Utopie, science-fiction, fantasy ; l’imagination est le moteur de notre action

Pendant la majeure partie de son histoire, l’homme a imaginé l’« ailleurs » en dehors de toute considération scientifique car le progrès était suffisamment lent pour être pratiquement imperceptible. L’essentiel était de mettre en place sur le papier des structures sociales et politiques permettant de mieux se représenter des relations personnelles et un état psychologique souhaités (l’Utopie de Thomas More) ou simplement utiles à la démonstration (l’Eldorado de Candide), la comparaison (les Lettres persanes) ou la critique (Les voyages de Gulliver). Le XIXème siècle a changé tout cela avec l’accélération des découvertes scientifiques. Les tendances technologiques extrapolées et ce que nous laisse entrevoir l’astronomie, ont donné une autre dimension au cadre dans lequel peut se déployer notre imagination et ce cadre lui-même fait l’objet de spéculations beaucoup plus riches et parfois exubérantes. Du fait de ce changement majeur, la production littéraire a elle aussi changé et on peut aujourd’hui distinguer plusieurs genres dont l’action se situe dans ce vaste « ailleurs » ci-dessus évoqué. L’utopie (ou la dystopie) c’est la société idéale (ou pervertie), sciemment située « nulle part » ; la science-fiction c’est une variation sur l’utilisation de nouveaux moyens technologiques, souvent dans des ailleurs de commodité mais parfois sur des planètes identifiées ; la « fantasy » (terme américain difficilement traduisible en Français) c’est une histoire dans un cadre onirique agrémenté de suggestions pseudo-scientifiques (pour le moment et peut-être pour toujours en dehors de nos capacités) avec souvent une pincée de magie.

La science-fiction connaît aussi des variantes selon le degré de vraisemblance. On dit qu’elle est d’autant plus « dure » (« hard ») qu’elle se rapproche de la réalité. Beaucoup de scientifiques s’y sont essayés, par exemple Robert Forward dans « The Flight of the Dragonfly » où il brode sur son idée de voile solaire (toujours plus d’actualité comme le montre le projet Breakthrough Starshot).  Dans cette catégorie d’ouvrages, ceux qui ont choisi la planète Mars pour cadre, se doivent d’être aussi réalistes que possible quant à l’environnement puisqu’il est de mieux en mieux connu. Omettre cet aspect reviendrait à rendre l’histoire racontée non crédible. Ainsi la planète Mars des « Chroniques Martiennes » de Ray Bradbury qui pouvait être une possibilité à l’époque où l’auteur l’a imaginée, ne l’est plus du tout aujourd’hui même si la qualité poétique de l’œuvre reste intacte. Les fameuses « Chroniques » sont de ce fait devenues une fantasy.

Richard Heidmann, diplômé de l’Ecole Polytechnique, diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure de l’Aéronautique, ancien directeur à la SNECMA (l’un des concepteurs des moteurs d’Ariane puis directeur « Orientation Recherche et Technologie » du groupe) et fondateur de la branche française de la Mars Society (« Association Planète Mars »), vient précisément d’écrire « Alerte à Mars City », roman de science-fiction-dure se situant dans une centaine d’années sur Mars. Il décrit une future société martienne crédible technologiquement et déroule une histoire logique dans ce cadre technologique, et compte tenu des contraintes posées par l’environnement martien.

En 2143, un journaliste est envoyé en reportage d’investigation dans la colonie martienne qui compte alors une cinquantaine de milliers de personnes, pour tenter d’élucider des événements anormaux et incompréhensibles (on pourrait dire « des signes faibles ») peut-être liés à la prise de conscience des martiens de leur particularité et de leurs intérêts propres. Je n’en dirai pas plus mais ce qui est remarquable c’est la justesse de l’analyse psychologique. On peut tout à fait se mettre aussi bien dans la peau du journaliste que dans celle de ses hôtes. On entre ainsi facilement dans une histoire qui « tient la route » dans un milieu humain tout à fait spécifique qui ne peut être que celui de ces pionniers, vivant une expérience très différente de celle de leurs contemporains sur Terre mais qui partagent des sentiments évidemment universels. Le héros est très astucieux et réactif, un peu le Tintin du 22ème siècle, ce qui lui permet de déjouer les traquenards qui lui sont tendus. Il n’en reste pas moins que l’histoire pleine de rebondissements (causés en partie par l’évolution des sentiments entre le journaliste et sa guide martienne) prend plusieurs fois des tours imprévus et qu’on reste toujours dans le vraisemblable.

Un autre roman que vous pourriez lire en cette fin d’été est « Genèse martienne » de Jean-Marc Salotti, Professeur des universités en informatique à l’Ecole Nationale de Cognitique de l’Institut Polytechnique de Bordeaux, secrétaire du groupe de travail de l’ Académie Internationale d’Astronautique chargé de faire le point sur les missions martiennes habitées et d’établir une liste de recommandations pour les agences spatiales internationales, et également membre du Conseil de direction de l’Association Planète Mars. Ici il n’est pas question de société martienne car l’auteur traite de la première mission habitée. On est toujours dans la science-fiction-dure mais davantage dans sa variante technologie. L’histoire est une application de sa théorie de mission habitée qui est dérivée de celle de Robert Zubrin, fondateur de la Mars Society. Les contraintes essentielles ici mises en valeur sont l’atterrissage de masses lourdes, les difficultés de déplacement en surface et l’hostilité de l’environnement. On est presque dans l’actualité, celle que de courageux pionniers pourraient vivre dans dix ans si on décidait demain d’aller sur Mars. Ils sont deux et partagent une magnifique aventure dans des conditions extrêmement éprouvantes, tout à fait réalistes. On est très loin de la fantasy d’Andy Weir (« Seul sur Mars ») dont l’environnement technologique et planétaire ne peut être acceptée que par des personnes peu au fait des réalités. Les conditions extrêmes qu’ils affrontent suscitent leur courage, stimulent leur inventivité et exaltent les sentiments d’amitié et de solidarité.

Ces deux romans sont les meilleurs que j’ai jamais lus sur les sujets respectifs de la première mission habitée et de la société martienne naissante, et je ne le dis pas parce qu’ils ont été écrits par des amis. On attend un metteur en scène et un producteur. Qui se lance ?

Pour conclure, je pense que ces variations sur le futur dans le genre science-fiction-dure, constituent le nuage virtuel dans lequel se crée notre réalité de demain. Les esprits scientifiques et les ingénieurs ont besoin, comme les autres, de jouer, de visualiser et quoi de mieux pour réfléchir que d’imaginer une histoire utilisant les concepts sur lesquels on travaille de manière abstraite. De leur côté les lecteurs vont s’imprégner de ces concepts et certains d’entre eux vont les exploiter et les prolonger avec le point de vue et les connaissances qui leurs sont propres. Il suffit de quelques graines pour faire avancer l’humanité toujours plus loin.

lectures:

« Alerte à Mars City », Editions 2A, avril 2017 ;

« Genèse martienne, Objectif Mars », Editions Amalthée, 30 mai 2016;

Un autre livre, que l’on peut classer dans le domaine scientifique, est à lire :

« Embarquement pour Mars » (3ème édition), écrit par un collectif de spécialistes de Mars (dont Richard Heidmann, Jean-Marc Salotti et moi-même), tous membres de l’Association Planète Mars ; diffusé en Suisse par Payot. Il s’agit de décrire pourquoi on doit et comment on pourra aller s’établir sur Mars.

image à la Une: couverture du livre de Richard Heidmann

Ci-dessous: couverture du livre de Jean-Marc salotti

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.