« Franchir sur Mars les portes de l’espace » ou la vie quantique des livres

Dernier article publié sur letemps.ch. Pour continuer à me suivre, voir les indications à la fin du présent article.

Les amateurs de mon blog seront heureux de savoir que j’ai écrit un livre. Ils le seront moins d’apprendre en même temps que ce livre stagne dans les limbes de l’édition. Son titre est « Franchir sur Mars les Portes de l’Espace », ce qui laisse imaginer facilement les idées qu’il porte et fait avancer (j’en suis convaincu), sans dévoiler leur contenu précis ni leurs articulations. Pour vous donner encore plus d’envie de le lire, je vais vous raconter sa pré-histoire, un peu comme celle de l’Univers avant qu’il parvienne à la Surface de dernière diffusion, et je vais vous révéler quelques indices accrocheurs (je l’espère) sur son contenu.

En décembre 2019, j’ai reçu un mail de la Direction des PPUR (éditeur bien connu en Suisse romande puisqu’il est celui de l’EPFL, Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne). La personne, chargée d’édition, avait pris connaissance de mon blog « exploration spatiale ». Il l’avait apprécié et me proposait d’écrire un livre dans la ligne de cette création continue mais dans un format adapté à fin de publication dans sa prestigieuse maison.

Je suis donc allé à Lausanne pour en discuter. C’est le Directeur des PPUR (devenue ensuite EPFL Press) qui me reçut. Il me confirma de vive voix tout le bien qu’il pensait de ce que j’écrivais et m’assura que sa maison m’aiderait en cas de besoin pour finaliser l’ouvrage.

Sur de telles prémices, je me lançais avec enthousiasme dans l’écriture (de toute façon j’en avais envie depuis quelques temps) et un peu plus tard, en mars 21, je présentais mon texte. La réponse du chargé d’édition qui m’avait été attribué, ne vint qu’en juillet (covid ?) et elle fut décevante. Le livre était trop aride à son goût, il lui fallait du « story telling » pour en faciliter la lecture.

Je n’avais pas envie de diluer la progression de ma « démonstration » dans des considérations personnelles et dans un premier temps, je « laissais tomber ». Puis, réflexion faite, je me résignais à introduire ce que j’appelais des « intermèdes » entre les chapitres pour expliquer mon cheminement vers cette œuvre et ce qui personnellement m’avait inspiré. Le choix de cette formule étant qu’on pouvait se passer de lire les intermèdes si l’on voulait lire l’essentiel (mais aussi que l’on pouvait ne lire que les intermèdes si on ne voulait que me connaître).

En juin 2022, je renvoyais ma nouvelle version dont la substantifique moëlle avait elle-même été modifiée mais malheureusement je tombais sur ce qu’on peut appeler un « aiguillage », mon interlocuteur ayant décidé de quitter EPFL Press. J’évoque cet équipement de chemin de fer car le partant avait quand même transmis mon nouveau projet à ceux qui restaient. Je fus en effet recontacté en Août 2022 par le Directeur éditorial et commercial, qui m’apparut enthousiaste car il m’écrivait : « votre dernière version est de grande qualité, tant sur le fond que sur la forme. J’ai donc le plaisir de vous indiquer que celle-ci est tout à fait susceptible d’intégrer notre catalogue, si le projet est toujours d’actualité de votre côté ». Evidemment qu’il l’était ! Par contre ce « Directeur éditorial et commercial » ajoutait que la touche personnelle que j’avais introduite à la demande de mon premier interlocuteur se révélait inutile (« la version sans intermèdes est de loin celle qui revêt le plus de rythme et de puissance ») ! Le message se terminait par diverses considérations, précises, sur la commercialisation.

EPFL Press me proposa ensuite un contrat en ajoutant, comme une formalité, que mon livre serait soumis à un « expert ». J’étais quand même un peu inquiet car je ne voyais pas à quel type d’expert mon livre interdisciplinaire et novateur pouvait être soumis (l’exploration de Mars supposée, reposant sur l’utilisation du Starship et conduisant à une colonisation).

Cette inquiétude était malheureusement justifiée car le 23 septembre je recevais un mail dont la teneur était la suivante : « Nous venons de nous entretenir avec l’expert mandaté pour l’évaluation de votre travail. Il a souligné la verve et la qualité formelle de l’ensemble, mais nous a également indiqué que votre propos est trop subjectif pour être publié par notre maison. Votre enthousiasme et votre engagement envers la conquête martienne sont indéniables, mais nous ne pouvons engager l’image de l’EPFL au travers d’une vision qui n’est pour l’heure pas officiellement partagée. Nous devons donc pour cette raison renoncer à cette publication. »

Je me demande toujours comment un éditeur peut craindre de publier un livre trop personnel de quelqu’un dont la vision ne pourrait pas être partagée (?!). Rétrospectivement je peux me dire que Chat-GPT a de beaux jours devant elle mais que certains éditeurs doivent trembler.

Je vous ai fait attendre mais je vais vous en dire maintenant un peu plus sur ce « brûlot » qui n’a toujours pas été publié.

Il s’agit de faire le point de nos connaissances en astronomie, en astronautique, en géologie martienne, en exobiologie et aussi en ingénierie en milieux extrêmes, afin de justifier l’intérêt qu’a l’humanité de s’investir dans la tentative souhaitée aujourd’hui par beaucoup, de s’installer sur Mars.

Pour le lecteur, il doit ressortir avec évidence de cette étude que Mars est bien la seule planète accessible qui présente suffisamment de caractères proches de la Terre pour que nos technologies puissent les exploiter à cette fin. Grâce à elles nous pouvons espérer aujourd’hui surmonter les difficultés bien réelles qui s’imposent à nous pour cette installation.

Nous dépendrons pour y aller d’un véhicule. Celui dont la réalisation prochaine est la moins improbable est le vaisseau Starship de SpaceX avec son lanceur SuperHeavy. Le vaisseau lui-même a été testé et il vole. Il faut maintenant que son lanceur SuperHeavy puisse le propulser jusqu’à l’orbite de parking terrestre d’où il pourra s’élancer vers Mars. Il faudra encore disposer d’une énergie suffisante à bord et que la protection thermique du Starship s’avère efficace pour supporter au retour la chaleur de rentrée dans l’atmosphère terrestre. On peut espérer que ces trois conditions soient remplies prochainement.

A partir de là une première mission habitée sera possible, sans doute au début des années 2030. Ce sera le test décisif pour savoir si on peut continuer, c’est-à-dire s’installer durablement sur Mars.

Une fois sur place il faudra utiliser les ressources locales pour respirer, se nourrir, construire, se protéger des radiations et du froid. Il n’est en effet pas question d’envisager transporter toute la masse dont on aura besoin, notre capacité d’emport étant loin d’être illimitée. Par chance, Mars a été formée avec les mêmes éléments que la Terre et il n’y a aucune raison que nous ne puissions les utiliser, en particulier l’eau de ses nombreux dépôts de glace et le carbone/oxygène de son atmosphère de gaz carbonique. Il faudra bien sûr de l’énergie pour utiliser ces ressources et la fission nucléaire avec des réacteurs mobiles importés, semble incontournable même si des panneaux solaires pourront être utilisés en complément.

Les buts ou motivations sont multiples. Il s’agit d’abord d’accroître au plus vite nos connaissances sur une planète dont la proximité peut nous apprendre beaucoup sur la nôtre et les prémices de la vie. En effet un robot accompagné d’un homme sur Mars serait beaucoup plus efficace qu’un robot seul commandé à distance depuis la Terre, avec un décalage de temps de 3 à 22 minutes dans un seul sens. Il s’agit aussi de tester et d’améliorer nos différentes technologies écologiques car l’environnement martien impose une discipline très stricte concernant l’efficacité énergétique et le recyclage, toutes matières organiques ou fabriquées par l’homme étant extrêmement précieuses dans un monde neuf et selon toute vraisemblance, sans vie. Il s’agit encore de répondre à la pulsion d’aventure qui existe, comme à toute époque, dans l’esprit de beaucoup d’entre nous ; l’espace est à ce titre un nouvel Océan qu’il nous faut franchir pour aller voir « de l’autre côté ». Il s’agit enfin de permettre à quelque chose de nous de survivre au cas où, pour une raison ou une autre la Civilisation serait détruite sur cette Terre. Atteindre l’autonomie pour les quelques milliers d’hommes qui pourront partir et s’y établir sera long, c’est pour cela qu’il faut commencer dès que possible. Une fois l’Homme installé sur Mars, il sera de fait devenu une espèce multiplanétaire. Nous aurons bien « franchi sur Mars les portes de l’espace ».

Mes lecteurs du blog Exploration spatiale ne seront pas surpris par cette trame. Mais ce qui compte, c’est la démonstration, la force de la logique et c’est cela que j’ai particulièrement travaillé dans ce livre d’un peu plus de 240 pages, ce qui en fait un ouvrage certes dense mais lisible (et je l’espère, convaincant !).

Mais s’il ne parvient pas à sortir de ses limbes, peut-être ne le lirez-vous jamais. Les livres tant qu’ils ne sont pas publiés sont comme les particules virtuelles présentes en nombres énormes dans le vide mais qui n’apparaissent que rarement dans le monde réel. Ils n’existent que potentiellement même si pourtant ils existent bel et bien car ils ont été, pensés, travaillés, écrits, relus, discutés, tout comme les autres. S’ils parviennent un jour à la face du monde dans les librairies, c’est qu’ils ont plu à un éditeur en fonction de considérations qui peuvent être excellentes mais qui ne le sont pas toujours. En dehors de l’évidence de la qualité et d’une rencontre d’un écrivain avec son éditeur, il peut s’agir de mode, d’un nom connu (auteur ou sujet), d’un scandale ou d’une conformité parfaite à l’ère du temps. Cela ne veut pas dire que tous les éditeurs soient « bien-pensants » ou commerçants avant tout. Je ne veux pas dire non plus que de bons livres ne soient de temps en temps publiés. Simplement il faut de la chance, comme il en faut aussi à tout être inclus dans un œuf fécondé pour naître enfin un jour à ce monde certes magnifique mais aussi insensible et cruel.

A la semaine prochaine sur « mon » blog (voir ci-dessous). Pour moi et je l’espère aussi pour vous, l’« Exploration spatiale » continue !

Illustration de titre : Un vaisseau spatial pénètre dans l’atmosphère de Mars au-dessus de Valles Marineris. Crédit William Black (2015). Imaginez-vous dans ce cadre, pour moi un moment de pure beauté, de rêve et d’espoir !

xxxxx

Attention! Le Temps arrête sa plateforme de blogs aujourd’hui, 30 juin 2023.

Mon blog, “Exploration spatiale”, a dû comme les autres prendre son envol pour migrer ailleurs plutôt que disparaître et cet article est donc le dernier à paraitre sur cette plateforme.

D’ores et déjà vous pouvez me lire sur mon nouveau blog (créé par le développeur Dinamicom) qui reprend toutes les archives (articles et commentaires) du présent blog.

Nom de mon nouveau blog: “Exploration spatiale – le blog de Pierre Brisson“. Lien vers le blog:

https://explorationspatiale-leblog.com

Je serais heureux que vous vous y abonniez. NB: Le Temps n’a pas voulu transmettre à ses blogueurs les adresses mails de leurs abonnés et je n’ai donc aucun moyen de vous écrire.

Pour (re)trouver dans mon blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur (NB: j’ai repris cet index dans mon nouveau blog) :

Index L’appel de Mars 23 06 29

Si vous avez des commentaires à faire sur cet article, merci de les poster sur mon nouveau blog pour permettre aux autres lecteurs et à moi-même d’y répondre au-delà de ce soir.

xxxx

Vous pouvez aussi me lire sur contrepoints.org, porte parole des opinions libérales en langue française (Contrepoints est un media avec lequel j’entretien une relation déjà longue) lorsque sa direction estime mes articles intéressant dans son contexte éditorial.

https://www.contrepoints.org/

Vous pourrez encore me lire, de temps en temps, dans les pages du Temps dans la rubrique “Opinions/débats” quand la Direction du journal le jugera utile pour son lectorat général.

A la semaine prochaine, même jour, même heure, sur https://explorationspatiale-leblog.com.

Au revoir letemps.ch et merci au journaliste Emmanuel Gehrig de m’avoir invité à participer à cette belle aventure!

 

Bienheureux sont les Terriens car ils ont Mars comme planète voisine (2. La distance)

Une fois que les Terriens auront suffisamment « fait joujou » sur la Lune, ils pourront enfin s’élancer vers Mars, une vraie planète avec, comme nous l’avons vu la semaine dernière, une gravité adéquate et une richesse géologique adaptée à la présence humaine, compte tenu du niveau technologique que nous avons atteint aujourd’hui.

Certains disent que la planète Mars est trop loin. Ils ont tort. En fait elle est suffisamment loin pour justifier une présence humaine permanente mais elle n’est pas trop loin pour empêcher toute communication avec la Terre ni pour souffrir d’une irradiance solaire trop faible. Elle est aussi suffisamment loin pour que l’eau puisse y avoir subsisté un peu partout sous forme de glace.

Le premier point à considérer est le simple fait spatio-temporel de l’isolement proprement dit.

Comme chacun le sait ou devrait le savoir, Mars se situe, en ligne droite, entre 56 et 400 millions de km de chez nous ou, en termes d’astronautique, au bout d’un arc d’ellipse (trajectoire courbée par la force gravitationnelle du Soleil) de 500 à 600 millions de km correspondant à ces 400 millions de km. Cette longueur d’arc d’ellipse est en effet la seule à prendre en compte car pour transporter le maximum de masse avec le minimum d’énergie (qui est le maximum de ce qu’on peut embarquer), on doit suivre, plus ou moins, une trajectoire de Hohmann (départ tangentiel à la Terre, arrivée tangentielle à Mars avec une vitesse nulle, Mars étant située en conjonction du Soleil par rapport à la Terre lors du départ). Pour parcourir cette distance il nous faut aujourd’hui, avec la propulsion chimique, entre 8 à 6 mois (en raccourcissant un peu la trajectoire idéale de Hohmann et en consommant plus d’ergols, donc en transportant moins de charge utile). Par ailleurs, compte tenu de la progression différente de chacune des planètes sur leur orbite respective (longueur des ellipses et vitesse de déplacement sur ces ellipse différentes), la fenêtre pour un départ de la Terre vers Mars ne reste ouverte que pendant un mois tous les 26 mois ou, après être arrivé sur Mars après un voyage de 6 mois, qu’à peu près un mois à la fin d’un séjour de 18 mois.

Ces six mois de voyage et l’étroitesse de la fenêtre de départ ont plusieurs conséquences. On ne peut raisonnablement imposer un grand nombre de voyages parce qu’ils sont très longs dans l’absolu pour un être humain (six mois dans un volume viabilisé limité, même confortable, deviendront à la fin un maximum supportable) et parce que la dose de radiations accumulée devient à la longue nuisible pour la santé. Faire trois voyages aller-retour dans une vie ne posera pas de problème, en faire le double exposerait à un risque de cancer non négligeable.

On pourra peut-être créer une gravité artificielle par force centrifuge dans les vaisseaux interplanétaires mais on se limitera probablement à une gravité martienne (0,38g) et sur Mars on n’aura pas les moyens de vivre dans une gravité terrestre. Il va en résulter, malgré les charges que l’on pourra s’imposer et l’exercice physique, une perte de densité osseuse et de masse musculaire qui rendront le retour sur Terre d’autant plus pénible que le séjour sur Mars aura été long.

Financièrement, quelqu’un devra payer le voyage plus séjour (« voyage »). Certes la plupart des passagers pour Mars auront un travail à y faire qui devrait permettre la rentabilisation du voyage ou bien ils disposeront d’une somme (importante) pour l’acheter. Quoi qu’il en soit le voyage sera coûteux même après que les économies d’échelle dues à l’augmentation du nombre de vols auront permis de réduire le montant du « billet » unitaire. Ce sera une raison supplémentaire non pas de renoncer au voyage mais de bien réfléchir avant de repartir vers la Terre parce qu’il sera vraiment coûteux de revenir ensuite sur Mars.

Donc les voyages seront longs, pénibles, coûteux, à la limite du possible, mais cette extrémité a deux faces. On ira peu sur Mars mais on pourra y aller et lorsqu’on ira on sera incité à y rester ne serait-ce qu’en raison des difficultés surmontées.

Mais l’effort nécessaire ne sera pas la seule raison d’y rester.

Le second point à considérer est celui qui découle de la rigidité des périodes synodales. L’impossibilité de s’écarter de la fenêtre de départ pour entreprendre le voyage dans un sens ou dans l’autre aura pour conséquence une période de vacance de plusieurs mois sur Mars entre un départ de Mars vers la Terre et l’arrivée suivante sur Mars depuis la Terre. Il faudra donc une équipe sur place pour faire la liaison, c’est-à-dire assurer la maintenance des installations diverses entre deux séjours et surtout pour accueillir les nouveaux résidents après un voyage éprouvant (surtout s’ils ont voyagé en apesanteur).

Le troisième point à considérer est la possibilité de communiquer. Là aussi les Martiens se situeront à la limite de l’acceptable, extrémité qui présentera aussi ses deux faces.

Les messages, dans chaque sens, devront franchir la distance en ligne droite qui séparent Mars de la Terre, les 56 à 400 millions de km mentionnés plus haut, soit 3 à 22 minutes à la vitesse de la lumière. La conversation en direct ne sera donc pas totalement impossible, disons que l’on aura le temps de la réflexion (ce qui évitera sans doute de dire n’importe quoi), cependant elle sera très difficile. On sera un peu dans la situation des membres d’un réseau social ou des commentateurs d’un blog, avec des questionnements ou des réponses auxquels on ne répond pas immédiatement mais quand même, si nécessaire, plusieurs fois dans la journée.

Il faut voir la différence avec les échanges qui auraient lieu avec des personnes situées à la proximité de Jupiter et a fortiori autour de l’étoile Proxima Centauri, notre plus proche voisine (4,25 années-lumière tout de même). Dans ces cas-ci, l’envoi d’informations restera possible mais l’échange ne pourra plus être une conversation. Dans le cas de Mars, y vivre restera compatible avec le maintien de liens via les ondes avec des « proches » ou des collègues restées sur Terre.

Le quatrième point à considérer est la situation énergétique de la planète ou plus particulièrement son niveau d’irradiance solaire. Au plus loin du Soleil, au cœur de l’hiver austral, un objet à la distance de Mars reçoit encore plus de 400 W/m2. C’est trois fois moins que ce que l’on reçoit à la distance de la Terre mais dix fois plus que ce l’on reçoit à la distance de Jupiter. Cela permet d’utiliser encore l’énergie solaire pour les serres dans lesquelles on cultivera une bonne partie des aliments nécessaires à la vie de l’homme (en complétant évidemment avec de l’énergie obtenue sur Mars) et cela permet de disposer d’une luminosité suffisante pour évoluer à l’extérieur des bulles viabilisées sans apport d’énergie complémentaire.

Certes cela ne permettra pas de jouir d’une température extérieure compatibles avec la vie humaine (les températures de -100°C la nuit seront « normale » mais même pendant l’hiver austral les températures n’atteindront pas cet extrême à l’équateur et il y aura des températures positives pendant l’été boréal. Surtout, la rotation de la planète sur elle-même en 24h39 évitera les trop longues périodes sans lumière et sans chaleur même relativement faibles. Elle sera aussi familière à l’homme et aux autres formes de vie qu’il introduira sur Mars.

Cette chaleur et cette luminosité relatives représentent des économies d’énergie considérables par rapport à ce qu’exigera un séjour sur Europa ou a fortiori sur Titan.

Le cinquième point à considérer est l’accessibilité à la glace d’eau. A la différence de la Lune où l’eau est rare, concentrée aux pôles (surtout au Pôle Sud) et difficilement accessible, il y a de l’eau un peu partout sur Mars, bien sûr près des pôles mais aussi aux latitudes moyennes et même à l’équateur. La température basse résultant de l’éloignement du Soleil, a permis sa conservation sous forme de glace depuis des millions d’années (entre les périodes d’atmosphère dense faisant suite aux épisodes volcaniques ou d’inclinaison de l’axe de rotation très bas sur le plan de l’écliptique) pourvu qu’elle ne soit jamais exposée à la chaleur (autrement elle se sublime). L’homme sur Mars aura accès à ces réserves, il pourra les miner et les conserver sans dépense d’énergie jusqu’à ce qu’il en ait besoin, avant de recycler l’eau après usage puis de la remettre en réserve sous forme de glace qui pourra lui servir également d’écran contre les radiations.

Vivre en Antarctique a permis d’envisager de vivre sur la Lune. Mais ni le premier ni la seconde ne sont suffisamment loin de la civilisation pour que l’on envisage de s’y établir vraiment. Si on est malade dans l’un ou l’autre de ces lieux hostiles on peut/pourra envisager un rapatriement. Si un équipement essentiel à la survie fait défaut dans l’un ou l’autre de ces mêmes lieux, on peut/pourra envisager de se le faire fournir. Rien de tel sur Mars, une fois parti de la Terre et jusqu’au retour trente mois après, l’équipe d’astronautes et plus tard les résidents martiens, seront seuls, sans aucune assistance matérielle possible. En ce sens, passer de la vie sur la Lune à la vie sur Mars représente un saut comme on n’en a jamais fait depuis les Grandes Découvertes où là aussi l’explorateur européen était totalement seul, loin de tous les outils disponibles en Europe. Avec Mars nous allons commencer une nouvelle séquence. Une fois que l’homme se sera adapté à vivre en-dehors de son berceau, grâce à une planète Mars « distante mais pas trop », il pourra tenter la grande aventure de l’essaimage dans l’espace véritablement profond, celui qui est situé au-delà du système solaire interne. Nous n’avons pas encore la technologie pour le faire mais nous l’aurons un jour et nul doute que nous l’utiliserons comme demain nous utiliserons les faibles moyens dont nous disposons aujourd’hui pour aller sur Mars. Et nous pourrons aussi le faire car, grâce à la vie sur Mars, le principe d’une vie possible en-dehors de la Terre aura été posé, accepté et tenté avec succès. Depuis qu’elle a pu parvenir à la mer ouverte ou aux marges des grands déserts d’Afrique, une partie de notre espèce, celle des nomades, a toujours rêvé de savoir ce qu’il y avait « de l’autre côté ».

Illustration de titre :

La Terre vue de Mars photographiée par le rover Curiosity de la NASA le 31 janvier 2014, 80 minutes après le coucher du Soleil (crédit NASA/JPL-Caltech/MSSS/TAMU). Les deux planètes sont distantes mais après Vénus, Mars est la plus proche. Les deux sont celles que l’on voit le mieux dans notre ciel; dans le ciel de Mars c’est la Terre, seule.

xxxx

Attention! Le Temps arrête sa plateforme de blogs le 30 juin 2023.

Mon blog, “Exploration spatiale”, a dû comme les autres prendre son envol pour migrer ailleurs plutôt que disparaître et cet article est donc un des derniers à paraitre sur cette plateforme.

D’ores et déjà vous pouvez me lire sur mon nouveau blog (créé par le développeur Dinamicom) qui reprend toutes les archives (articles et commentaires) du présent blog.

Nom de mon nouveau blog: “Exploration spatiale – le blog de Pierre Brisson“. Lien vers le blog:

https://explorationspatiale-leblog.com

Je serais heureux que vous vous y abonniez. NB: Le Temps n’a pas voulu transmettre à ses blogueurs les adresses mails de leurs abonnés et je n’ai donc aucun moyen de vous écrire.

Pour (re)trouver dans mon blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur (NB: j’ai repris cet index dans mon nouveau blog) :

Index L’appel de Mars 23 06 06

Si vous avez des commentaires à faire sur cet article, merci de les poster sur mon nouveau blog pour faciliter les échanges.

xxxx

Vous pouvez aussi me lire sur contrepoints.org, porte parole des opinions libérales en langue française (Contrepoints est un media avec lequel j’entretien une relation déjà longue) lorsque sa direction estime mes articles intéressant dans son contexte éditorial.

https://www.contrepoints.org/

Vous pourrez encore me lire, de temps en temps, dans les pages du Temps dans la rubrique “Opinions/débats” quand la Direction du journal le jugera utile pour son lectorat général.

xxxx

A la semaine prochaine, même jour, même heure, sur:

https://explorationspatiale-leblog.com

Bienheureux sont les Terriens car ils ont Mars comme planète voisine (1. La masse)

Les Terriens sont ingrats. Beaucoup considèrent la Planète Mars comme une terre hostile et lointaine qu’il vaudrait mieux, de ce fait, ignorer. Ils ont tort. Ils devraient au contraire voir que c’est exactement le tremplin dont l’humanité a besoin pour, un jour, pouvoir prendre son envol dans l’espace profond. Ils devraient donc rendre grâce à la « Nature » qui l’a placée là, telle qu’elle est, à l’endroit où elle est.

Les avantages fondamentaux qu’offre Mars pour nous êtres humains, par rapport aux autres planètes du système solaire et par rapport aux planètes d’autres systèmes qui ne présenteraient pas la même configuration que notre couple Terre/Mars, sont liés à la masse et à la distance. Plus précisément ce sont d’une part, le rapport de masses entre les deux planètes et la masse de Mars en absolu ; d’autre part, la distance de Mars à la Terre et la distance de Mars au Soleil. Je développerai cette semaine, les avantages donnés par la masse.

Pour mémoire, Mars a une masse relativement petite, un dixième de celle de la Terre, pour un diamètre égal à la moitié de celui de la Terre (donc à peu près la même densité) mais une surface égale à la totalité des terres émergées de notre planète. Cette faible masse n’est pas « normale ». Compte tenu de l’homogénéité probable du disque protoplanétaire, Mars aurait pu avoir la même masse que la Terre ou que Vénus. Elle aurait même dû avoir cette masse si, comme nous l’a démontré brillamment l’astrophysicien Alessandro Morbidelli (théorie du « Grand Tack » i.e. du « grand rebroussement »), Jupiter, formée au-delà de la ligne de glace, n’était pas venue faire une incursion dans cette région du système solaire interne (en-deçà de la Ceinture d’Astéroïdes) alors qu’il était encore en formation (avec un certain retard par rapport aux géantes gazeuses). Par chance Saturne étant entrée en résonnance avec elle, stoppa sa descente vers le Soleil et l’entraina pour repartir de concert dans le système externe (au-delà de la Ceinture d’Astéroïdes). Les dommages causés par l’incursion étaient cependant déjà énormes, la plus grosse partie de la matière de la Ceinture d’astéroïdes chamboulée, dispersée, absorbée, la plus grosse partie de la matière qui aurait pu permettre de créer une planète Mars de la taille de la Terre, absorbée. Cependant Jupiter n’était pas descendue suffisamment longtemps dans cette région pour en absorber toute la matière et par chance elle y était restée suffisamment longtemps pour que ce qui resta de matière put s’accréter par gravité en une planète nettement moins massive que la Terre mais nettement plus massive que la Lune, ce qui était exactement ce dont nous aurions besoin plus tard.

En effet, cette masse de Mars implique une pesanteur au sol d’à peu près un tiers de celle que nous avons sur Terre (0,38g) et une vitesse de libération de 5,03 km/s (contre 11,2 km/s pour la Terre). Les conséquences en astronautique sont que (1) le poids de l’éventuel Starship qui se posera sur Mars presque à vide d’ergols ne sera que de 100 tonnes pour une masse maximum de quelques 300 tonnes (soit 100 tonnes de structures, 50 tonnes d’ergols résiduels, 150 tonnes de charge utile) ; (2) le poids au départ de Mars, une fois le plein d’ergols fait, sera de 370 tonnes pour une masse de 1400 tonnes (100 tonnes de structure, 1200 tonnes d’ergols, 100 tonnes de charge utile). Ce poids est à comparer (1) à celui du Starship avec son lanceur, SuperHeavy, au départ de la Terre, 4000 tonnes (soit pour la structure, 200 tonnes pour le SuperHeavy et 100 tonnes pour le Starship, et pour les ergols, 3400 tonnes pour le SuperHeavy et 150 tonnes pour le Starship – en attendant de faire le plein en orbite – plus 150 tonnes de charges utile). Il est à comparer aussi au poids au départ de la Terre (2) des 538 tonnes de la version la plus lourde d’un Falcon-9 chargé ou encore (3) des 780 tonnes d’une Ariane-5.

On voit bien que les difficultés pour se poser puis repartir d’une planète « Mars-hypothétique » de la masse de la Terre seraient incomparables aux difficultés à surmonter pour décoller de la Terre. Par analogie vouloir se poser sur le sol non-préparé d’une telle planète et surtout vouloir en repartir poseraient des problèmes quasi insurmontables. En ne considérant que le décollage, il faudrait disposer sur place d’un lanceur équivalent au SuperHeavy qu’il aurait fallu avoir pu apporter sur Mars aussi bien que les ergols nécessaires pour l’alimenter (ou du laboratoire capable de les produire à partir des ressources locales en quantité suffisante et avec la rapidité suffisante). C’est donc d’une machine bien plus puissante que le Starship-intégré (à son SuperHeavy) dont on aurait besoin au départ de la Terre. Or le test de décollage pour vol-orbital du Starship-intégré a amplement démontré que nous avions atteint le maximum de ce qu’il était possible de tenter avec nos moyens de propulsion actuels. Nous ne pouvons donc aujourd’hui espérer mener de missions habitées sur notre planète « Mars-réelle » que parce qu’elle a une masse beaucoup plus petite que celle de la Terre. Pour poursuivre le raisonnement, toute mission en surface de Vénus (ou planète de même masse), outre le fait qu’on ne pourrait y descendre en raison de la pression atmosphérique en surface (90 bars) et de la température (450°) serait totalement exclue car on ne pourrait plus en repartir du simple fait de la gravité. Toute mission sur une « superterre » (par définition de masse supérieure à la Terre) serait a fortiori également de ce fait, totalement exclue.

Après le décollage de la Mars-réelle, il sera ensuite beaucoup plus facile de rejoindre l’orbite avant injection interplanétaire vers la Terre, car les astronautes n’auront pas à surmonter l’épreuve de Max-Q, qui représente le pic de dangerosité après que l’on a quitté la surface de la Terre (ou de toute autre planète dotée d’une atmosphère dense). Rappelons que Max-Q est la tension aérodynamique maximum par laquelle on doit passer lorsque la pression atmosphérique est encore suffisamment élevée pour qu’en fonction de la vitesse déjà acquise la densité de l’atmosphère impose les contraintes les plus dures à la structure de la fusée. Cette tension diminue ensuite rapidement en fonction de la diminution de la pression atmosphérique, fonction elle-même de l’altitude. Dans l’atmosphère martienne, le Max-Q est beaucoup plus faible (pour ne pas dire négligeable) car la pression atmosphérique de départ est déjà très faible (615 pascals au « Datum » i.e. l’équivalent du niveau de la mer chez nous), correspondant à celle que nous avons à quelques 30 km d’altitude au-dessus de la Terre. C’est à cette altitude que le Starship-orbital a franchi son Max-Q, ce qui a sans doute contribué à sa déstabilisation devenue évidente quelques km plus haut. Lorsque la fusée repartant de Mars atteindra les 21 km d’altitude au-dessus du Datum, soit l’altitude du sommet d’Olympus Mons (le plus haut volcan de la planète) et probablement son Max-Q, la pression atmosphérique ne sera plus que de 30 pascals (trois dixièmes de millibars), clairement presque rien (et de toute façon, il n’aura pas eu besoin de procéder à la manœuvre délicate du « largage » de son lanceur puisque ce premier étage ne sera pas nécessaire du fait de la gravité plus faible).

Une fois sur Mars, les astronautes devront porter un scaphandre pour toutes leurs activités extérieures et sans doute un gilet plus un casque anti-radiations dans les habitats de surface protégés partiellement (comme les dômes transparents que l’on voit dans beaucoup de projets d’habitat), à moins bien sûr qu’ils ne décident de vivre sous une protection épaisse de régolithe ou de roche. Cela « tombe bien » car la masse correspondant à ce support-vie (scaphandre équipé) et à cette protection anti-radiations (gilet et casque), sera parfaitement adaptée à la capacité musculaire et osseuse des astronautes, et même leur sera bénéfique pour maintenir les tissus osseux et la masse musculaire en bonne condition, alors qu’elle serait totalement insupportable sur une planète de masse, donc de gravité, égale (ou supérieure !) à celle de la Terre.

Pour ce qui est de la recherche, Mars présente aussi deux atouts majeurs résultant de sa masse, donc de sa gravité. Cette masse a en effet permis une activité géologique beaucoup plus poussée qu’en surface de la Lune mais n’a pas permis le développement d’un activité tectonique notable comme sur Terre.

L’activité géologique sur la Mars primitive a permis la transformation géologique par diagénèse et métamorphisme associant l’eau liquide alors que cette évolution liée à l’eau a été quasi nulle sur la Lune puisque notre satellite naturel, de masse trop petite, a très vite été un astre mort. Mars a commencé une histoire géologique semblable à celle de la Terre avec réactivations nombreuses au début, suite à des changements d’inclinaison de son axe de rotation sur son plan de l’écliptique ou à de puissants épisodes volcaniques. Par chance, pour les scientifiques, cette activité s’est ralentie, presque arrêtée, quelques centaines de millions d’années après avoir commencé (vers -3,5 milliards d’années) en même temps que l’atmosphère se raréfiait à l’extrême et que l’eau de surface disparaissait. Dans le manteau de la planète une quantité moindre d’eau, elle aussi liée à la masse plus faible donc à la gravité plus faible de Mars par rapport à la Terre, donc à une attractivité moins forte de Mars pour les comètes porteuses de glace, n’a pas permis le développement de mouvements de convexion aussi puissants liés à une croute aussi mince que sur Terre. De ce fait, les mouvements de convexion n’ont pu qu’esquisser une très faible tectonique des plaques (Valles Marineris, ou Isis Planitia ?) ce qui a permis la conservation quasi intégrale d’une surface planétaire très ancienne étendue sur des dizaines de millions de km2, alors que sur Terre ces mêmes surfaces témoins des premiers balbutiements de la vie, n’occupent plus aujourd’hui que quelques dizaines de km2 en Australie et au Groënland.

Seule note négative, la faible masse de Mars n’a pas permis la création au centre de la planète, d’un noyau métallique ferreux aussi pur et de périphérie aussi nettement délimitée qu’au centre de la Terre, ce qui n’a pas permis une rotation différentielle suffisamment efficace pour générer des champs magnétiques globaux protecteurs (sinon au tout début de l’histoire géologique). Depuis que l’atmosphère s’est appauvrie (vers -4 milliards d’années sauf intermèdes de plus en plus rares), il n’y a plus eu de protection au sol contre les radiations solaires et galactiques. Ces conditions ont été évidemment défavorables à la vie.

En dépit de cette dernière « note » négative, Mars constitue donc, de par sa masse, un laboratoire optimal pour déduire ce qu’a pu être la surface terrestre la plus ancienne, et un lieu où les conditions gravitationnelles devraient permettre à l’homme de vivre dans des conditions acceptables.

La semaine prochaine :

Bienheureux les Terriens car ils ont Mars comme planète voisine (2. La distance).

xxxx

Le Temps arrête sa plateforme de blogs le 30 juin 2023

Mon blog, “Exploration spatiale”, a dû comme les autres prendre son envol pour migrer ailleurs plutôt que disparaître et cet article est donc un des derniers à paraitre sur cette plateforme.

D’ores et déjà vous pouvez me lire sur mon nouveau blog (créé par le développeur Dinamicom) qui reprend toutes les archives (articles et commentaires) du présent blog.

Nom de mon nouveau blog: “Exploration spatiale – le blog de Pierre Brisson“. Lien vers le blog:

https://explorationspatiale-leblog.com

Je serais heureux que vous vous y abonniez. NB: Le Temps n’a pas voulu transmettre à ses blogueurs les adresses mails de leurs abonnés et je n’ai donc aucun moyen de vous écrire.

Pour (re)trouver dans mon blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur (NB: j’ai repris cet index dans mon nouveau blog) :

Index L’appel de Mars 23 06 06

Si vous avez des commentaires à faire sur cet article, merci de les poster sur mon nouveau blog pour faciliter les échanges.

xxxx

Vous pouvez aussi me lire sur contrepoints.org, porte parole des opinions libérales en langue française (Contrepoints est un media avec lequel j’entretien une relation déjà longue) lorsque sa direction estime mes articles intéressant dans son contexte éditorial.

https://www.contrepoints.org/

Vous pourrez encore me lire, de temps en temps, dans les pages du Temps dans la rubrique “Opinions/débats” quand la Direction du journal le jugera utile pour son lectorat général.

xxxx

A la semaine prochaine, même jour, même heure, sur:

https://explorationspatiale-leblog.com

La vie sur Mars, si elle existe, est forcément primitive et différente de la vie terrestre

Nous avons vu la semaine dernière que la vie sur Terre a été façonnée par son environnement en même temps qu’elle-même l’a réciproquement façonné. A supposer que la vie soit apparue sur Mars en même temps que sur Terre, au tout début de leur histoire puisque les deux planètes se ressemblaient alors beaucoup, quelles ont pu être ses possibilités d’évolution et de divergence ?

Pour répondre à la question, il faut considérer le cadre environnemental martien en le comparant à celui de la Terre. Ce cadre est défini par la masse de la planète et par son histoire géologique (outre sa distance au Soleil). Et l’on voit que les deux divergent assez vite. Sur Mars on distingue trois éons* : le Phylosien (humide, l’âge des feuilles d’argile) du début de l’histoire jusqu’à -4 milliards d’années (Ma), le Theiikhien (volcanique, l’âge du souffre) jusqu’à -3,6 Ma, le Sidérikien (désertique, l’âge du fer) pour toute la suite, jusqu’à nos jours. Sur Terre nous avons l’Hadéen, l’Archéen, le Protérozoïque, le Phanérozoïque. L’Hadéen (correspondant à une planète de surface magmatique, sans croûte formée) est très court sur Mars, en raison de la plus faible masse de cette planète (elle s’est refroidie plus vite) et de l’absence d’impact de l’importance de celui qui a créé la Lune (elle n’est pas retournée tardivement à l’état magmatique comme la Terre l’a été). On ne le distingue pas de ce fait de l’éon suivant, le Phylosien. Le Phylosien est sans doute très semblable au début de notre Archéen (atmosphère très épaisse et sans doute constituée des mêmes gaz, avec eau liquide en surface). Mais il commence beaucoup plus tôt (vers -4,45 Ma), en parallèle de l’Hadéen terrestre et se termine lorsque l’Archéen terrestre commence (-4.2 Ma). L’évolution sur Mars est accélérée. C’est sans doute à la fin de cet éon que le noyau de la planète n’a plus la force de maintenir d’effet dynamo capable de générer un champ magnétique global protecteur. Le Théiikien est contemporain de l’ère Eoarchéenne terrestre (à l’intérieur de l’éon Archéen) de -4.2 à -3.8 Ma. Dès la fin de cette époque (-3.8 Ma), on entre dans l’éon Sidérikien pour Mars et dans la deuxième des quatre ères de l’Archéen terrestre (Paléoarchéen). Sur Mars on reste ensuite dans le Sidérikien jusqu’à aujourd’hui. L’aridité-froide générale de cet éon, explicable par une densité atmosphérique très faible (entrainant sublimation de l’eau) et la distance plus grande de Mars au Soleil que la Terre, étant entrecoupée par des épisodes volcaniques causant des flux aqueux cataclysmiques sous une atmosphère temporairement plus épaisse et plus chaude (effet de serre). Mais cette atmosphère épaisse ne « tient » jamais longtemps car l’attraction gravitationnelle de la planète est trop faible pour la conserver. Avec le temps, l’activité de la planète se calme car elle se refroidit et la croûte s’épaissit, les éruptions volcaniques sont de plus en plus difficiles (ce qui ne veut pas dire qu’elles soient moins violentes et les laves moins abondantes quand elles parviennent à percer la croûte) jusqu’à aujourd’hui où elles ont peut-être cessé.

* Cette segmentation de l’histoire de Mars n’est pas encore reconnue universellement. Elle a été proposée par l’astrophysicien Jean-Pierre Bibring (P.I. du spectroscope Omega embarqué sur l’orbiteur Mars-Express de l’ESA). Elle est fondée sur des constatations géologiques, la morphologie mais aussi la composition des sols et la stratigraphie comme le permet la spectroscopie et l’étude par radar. La plupart des planétologues en sont (malheureusement) restés à la classification ancienne reposant sur l’image visuelle : la cratérisation des sols (nombre et tailles des impacts) et les grands phénomènes qui ont marqué la planète de leur passage : Noachien (abondance des cratères), Hespérien (volcanisme) -4.0 Ma à -3.5 Ma, Amazonien (flux aqueux cataclysmiques) ensuite. Il y a un léger décalage entre les deux classifications. Dans celles de Jean-Pierre Bibring les deux premiers éons, ceux de la « planète vivante », sont plus courts.

Faisons donc l’hypothèse que la vie serait apparue sur Mars, en même temps que sur Terre et peut-être un peu avant (-4,2 Ma ?) puisque l’Hadéen (température très élevée) a été très court sur Mars et que donc il y a eu une croûte et de l’eau liquide peut-être déjà vers -4,4 Ma. Certains paléogéobiologiste comme Steven Benner, pensent même que les conditions étaient plus favorables sur Mars que sur Terre (notamment quelques terres émergées plutôt qu’une planète-océan) et qu’en conséquence c’est sur Mars qu’a commencé la vie commune qui ensuite a été transportée sur Terre par quelque petit astéroïde interplanétaire créé et expulsé par l’impact d’un plus gros astéroïde sur Mars (il y en a eu, on les appelle les « météorites SNC » !). Ce petit astéroïde, habité par des spores de microbes martiens, serait arrivé sur Terre au début de l’Eoarchéen. J’ai toutefois une réserve sur ce point car dès le début nous avons sur Terre les deux formes de vie procaryote (archée et bactérie) et cela supposerait que par une chance extraordinaire le petit astéroïde ait transporté les spécimens des deux. Il faudrait plutôt que ce soient des ancêtres prébiotiques de notre LUCA, Last Universal Common Ancestor, qui aient fait le voyage et que la dernière étape vers la vie n’ait pu être franchie que sur Terre.

Supposons cependant, par hypothèse, que les ancêtres des premiers procaryotes aient pu trouver un terrain propice à leur passage du prébiotique au biotique sur Mars aussi bien que sur Terre où ils auraient pu se nourrir des mêmes ressources locales (autotrophes) et se reproduire, en bénéficiant de conditions énergétiques suffisantes.

Si la vie est apparue et s’est développée sur les deux planètes il n’y aurait eu que peu de différenciations ou divergences entre les modes de fonctionnement et l’évolution des lignées de vie au début puisque les milieux étaient très semblables (avec une nuance cependant en fonction du stade d’évolution atteint sur Mars lors de l’éventuelle migration vers la Terre). Les premières formes de vie passaient sans doute l’essentiel de leur temps dans l’eau, milieu plus riche et plus sécurisé que les terres émergées (quoique très rares sur Terre et moins sur Mars). La seule nuance étant que déjà vers -4 Ma, Mars a connu des périodes de très faible pression atmosphérique (donc déjà un assèchement) qui ont pu conduire à une adaptation darwinienne des microbes martiens éloignant déjà les deux formes de vie.

Si la migration vers la Terre s’est effectuée juste avant l’apparition de notre LUCA nous sommes probablement constitués des mêmes éléments. Mais les constituants, acides aminées ou lipides de leur membrane lipidique, par exemple, pourraient ne pas être les mêmes, si la migration s’est effectuée avant une évolution suffisamment poussée sur Mars.

Après -3,6 Ma, tout change. Autant la Terre continue à offrir un habitat de surface, riche et utilisable pour se nourrir et se reproduire, autant les conditions (disparitions des océans, flux cataclysmiques intermittents) deviennent difficiles sur Mars. Il ne serait pas étonnant que les formes de vie sur cette planète aient divergé fortement dès ce moment, les procaryotes martiens étant contraints pour survivre de devenir beaucoup plus résistants tout en perdant la capacité comme leurs cousins terrestres, d’exploiter l’eau de mer grâce à l’énergie du Soleil pour en capter les électrons ou en n’ayant même pas eu le temps d’y parvenir.

La suite c’est qu’il n’y a probablement pas eu de cyanobactéries-photosynthétiques rejetant dans l’atmosphère de Mars l’oxygène produit par leur métabolisme (et indirectement pas de couche d’ozone protectrice). C’est sans doute aussi pour cela que jusqu’à présent on n’a pas trouvé beaucoup de carbonate de calcium (calcaire) sur Mars puisque sur Terre il provient essentiellement d’animaux à coquille.

Toujours est-il que la perte d’atmosphère a sans doute déclenché une première extinction de masse de l’hypothétique vie martienne. Extinction qui a forcément conduit à une modification importante de l’arbre phylogénétique de cette vie. Qu’a-t-il pu advenir ensuite ? Sans doute une floraison nouvelle à chaque période volcanique*, qui a permis à la vie de « tenir » sous forme de spore, malgré l’aridité et la disparition de l’eau liquide jusqu’à l’épisode volcanique suivant. On peut supposer que ces alternances, très dures, des conditions environnementales ont pu permettre à la vie martienne de muter plusieurs fois et de s’endurcir, c’est-à-dire de devenir extrêmement résistante. Jusqu’à quand ?

*En dehors des périodes volcaniques, il y a bien sûr eu d’autres cataclysmes : des impacts de gros astéroïdes, des changements d’inclinaison de l’axe de rotation de la planète et des changements dans l’excentricité de l’orbite. Les premiers ont pu aussi conduire à des épaississements de l’atmosphère et les seconds à des périodes de glaciation. Mais les effets sur des microbes n’ont pas dû être très différents que les épisodes volcaniques. Quant aux changements d’excentricité de l’orbite, ils ont pu avoir des effets marginaux sur le climat, sans conséquences majeures pour ces mêmes microbes car ces derniers, êtres moins complexes que les métazoaires, animaux ou plantes, sont plus résilients.

Il y a plusieurs points d’interrogation qui résultent de cette histoire : 1) On ne sait toujours pas si la vie a pu apparaître sur Mars. 2) Si elle est apparue, on ne sait évidemment pas si elle a pu se maintenir en sous-sol entre les épisodes aqueux. 3) Si elle a survécu au début de l’histoire de Mars, on ne sait pas si elle a pu survivre pendant la dernière période depuis le dernier épisode aqueux car on ne sait pas à quelle époque il remonte. On sait que les procaryotes (bactéries ou archées) peuvent survivre très longtemps sous forme de spores, plusieurs dizaines de millions d’années. Mais cette résilience a-t-elle été suffisante ? Les intervalles entre les dernières périodes d’habitabilité n’ont-ils pas été trop longs ?

Si toutefois la vie martienne a survécu jusqu’à aujourd’hui, elle ne peut être que de type procaryotique car on ne voit pas quel événement aurait pu lui permettre de domestiquer la combustion de l’oxygène étant donné qu’il n’y avait aucune incitation biologique à le faire. Absence d’oxygène moléculaire signifie pas de métazoaire donc pas de plantes et pas d’animaux. Par ailleurs, cette vie procaryote si elle existe ou si elle subsiste, doit être à une profondeur dans le sol qui la protège contre les radiations, qui lui donne un minimum d’humidité et un minimum de chaleur tout en supposant que les minéraux qui l’entourent lui permette de se nourrir. Au moins deux mètres (radiations) mais probablement beaucoup plus. En tout cas, en raison de son histoire très différente de la nôtre, elle est forcément très différente de la nôtre et elle doit être rare car on n’a pas remarqué de façon évidente dans l’atmosphère, de gaz provenant de rejets métaboliques abondants. Les apparitions supposées de bouffées de méthane ont été erratiques et faibles, à la limite du doute.

Le point d’interrogation subsistera, au moins jusqu’à la campagne d’exploration suivant l’atterrissage de la sonde ExoMars…en 2029 (espérons) !

Illustration de titre : le rover Rosalind Franklin de la mission ExoMars de l’ESA en train d’effectuer un forage. Vue d’artiste, crédit ESA.

Après le 30 juin 2023 vous pourrez continuer à me lire et à commenter sur un nouveau blog que je viens de faire créer par le développeur Dinamicom et qui reprend toutes les archives (articles et commentaires) du présent blog hébergé par Le Temps. Je serais heureux que vous vous y abonniez.

Nom du blog: “Exploration spatiale – le blog de Pierre Brisson“. Lien vers le blog :

https://explorationspatiale-leblog.com

Vous pourrez aussi me lire sur contrepoints.org lorsque la direction de ce journal estimera mes articles intéressant dans son contexte éditorial.

https://www.contrepoints.org/

ou encore dans les pages du Temps dans la rubrique “Opinions/débats” quand la Direction du journal le jugera utile pour son lectorat général.

Pour (re)trouver dans le blog actuel un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur : Index L’appel de Mars 23 06 06

Les extinctions de masse ont façonné la Vie….et ce n’est pas fini !

Depuis que la Vie est apparue sur Terre, son parcours jusqu’à nous n’a pas été celui d’un « long fleuve tranquille ». Il a fallu qu’elle surmonte les assauts féroces de plusieurs extinctions de masse tout en suivant un « train-train » d’évolutions darwiniennes portées par la compétition avec les autres formes de vie et l’adaptation constante au milieu. Ces extinctions ont eu plusieurs causes. Ce ne furent pas, comme certains pourraient le penser, uniquement des impacts d’astéroïdes qui rebattirent les cartes. Ce furent plusieurs fois des épisodes volcaniques démesurés pour la Terre hôte ou des configurations défavorables d’assemblages de terres émergées, ou encore des détériorations dramatiques de l’environnement résultant d’une prolifération de la vie elle-même. Ce furent in fine toujours des variations fortes de la composition de l’atmosphère et en particulier de l’évolution du taux d’oxygène, gaz rare à l’état moléculaire, que certains individus de cette vie même avaient eux-mêmes généré.

Ainsi l’extinction fut soit dans la logique de l’évolution de la vie elle-même (le balancier de la « prospérité » allant toujours trop loin vers l’« exubérance »), soit simplement le fait du hasard (volcanisme, jeu de la tectonique des plaques, faille dans la protection magnétique, astéroïde). Toujours, elle survint à un moment de l’évolution de la Terre et en parallèle, de la vie, qui n’existait pas avant et ne pouvait se répéter après. Depuis les origines, la Terre a évolué. Sa croûte s’est refroidie et durcie, les effets de marée de la Lune se sont adoucis avec son éloignement, sa vitesse de rotation sur elle-même s’est ralentie, la densité de son atmosphère s’est réduite, la composition de cette atmosphère a profondément changé, l’acidité de l’eau de ses océans s’est atténuée (ces deux derniers caractères en partie du fait de l’évolution de la vie elle-même).

Ce qu’on peut dire sur les conséquences de cette succession d’extinctions, c’est qu’elles ont modelé profondément notre arbre phylogénétique, mettant fin à des situations dominantes, favorisant d’autres espèces plus adaptées aux nouvelles conditions environnementales, forçant une évolution darwinienne quand la Vie était « au pied du mur » et qu’elle pouvait s’engager dans le « trou de souris » que lui permettait d’utiliser ses gênes. Le résultat c’est que nous avons aujourd’hui, aux extrémités actuelles de notre arbre phylogénétique, une floraison « à nulle autre pareille », à supposer qu’un autre arbre ait pu croître ailleurs et y donner des fleurs.

Depuis 1982, sous l’impulsion des paléontologues Jack Sepkoski et David Raup (tous deux de l’Université de Chicago), on met communément en exergue cinq extinctions de masse.

La « première » est celle de l’Ordovicien/Silurien. Elle eut lieu il y a 443 millions d’années. Elle supprima 85% des espèces ; 57% des genres et 27% des familles*. Les événements l’ayant causée sont encore discutés mais il pourrait s’agir d’une phase de volcanisme basaltique intense ou bien de la libération brutale d’énormes poches de gaz carbonique à partir de sédiments marins constitués par une prolifération d’algues dans l’Océan. Ces événements auraient provoqué une glaciation donc une baisse du niveau de la mer très sensible sur la plateforme continentale et la disparition de l’habitat des formes de vie concernées. Rappelons qu’à l’époque il n’y avait pas de vie hors de l’eau. Les victimes furent donc des trilobites, des planctons, des brachiopodes, des coraux.

*Pour mémoire, les êtres vivants sont hiérarchisés en neuf « taxons » (rangs taxonomiques), soit : monde vivant / domaine / règne / embranchement ou phylum / classe / ordre / famille / genre / espèce. Pour donner un ordre d’idée de cette hiérarchie, c’est au niveau du « règne » que l’on distingue horizontalement : bactéries /archées / protistes / champignons / végétaux / animaux ; c’est au niveau du genre que l’on distingue horizontalement les types d’animaux ou de végétaux : Homo (Homo Sapiens et ses ancêtres ou cousins comme Homo Neanderthalensis) ou Quercus (chêne) ; c’est au niveau de la famille (celle des Hominidés) que l’homme peut cousiner avec les grands singes.

La « deuxième » extinction est celle du Dévonien. Elle eut lieu il y a 367 millions d’années (en trois phases, entre 380 et 360). Elle supprima 75% des espèces, 35% à 50% des genres et 19% des familles. La cause n’est toujours pas connue mais elle entraina une anoxie des océans. Les métazoaires les plus touchés furent encore des coraux, mais aussi les céphalopodes (ammonites et nautiles), les trilobites, des poissons.

La « troisième » extinction fut celle du Permien/Trias, il y a 252 millions d’années. C’est la plus importante ayant affecté la biosphère. Elle supprima énormément de végétaux et d’insectes en surface du continent et aussi de vie marine, 50 % des familles, 95% des espèces marines et 70% des espèces terrestres. Elle fut causée par une grande chaleur (températures supérieures à 50/60°C sur Terre, 40°C à la surface des Océans), elle-même provoquée par des flux volcaniques basaltiques considérables en Sibérie (Trapps de Sibérie), et aussi par un autre dégazage massif de CO2 accumulé dans les sédiments d’algues marines. Le phénomène fut aggravé par la réunion des terres émergées en un seul continent (et un seul plateau continental), la Pangée. Sur Terre Les phylums qui résistèrent le mieux furent les archosauriens (crocodiliens, dinosauriens, ptérosauriens) et les synapsides dont les cynodontes, ancêtres des mammifères, dans l’Océan, les poissons osseux (par rapport aux poissons cartilagineux, durement éprouvés).

La « quatrième » extinction est celle du Trias/Jurassique. Elle eut lieu il y a 201 millions d’années. Elle supprima 50% des genres, 80% des espèces marines et la plupart des grands vertébrés terrestres. Elle fut due à une rupture d’équilibre résultant de la dislocation de la Pangée et peut-être à un impact d’astéroïde. L’extinction favorisa les dinosauriens et les ancêtres des mammifères.

La « cinquième » extinction est celle du Crétacé/Paléogène (« K/T »). Elle eut lieu il y a 66 millions d’années. On en connait bien l’histoire : déferlement des laves du Dekkan, conclusion par l’impact de l’astéroïde de Chicxculub, et les conséquences : émergence des mammifères profitant de la disparition des dinosaures.

Cette histoire des « cinq extinctions » a conduit à qualifier la dégradation écologique en cours causée par la profération humaine et son action/effet sur l’environnement, de « sixième extinction ». On aurait pu/dû lui attribuer un rang beaucoup plus élevé car en réalité les cinq-extinctions déjà citées ne s’appliquent qu’à la vie des métazoaires (organismes dont chaque groupe de membres unicellulaires assure une fonction spécialisée et coordonnée) et encore elle oublie le début de l’histoire de cette vie. Elle omet également toutes les extinctions qui ont frappé la Vie alors qu’elle n’était encore que microbienne (tout autant que les cataclysmes ayant préparé la Terre à générer la vie). Pourtant elles ont, elles aussi, façonné ou forgé l’ADN de nos ancêtres eucaryotes et procaryotes.

Pour être plus exact, il faudrait donc prendre en compte aussi les grandes extinctions suivantes :

La première Grande-Oxydation (« huronienne »), entre -2,35 et -2,22 milliards d’années a été une véritable catastrophe car elle a provoqué la glaciation quasi-totale de la surface de la Terre, donnant ce qu’on appelle la première « Terre boule de neige » (« Snowball Earth »), évidemment mortelle pour la Vie aérobie. Pour déclencher cette oxydation, les cyanobactéries photosynthétiques, premiers êtres vivants hégémoniques de notre planète, avaient « abusé » de leur invention, l’exploitation des électrons de la molécule de l’eau, en utilisant l’énergie solaire et en rejetant l’oxygène. En moins d’un million d’années, elles détruisirent suffisamment de gaz carbonique et répandirent un pourcentage élevé (mais nettement moins qu’aujourd’hui) d’oxygène dans l’atmosphère. L’irradiance du jeune Soleil n’étant pas encore assez puissante pour, seule, inscrire la Terre en zone habitable, l’allègement/éclaircissement qui en résultat réduisit considérablement l’effet de serre maintenu autour de la Terre par ces gaz qui permettait l’eau liquide en surface. La glaciation planétaire ne disparut qu’après qu’un volcanisme puissant rétablisse l’effet de serre par de nouvelles injections de gaz carbonique, de sulfure et de méthane dans l’atmosphère.

Mais l’innovation était faite et elle introduisit le règne des eucaryotes, ces êtres monocellulaires résultant de la symbiose d’une archée avec une petite bactérie marginale qui avait l’immense avantage de pouvoir respirer l’oxygène malgré la violence de son « feu » (ce qui « au début » avait été très peu exploitable puisqu’il n’y avait pratiquement pas d’oxygène libre dans l’atmosphère). Cette symbiose mis à disposition des eucaryotes une énergie à laquelle ne pouvait prétendre aucun autre être vivant procaryotique. Dans le monde d’après la Grande Oxydation, les cyanobactéries photosynthétiques reprirent des forces, c’est-à-dire du nombre, et continuèrent à produire leur oxygène, tandis que les eucaryotes devinrent les rois du monde en l’exploitant. Par ailleurs les procaryotes qui ne respiraient pas l’oxygène ne purent continuer à vivre en surface de la Terre qui pour eux était devenue un monde empoisonné et ne persistèrent que dans le sol. Ce sont les eucaryotes qui purent ainsi évoluer pour former un jour les métazoaires (après plusieurs tentatives), ces métazoaires se divisant ensuite en végétaux, animaux et certains champignons.

Le grand saut jusqu’aux métazoaires ne se fit pas tout de suite mais après une autre série d’épisodes Terre-boule-de-neige qui eut lieu entre -717 et -635 millions d’années. Pendant ce temps, lentement, la fusion nucléaire du Soleil montait en puissance et une meilleure irradiance solaire à la distance de la Terre permis de conserver l’eau liquide en surface avec un effet de serre de moins en moins puissant.

Lorsque les glaces se furent retirées apparut la première population métazoaire, celle de la Faune d’Ediacara, ancêtre de nos méduses (entre autres). Comme toujours cette floraison ne put durer et l’extinction de cette première faune intervint il y a 545 millions d’années. La raison en est inconnue. Peut-être simplement fut-ce que les nouveaux venus, composant la faune cambrienne, disposaient d’une puissance de prédation. Ils l’exercèrent facilement au détriment des édiacariens totalement impuissants. Ou bien ce fut un changement de l’environnement auquel les édiacariens ne purent résister.

La faune cambrienne fut d’une exubérance extraordinaire, la plus créative de l’histoire de la Vie (cf faune de Burgess au Cambrien moyen). Comme les autres, elle fut dévastée par plusieurs extinctions dont la plus sévère intervint il y a 485 millions, à la jonction des périodes géologiques* du Cambrien et de l’Ordovicien, détruisant de nombreux phylums qui était apparus au cours de la période. Là encore on ne sait ce que fut la cause. Certains paléobiogéologues évoquent la possibilité d’un puissant sursaut gamma provenant d’une supernova située à 6000 d’années-lumière qui aurait détruit presque instantanément la couche d’ozone.

* la classification de l’écoulement du temps géologique distingue éons / ères / périodes /époques / âges. Le Cambrien fait partie de l’ère Paléozoïque, elle-même marquant le commencement de l’éon Phanérozoïque, au sein duquel nous évoluons toujours.

Si on ignore souvent les causes ultimes de ces extinctions, on en voit bien les causes directes que sont les fluctuations des composants de l’atmosphère, notamment celles des taux d’oxygène. Mais aussi celle des taux de certains gaz insupportables pour les êtres vivants utilisant l’oxygène (selon les époques et le degré d’évolution), tels que méthane, sulfure d’hydrogène ou gaz carbonique. Ou encore les variations de températures ou du cycle de l’eau. Le pire ce sont bien sûr les changements brutaux qui rendent l’adaptation de certaines lignées de vie difficile sinon impossible et ceci d’autant plus qu’elles étaient particulièrement bien adaptées au « régime » précédant qui avait permis leur prolifération.

A ces différents événements cataclysmiques, il faut en ajouter un autre d’une extrême importance, survenu à la fin de l’époque d’accrétion de la Terre. Ce n’est pas à proprement parler une « extinction » puisqu’il n’y avait pas encore de vie lorsque la grosse protoplanète Théia frappa la Terre seulement une centaine de millions d’années après son accrétion. Cependant cet impact qui fut à l’origine de la Lune par concentration des débris éjectés en orbite, créa des conditions tout à fait particulières sur Terre puisque sa croute en formation fut totalement reliquéfié et que se forma en satellite unique et particulièrement massif par rapport à la planète et à une distance très courte, peut-être seulement une vingtaine de milliers de km. Les marées primitives sur Terre étaient à la fois énormes et très fréquentes comme l’était l’alternance jour/nuit, moins de 10 heures seulement, au tout « début ». Il n’y avait pas d’eau liquide sur Terre mais le système de marée liant les deux corps était un malaxeur de matière et donc un générateur de mouvements, de brassements et de maintien de chaleur donc de perfectionnement du noyau planétaire métallique, sans doute une des explications de la création d’une dynamo interne génératrice de champs magnétiques protecteurs très puissants et, par introduction de l’eau dans le manteau, d’une ductilité particulière de ce manteau permettant une tectonique des plaques très active. Lorsque le système s’est assagi et que l’eau fut possible sous forme liquide en surface (vers -4,4 milliards), les journées étaient encore très courtes, légèrement au-dessus d’une dizaine d’heures et les forces d’attraction réciproques extrêmement puissantes générant en surface de la Terre une alternance régulière d’humidification et d’assèchement avec d’énormes zones de balancement des marées. Ces mouvements, cette force de marée, ces alternances, cette protection magnétique, très particuliers, ont pu contribuer à l’émergence de la vie, entre -4 et -3,8 milliards d’années.

On voit ainsi que restreindre les extinctions de masse au petit nombre de cinq est très simpliste. Sans compter qu’il y eu « entre deux », plusieurs extinctions « mineures » quand même sévères (notamment au Cambrien). Mais le plus important c’est qu’il ressort de tout cela que l’équilibre écologique terrestre est un équilibre profondément instable. Rien n’est assuré, tout se détraque quand se développe une prolifération ou intervient un « événement » externe à un moment déterminé par le plus pur des hasards. Il faut faire avec cette instabilité et cette incertitude. Presque tout change, continûment ; presque rien ne demeure. Héraclite a raison contre Parménide même si l’on peut voir aujourd’hui un sens dans le changement vers toujours plus d’entropie.

A notre époque nous sommes très probablement entrés dans une nouvelle période d’extinction de masse, celle qui est causée par la prolifération et le développement de l’activité humaine. Déjà le WWF nous dit que 70% des espèces sauvages (en effectifs, non en nombre d’espèces) ont été détruites entre 1970 et 2018 (et il y en a eu avant 1970 !). Les forêts primaires sont massacrées au profit des monocultures commerciales ou de l’agriculture vivrière ; les insectes disparaissent sous l’épandage des pesticides car ils gênent et les oiseaux meurent car ils n’ont plus suffisamment pour se nourrir ; les poissons surpêchés et empoisonnés par nos détritus (les continents de plastique s’étendent partout dans les océans) dégénèrent et meurent ; les grands fauves nous embarrassent car nous ne voulons pas leur laisser l’espace vital dont ils ont besoin et nous détruisons sans aucune pitié leurs habitats. Les surfaces bétonnées gagnent partout au détriment du sol qui respire. La pollution s’étend partout, la chaleur monte. Il ne faut pas rêver, la situation est dangereuse.

La différence avec les précédentes extinctions c’est que la nôtre est la première commise par des êtres soi-disant intelligents. On verra bientôt s’ils le sont vraiment car les solutions, non pour éviter cette extinction mais la surmonter, ne sont pas évidentes et nous avons commencé à y réfléchir très/trop tardivement. Elles sont sans doute contre-intuitives, c’est-à-dire qu’elles doivent recourir aux moyens offerts par le Progrès plus qu’à la Régression qui n’est pas adaptée à la situation : on ne descend pas à mi-course d’un bobsleigh lancé à toute allure dans son couloir de glace, on le pilote.

Illustration de titre : Un « demain » possible. Photo Pixabay, choisie par Fleur Brosseau, article dans Futura Science du 19/12/21.

Illustration ci-dessous : Extinction des poissons cartilagineux à la fin du Permien. Crédit Arnaud Brayard, Directeur de recherche du CNRS (laboratoire Biogéosciences), Université de Bourgogne ; publication dans Biological Reviews .

Lectures :

Rare Earth par Peter Ward et Donald Brownlee, Copernicus Book, 2003.

A New History of Life par Peter Ward et Joe Kirschvink, Bloomsbury Press, 2015

Life ascending par Nick Lane, Profile Books, 2009.

Après le 30 juin 2023 vous pourrez continuer à me lire et à commenter sur un nouveau blog que je viens de faire créer par le développeur Dinamicom et qui reprend toutes les archives (articles et commentaires) du présent blog hébergé par Le Temps. Je serais heureux que vous vous y abonniez.

Nom du blog: “Exploration spatiale – le blog de Pierre Brisson“. Lien vers le blog :

https://explorationspatiale-leblog.com

Vous pourrez aussi me lire sur contrepoints.org lorsque la direction de ce journal estimera mes articles intéressant dans son contexte éditorial.

https://www.contrepoints.org/

ou encore dans les pages du Temps dans la rubrique “Opinions/débats” quand la Direction du journal le jugera utile pour son lectorat général.

Pour (re)trouver dans le blog actuel un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur : 

Index L’appel de Mars 23 05 28

NB: Je récréerai un index avec liens vers mon nouveau blog, lorsque les articles publiés par Le Temps ne seront plus lisibles.