Pour les gens « raisonnables », l’établissement de l’homme sur Mars sera une aventure « folle » et il est fort probable que, de ce fait, son moteur sera bien davantage les grands capitalistes américains que les agences spatiales appartenant aux Etats (ce qui n’exclut pas que les agences y participent).
Une fois sur place les contraintes environnementales très particulières (éloignement de la Terre, très faible population, production d’énergie difficile, absence de ressources manufacturées, ressources alimentaires limitées, atmosphère irrespirable et de pression très basse, radiations solaires et galactiques peu filtrées et températures très froides) imposeront des règles de vie d’économie et de solidarité.
NB: on se situe au démarrage de la colonisation de Mars, avec une population qui se situe entre 1.000 et 50.000 personnes. On peut toutefois envisager que les principes ici décrits se perpétuent par la suite et même qu’ils s’appliquent un peu avant.
Cependant, une fois leurs besoins vitaux assurés (volume viabilisé habitable, air respirable, nourriture, eau potable, température douce, hygiène, accès à l’information), les nouveaux Martiens auront le choix entre des relations entre eux et avec la Terre, non monétarisées (« à chacun selon ses besoins ») ou monétarisées (« à chacun selon ses moyens », l’argent étant le mode d’expression des choix d’activité et plus généralement, de vie).
S’ils choisissent dans leur relation avec la Terre (ou n’ont pas d’autres solutions que) d’être financés exclusivement ou principalement par les budgets des Etats (via les agences), ils s’exposent à voir leurs ressources (nécessaires aux importations donc vitales) se tarir car il est plus que probable que les contribuables des pays correspondants se lassent au bout de quelques années (érosion de la nouveauté martienne !) de payer pour des gens très loin d’eux et qu’ils peuvent considérer ne pas leur apporter grand-chose (même s’ils se trompent). S’ils choisissent de renoncer dans le cadre de leurs relations entre eux en surface de Mars à la valorisation monétaire, ils s’exposent à pâtir de tous les défauts d’une société égalitariste et notamment (1) à une affectation des ressources rares en fonction des relations particulières que les uns et les autres peuvent avoir avec la Direction de la Colonie ; (2) à l’arbitraire dans le choix des investissements effectués par les autorités et au manque d’imagination ou de réalisme dans ces choix ; (3) au parasitisme de certains dont les besoins seraient évalués non en fonction de leur contribution (technique, intellectuelle ou financière) au bien commun mais en fonction de leur position dans la structure administrative de la Colonie ; (4) à la démotivation ; l’effort, la créativité et la prise de risques n’étant ni récompensées, ni encouragées.
Au contraire, l’utilisation de capital privé sur Mars permettrait de créer sur Terre un intérêt général dans l’investissement sur Mars. Cet investissement pourrait aussi bien provenir de l’épargne de personnes privées « normales » regroupée dans des fonds privés (comme jadis la « Compagnie des Indes »), que de grands capitalistes ou des Etats (incités par l’opinion publique et par la concurrence entre eux à y participer après coup). Bien sûr la création des infrastructures martiennes coûtera fort cher (dépenses à comparer à la création des lignes de chemins de fer transcontinentales en Amérique ou du Tunnel sous la Manche) avec un retour sur investissement incertain et lointain et il faudra organiser les financements adéquats (les banques savent faire). Ceux-ci se composeront d’émissions d’actions et d’emprunts, avec longues périodes de grâce avant remboursement du capital, mais en permettant dès le début les transactions sur les actions (le marché étant animé par la spéculation sur les perspectives de développement de la Colonie).
Pour responsabiliser les Martiens, donner confiance aux investisseurs et ne pas alourdir indéfiniment les engagements (qui devront un jour être honorés !) il faudra toutefois exiger que, dès le début, les frais variables générés par l’utilisation de ces infrastructures soient payés par leurs utilisateurs (avec, au fil du temps et du développement, un complément de plus en plus important servant à payer les intérêts et/ou les dividendes puis à amortir le capital). Mais pour être efficace, cette responsabilité ne pourra être collective et diffuse. Elle devra être personnelle. On devra demander à chaque résident (et non à la Colonie qui ne servira que d’intermédiaire collecteur) de payer ses consommations ou utilisations, afin de le sensibiliser aux coûts et de l’inciter à s’offrir (s’il le souhaite) les facilités les plus efficaces et les plus agréables, d’autant qu’il disposera d’une rémunération plus confortable de son travail.
La monétarisation permettra une évaluation fine des besoins et de l’utilité des biens et des services, qu’ils soient importés de la Terre ou produits sur Mars et donc indirectement de la rémunération des producteurs et des distributeurs de ces biens ainsi que des prestataires de ces services résidant sur Mars. Les prix seront fixés par l’offre et la demande. Se priver de l’indicateur monétaire et se fier uniquement à un choix administratif risquerait non seulement de s’avérer peu adapté aux besoins réels mais aussi inefficace.
L’offre devra intégrer des coûts évidemment très élevés par rapport aux coûts terrestres et les rémunérations, pour faire face à cette offre et être attractives, devront permettre aux acteurs économiques martiens non seulement de « gagner leur vie » mais de le faire nettement mieux que s’ils étaient restés sur Terre. L’incitation sera indispensable. Sans rémunération suffisante, très peu de personnes vraiment qualifiées viendraient se porter candidates au voyage. Ces hommes et ces femmes seront des personnalités fortes (comme mis en évidence par leur choix de prendre un risque important) et compétentes (de par leur sélection avant le voyage). Quelques-uns se moqueront totalement de l’argent qu’ils pourront gagner mais beaucoup en partant voudront pouvoir revenir sur Terre en cas d’échec ou « expérience faite » et dans ce cas, disposer d’un capital personnel pour s’engager dans une nouvelle vie. S’ils restent sur Mars, on peut penser qu’ils voudront disposer d’une liberté de consommation aussi grande que possible (plutôt qu’avoir à tout demander à l’administration) et qu’ils voudront peut-être un jour concrétiser une idée d’activité nouvelle (y compris consistant à exporter vers la Terre), qu’il leur faudra financer (au moins en partie).
Mais attention! Il ne peut y avoir fixation de prix sans expression de demande. C’est le besoin (demande) qu’on aura des biens et services et de leurs fournisseurs et prestataires sur Mars (où sur Terre dans le cas de biens – immatériels – martiens destinés à la vente sur Terre) qui, à la rencontre de leur offre, déterminera le montant de leur rémunération. Une offre bénéficiant d’une demande insuffisante ne devra pas être stimulée artificiellement car ce serait au détriment des autres. In fine ce seront les perspectives de marge et de volume qui inciteront les détenteurs de capitaux à investir.
Il faudra donc éviter à tout prix qu’à la recherche d’une égalité illusoire et néfaste, l’administration de la Colonie ou les Etats terriens reprennent ces marges aux personnes privées par des impôts progressifs confiscatoires. Il faudra que l’administration martienne limite son emprise fiscale à un impôt raisonnable sur la valeur ajouté sur la consommation et une taxe sur le revenu, égale pour tous et aussi réduite que possible, pour les biens communautarisés (air, eau potable, usage des locaux publics).
Bien entendu on ne pourra laisser n’importe qui faire n’importe quoi. L’administration devra toujours donner son accord pour une nouvelle activité en prenant en compte des considérations de sécurité ou de préservation de l’environnement et des sites de recherche, notamment biologiques, ou encore après considération des conséquences pour les équipements ou l’énergie disponibles sur la planète. Dans cet esprit, l’administration de la Colonie pilotera sûrement un plan indicatif de développement mais les initiatives privées pourront être systématiquement encouragées (on peut envisager un principe de subsidiarité “gravé dans le marbre”, le public n’effectuant que les tâches non effectuées par le privé) même en dehors du plan. La Colonie trouverait son avantage dans une telle approche qui allégerait ses charges financières et qui stimulerait les initiatives. Dans ce contexte le rôle des banques installées localement pour évaluer l’intérêt économique des projets, leur faisabilité – la probabilité de leur rentabilité – et collecter les fonds nécessaires, sera essentiel.
Tous les nouveaux arrivants dans le cadre d’un contrat à long terme bénéficieront d’un droit gratuit (ou quasi-gratuit) au retour (on ne peut condamner quelqu’un à vie pour un mauvais choix et ce qui coûte cher c’est le voyage aller beaucoup plus que le voyage retour puisqu’on voudra réutiliser les lanceurs et qu’il n’y aura quasiment rien à exporter, en termes de masse, depuis Mars). On peut également anticiper que certains terriens ne voudront passer que 18 mois sur Mars, simplement pour gagner de l’argent en plus d’acquérir une expérience et des références notables. Il ne faudra pas les décourager s’ils ont des compétences requises et des personnalités leur permettant de supporter l’expérience (du fait de ce droit au retour, cela ne fera pratiquement pas de différence avec les autres et certains voudront peut-être rester sur Mars). Cette possibilité de repartir suscitera peut-être beaucoup de voyages (qui devront rester limités à deux ou trois pour chaque personne compte tenu des radiations) mais l’accroissement du nombre total des vols permettra l’abaissement de leur coût unitaire (économie d’échelle), ce qui aura un effet vertueux sur le coût de la vie sur Mars. Ce droit au retour donnera à chacun une possibilité de renégocier sa rémunération. Une possibilité de départ sera en effet un argument sérieux puisque l’alternative serait de faire venir un remplaçant, moyennant un coût évidemment élevé.
Du fait de l’importance de leur rôle, les investisseurs terriens, tout comme les résidents qui feront fonctionner la Colonie, devront avoir une place dans son Comité de Direction, introduisant au sein de ce Comité une rationalité économique capitaliste. Il ne faut pas en avoir peur. On n’a rien trouvé de mieux que le capitalisme dans un cadre libéral pour réguler les activités économiques pourvu qu’il s’exerce dans la transparence. C’est lui qui permettra le développement de la planète et l’implantation durable de la vie humaine. Y renoncer a priori serait condamner la Colonie martienne à péricliter puis à disparaître.
Image à la Une : Fondateurs de la pensée libérale sur le plan économique, sociétal et politique, Jean-Baptiste Say, 1767-1832 (à gauche), Claude-Frédéric Bastiat, 1801-1850 (à droite). Leurs portraits pourraient être suspendus dans la Salle du Conseil de la Colonie martienne pour rappeler aux participants les limites que doit s’imposer l’Etat vis-à-vis des citoyens afin d’être à la fois respectueux de leur liberté, juste et efficace.