Le bon fonctionnement (contrôle et orientation) des différents compartiments de MELiSSA n’est pas simple et c’est tout le défi que le projet représente ; de nombreux problèmes se posent, le plus délicat étant sans doute celui du pilotage de notre environnement microbien (microbiote). En effet, comme on peut le constater, des bactéries (bactéries, archées) sont à l’œuvre dans chacun des compartiments (y compris le cinquième, habité !) et on doit « faire attention » à celles qui s’y trouvent, qu’on introduit et qui s’y développent (y compris, en dehors des procaryotes mentionnés, les eucaryotes protistes et mycètes)! Le dernier verbe, « développer », est important car le microbiote comme tout système vivant, est un système dynamique et symbiotique. Les êtres vivants transforment la matière alentour par leur métabolisme, vivent les uns à côté des autres et les uns grâce aux autres, et ils prolifèrent.
Grace au « Human Microbiome Project », on connait maintenant (sans toutefois parfaitement le comprendre dans son fonctionnement) entre 80 et 99% du microbiote strictement humain mais on ne connait toujours qu’un pourcentage infime (moins de 0,01%) des microbes de l’ensemble de notre environnement, englobant nos plantes, nos animaux, notre sol (peut-être un trillion d’espèces pour la Terre entière). Les microbes sont directement ou indirectement nos alliés ou nos ennemis. Certains nous sont nocifs (« pathogènes »), d’autres nous sont neutres (mais peut-être pas pour nos plantes et nos animaux), d’autres encore nous sont favorables ou indispensables. Leurs quantités et leurs proportions sont très importantes pour un système écologique viable pour l’homme (relations entre les microbes, avec le milieu minéral, le milieu vivant eucaryotique) non seulement dans l’espace (la bulle où vivront les astronautes) mais aussi dans le temps (selon notre activité). L’aire de vie de ce microbiote (son microbiome) est lui-même sensible à l’environnement (à l’humidité, au pH, à la température, à la lumière ou à son absence, à la composition de l’atmosphère, à la composition et à l’état des supports, à la présence de nourriture telle que graisses ou protéines).
Les stérilisations ou, moins drastiques, les nettoyages ou mieux, les corrections sélectives de proliférations, sont nécessaires mais dangereux car on risque de détruire de bons microbes en même temps que les mauvais ou bien de sélectionner des souches résistantes en éradiquant des souches bénignes. Le but d’une action sur le microbiome n’est pas d’éliminer le microbiote mais de le maintenir dans un équilibre favorable pour nous, la difficulté étant qu’on le connait encore si mal et que le milieu viable (qui est aussi le microbiome considéré) dans lequel évolueront les astronautes sera isolé et petit. « Isolé » cela veut dire que si le milieu est détruit on ne pourra aisément le reconstituer et « petit », cela veut dire qu’en cas de détérioration, le déséquilibre sera ressenti beaucoup plus que dans un milieu large puisque les déficiences ne pourront être réparées comme sur Terre, par homogénéisation avec l’ensemble des milieux voisins (effet masse ou « buffer »).
Dans ces conditions la durée du voyage interplanétaire et la redondance des milieux de vie seront des données très importantes pour toute mission habitée dans l’espace profond. En effet plus le voyage sera long plus les risques de déséquilibre du milieu seront grands (et plus les correctifs chimiques que l’on pourra emporter avec soi risque d’être insuffisants en termes de masse). A l’arrivée sur l’autre planète, le risque pourra être mitigé par la création aussi tôt que possible (avant l’arrivée de l’homme) de plusieurs milieux viables isolés les uns des autres. On voit tout de suite les limites que cela impose : Mars est à six mois de distance. L’expérience de la Station spatiale a montré que cette durée est gérable mais il vaut mieux choisir de ne pas aller plus loin (vers les lunes de Jupiter) car sur un an on risque d’avoir des divergences importantes des milieux par rapport à l’état initial. Le risque de divergence subsiste pour les séjours, forcément longs, sur une autre planète (sur Mars, 18 mois pour retrouver la configuration planétaire la plus favorable au retour) mais ces risques pourraient être mitigés par la redondance, plusieurs habitats renforçant la probabilité de la persistance d’au moins un environnement viable et donc de la possibilité de correction des environnements divergents. Dans ce contexte, un séjour sur Mars devrait également s’avérer préférable à un séjour sur un autre corps céleste puisque le sol de Mars comporte les mêmes ressources minéralogiques que la Terre et en particulier de l’eau (glace). Ces ressources pourraient permettre de produire localement rapidement les composés chimiques nécessaires au rééquilibrage des microbiotes.
A suivre! (“MELiSSA” 3/7)
Image à la Une: une fraction infime de notre microbiote.
Si vous êtes intéressés par le sujet, vous pouvez consulter les travaux du Dr. Christophe Lasseur, du Prof. Jean-Pierre Flandrois (Uni. de Lyon) ou du Prof. Alberto Bemporad (IMT School for advanced studies, Lucques, Italie). C’est le professeur Bemporad qui a exprimé le concept de “pilotage” lors du workshop.
Lecture: “I contain multitudes: the microbes within us and a grander view of Life” par Ed Yong, à paraître le 9 août 2016.
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