de leur imposer les mêmes consommations. Pendant leur temps libre, certains voudront sortir aussi souvent que possible, d’autres seront heureux de rester dans la Colonie devant leur ordinateur. Certains voudront faire du sport, d’autres regarder des films, ou les deux en proportion variées. Certains solliciteront énormément les installations communes, d’autres très peu. La seule façon de gérer la situation et les tensions sera de donner un prix aux biens et services et de les faire payer.

Cette monétarisation des relations sera aussi le moyen d’introduire dans la société les professionnels individuels qui auront choisi de tenter leur chance sur Mars en indépendants (en accord avec l’administration de la colonie), soit avant de quitter la Terre, soit une fois sur place. Leur succès sera matérialisé par les revenus qu’ils tireront de leurs services à la Société d’exploitation de Mars, aux autres résidents ou à la Terre lointaine. Mais avant d’entreprendre, ils auront peut-être aussi besoin d’emprunter. D’autres résidents de leur côté auront peut-être envie d’investir. L’intermédiation bancaire sera pour eux indispensable.

Il faut, dit-on, « de tout pour faire un monde » et dans ce monde naissant presque tous les métiers seront donc exercés. Maintenant, comme la population sera très faible, il faut aussi envisager qu’une même personne en exerce plusieurs (en fonction de leur complexité et de la difficulté intellectuelle à les maîtriser). Mars sera le monde de la souplesse et de l’adaptabilité. Tout problème devra être traité d’une manière ou d’une autre, car très souvent la vie, de soi-même et des autres, sera en jeu.

Image à la Une: Le type même de l’ingénieur bricoleur. Dan Pettit, astronaute de la mission 6 de l’ISS (2003), en pleine activité (crédit NASA).

Voir Mars comme une Université

J’ai récemment travaillé avec mon ami Richard Heidmann, polytechnicien (français) et fondateur de la Mars Society française (“Association Planète Mars“) sur une étude concernant la viabilité économique d’une première colonie martienne. Elle comprendrait un millier de personnes, taille optimum qu’on pourrait atteindre avec les technologies (presque) d’aujourd’hui.

La faisabilité d’une telle Colonie repose sur la réussite du projet d’Elon Musk de « Mars Colonization Transport » (« MCT »). Il s’agit de la mise au point d’un lanceur super lourd capable de déposer en surface de Mars 100 tonnes ou 50 personnes et 50 tonnes. Le coût de ce lanceur serait raisonnable en raison de sa réutilisabilité, pourvu bien sûr qu’il soit construit en un minimum d’exemplaires (on en envisage une dizaine) et que les vols soient suffisamment fréquents malgré la contrainte imposée par la fenêtre de tirs qui ne s’ouvre que tous les 26 mois (NB : Elon Musk doit dévoiler les détails de son projet de MCT lors du prochain congrès IAC -International Astronautical Congress-, entre le 26 et le 30 septembre à Guadalajara, Mexique).

Nous avons estimé qu’une mission de 30 mois y compris deux fois six mois de voyage (avec utilisation du MCT) et 18 mois de séjour en surface de Mars, coûterait pour une personne, en l’état actuel de nos capacités technologiques pour construire également la base, la viabiliser et la maintenir viable, de 6 à 8 millions de dollars (3,2 millions de dollars par an).

Le montant est élevé mais il n’est pas invraisemblable d’envisager que des Terriens consentent à le payer. Le problème se pose vraiment sur la durée car on ne peut raisonnablement envisager que de telles dépenses soient indéfiniment à la charge des promoteurs du projet (personnes publiques ou privées) sans retours financiers suffisants. Il faudra que, tôt ou tard, la Colonie devienne rentable, c’est-à-dire qu’elle s’autofinance ou qu’elle génère par la vente de services proprement martiens, la couverture de ses coûts de fonctionnement et de développement (oubliez les exportations de pondéreux, les transports sont trop chers !).

Le coût c’est bien entendu l’importation des équipements que l’on ne peut fabriquer sur place (nombreux au début, malgré l’impression 3D), bien sûr les transport de personnes (aller et retour !) et leur rémunération ainsi que le fonctionnement du support vie (ECLSS et de plus en plus MELiSSA) pendant leur séjour.

La population martienne comprendra d’abord le personnel indispensable au fonctionnement de la Colonie. Compte tenu de la difficulté et de la complexité de l’implantation dans un milieu aussi hostile et éloigné, on évalue cette population « fonctionnelle » à environ la moitié des mille personnes. Les autres (les « hôtes payants ») seront des scientifiques, des professionnels indépendants et des touristes. Tous seront des personnalités remarquables dans leur domaine car il faudra être très compétent (et ingénieux) pour aller sur Mars. Même les « touristes » seront des gens, certes passionnés d’espace mais aussi ayant « réussi » leur vie professionnelle, riches d’une expérience et d’une capacité à la transmettre. On aura donc rassemblé dans ce milieu isolé une somme considérable de « cerveaux », tous disposant à un moment ou à un autre de temps libre qui leur permettra d’échanger…ou de former. Ce sera une « ressource » martienne évidente, dont on ne trouvera l’équivalent que dans quelques-unes des meilleures universités terrestres.

Il serait donc logique que des étudiants de haut niveau (doctorants) s’intéressant à des sujets dont le contexte martien favorisera l’étude, viennent sur Mars pour rassembler les dernières données d’observation nécessaires à leur diplôme, pour les analyser, les interpréter et publier leurs recherches sous le contrôle de ces personnes compétentes. On peut penser à des géologues ou à des exobiologistes mais aussi à des ingénieurs étudiant la résistance des matériaux ou des biochimistes travaillant sur les systèmes de support vie, ou des sociologues s’intéressant aux relations en milieux isolés fermés, des nutritionnistes, des agronomes, etc…

Alors oui, le prix à payer sera « un peu » cher pour des étudiants mais certaines recherches pourront apparaître comme particulièrement intéressantes à des industriels désireux d’exploiter de nouvelles connaissances et obtenir de nouveaux brevets pour des applications terrestres. Ce seront eux leurs financiers (on retrouve la même implication entre industrie et recherche sur Terre).

Au total ce sera un petit nombre de personnes, peut-être en régime de croisière une cinquantaine d’étudiants provenant de tous les points du globe terrestre. L’université fonctionnerait, en rapport avec les grandes institutions terrestres, avec très peu de personnel dédié (trois ou quatre administrateurs) et beaucoup de professeurs à temps partiel (les chercheurs et professionnels résidents). Le rôle des administrateurs serait un rôle d’organisation, de gestion et de diffusion.  Outre la publication de recherches, on peut concevoir aussi que les scientifiques produisent dans ce cadre des MOOC à l’attention du monde entier.

Avec le temps, le coût des voyages baissera, les résidents permanents deviendront plus nombreux, ils auront des enfants et ceux-ci seront évidemment éduqués. Parallèlement les étudiants terrestres auront moins de difficultés à se payer le voyage puisque le prix aura baissé. Ensemble avec les Martiens natifs, ils étofferont petit à petit les effectifs des étudiants, et des professeurs.  Mars deviendra ainsi ce à quoi sa nature la prédisposait, un des « pôles » de l’activité intellectuelle de notre civilisation nouvellement multiplanétaire.

Image à la une : « Grounds » of the University of Virginia (“UVA”), Charlottesville, « mon » université (conçue et construite par Jefferson, au pied de sa résidence de Monticello). Bien sûr l’Université Martienne ne ressemblera pas à cette belle construction classique mais pour les Martiens la recherche continue du Progrès et le culte de l’Ingéniosité seront tout aussi importants que pour le Concepteur de l’UVA. Jefferson en effet était un homme qui tout en ayant une grande culture classique s’intéressait énormément aux Sciences et recherchait constamment les solutions pratiques pour faciliter la vie quotidienne. Il aurait été un parfait Martien!

Un fantasme écologique dans l’espace

Transposons-nous par la pensée à l’époque, j’espère prochaine, où l’on aura décidé de construire des îles-de-l’espace de type « Île-3 » (cylindre de 32 km de long et de 8 km de diamètre) autour du Point de Lagrange L5 avec des matériaux lunaires, comme le préconisait le physicien Gerard O’Neill dans les années 1970.

Avant d’introduire dans ce type d’habitat, une population humaine nombreuse et de ce fait impossible à évacuer en urgence, il faudra le tester pour en équilibrer l’écologie de telle sorte qu’il soit vivable. Pour ce faire je pense que la meilleure solution sur le plan écologique mais aussi économique serait, après avoir terraformé les 400 km2 de sol du premier cylindre, ou plutôt les 800 km2 des deux premiers (côte à côte en rotation sur eux-mêmes en sens contraire pour une meilleure stabilité), d’y introduire des populations d’animaux (version alternative de l’arche de Noé). L’un des cylindres serait climatisé aux températures moyennes / froides, l’autre le serait aux températures chaudes / moyennes. On y trouverait des grands bassins et des rivières, des forêts et des savanes. On y apporterait quelques couples de chaque espèce en nombre correspondant à leur rapport écologique le plus équilibré sur Terre. Il y aurait des grands mammifères et des petits, des oiseaux, des poissons, des insectes et des microbes, des végétariens et des carnassiers, des omnivores, des insectivores, des charognards, tout ce qu’il faut pour « faire un monde », tout sauf l’homme. A noter que plus le volume de l’habitat sera grand, plus l’instabilité de son écologie sera réduite, les micro-déséquilibres pouvant être compensés par la stabilité du reste de l’écosystème (effet tampon). Il sera donc probablement moins difficile de réguler le volume d’île-3 que celui d’île-1 (beaucoup plus petit).

Nous serions les démiurges et les observateurs de ce paradis terrestre avant Adam et Eve. Nous en réglerions la température, l’équilibre atmosphérique gazeux (pression, teneur en oxygène mais aussi en azote, CO2, méthane, et autres gaz), l’hygrométrie. Nous en contrôlerions la population en prélevant les vies animales en surnombre et en introduisant celles qui s’avéreraient manquer (les moustiques sont-ils nécessaires au Paradis ?) ou être insuffisantes et nous ferions de même avec les espèces végétales. Nous en contrôlerions le microbiome en observant la naissance des déséquilibres et en nous efforçant d’y faire face (sans aucun doute le plus difficile !). L’observation d’une telle biosphère serait pour les écobiologistes de toutes disciplines un terrain d’étude et d’expérimentation extraordinaire. Biosphère-2 supposait la présence de l’homme et l’ambition de l’inclure dès le début dans le système a peut-être été une erreur (mais nous aurons demain de plus en plus de capteurs qui nous permettront d’intervenir en amont de déséquilibres difficilement réversibles). Il est sans doute préférable de commencer sans lui en procédant par ajustements/apports successifs d’autres êtres vivants, de telles sortes que des copies de cet « Eden-2 » deviennent un jour habitables, par l’homme, en toute sécurité.

Bien sûr, l’habitat serait accessible aux chercheurs et techniciens divers nécessaires à son fonctionnement et à son réglage ou rééquilibrage continuel et de plus en plus précis (“pilotage”) mais ce serait toujours l’objet de missions courtes, rendues possibles par l’accessibilité de L5 à partir de la Terre en toutes périodes de l’année, pas de séjours longs. Mais in fine, l’horloge d’Eden-2 resterait éternellement fixée au milieu du « Sixième Jour ».

Parallèlement, Eden-2 pourrait faire l’objet de visites virtuelles de Terriens non nécessaires au fonctionnement de l’île, visites rendues très faciles par la présence de capteurs en tous lieux. On pourrait même, à un certain stade, envisager des séjours physiques de petits groupes de chasseurs ou de touristes stationnés dans des lodges. Ces visites pourraient être source de revenus importants qui financeraient au moins partiellement la gestion de l’ensemble. Surtout, Eden-2 puis d’autres îles de l’espace dédiées, deviendraient des conservatoires de notre faune et de notre flore (les seuls de l’Univers accessible ?) ou seraient élevés en particulier les animaux et les plantes menacées et devenues rares sur Terre, l’avantage étant que l’accès en serait par nature strictement contrôlé (plus de braconniers pour tuer les éléphants ou les rhinocéros!). Elles pourraient fonctionner en symbiose avec les banques de gènes et de spores établies sur Mars (du type Svalbard Global Seed Vault). Elles pourraient aussi servir de réserve d’animaux qui seraient exportés après sevrage vers d’autres îles de l’espace. On peut imaginer ainsi qu’une autre île de la région L5, achète un couple d’éléphants. On ferait gravir aux éléphanteaux la « montagne » à l’une des extrémités du cylindre menant vers l’embarcadère qui se trouverait au niveau de l’axe de rotation. Plus les animaux monteraient vers cet axe, plus leur masse aurait un poids léger jusqu’à devenir nul (puisque la force centrifuge serait à ce niveau devenue nulle). On les conditionnerait alors pour leur transfert et un taxi les emporterait avec une très faible impulsion (très faible masse d’énergie, donc faible coût) n’importe où dans la région.

Dieu ayant été imprudent en introduisant l’homme au Paradis, comme l’Histoire l’a si bien prouvé, les Nouvelles Terres habitées par l’homme seraient ainsi créées en dehors du Paradis, dans des îles de l’espace séparées. Il faut toujours tirer leçon de l’expérience!

Image à la Une : illustration de Rick Guidice, réalisée sur les indications de Gerard O’Neill, représentant l’intérieur d’un cylindre « île-3 ». Crédit Rick Guidice/NASA-Ames Research Center.