Les trous-noirs sont des monstres redoutables dont nous sommes en principe aujourd’hui éloignés mais qui sont une des composantes essentielles de l’Univers, proche ou lointain. Avec les astéroïdes, les supernovæ, les radiations spatiales, le froid ou la chaleur extrêmes, le vide, l’apesanteur, ils font partis des dangers présents dans l’Espace que nous apprenons à connaître et où nous nous aventurons aujourd’hui. Leur particularité est que si un jour nous approchons trop près l’un d’entre eux, nous serions irrémédiablement absorbés et, entraînés vers sa « singularité », finalement déchirés et détruits jusqu’aux plus infimes composants de notre matière. La vie sur Terre bénéficie d’un environnement bien doux, confortable et relativement stable. Nous le voyons comme tel car nous sommes les produits de cet environnement, façonnés par lui avec sa propre matière par une très longue Histoire, et que notre vie est très courte à l’échelle des événements qui la ponctuent. Mais nous sommes également dans l’Espace et la Terre ne nous protège que si nous y restons ou si nous pouvons y rester et si elle-même n’est pas en danger. C’est notre mère mais elle est également vulnérable et nous-mêmes à travers elle. Elle aussi est emportée par l’Histoire et celle-ci ne s’arrête pas aujourd’hui. Elle continuera, avec ou sans nous, en fonction de nos actions sur elle (nous avons tendance ces jours à nous faire un peu trop remarquer !) et de son évolution propre ou de celle de son propre environnement : chute d’astéroïde géocroiseur géant (pas tout de suite mais loin d’être exclue) ou pluie d’astéroïdes provoquée par le rapprochement d’une étoile voisine perturbant le nuage de Oort de notre système solaire (non dans le proche avenir mais irrémédiablement « un jour » !), supernova d’une étoile voisine nous inondant de ses radiations mortelles (il y a quelques possibilités), épuisement du Soleil lorsqu’il aura brûlé une quantité suffisante de son hydrogène (nous sommes tranquilles pour quelques 500 millions d’années), rencontre avec un « petit » trou noir « primordial » (peu probable mais pas impossible quand même).
Mais qu’est-ce qu’un trou noir ?
On a pressenti dès le XVIIIème siècle (après Newton et avec l’astronome britannique John Michell en 1783 puis Pierre-Simon de Laplace en 1796) que des astres pourraient exister dont la force d’attraction serait telle que même la lumière ne pourrait s’en échapper (leur vitesse de libération atteignant celle de la lumière). Mais ce n’est qu’après Albert Einstein, puis Karl Schwarzschild (définissant son fameux « rayon »), qu’avec Robert Oppenheimer en 1939, on formalisera l’« objet » qui ne sera observé, indirectement, la première fois qu’en 1971 (« Cygnus X-1 » avec le télescope Uhuru de la NASA – lancé dans l’espace depuis Mombasa).
Parler de trou noir, c’est encore parler de masse et donc de gravité car un trou noir est un objet céleste si compact que l’intensité du champ gravitationnel qui en résulte, empêche toute forme de matière ou de rayonnement de s’en échapper (il « ralentit » même le Temps). C’est pour cela qu’on ne peut l’observer directement mais seulement par les effets qu’il a sur son environnement. Cet environnement ce peut être d’abord de la matière, qu’il triture et déchire (produisant des émissions de rayons X ou gamma en plus des émissions en d’autres longueurs d’onde du spectre électromagnétique ou encore des émissions de neutrinos et même d’ondes gravitationnelles s’il fusionne avec un autre trou noir ou absorbe une étoile à neutrons)…pourvu qu’il y en ait à proximité. Cet environnement c’est aussi les ondes lumineuses provenant des sources qui peuvent se trouver derrière lui en alignement avec nous, et qu’il va rapprocher visuellement et déformer (effets de loupe et de déviation). Cette force extrême s’exerce à partir d’un centre dit « singularité gravitationnelle », vers l’extérieur jusqu’à son « rayon des événements » dit aussi « de Schwarzschild » qui délimite tout autour de la singularité un volume sphérique dont la surface est dite « horizon des événements » mais il ne faudrait pas s’en approcher au-delà de la dernière orbite stable qui l’entoure, que l’on nomme « ISCO » (« Innermost Stable Circular Orbit »). Sur cette orbite qui se situe à 3 fois le rayon de Schwarzschild du trou noir, toute perturbation même infinitésimale conduirait irrémédiablement quelque objet que ce soit, à l’horizon des événements. Mais de toute façon, à cette distance, la vitesse de libération est pratiquement déjà inatteignable (> 122.000 km/s). Ce qui est surprenant sinon paradoxal, c’est que l’on pourrait franchir cet horizon vers l’intérieur sans s’en apercevoir sauf à vouloir repartir vers l’extérieur, car la densité (qui n’est pas la « compacité ») ne change pas brutalement lors du passage. Simplement lorsque l’on passe, « la barrière se referme ». Ce qui continue par contre c’est l’attraction vers le centre, la singularité. En fait c’est là où se cache vraiment le trou noir, on pourrait dire « sa tanière », car c’est là où la gravité (et la force d’attraction qui va avec) tend vers l’infini. Ceci implique que si la masse du trou noir est immense, la densité au niveau de l’horizon des événements sera encore faible. Pour « M87 » premier trou noir qui a été « vu », le 10 avril 2019 par l’Event Horizon Telescope, la masse est de 6,5 milliards de soleils, le rayon de 19 milliards de km (deux fois la distance du Soleil à Pluton) mais la densité de seulement 0,44 kg/m3 (44% de la densité de l’air) ! En fait la densité du trou noir (sa masse volumique) décroît avec sa masse (et donc sa taille) et si la densité pour les trous noirs massifs « normaux », comme Sgr A* au centre de notre galaxie reste très forte (9,5×105 kg/m3), et elle l’est a fortiori pour les petits trous noirs, un trou noir de la taille de l’Univers, aurait la densité…de l’Univers ce qui pourrait donner à penser que peut-être nous nous trouverions à l’intérieur d’un trou noir. Mais ce n’est probablement pas le cas car ce trou noir ne recevrait aucune matière de l’extérieur (seul moyen pour un trou noir de prendre de l’ampleur ou de connaître une « expansion ») et il serait empli d’une multitude de singularités (les autres trous noirs). Alors, réflexion subsidiaire, notre Univers serait-il un parmi d’autres, subissant les forces diverses (attraction / répulsion) de ses voisins ? C’est un autre sujet.
Comment parvenir à cette concentration de matière ?
Il est possible que de petits trous noirs provenant du Big-Bang, dits « primordiaux », se « baladent dans la nature ». Ils pourraient résulter selon Stephen Hawking et Bernard Carr, de l’effondrement gravitationnel lors de l’inflation cosmique de petites surdensités de l’Univers primordial. On ne sait pas où ils pourraient se trouver et ils ne sont donc encore que théoriques mais on dit de plus en plus que l’hypothétique « Planète-neuf » (la neuvième) de notre système solaire pourrait être l’un d’entre eux (peut-être parce qu’on n’arrive pas à la voir alors que « quelque chose » a une influence gravitationnelle forte au-delà de l’orbite de Pluton sur plusieurs planètes naines évoluant dans la ceinture de Kuiper).
Mais les trous noirs qu’on pourrait qualifier de « communs » ont une masse très importante et leur concentration résulte précisément de cette masse. Ils sont de deux types, les trous noirs « stellaires » et les trous noirs « supermassifs ». Les premiers (au moins trois masses solaires mais en principe pas plus d’une vingtaine) résultent de l’effondrement de grosses étoiles (au moins dix masses solaires à l’origine, avant supernova et éjection des couches extérieures de l’étoile) après qu’elles aient achevé la combustion interne de leurs éléments légers. Les seconds qui ont peut-être la même origine, résultent de l’accrétion d’énormément de matière (leur masse va de quelques millions à quelques milliards de masses solaires) dans la région la plus dense de leur galaxie, son cœur. Les premiers ne peuvent provenir que d’étoiles géantes, les masses autrement ne pourraient se contracter autant que nécessaire et on aurait des naines blanches ou des étoiles à neutrons. Mais les étoiles à neutrons peuvent elles aussi devenir des trous noirs en accrétant de la matière ou en fusionnant avec une autre étoile à neutrons. Les trous noirs supermassifs sont au cœur des galaxies spirales comme le Soleil est au cœur de notre système solaire. Provenant d’un effondrement ils sont obligatoirement en rotation et ils entraînent par force de gravité leur galaxie autour d’eux. Ils « tiennent » leur galaxie et se nourrissent de ses étoiles proches, devenant de ce fait encore plus puissants et entraînant davantage d’étoiles et de matière à fusionner avec eux, pourvu bien sûr qu’elles soient à portée de leur force d’attraction, qui s’accroît avec leur masse. Le nôtre, “Sgr A*”, a une masse de 4,15 millions de masses solaires. A noter que les classifications sont faites pour connaître des exceptions et il y en a évidemment aussi dans le cas présent. Ainsi on s’est étonné tout récemment (27 novembre 2019) de découvrir un trou noir stellaire (« LB-1 ») de 70 masses solaires dans un des bras spiraux de notre galaxie, à quelques 15.000 années-lumière de « chez nous ». Mais je m’étonne que l’on s’étonne puisqu’il n’y a pas de seuil de masse entre 20 et 70, et même beaucoup plus, au-delà duquel on assisterait à la création d’un autre phénomène.
Nous sommes à 25.000 années-lumière de notre centre galactique donc de son trou noir central (la Voie-Lactée a un diamètre d’environ 100.000 années-lumière). C’est notre cœur mais il est noir et il nous est hostile. Il n’est pas certain qu’il nous absorbe un jour (outre son appétit d’ogre cela dépendra sans doute de l’accélération ou de la décélération de l’expansion de l’Univers) mais son voisinage est quand même effrayant.
NB : je ne parle pas ici de tous les effets possibles des trous noirs car je voulais insister sur le danger qu’ils présentent. Mais en agissant sur la matière, le trou noir agit aussi sur le temps et comme il agit sur la lumière, il peut servir de lentille gravitationnelle, sorte de loupe qui rapproche de nous les rayonnements les plus lointains ; les astronomes sont ravis de pouvoir s’en servir !
Remerciements à Monsieur Christophe de Reyff pour ses suggestions et conseils.
Illustration de titre : approche du trou noir Sgr A* (Sagittarius A*) de notre galaxie, crédit ESO/S.Gillessen et MPE, Marc Schartmann (2011). Cette illustration montre les trajectoires des divers astres qui orbitent au plus près de notre trou noir supermassif et le comportement d’un nuage de gaz en train de tomber vers le trou. Récemment on a observé une étoile accélérée à une vitesse prodigieuse à proximité de ce trou noir (>1000 km/s alors que le Soleil orbite le centre galactique à 240 km/s). Le couple qu’elle formait avec une autre étoile tombait dans le trou en fonction de la masse qu’elles constituaient ensemble. L’autre étoile s’y est proprement perdue ce qui a permis à la première de s’échapper avec une vitesse accrue, bien supérieure à ce que lui aurait donné sa seule masse propre si elle y avait été attirée sans sa compagne.
Image ci-dessous : Sgr A* vu par le télescope à rayons X, Chandra, crédit : NASA/Penn State/G.Garmire et al.
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