Un monde idéal mais pas du tout politiquement correct

Imaginons que dans le contexte actuel, un gouvernement propose ou décide (selon le degré de démocratie des institutions du pays) que des ressources publiques importantes seront affectées à l’implantation de l’homme sur Mars. Ce serait un tollé dans une bonne partie du monde politique et dans les media !* Mais que nos opposants se rassurent, cela n’arrivera pas et c’est bien cela qui personnellement me désole et m’inquiète car les Etats ponctionnent de plus en plus leurs résidents et disposent de plus en plus des richesses qu’ils produisent, les empêchant de développer librement et en responsabilité leur propre projet (comme par exemple celui que j’évoque) puisque dans la plupart des pays, ils ne peuvent plus le réaliser avec leurs seuls moyens.

*j’ajoute évidemment un bémol pour les Etats-Unis, à retirer ou à introduire selon la présidence et je ne parle pas de la Chine!

Le problème c’est que notre communauté humaine est devenue dans son ensemble, frileuse, repliée sur elle-même et plus intéressée « par son nombril » que par les grands espaces. Ce qui prime aujourd’hui, c’est la défense de la vie à tout prix (jusqu’à l’absurde), la protection sanitaire (« la santé ») et sociale (la « solidarité »), l’égalité « à tous crins » (« à chacun selon ses besoins »), le ruminement d’un passé apparemment non digéré car mal connu ou compris (la destruction des statues par nos « bovins » contemporains !), le principe de précaution (la peur). Pour résumer nous ne sommes plus à l’époque de John Kennedy !

Je n’aime pas ces « nouveaux » principes. Je suis personnellement partisan d’un autre système de valeurs et, en particulier, de l’inégalité financière, conservée* ou construite par la capacité et le travail, pourvu qu’elle soit assortie, au départ, de l’égalité des chances de chacun assurée par l’éducation obligatoire pour les enfants et adolescents et qu’elle s’exprime dans le cadre d’une compétition loyale c’est à dire de l’égalité des droits (y compris celui à l’information). Le corollaire est de cantonner la solidarité (donc l’« assistance »), certes indispensable, à son minimum nécessaire. Je chéris la liberté plus que tout ; l’Etat ne devrait exister que pour faciliter son expression, collecter les quelques impôts (proportionnels et non progressifs) utiles au fonctionnement des services publics indispensables, et faire respecter l’ordre et la loi. L’inégalité n’est pas une supériorité ni une infériorité mais une différence, c’est la vie même, c’est ce qui force à changer, à échanger, à apprendre, à se comparer, à progresser. L’inégalité financière c’est, de fait, la possibilité d’initiatives individuelles consistantes pour ceux qui disposent des moyens susceptibles d’en permettre la réalisation. C’est aussi la possibilité pour un individu ou un groupe d’individus librement associés, de faire des choix différents de ceux d’une collectivité représentée imparfaitement par une administration au service d’un pouvoir politique souvent démagogique, et de pouvoir mener à bien ces choix en en prenant seul(s) la responsabilité (donc le risque de perte ou la chance de succès et le droit de disposer de ses fruits pour continuer ou recommencer).

*NB: je ne critique pas les héritiers. Ils bénéficient certes d’avantages « au départ » mais quels parents ne souhaitent pas aider leurs enfants? D’autre part, dans le courant d’une vie, les avantages hérités sont rapidement remis en cause par la compétition et maintenir une « fortune » est presque aussi difficile que de l’acquérir. On le constate dans les familles. La troisième génération n’a le plus souvent plus beaucoup d’avantages par rapport à ses contemporains qui n’ont pas eu la même chance, même dans les pays libéraux où les impôts sur les successions sont moins lourds qu’ailleurs. Vouloir persécuter les héritiers relève plus de la jalousie que du souci de l’efficacité économique d’autant que certaines dynasties (celle des Rockefeller par exemple) ont eu un impact économique et social remarquablement positif pour tous.

Je reprends:

Malheureusement l’Etat moderne ou plutôt le groupe de ceux qui l’incarnent, « ces Messieurs de l’Etat » comme disait Frédéric Bastiat, prélève de plus en plus d’impôts et il le fait inéquitablement en ponctionnant toujours davantage « les plus riches », c’est-à-dire ceux qui pourraient investir indépendamment du « groupe »*. Son premier objectif est en effet de réduire les inégalités puisque la masse des électeurs (dont certains ne payent même pas d’impôts directs et ne vivent que d’aides ou de subvention) croit, à tort, que contraindre « tout le monde » à l’égalité est dans son intérêt. Son second objectif, qui découle du premier, est de gérer collectivement la richesse créée par tous, selon la fiction d’un gouvernement démocratique agissant pour le bien commun puisque élu par une majorité de la population, et incarnée par des fonctionnaires désintéressés. Or laisser l’affectation du capital produit, aux décisions d’une administration sous le contrôle d’un pouvoir politique démagogique (pente naturelle de la démocratie, comme le dit très bien Tocqueville), c’est le gage de la continuité dans la médiocrité. Cette caste de gens qui n’ont rien gagné mais simplement prélevé, ne veulent que répartir sans construire (ou, au mieux, ne pas plus construire que répartir). Leurs projets sont par nature principalement consensuels, curatifs, palliatifs, très peu innovants. Et lorsqu’ils tentent d’être innovants, ils se préoccupent d’abord de ce qu’ils appellent le « bien commun », l’emploi, la sécurité pour tous, toutes préoccupations tièdes, peu créatrices de richesses mais débilitantes et appauvrissantes, non seulement pour les personnes ponctionnées mais pour l’ensemble de la population. En effet tous ne peuvent bénéficier suffisamment de la création de ces nouvelles richesses forcément limitées au niveau de chacun, du fait d’une dynamique trop faible car sans perspective séduisante ou trop diluée. Les fonctionnaires non seulement n’aiment pas les projets audacieux (pour ne pas utiliser le terme « fou » qu’ils emploieraient volontiers), mais ils n’ont pas davantage le souci de la fructification (i.e. de la rentabilité) puisqu’ils savent que par leur capacité à prélever ils disposeront toujours des ressources nécessaires et que personnellement ils resteront rémunérés. Ni le goût de l’aventure, ni l’espoir de gain pas plus que le risque de perte ne sont des motivations, au contraire du souci de plaire** qui reste constant.

*bien entendu tous les hommes politiques ne sont pas égalitaristes donc totalitaristes mais les tendances à toujours plus d’étatisme et de socialisme qui conduisent à un état obèse, véritable cancer qui pompe toute la substance de l’être social, sont extrêmement lourdes. Les vrais libéraux sont extrêmement rares, surtout en France mais même en Suisse et surtout en Romandie, ces jours.

**à leurs supérieurs hiérarchiques ou aux dirigeants politiques, eux-mêmes et indirectement à la masse de leurs électeurs. Cela est d’autant plus vrai me semble-t-il, que la structure étatique est hiérarchisée et centralisée et que les hommes politiques n’exercent aucune profession en dehors de la poursuite de leur carrière politique, comme en France (ce qui n’est pas le cas en Suisse) et sont donc coupés des réalités. 

Tout au contraire, la personne privée qui s’est enrichie par son travail et/ou qui veut préserver un capital acquis ou hérité, ne va pas chercher à en faire profiter tous « les autres » indistinctement. Elle va s’efforcer de le préserver ou de l’augmenter et, pour le maintenir au moins à son niveau, de le faire fructifier par l’investissement tout en satisfaisant, souvent, une passion ou un désir de création. Mais l’investissement va être « pesé » avant d’être réalisé, en fonction des risques et de l’intérêt qu’il présente (financiers mais non seulement). Dans cet esprit, la personne privée ne va en faire profiter avec précaution et attention que ceux qui contribuent efficacement à ses côtés à son projet car elle sait que celui-ci ne sera validé, ou sanctionné, que par le succès, ou par l’échec, qu’il recueillera sur le marché. Un mauvais projet meure s’il ne recueille pas l’adhésion d’une demande. Une personne riche perd sa richesse et, tout aussi grave, elle ne peut réaliser son rêve, si elle ne sait pas la gérer.

Le système capitaliste ainsi décrit est un gage d’efficacité (gestion du risque pour le moindre coût), de justice (échec des mauvais projets, récompense des bons) et in fine d’avantages pour tous (les gens productifs qui travaillent avec perspicacité sont recherchés et récompensés par les détenteurs de capitaux, les autres sont incités à faire aussi bien qu’eux).

Je rêve d’un monde ou les Bill Gates, les Jeff Bezos ou les Elon Musk, quel que soit leur pays (car il est certain qu’il y en a potentiellement ailleurs qu’aux Etats-Unis), auraient carte blanche, c’est-à-dire où ils n’auraient pas à payer d’impôts pour toutes sortes de causes inutiles. Je rêve d’un monde où l’Etat ne s’occuperait que des fonctions régaliennes et que pour le reste, il « laisserait faire » ! Je rêve d’un monde d’initiatives et de responsabilité. Dans ce monde je paierais un GAFA parce qu’il me rend service, plutôt qu’un Etat qui se goinfre sans contrepartie. Dans ce monde, la recherche, l’astronautique, l’exploration, mais aussi le soin des autres ou de l’environnement, toutes les passions humaines auraient toute leur place pour s’épanouir pour autant qu’elles soient portées par des individus, un monde où il suffirait de vouloir pour décider de faire.

NB: cet article a été écrit à titre strictement personnel et ne peut absolument faire présumer l’adhésion des autres membres de la Mars Society Switzerland aux idées exposées.

Illustration de titre : détail du panorama pris en Novembre 2019 depuis Vera Rubin Ridge sur les pentes du Mont Sharp au centre du Cratère Gale par la caméra Mastcam de Curiosity, crédit NASA/JPL-Caltech/MSSS. Cette Terre est vierge, elle nous attend pour donner ses fruits.

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Index L’appel de Mars 20 08 22

Les femmes aussi s’intéressent à Mars

En février 2021, un « équipage » de six jeunes femmes, dont la « commandante », Julie Hartz, suisse, est diplômée de l’Université de Lausanne, va effectuer une « mission » dans une des bases de simulation de la Mars Society.

L’équipage est multinational, multi-universitaire et multidisciplinaire. En dehors de Julie Hartz, les membres sont issues de Macquarie University (Australie), de l’Universitat Autonoma de Barcelona, de l’ESILV (Ecole Supérieure d’ingénieurs Léonard de Vinci, Paris) et de Cranfield University (Nord de Londres). Leur point commun est évidemment leur passion pour l’espace mais par ailleurs elles sont différentes et complémentaires comme devront l’être les membres d’un équipage pour une vraie mission sur Mars. Julie Harz a choisi l’exobiologie, après une formation en physique, géosciences et géochimie. Cristina Vazquez-Reynel est ingénieure en astronautique (réalité augmentée) et a commencé à travailler en entreprise (L3Harris). Laurene Delsupexhe, est ingénieure système en astronautique. Elle a rejoint le programme des petits lanceurs, VEGA, de l’ESA. Marta Ferran-Marques après des études en nanosciences et nanotechnologies et un master en matériaux pour l’aérospatial, travaille chez Sensor Coating Systems ltd sur les techniques de mesure des températures de surfaces. Paula Peixoto est diplômée en nano-médecine et travaille à l’Hôpital de Vall d’Hébron, en Catalogne, sur les désordres neuronaux causés par les pathologies de l’immunité. Kelly Vaughan-Taylor, la plus jeune, termine son Master en « sciences de la Terre », combinant géophysique et géochimie.

La mission, dénommée « WoMars » (dont chacun comprendra le sens), se déroulera dans un environnement aussi martien qu’il est possible d’en trouver sur Terre, le désert de l’Utah. Il a été choisi en fonction de ce critère par la Mars Society américaine pour y établir une de ses deux bases de simulation (l’autre est en Arctique) il y a 20 ans. C’est ce qu’on appelle la « MDRS » (Mars Desert Research Station »), située à 1300 mètres d’altitude, pas très loin de Hanksville (220 habitants, 20 minutes de voiture), c’est-à-dire au milieu de « nulle part ». On y est dans un endroit totalement isolé, sans eau liquide courante (sauf celle évidemment apportée pour les besoins des « astronautes analogues »), l’atmosphère y très sèche et il n’y fait pas chaud en hiver (surtout la nuit !). Géologiquement il y a beaucoup de similitudes ou comme on dit, d’« analogies » avec l’environnement martien. La mission durera quinze jours (c’est la 241ème qui se déroulera à la MDRS). Pendant cette période, chacune des six membres étudiera un projet ressortant de sa spécialité et bien préparé auparavant.

Laurène Delsupexhe a choisi le transport en surface de Mars (« planétaire ») en utilisant l’atmosphère. Il s’agit d’étudier les possibilités d’UAV (« Unmanned Aeronautic Vehicle ») pour transporter des instruments commandés à distance et d’ULM pour transporter un astronaute avec quelques équipements.

On connait les difficultés de tels transports dans l’environnement martien puisque la pression atmosphérique n’est que de 6,10 millibars au Datum (altitude moyenne). En même temps il faut rappeler que les déplacements sur le sol martien sont difficiles (pas de route, des sables mouvants et des pierres qui présentent souvent des arrêtes beaucoup plus tranchantes et perçantes que sur Terre). Bien sûr l’utilisation de la rétropropulsion sera toujours possible mais il est évident que ce qu’on pourra faire en utilisant l’atmosphère donc en consommant moins d’énergie produite par l’homme (et qui devrait être transportée !), sera à privilégier.  

Marta Ferran-Marques veut étudier les conséquences de l’environnement martien sur les process (impression 3D en gravité réduite et culture des plantes sur sol infertile de type martien) et sur les tissus utilisés pour la couche extérieure des scaphandres (téflon et composite de type « ortho-fabric »).

Ces problèmes sont spécifiques à Mars. Il est vrai que la gravité joue un rôle dans la fonction de dépôt de matériaux par les imprimantes 3D (et sans doute dans la solidité de ce qui est réalisé). Par ailleurs les météorites ne sont pas autant consumées par l’atmosphère terrestre que par l’atmosphère de Mars (mais évidemment plus que sur la Lune et dans l’espace profond). En plus de ses recherches, Marta tiendra aussi ce qu’on peut appeler le « journal de bord » de l’équipage.

Julie Hartz veut 1) tester la représentativité statistique de différents échantillons de minéraux dans un terrain de type martien afin d’estimer ce qui permet le mieux la reconstitution stratigraphique la plus exacte de la géologie du lieu ; 2) tester la détectabilité sur le terrain d’éventuelles biosignatures dans un échantillonnage de roches de type martien.

La question se pose car le programme de la mission Mars 2020 de la NASA prévoit la collecte dans quelques années, d’échantillons d’une certaine taille (compatible avec leur retour sur Terre) mis de côté (en « cache ») dès l’année prochaine. Ce choix a des conséquences pour les biais qu’il peut introduire. Par ailleurs identifier un biomorphe d’une vie très ancienne (a priori plus de 3,5 milliards d’années) et inconnue, dans un environnement très différent de celui de la Terre et ayant subi une histoire très différente, est quelque chose que géologues et taphonomistes doivent se préparer à appréhender.

Cristina Vazquez-Reynel veut évaluer les applications possible et l’intérêt de la réalité augmentée pour l’entrainement des astronautes et pour la maintenance d’une base martienne.

La réalité augmentée sera un outil très utile sur un monde où les sorties hors des habitats seront toujours difficiles et dangereuses (faible pression atmosphérique, radiations, port du scaphandre nécessaire). Beaucoup d’actions ou d’interventions à l’extérieur des habitats seront donc menées à distance et la réalité augmentée permettra d’évaluer les évolutions, les problèmes, les besoins et même de guider les constructions ou les réparations d’équipements ou de structures.

Kelly Vaughan-Taylor veut 1) étudier la possibilité de mieux comprendre les structures géologiques dans le sol, par l’utilisation de la sismologie « ambiante » (à l’aide des signaux faibles provenant de l’interaction de l’atmosphère avec la surface) ; 2) comparer la composition d’échantillons de roches martiennes à leurs équivalents sur Terre.

Nous connaissons la Terre, sa géologie et en particulier sa minéralogie. Le milieu martien étant différent et ayant évolué dans le cadre de contraintes environnementales différentes, donnera des « produits » différents. Il faut se préparer à ces différences pour mieux les percevoir et les comprendre.

Paula Peixoto veut étudier les effets épigénétique, au jour le jour, d’une mission spatiale (rythme circadien, tissu osseux, tissu musculaire).

La vie sur Mars aura sur les organismes humains et plus précisément sur nos gènes, des conséquences du fait des contraintes environnementales spécifiques à la planète. Il faut s’y préparer pour pouvoir chercher à remédier à ce qui serait nuisible à la santé des astronautes.

Comme vous le voyez ces projets d’études très sérieux font partie de ce sur quoi il est utile de travailler et de réfléchir avant d’aller sur Mars. Les missions « réelles » seront coûteuses et longues. Il faudra emporter les équipements indispensables et utiliser au mieux le temps disponible pour que les recherches scientifiques soient menées le plus efficacement possible. Rappelons-nous qu’il n’y aura pas d’approvisionnement intermédiaire possible sur une durée de 26 mois (durée de la période synodique). Des missions de préparation comme celle que vont accomplir ces jeunes femmes sont donc à encourager. Nous les soutenons, en tant que Mars Society Switzerland mais si vous êtes intéressé pour le faire de votre côté, « you are quite welcome » comme on dit aux Etats-Unis (voir les possibilités sur le site de WoMars dont je donne le lien ci-dessous). Ce serait aussi un moyen de soutenir la « cause des femmes » en aidant ces jeunes chercheuses et ingénieures à démontrer qu’elles peuvent très bien mener à bien une mission scientifique dans un milieu difficile, seules, sans aucune assistance masculine…ce dont je ne doute absolument pas.

Illustration de titre: vue de la station de simulation MDRS, crédit Mars Society USA.

liens :

http://womars.co.uk/

https://mdrs.marssociety.org/about-the-mdrs/

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Index L’appel de Mars 20 08 21

 

Rêverie sous la voûte étoilée un soir d’été

Le Soleil s’est dissous « dans son sang qui se fige » après avoir joué de tous les instruments composant l’atmosphère pour y déployer une symphonie splendide de couleurs et de formes.

C’était un prologue avant ouverture. Notre petite Terre venait d’occulter le Soleil et c’était comme si la Nuit ayant subtilisé le rideau de scène, nous avait donné accés subitement au véritable décor.

Profitant de la douceur du temps, je me suis allongé dans l’herbe les yeux tournés vers le ciel comme il y a plus de cinquante ans sur la pelouse de « mon » Université de Virginie. Juste un léger souffle de vent dans les feuilles des arbres et des lumières encore allumées dans quelques appartements faisaient ressentir la vie du monde alentour. Comme alors, mon regard s’est évadé hors de notre cocon planétaire pour tenter d’approcher l’infini de plus en plus profond qui l’aspirait. Comme alors, cette progression vertigineuse, on pourrait dire ce sentiment de projection dans le vide à l’intérieur même de l’Univers, me conduisit vers un lent et profond épanouissement mêlant contemplation, interrogations, philosophie et rêverie, en somme un grand moment de volupté.

Les étoiles sont là comme elles ont toujours été, depuis bien avant ma naissance, et comme elles le seront encore bien après ma mort. Leur stabilité apparente les unes par rapport aux autres astres (à l’exception de nos quelques planètes visibles, de la Lune et des météores!) sur une voûte céleste évoluant selon un cycle majestueux et immuable, est l’illustration la plus parfaite de ce qu’on appelle l’éternité. A notre petite échelle tout est immobile et tranquille. Pourtant l’on sait aujourd’hui qu’à plus grande échelle, que de vitesse, que de puissance, que de violence ! Mais toujours, que de beauté !

Vis-à-vis de ce spectacle, de l’histoire grandiose et merveilleuse qu’il représente par son image à cet instant précis où on le contemple, et de ces potentialités figées mais immanentes, l’homme n’est physiquement « presque rien » mais quand même « quelque chose ». Imperceptible vu des autres planètes proches du même système lui-même imperceptible d’un autre point quelconque de notre propre galaxie, il n’est qu’un passage fugace, une étoile filante par le court temps de vie qui lui est imparti, une trace seulement par les transformations qu’il apporte à son environnement et ses minuscules excursions dans l’espace. Et cependant il est au contrôle d’un esprit capable d’appréhender et de comprendre, de réfléchir, de projeter, d’organiser et de créer dans plusieurs dimensions, aussi bien des constructions mathématiques complexes que des créations esthétiques pouvant satisfaire pleinement ses cinq sens, capable de ressentir une gamme presqu’infinie d’émotions découlant de ce spectacle, de ses créations et de ses relations avec ses semblables, les autres formes de vie et la matière même.

Nous avons la chance d’être l’un de ces êtres extraordinaires mais en sommes-nous bien conscients. Profitons-nous vraiment pleinement de cette chance et nous conduisons nous, chacun d’entre nous, à la hauteur de ce corps et de cet esprit, chacun unique et périssable mais tellement polyvalent et riche des potentialités qui nous ont été données ? Utilisons-nous au mieux ces deux talents comme il est recommandé par le Christ dans l’évangile selon Saint-Matthieu ?

C’est très certainement ce à quoi il faut nous appliquer. Respectez les autres et « profiter de la vie » mais développer au maximum nos potentialités créatrices individuelles, en elles-mêmes et en communion avec celles des autres, pour les rendre plus efficaces collectivement et individuellement.

Alors, continuons à travailler et à créer le jour, à contempler les étoiles la nuit, comme lorsque nous étions enfants, avec dans nos têtes leurs noms qui viennent de la profondeur du temps et qui portent notre imaginaire, la Voie Lactée, Bételgeuse, Antarès, Sirius, les Constellations ou le Nuage de Magellan. Montrons-nous dignes de ce que nous avons reçu des Babyloniens ou des Mayas mais aussi de tous ces astronomes extraordinaires qui se sont succédés depuis Galilée. Ce sont non seulement des noms et des images mais une somme de connaissances prodigieuses que nos ancêtres, les meilleurs d’entre nos contemporains et peut-être nous-mêmes avons accumulées par la raison et par l’effort. En effet, ce que nous voyons est encore plus beau lorsque nous le comprenons; il n’y a pas de « fruit défendu ». Nous avons droit à tout ce à quoi nous pouvons accéder et ce sont simplement les limites de nos capacités qui fixeront les limites de ce que nous pourrons appréhender.

Un jour nous irons dans l’espace profond et depuis le sol de Mars nous contemplerons la Terre dans la lumière bleutée du Soleil couchant.

Illustration de titre: La Voie Lactée vue depuis le Sol de Mars; photo prise par Curiosity. Crédit NASA. Vous ne voyez pas grand chose mais regardez un peu plus et vous verrez davantage.

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Index L’appel de Mars 20 08 05

L’île de Pâques, “loin de tout” mais, de ce fait, un peu plus près des étoiles

Fatu Hiva, Mangareva, Rapa Nui, ces noms d’iles perdues dans l’Océan ont fait rêver des générations de voyageurs sinon d’explorateurs. Là-bas on est toujours sur Terre mais déjà presque sur une autre planète, en tout cas « ailleurs » tant on est loin et isolés du monde. Pourtant des hommes y sont parvenus il y a presque 1000 ans, s’aventurant sur leurs « va’a », esquifs qui le plus souvent aujourd’hui sont des pirogues à balancier et à rameurs mais qui en l’occurrence étaient aussi à voiles. Ils se guidaient avec les étoiles et les moindres indices observables, tels les vents, le vol des oiseaux ou les lignes sinueuses des bancs de plancton, dans l’immensité qui les entouraient. Il fallait beaucoup d’imagination, beaucoup d’espoir, beaucoup de confiance en soi et toujours du courage pour quitter de vue la terre en se lançant vers l’inconnu.

Deux chercheurs du laboratoire mexicain LANGEBIO (Laboratorio Nacional de Genomica para la Biodiversidad), le généticien Andrés Moreno-Estrada et l’anthropologue Karla Sandoval viennent de découvrir ou plutôt de confirmer (publication dans Nature, ce mois de juillet 2020) que ces navigateurs, « hardis » s’il en fut, étaient peut-être allés beaucoup plus loin que ces iles « de rêve », jusqu’en Amérique du Sud. Il me semble intéressant de faire remarquer que les Vikings à la même époque étaient symétriquement parvenus en Amérique du Nord, tout en reconnaissant que le défi pour traverser le Pacifique fut autrement plus impressionnant pour les Polynésiens, compte tenu de la distance à franchir sans escale. A moins que, arrivés au bout de leur monde d’îles et d’archipels, ils aient rencontré sur Rapa Nui (notre future « Île de Pâques » et pour eux, après qu’ils s’y soient installés, “Te Pito o te Henua”, “le nombril du monde”) quelques autres hommes venus eux-mêmes des côtes américaines sur des radeaux de type Kon-Tiki comme imaginé par Thor Heyerdahl. A moins qu’ils aient été les premiers sur Rapa Nui et que ce furent les Amérindiens qui abordèrent ensuite les rivages qu’ils venaient de s’approprier, à l’occasion d’une expédition exploratoire et éventuellement conquérante.

L’étude menée à partir de 2014 par les chercheurs du LANGEBIO, est fondée sur le génome de 166 natifs de Rapa Nui comparés à 188 génomes d’autres habitants de Polynésie. Il apparait que le génome des Pascuans comprend outre une base polynésienne, des éléments résultant de la période coloniale et quelques éléments appartenant à une population du Nord de la Colombie, les Zenus, faisant partie, comme plus tardivement les Incas, de la grande civilisation andine. Les séquence de ces derniers gènes sont courtes et presque identiques. Elles expriment plus un contact ponctuel il y a 28 générations (d’où le millier d’années estimé), qu’un contact continu. Mais cela confirme ce qu’on pouvait déduire de la culture de la patate douce dans certaines des iles les plus orientales du Pacifique comme de la présence de roseaux totora dans le lac du cratère du volcan Rano-raraku de l’Ile de Pâques, les mêmes que ceux qui poussent dans le lac Titicaca ou, provenant de ce lac, dans certains endroits de la côte péruvienne (comme à l’ile de Pâques ils sont utilisés pour flotter dans ou sur l’eau) ou encore ce qu’on pouvait déduire de la technique de construction de certains édifices. Ce qui est certain c’est qu’il y a eu contact. Pour le moment l’échantillon humain est petit mais la voie est ouverte pour une étude plus approfondie.

Aucune mention n’est faite de Thor Heyerdahl par les deux chercheurs, ni par la revue Nature ou par la revue Science qui les citent. Cependant je vois le résultat comme une revanche de ce Norvégien excentrique qui se conduisait au milieu du XXème siècle comme un explorateur du XIXème siècle alors qu’il n’y avait presque plus rien à découvrir sur Terre. NB : On peut remarquer à cette occasion qu’une fois que la Terre a été connue quasiment dans son entièreté, les hommes ont disposé comme par miracle de progrès technologiques qui leur ont permis de regarder encore plus loin en envisageant l’exploration dans une autre dimension, celle de l’Espace. Thor Heyerdhal avait gagné la confiance des indigènes et il avait beaucoup appris d’eux. Il avait compris que la population de l’île bien que toute petite (au plus quelques milliers d’habitants sur 163 km2) n’était pas homogène culturellement et surement en partie non-polynésienne génétiquement. Il avait été beaucoup moqué pour cela par l’« establishment » des ethnologues de son temps auquel il n’appartenait pas. Un de ses contempteurs était (hélas!) le grand professeur Alfred Métraux (né à Lausanne) qui avait séjourné dans l’île dix ans auparavant et qui n’avait rien vu. Je voudrais donc ici rendre hommage à Thor Heyerdhal, en étendant cette expression d’admiration et de respect à tous les hétérodoxes et passionnés qui, par leur sensibilité et leur travail non encadré, non diplômé mais très approfondi, on fait avancer la Science, dans ce domaine comme dans d’autres. C’est grâce à eux souvent, qui ont forcé l’« Académie » à changer de paradigmes, qu’on a pu progresser dans la connaissance et la compréhension du monde.

Revenons à Rapa Nui. Que s’est-il passé ? qu’est-ce que ce contact découvert par les chercheurs ? Où a-t-il eu lieu? J’opte plutôt pour l’hypothèse d’une incursion unique d’Amérindiens à Rapa Nui commandés par le héros Hotu Matua sur un radeau de type Kon-Tiki juste après que les premiers polynésiens y soient parvenus. Les Amérindiens purent ainsi apporter quelques pratiques culturelles de l’Amérique latine dont les techniques de construction en gros blocs lisses et parfaitement ajustés les uns aux autres qu’on retrouve dans les terrasses cultuelles un peu partout dans les îles les plus orientales du Pacifique et dans les temples des Incas aussi bien que de leurs prédécesseurs. Et comme c’étaient les apporteurs de ces technologies « avancées » qui faisaient travailler les autres, ce furent probablement eux les ancêtres des « longues oreilles », ethniquement différents des « courtes oreilles », qui impressionnèrent tant les premiers Européens.

Nous sommes un peu après l’an mille. Deux générations après Hotu Matua et ses compagnons, sont nées et ont grandi sur l’île. Les adolescents sont rassemblés sur la plage d’Anakena où leurs grands-parents ont débarqué et ils se racontent l’histoire de la grande traversée qui leur a permis d’être là. Mieux que leurs parents, ils connaissent tout de ce qui est en train de devenir pour eux le nombril du monde. « Ils en ont fait le tour » et ils ont soif d’ailleurs. Ils contemplent les restes du grand radeau de balsa qui a transporté leurs aïeux et ils se disent : « Nous sommes des hommes nous aussi maintenant. Nous sommes donc des marins comme ils l’ont été et nous allons partir comme ils sont partis, pour aller plus loin. Nous trouverons une terre immense, plus vaste et plus riche que toutes les terres que racontent leurs légendes. Ayons confiance en nos aku-aku* et en notre dieu Kon-Tiki. Si nous sommes courageux et tenaces, ils nous permettront de survivre et de réussir. » Certains partirent et nous ne savons pas ce qu’ils sont devenus. Peut-être sont-ils retournés en Amérique ou ont-ils essaimés dans d’autres îles du Pacifique. Peu importe, ils sont partis loin, bien au-delà de la portée du regard des géants de pierre qui juchés sur les plateformes construites avec une infini délicatesse par ceux qui sont restés, observent pour l’éternité l’océan de leurs yeux grands ouverts.

*petit esprit personnel évoluant autour de chaque Pascuan (et probablement de chaque homme). On ne le voit pas mais il est toujours là. C’est un peu notre “ange gardien” mais il n’est pas toujours bienveillant et il a tendance à être facétieux. Il faut savoir se le concilier. En tout cas, il sait “tout” et peut beaucoup.

Nous sommes dans la même situation que ces jeunes Pascuans des temps anciens, sur la plage regardant les étoiles et ce point rougeâtre dans le ciel. Un jour nous monterons à bord de nos fusées, les va’a d’aujourd’hui, et nous irons là-bas, où personne n’est encore jamais allé, jusqu’à ce point au-delà de l’océan du vide qui nous sépare, parce que c’est un défi qui nous est posé et que notre plaisir suprême serait de le remporter.

Ce qui compte c’est le rêve, la préparation et l’effort. L’île de Pâques est notre dernier appui sur Terre avant le saut vers Mars. D’autres que nous construiront des îles dans l’espace.

Illustration de titre: un moai regarde l’Océan: Photo Géo. En fait ceux qui regardent l’Océan sont rares même si tous ceux qui sont “arrivés à destination” depuis leur carrière de “naissance”, sont situés sur les rivages de l’île. Sans doute pour faciliter leur culte, ou pour les assimiler aux ancêtres qui sont arrivés de la mer.

PS à l’attention des premiers lecteurs de mon précédent article (sur le départ de la mission Mars 2020) publié jeudi 30 juillet: j’ai modifié cet article le Samedi 1er août à midi, en y ajoutant quelques précisions utiles sur la suite du voyage et vous invite donc à le relire.

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