Explorer l’espace c’est chercher à comprendre l’Univers et c’est aussi tenter de trouver dans l’immensité, des êtres vivants semblables à nous. C’est donc chercher l’eau car nulle vie, telle que nous la concevons, ne pourrait s’en passer.
Mais il faut être plus exigeant car ni sa forme gazeuse ni sa forme solide ne permettent les échanges ou les transports nécessaires entre molécules. L’eau doit être active (liquide et ni trop acide ni trop basique). Elle doit donc d’abord se trouver dans un environnement où la température et la pression lui permettent de couler.
On connait les paramètres. Il faut que la pression soit supérieure à 6,11 millibars et la température supérieure à 0°C. A ces coordonnées, dites « point triple de l’eau », on se trouve à la limite de ses trois états possibles, solide, liquide, gazeux. Au-dessus, en températures positives, le point d’ébullition monte progressivement avec la pression, même au-delà de 100°C si la pression augmente au-dessus de 1 bar, laissant une marge de températures de plus en plus grande pour la liquidité.
Dans notre système solaire, deux environnements seulement permettent l’eau liquide en surface : celui de la Terre bien entendu et, très marginalement, celui de Mars. La pression moyenne, à l’altitude « 0 », y est de 6,11 millibars mais les Basses terres du Nord, le fossé d’effondrement Valles Marineris et le grand bassin d’impact Hellas, descendent à plusieurs km sous ce niveau ce qui leur permet de jouir de pressions atmosphériques supérieures (jusqu’à 11 millibars). Dans ces régions il existe encore donc aujourd’hui une très faible possibilité d’eau liquide lorsque les températures sont positives. Mais surtout, au début de son histoire, jusqu’à il y a 3,5 milliards d’années, puis ensuite épisodiquement lorsque le volcanisme densifiait l’atmosphère, l’eau a coulé sur Mars, en abondance comme en témoignent les nombreux lits de rivières observés depuis nos télescopes et satellites et comme le montrent les observations géologiques au sol avec nos laboratoires mobiles (Curiosity).
Ailleurs, les conditions de températures et de pressions se retrouvent sous la croûte de glace de quelques satellites de Jupiter (Europe) ou de Saturne (Encelade) qui doivent contenir des océans globaux. On parle de « zone habitable » pour la bande comprenant la Terre et allant jusqu’à Mars car elle permet précisément l’eau liquide en surface mais l’habitabilité pourrait être étendue au sous-sol de ces astres glacés plus lointains. Cette possibilité reste à vérifier car l’accès de l’eau liquide au rayonnement solaire direct pourrait être essentiel. Si cette condition se confirmait, on se trouverait dans une gamme de possibilités très limitées car la présence d’eau en zone habitable n’a rien d’évident. Dans le cas du système solaire, nous la devons probablement au comportement très spécial de Jupiter et de Saturne au tout début de notre Histoire.
En effet, alors que les planètes n’étaient pas encore formées, les radiations du jeune soleil ont repoussé l’eau et les éléments volatiles contenus dans le nuage de poussière qui orbitait autour de lui, au-delà de 2,7 unités astronautiques (« UA »), notre « Ligne de glace » (la Terre se trouve à 1 UA et Mars entre 1,38 et 1,68 UA). Ensuite le mouvement des planètes géantes, Jupiter puis Saturne, en dehors de leur orbite d’origine, en descendant vers le soleil puis surtout en s’en éloignant (le « Grand Tack » selon son concepteur Alessandro Morbidelli*), créa d’énormes perturbations dans les nuées d’astéroïdes et de comètes au-delà de cette limite, au sein de ce qui allait devenir, vers l’intérieur, la Ceinture d’Astéroïdes et, vers l’extérieur, plus loin qu’Uranus et que Neptune, la Ceinture de Kuiper. Ce fut la déstabilisation et la chute vers le soleil de myriades de petits astres riches en glace. Ils rapportèrent dans notre région les éléments gazeux et liquides dont elle avait été privée et que, maintenant constituées, les planètes internes pouvaient retenir autour d’elles du fait de leur gravité nouvellement acquise.
Quelques dizaines de millions d’années après la création du système solaire et encore plus après les perturbations du Grand Bombardement Tardif (« LHB » -4 milliards), toutes les planètes internes étaient à peu près à égalité du point de vue de l’eau mais leur situation respective ne pouvait qu’évoluer différemment en fonction de la distance au soleil et de la force de gravité particulière de chacune. Mercure (trop chaude) et la Lune (trop peu massive) perdirent très vite leur eau, Vénus ne la garda guère plus longtemps car sa proximité au soleil déclencha un échauffement de son atmosphère dense qui s’emballa et fit se vaporiser puis disparaître dans l’espace la quasi-totalité de l’eau originelle. La Terre et Mars en restèrent couvertes, un véritable cocon pour l’évolution de plus en plus complexe des molécules organiques vers la vie.
Dans d’autres systèmes stellaires, les plus nombreux connus à ce jour, les Jupiters n’ont pas été rattrapés par leur Saturnes et sont descendus jusqu’au voisinage de leur étoile, dévorant toute matière sur leur passage. Seul espoir pour la vie, dans la mesure où ils se seraient arrêtés dans leur zone habitée, la possibilité de satellite(s) rocheux évoluant autour d’eux.
Toute l’histoire de la vie dans le système solaire a donc tenu à une répartition aléatoire de la matière dans le disque proto-solaire puis à l’instauration d’un phénomène de résonance particulier entre deux planètes monstrueuses en cours d’accrétion. Peut-être une des nombreuses manifestations du Hasard et de la Nécessité ?
Crédit image : Centre d’information sur l’eau (entreprises du service de l’eau en France).
*Lecture recommandée: “A low mass for Mars from Jupiter’s early gas-driven migration”. Kevin J. Walsh, Allessandro Morbidelli et al. in Nature 475, p. 206-209 (14th July 2011) doi: 10.1038/nature 10201