Principe anthropique fort, principe anthropique faible…ou pas de principe anthropique du tout ?

Nous existons. L’homme, niveau aujourd’hui culminant de l’évolution de la Vie intelligente et communicante, existe. Les conditions qui ont permis cet aboutissement, très récent au regard de l’âge de l’Univers*, sont une suite d’évènements improbables dans une environnement en évolution continue et constante.

*par rapport à une « journée cosmique » égale à l’âge de la Terre, l’homme, homo sapiens sapiens, n’est apparu que 4 à 6 secondes avant minuit.

Le caractère fortuit et aléatoire de ces évènements, leur nombre, le réglage « ultra-fin » de l’environnement dans lequel ils sont intervenus, et de son évolution, sont extrêmement impressionnants.

L’improbabilité de la répétition des événements et de leurs conséquences (comme celui de l’apparition de l’homme) est extrêmement élevée, compte tenu en particulier de ce que les modifications induites dans l’environnement sont irréversibles. En effet, l’histoire « ne repasse pas les plats » ; le contexte change, les dates comptent. Les événements eux-mêmes modifient le monde dans lequel ils se produisent et nous allons vers toujours plus d’entropie.

La conséquence de la singularité de toute ligne d’histoire est que nous sommes très probablement seuls dans l’Univers.

Doit-on en déduire que cette suite d’événements conduisant à cet aboutissement a été voulue pour l’obtenir, ou bien que l’on soit arrivé au résultat parce que les conditions initiales étaient simplement telles qu’il ne pouvait pas en être autrement, ou encore que l’on soit parvenu au résultat parce que le pur hasard y a conduit, sur Terre, parmi une infinité de possibilités.

Les deux premières hypothèses sont ce qu’on appelle le principe anthropique ; la première, « le fort », la seconde, « le faible ». La dernière est le refus d’une prédestination à la création de l’Univers.

Pour être un peu plus précis et nuancé, je reprends la définition du physicien-cosmologue Brandon Carter (citée par Wikipedia), du principe anthropique et de la différence entre ses deux variantes. Selon lui, le principe serait « un ensemble de considérations relatives au fait que l’Univers tel que nous l’observons possède certaines propriétés inéluctables liées au fait que nous y vivons, la présence de structures biologiques évoluées n’étant pas a priori une caractéristique présente dans tous les univers possibles…Le principe anthropique est vu selon le cas comme une simple nécessité factuelle au fait que des individus intelligents y apparaissent, ou comme une sorte de finalité à son existence. »

Nous avons le choix de l’une de ces hypothèses. Ceux qui ont la foi en un Dieu forcément créateur, opteront de fait pour le principe fort, ceux qui croient que le futur est inscrit dans le passé, pour le principe faible. Les autres, qui pensent que, dans un cadre contraint, l’évolution est ouverte sur plusieurs variantes possibles (le « hasard » avec une dose restreinte de « nécessité »), opteront pour la troisième hypothèse.

Comment trancher ?

Examinons le principe fort.

En premier lieu, nous ne pouvons avoir aucune preuve de l’exercice d’une « Volonté » à l’Origine de l’Univers puisque nous ne savons pas ce qui a déclenché le Big-Bang. En second lieu, nous ne pouvons avoir aucune preuve que les évènements spécifiques à notre Terre qui sont intervenus après son accrétion aient été voulus par un Être suprême.

Certains considèrent que le caractère fortuit des événements, les réglages fins, la complexité même de l’Histoire et, in fine, notre propre existence, sont la preuve de cette Volonté. Libres à eux mais ce n’est qu’une opinion. Aucun argument scientifique ne peut étayer leur prise de position. Aucun point de vue rationnel ne peut non plus étayer la prise de position opposée.

J’écris cela parce qu’un livre récent, très bien documenté et facile à lire (mais un peu gros quand même (540 pages), « Dieu, la Science, les Preuves » prétend juste le contraire.

Les auteurs commencent par lister les arguments des « matérialistes » refusant les preuves de l’existence de Dieu pour mettre en évidence (pensent-ils) leurs faiblesses. Je retiendrai celui concernant « mon » sujet : « les lois déterministes ne sont issues que du hasard et par conséquent il est extrêmement improbable qu’elles soient favorables à la vie ». Ils répondent que si l’Univers et son développement résultent du hasard, le réglage fin de l’Univers et le principe anthropique sont impossibles. Cette réponse me semble un peu rapide et un peu facile. Je répondrais que l’improbabilité de quelque chose n’est pas une preuve de son impossibilité. Je ne nie pas l’improbabilité mais je constate une réalité qui, puisqu’elle est, n’est pas une impossibilité.

L’improbabilité, comme je l’ai souvent évoqué dans ce blog et en particulier dans mon article du 24 avril 2020 cité ci-dessous, est à deux tiroirs. Le premier est proprement cosmologique, c’est celui de l’existence de la Terre avec ses caractéristiques planétologiques. Le second est biologique, c’est, sur la Terre, l’évolution de la matière jusqu’à l’homme.

Ouvrons le premier tiroir.

Concernant les constantes, il faut voir que leurs valeurs extrêmement précises donnent sa cohérence à l’ensemble. Il fallait, par exemple, dès le début que la force de gravité ait une certaine valeur, pour que la force d’expansion puis d’accélération n’empêche la formation des galaxies puis des étoiles, et réciproquement pour que la force de gravité n’empêche l’expansion.

Concernant les évènements, on peut considérer que leur occurrence résulte du pur hasard, dans un milieu évidemment très précisément contraint par les constantes cosmologiques, l’histoire cosmique avant la formation de notre galaxie, puis avant l’allumage de notre Soleil, puis, une fois la fusion démarrée au sein de notre étoile, par les masses en présence, par leur composition chimique, selon la distance à l’étoile (avec volatils ou sans volatils), par l’accrétion différenciée des planètes, par leurs mouvements et leurs forces d’attraction les unes par rapport aux autres.

Ouvrons le second tiroir.

L’apparition de la Terre rendait l’homme possible mais l’évolution de la Terre ne rendait pas l’apparition de l’homme inéluctable. Nous avons en effet connu depuis la formation de la Terre, une succession d’évènements improbables qui, si l’un d’entre eux, n’avait pas eu lieu, auraient rendu impossible l’aboutissement de l’évolution biologique à l’homme (à commencer par le fameux astéroïde de Chicxculub qui a mis fin au règne des dinosaures).

Je refuse donc le principe anthropique fort à moins que l’on puisse me montrer le doigt de Dieu et je refuse aussi le principe anthropique faible, à moins que l’on découvre sur une autre planète des êtres intelligents et communicants ou les traces qu’ils ont laissées. Recherchons ces preuves, sans nous lasser, sur Mars, et ailleurs quand nous le pourrons.

Aujourd’hui, la seule chose que l’on puisse dire c’est que le monde est, et que nous en faisons partie. Au-delà de la découverte d’une autre vie intelligente et communicante, la seule interrogation valable est sur la Cause Ultime puisque nous n’en savons rien sinon qu’elle a eu un effet. Ceux qui veulent croire en Dieu, sont bien entendu libres de le faire sans attendre mais ce n’est pas une démarche scientifique qui peut les y conduire ; c’est une question de foi, un pari comme celui que proposait Pascal.

Lire : Peut-on adhérer au Principe anthropique fort autrement qu’animé par la foi ? article de mon blog du 25/04/2020. https://blogs.letemps.ch/pierre-brisson/2020/04/25/la-croyance-dans-le-principe-anthropique-fort-doit-elle-recueillir-notre-adhesion/

Brandon Carter, article Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Brandon_Carter

Illustration de titre : Michel-Ange, La création d’Adam (détail), Chapelle Sixtine, Vatican.

Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

La question obsède tous ceux qui s’intéressent à la cosmologie. Aujourd’hui, du fait des observations et des réflexions qui se sont déroulées depuis un siècle, elle se pose à l’intérieur de contraintes nouvelles.

Nous savons maintenant que notre univers est apparu il y a 13,8 milliards d’années. On peut le définir au « début » comme une graine porteuse de tout le potentiel qui s’est développé ensuite, aussi bien en termes de matière visible ou de matière noire, que de force d’expansion, de force d’accélération de cette expansion (l’énergie sombre ?), et de force de gravité.

Au début cette graine n’était qu’un point (l’« atome primitif » de Georges Lemaître), et d’après ce qu’on peut en déduire de son histoire ultérieure en partant de maintenant (c’est en remontant le temps qu’on a pu le concevoir et le déduire par le calcul), ce point était extrêmement dense et porteur d’une énergie extrêmement élevée puisqu’aujourd’hui encore il n’a pas épuisé, et de loin, son potentiel.

Y avait-il quelque chose avant ou y a-t-il quelque chose en dehors ? C’est en fait les deux mêmes sous-questions à la première (Pourquoi y a-t-il quelque chose…), tant, nous le savons aujourd’hui, le temps et l’espace sont étroitement liés.

Les cosmologues ou les théoriciens du temps, comme le physicien Carlo Rovelli, qui ont compris que le temps était lié à la matière, répondent qu’il ne pouvait y avoir de temps sans matière, donc qu’il n’y avait pas de temps « avant ».

Ceux qui pensent qu’il n’y a rien en dehors de l’Univers, comme la plupart des cosmologues, pensent que son espace est illimité, même s’il est fini avec un début et une fin, et donc qu’il n’a pas d’extérieur. Ce qui ne serait pas dans l’Univers ne pourrait exister, ni dans le temps ni dans l’espace, et donc se poser la question d’une masse, d’un espace ou d’un temps qui s’écoule hors de l’Univers n’a pas de sens.

L’Univers est une bulle sans bord qui gonfle depuis un moment précis (il y a 13,8 milliards d’années) à partir de ce Point et dont l’expansion s’accélère sans cesse pour un jour lointain conduire le tout, irrémédiablement, par dispersion intégrale, à une mort thermique universelle.

Mais cette position ne peut résoudre totalement l’énigme de l’Origine. Car s’il y a eu « quelque-chose » à un certain moment c’est que ce quelque-chose avait une cause. Or la relation de causalité suppose une succession dans le temps, un « avant » précédant la « conséquence ».

Alors que pouvait-il bien y avoir « avant », pour que ce Point surgisse ?

Certains disent que l’Univers serait sorti d’une fluctuation quantique, selon le même principe que le vide spatial n’est pas vraiment vide mais animé de ces fluctuations faisant surgir à tout moment une multitude de paires de particules et d’antiparticules s’annihilant quasi-immédiatement.

Une démonstration théorique crédible déroulée par Stephen Hawking est celle du rayonnement des trous noirs qui résulterait des conditions gravitaires extraordinaires de l’environnement proche de leur « horizon des événements ». Selon cette théorie, la force de marée énorme générée à cette distance (rayon de Scwarzschild) par le champ gravitationnel d’un trou noir, permettrait d’éloigner suffisamment les antiparticules de leurs jumelles virtuelles, les particules positives, avant leur annihilation réciproque, libérant ainsi ces dernières à une vitesse suffisante (leur masse ayant été réduite de moitié) pour qu’elles puissent s’échapper de l’attraction du trou noir et rayonner.

On pourrait donc imaginer qu’il aurait pu exister des champs de bosons, constituant la trame du futur Univers et lui préexistant, qui auraient pu être utilisés par un phénomène du même type. Mais attention cependant ! le champ de bosons dans lequel circulent « nos » bosons est sans doute un produit de notre univers, celui qui existe à partir du Big-Bang et dans lequel nous sommes aujourd’hui. Pour qu’il y ait eu une Origine par manifestation d’un phénomène quantique, il aurait donc fallu qu’un mécanisme quantique équivalent à ce champ de bosons qui nous est propre se produise avant le Big-Bang.

On entre ici dans l’hypothèse des multivers, ces univers en nombres infinis qui naissent et meurent et coexistent en parallèle au nôtre. Pourquoi pas ? L’existence d’un espace dans lequel ce phénomène pourrait se produire serait une des explications possibles de l’apparition de notre propre Univers. Une alternative serait la re-formation d’un nouvel éon après l’épuisement du précédent et réutilisant sa structure évanouie, selon la théorie de la Cosmologie Cyclique Conforme de Roger Penrose.

Certains cosmologues recherchent à la surface du Fond-diffus-cosmologique, cette image qui nous provient du moment où, 380.000 ans après le Big-Bang, la lumière s’est libérée de la matière, une dissymétrie qui au-delà des anisotropies, pourrait indiquer un frottement avec une autre bulle d’univers, ou la trace d’un éon précédent. Il y a bien un « point froid » ou un « super-vide » sur ce Fond, une zone assez large, deux milliards d’années-lumière, vingt fois la surface du disque lunaire, où les photons apparaissent nettement plus froids ou plus rares qu’ailleurs. Mais jusqu’à présent rien ne peut permettre de l’interpréter dans le sens d’un autre univers extérieur ou précédent.

De toute façon cela ne ferait que reporter le problème car cet espace antérieur à notre Univers ou l’englobant, ou encore l’éon antérieur au nôtre et, au-delà, l’éon primitif ou mieux encore, l’atome primitif de l’éon primitif, d’où viendrait-il ? Quelle en serait l’origine ?

On voit bien que l’on ne peut trouver de réponse scientifique satisfaisante à l’apparition de l’Univers. Soit le milieu dans lequel il apparait existe de toute éternité mais nous n’avons pas le moindre indice qu’un autre univers existe, soit il résulte d’une Création…mais d’où proviendrait le Créateur-incréé ?

Je vous laisse sur cette réflexion.

Illustration de titre : le Grand-architecte de William Blake, British Museum.

Lectures :

Jean-Pierre Luminet : De l’infini par JP Luminet et Marc Lachièze Rey, chez EKHO, 2019.

Carlo Rovelli : L’ordre du Temps, chez Flammarion, Champs Science, 2019.

Michel Cassé :Du vide et de la Création, chez Odile Jacob, 2001.

Istvan Szapudi : Detection of a supervoid aligned with the cold spot of the cosmic microwave background, par I. Szapudi et al., MNRAS, vol. 450, n° 1, pp. 288-294, 2015.

Michel-Yves Bolloré/Olivier Bonnassies : « Dieu, La Science, les preuves » chez Guy Trédaniel (2021).

Le départ d’un ami que je n’ai jamais rencontré

Ce 12 février j’aurais dû donner une conférence à la Ferté-Bernard, dans le Perche, aux confins de la Normandie et de la Bretagne. Un ami que je n’avais jamais rencontré et auquel je n’avais jamais parlé m’attendait. Je devais le retrouver dans une librairie tout près de sa maison où il avait réuni les gens que dans sa petite ville, il connaissait bien. J’y aurais signé le livre « Embarquement pour Mars » dont je suis l’un des auteurs. Nous aurions surtout échangé car, plus que faire un exposé, j’espérais ardemment répondre à ses questions, sans doute en susciter quelques-unes, lui exprimer le fond de ma pensée sur les sujets fondamentaux à propos desquels tout homme s’interroge, sur l’Univers, notre présence dans celui-ci, et sur l’importance de Mars, « ma » planète, bien sûr. Nous avions une journée entière à passer ensemble à discuter et approfondir ce qui ressortait de notre intérêt commun.

Il est mort le 27 janvier et je suis triste car cet homme était pour moi exceptionnel et que mon rendez-vous avec lui est manqué.

Depuis cinq ans, chaque samedi, il attendait mon billet de blog. Le libraire le lui imprimait et le lui apportait « tout chaud » à sa maison toute proche, là où il habitait depuis une quinzaine d’années. Il le « savourait » toujours avec le même plaisir. C’est sa fille, Dominique, amie d’enfance de ma plus jeune sœur, par laquelle il avait appris l’existence de ce « flux », qui me l’a rapporté. C’était pour lui un des rythmes de son temps long, une routine comme on dit moins joliment aujourd’hui, et une satisfaction pour sa curiosité insatiable et son esprit toujours vif et bien structuré (il était grand joueur d’échecs).

J’ai appris cette connivence entre nous il y a quelques temps et j’ai proposé cette rencontre à Dominique un peu après. Il s’en faisait une joie. C’était son « projet » comme elle disait. Nous étions en Novembre.

J’aurais dû fixer une date plus proche !

Maître André Boquet, avocat, a eu une longue et belle vie, bien remplie. Il est resté professionnellement actif, dans son cabinet à Paris bien au-delà de ses 70 ans, puis continuant à entourer de ses conseils ses deux enfants, avocats également. Il est mort parce qu’il avait 105 ans. Cela pourra sembler à chacun une bonne raison et c’est vrai en effet. Mais les grands départs ne sont jamais faciles. Il est toujours trop tôt quand c’est pour toujours, surtout quand on a encore un projet.

Je ne dialoguerai donc jamais avec lui mais j’ai la satisfaction de penser que nous avons partagé quelque chose qui était important pour nous deux, que je l’ai accompagné et que j’ai peut-être prolongé un peu son séjour sur cette Terre par l’intérêt qu’il portait à ce que je publiais. Les parallèles ne se rencontrent jamais mais celles d’une personne qui met des mots sur le papier et d’une autre personne qui les lit en partageant la même passion, peuvent être néanmoins très proches et « s’épauler » pour avancer encore plus loin dans le plaisir de la connaissance et de la compréhension des choses. Je continuerai à rêver et à écrire en pensant à lui.

Adieu André !

Illustration: photo d’André Boquet prise à l’occasion de ses 100 ans. Crédit “Le Maine libre”.

Ci-dessous, photo récente.

Quels gaz le JWST doit-il rechercher dans l’atmosphère des exoplanètes ?

Les astrophysiciens qui vont utiliser le télescope Webb (JWST) veulent étudier l’atmosphère des exoplanètes de taille terrestre, éventuelles porteuses de vie. Que doivent-ils rechercher pour trouver une planète qui aurait sur ce plan, atmosphérique, les capacités de la Terre ?

La première réponse, évidente au-delà des considérations de température et de pression qui doivent permettre l’eau liquide, c’est de rechercher l’oxygène moléculaire et un gaz neutre comme l’azote, dans des proportions qui permettent le fonctionnement d’organismes aussi puissants que les nôtres (animaux dont êtres humains). Nous savons en effet que seul l’oxygène est un oxydant suffisamment fort pour générer l’énergie nécessaire à la vie des organismes complexes. Nous savons aussi que l’oxygène est extraordinairement inflammable du fait de sa puissance oxydante et que donc, il doit être accompagné d’un gaz neutre pour éviter les combustions spontanées et ne pas provoquer d’hyperoxie (au-dessus de 0,5 bar environ) c’est-à-dire de brulures de l’organisme qui le respire.  La combinaison des deux gaz semble indispensable, quelle que soit la forme vivante qui les utiliserait et quel que soit son environnement.

La deuxième réponse c’est qu’il faut aussi rechercher d’autres gaz, même en proportions plus faible, car la vie n’est pas un processus simple. Il ne consiste pas qu’à bruler n’importe quel oxydant dans n’importe quel réducteur. Dans ce processus il y a des êtres vivants, composés de matière organique, et qui utilisent toute une chaîne de ressources (à partir de ce que peut offrir la planète et son étoile). Ces êtres sont en symbiose tout autant avec la planète qu’avec les autres êtes vivants avec lesquels ils cohabitent (et éventuellement qu’ils tuent et consomment), les rejets métaboliques des uns pouvant être « respirés » par les autres (comme d’ailleurs l’oxygène) et une partie au moins des ressources et des rejets étant en phase gazeuse. C’est ce « mix » de gaz qui va donner à l’atmosphère de la planète sa signature biologique, reflet tout autant de la présence de vie, que du type de vie qu’elle abrite.

Parmi ces gaz, il devrait y avoir de la vapeur d’eau et du CO2 car sans eau pas de vie possible et nous savons bien par ailleurs que nos plantes et certaines bactéries ont autant besoin de gaz carbonique que de lumière pour leur photosynthèse. Le carbone contenu dans ce gaz (qui est autant une ressource qu’un rejet) sera toujours au centre des composants de la matière organique des êtres vivants, non seulement de ceux qui l’utilisent pour cette photosynthèse mais aussi de ceux qui se nourrissent de ces êtres vivants photosynthétiques. Certains auteurs de science-fiction ont certes imaginé des vies à la chimie exotique sans ces éléments, mais il faut être réaliste, la vie ne peut très probablement pas se passer de carbone, d’oxygène, d’eau et d’azote (sans compter le phosphore, le soufre et quelques autres éléments).

La troisième réponse c’est qu’il faut bien voir que nous nous trouvons à un certain moment de notre histoire bio-géologique et qu’au cours de cette histoire, la composition de l’atmosphère a beaucoup changé (et qu’elle continuera après nous à changer), en fonction en particulier de la vie qui l’anime et qui a une interaction non-nulle avec elle. En conséquence, en étudiant les exoplanètes porteuses d’atmosphère, il ne faut pas se contenter de rechercher celles qui contiennent les mêmes gaz que la nôtre aujourd’hui mais aussi celles qui auraient des atmosphères semblables à celles qui dans le passé, à diverses époques, ont entouré la Terre, ou celles qui dans le futur pourraient logiquement la remplacer (avec, pour un certain temps, plus de gaz carbonique, par exemple).

Sur Terre, nous avons eu plusieurs périodes.

Durant la plus primitive, l’atmosphère était composée comme celle des autres planètes rocheuses, d’hydrogène et d’hydrures résultant des contacts de ce gaz avec la roche, de méthane et d’ammoniac.

La période suivante, résultant du volcanisme et du bombardement intense de gros astéroïdes, nous apporta l’azote, l’oxyde de carbone, l’eau, les composés sulfureux et les gaz inertes. L’azote était devenu dominant vers -3,4 milliards (époque des premières formes de vie). En même temps, une densité atmosphérique élevée, couplée à une forte teneur en CO2, permis de maintenir en surface un effet de serre absolument indispensable pour renforcer le rayonnement du jeune Soleil dont l’irradiance était 30% inférieure à ce qu’elle est aujourd’hui. C’est ainsi que l’eau pu se condenser et se maintenir au sol, liquide, dès que la température de la planète eut suffisamment baissé (vers -4,1 ou -4,2 milliards d’années).

Vers -3,5 milliards d’années, les cyanobactéries qui respirent le gaz carbonique en utilisant l’énergie lumineuse du Soleil et rejettent de l’oxygène, furent devenues suffisamment abondantes pendant suffisamment longtemps, pour commencer à répandre cet oxygène dans l’atmosphère après avoir oxydé en fer ferrique, le fer ferreux contenu dans l’eau des océans.

Vers -2,4 milliards, l’oxygène était devenu suffisamment abondant dans l’atmosphère, pour réduire l’effet de serre alors que le Soleil n’était toujours pas assez fort pour que la Terre puisse s’en passer pour conserver une température permettant à l’océan de ne pas geler. Ce fut la Grande-oxydation (Great Oxydation Event) qui provoqua le premier épisode de Terre-boule-de-neige (Snowball Earth).

Après la restauration d’une atmosphère plus riche en CO2 et H2S grâce au volcanisme, l’oxygène remonta grâce encore aux cyanobactéries, surtout à partir de -0,8 milliards d’années, puis fluctua entre 15 et 35% pour plus ou moins se stabiliser autour de 21% (aujourd’hui mais pour combien de temps ?). Au début de la lente montée de l’oxygène dans l’atmosphère, les conditions permirent la prolifération des eucaryotes mais pas l’apparition des métazoaires, organismes consommateurs d’énormément d’énergie (et donc d’oxygène), nonobstant le fait que l’évolution devait aussi trouver son chemin. Il ne suffit pas en effet que des conditions soient remplies pour qu’un phénomène se développe (conditions nécessaires mais certainement non suffisantes).

Avec l’oxygène, apparu au contact du vent solaire, l’ozone, ce qui créa une enveloppe protectrice des rayons UV solaires, favorable au développement de la vie « aérienne » (en contact avec l’atmosphère de la Terre). Et avec la vie aérienne apparurent de nouveaux gaz, méthane, protoxyde d’azote, chlorométhane, phosphine…On peut les retrouver dans notre atmosphère et leur présence en même temps que l’oxygène serait pour tous les éventuels observateurs extérieurs, des témoins de notre vie terrienne.

La conclusion de cette histoire, c’est qu’au début de la vie d’une planète « terrestre », pendant au moins deux milliards d’années, il n’y a pas d’oxygène moléculaire dans l’atmosphère mais que la planète n’en a pas moins un potentiel pour le développement de la vie. Pour la suite, il est incontestable que la présence d’une quantité non négligeable d’oxygène moléculaire couplée avec un peu de gaz carbonique et d’autres gaz cités ci-dessus, serait la preuve très probable de la présence de vie. Il faut ajouter le bémol que plus d’oxygène n’est pas automatiquement le signe de plus de vie intelligente. Quand l’oxygène occupait 35% de notre atmosphère, cela permettait la vie de gros organismes, comme ceux des amphibiens géants, des fougères géantes ou des araignées géantes mais il n’y avait pas d’homme sur la Terre, l’évolution darwinienne ne l’avait pas encore permis et il n’y a sans doute nul automatisme qui y conduise. Par ailleurs, les gaz marqueurs de vie comme la phosphine seraient très difficiles à détecter dans l’atmosphère des exoplanètes du fait de leurs très faibles quantités. Du fait de la distance, nous ne pourrons malheureusement identifier que les gaz dont les volumes sont les plus importants.

Souhaitons bonne chance au JWST. Il nous fera progresser dans nos technologies et nous permettra plus tard, avec d’autres instruments encore plus performants, de mieux connaître nos exoplanètes voisines.

Illustration de titre : Crédit NASA. NB : le télescope représenté est Hubble (qui a aussi une capacité, beaucoup plus faible que le JWST, de collecte du rayonnement infra rouge).

Illustration ci-dessous : l’atmosphère terrestre prébiotique et l’atmosphère aujourd’hui (Encyclopedia Britannica) :

Illustration ci-dessous, évolution du gaz carbonique, de l’oxygène et du méthane dans l’atmosphère terrestre. Adapté de Scientific American, « When Methane Made Climate » par James Kastings, diagramme original de Johnny Johnson. En abscisse le temps terrestre en milliards d’années depuis l’origine de la Terre, en ordonnée la concentration relative, en orange courbe du gaz carbonique, en argenté courbe du méthane, en bleu courbe de l’oxygène.

Liens :

https://www.nasa.gov/content/core-capability-3-exoplanet-characterization-enabling-nasa-s-search-for-life

https://cral.univ-lyon1.fr/spip.php?article165

Spectre de la planète HIP65426b pris par SPHERE ; HIP65426b, entre 6 et 12 fois la masse de Jupiter, est située à 385 AL de la Terre et sa température de 1000 à 1400°C.

https://exoplanets.nasa.gov/news/129/detecting-biomarkers-on-faraway-exoplanets/#:~:text=Microbes%20emit%20methane%20and%20nitrous,are%20known%20as%20atmospheric%20biomarkers.

https://en.wikipedia.org/wiki/Biosignature

https://www.swissinfo.ch/fre/berne–l-apparition-de-l-oxyg%C3%A8ne-sur-terre-expliqu%C3%A9e/43531082#:~:text=Des%20chercheurs%20bernois%20et%20canadiens,%2C4%20milliards%20d’ann%C3%A9es.&text=Cela%20a%20chang%C3%A9%20de%20mani%C3%A8re,%2C%20puis%20dans%20l’atmosph%C3%A8re.

https://en.wikipedia.org/wiki/Atmosphere_of_Earth

https://en.wikipedia.org/wiki/Paleoclimatology

Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur :

Index L’appel de Mars 22 01 15