Le “pale-red-dot” de Proxima-b une étape sur le chemin de Pandora?

Il ne faut pas qualifier trop vite de « Nouvelle Terre » l’exoplanète « Proxima-b » dont la découverte a été confirmée dans Le Temps du 25 août ! La comparaison avec notre Terre ne peut se faire qu’en prenant en compte d’une part la masse de son étoile, Proxima Centauri, par rapport à celle du Soleil, et d’autre part la distance de Proxima-b à Proxima Centauri par rapport à la distance de la Terre au Soleil, ainsi que la masse et la densité de Proxima-b par rapport à celles de la Terre. Cela donne des résultats dont l’intérêt est certain mais qu’il ne faut pas exagérer.

Selon ces critères, sa masse de 1,30 fois celle de la Terre et sa densité (roche et non gaz) font bien de Proxima-b une sœur de notre planète. Un homme sur son sol aurait à peu près la même sensation de pesanteur que sur Terre. Notons que la détection d’une planète rocheuse de la taille de la Terre est d’autant plus difficile que l’on en est éloigné et que c’est bien parce que Proxima Centauri est l’astre le plus proche du Soleil (4,23 années lumières soit 45.000 millards de km) que l’on a pu déceler la présence de Proxima-b malgré sa petite taille (on ne la « voit » pas, on la « perçoit » indirectement par des oscillations infimes de son étoile résultant de son jeu gravitationnel avec elle).

La température moyenne au sol (estimée à -30°C/+30°C) de Proxima-b est un autre critère de ressemblance. Combiné à la masse et à la densité il permet effectivement d’envisager de l’eau liquide en surface…pourvu que la planète ait une atmosphère et que la pression de cette atmosphère au sol se situe sensiblement au-dessus du point triple de l’eau (611 pascals, soit 0,61 % de notre pression atmosphérique au sol).

C’est tout ce qu’on peut dire de positif sur cette planète ; les autres données que l’on a recueillies ne font pas d’elle un endroit très hospitalier. En effet, si la température en surface est relativement « douce » c’est bien sûr que la distance à l’étoile est adéquate mais le résultat est obtenu grâce à une combinaison qui est loin d’être « plaisante ». Proxima-b doit être très proche de son étoile, et elle l’est effectivement (7 millions de km seulement alors que Mercure se trouve à 36 millions de km et la Terre à 150 millions), parce que cette étoile est une naine rouge, dix fois moins massive que le soleil et mille fois moins lumineuse (et moins chaude). Plus éloignée, elle serait glacée. Cette proximité n’est cependant pas sans conséquences négatives. D’abord la force de gravité de l’étoile a bloqué la planète dans sa rotation sur elle-même (« tidal locking »). Comme la Lune par rapport à la Terre, Proxima-b présente toujours la même face à Proxima Centauri. Il faut donc imaginer d’une part une face sans nuit et chaude, et d’autre part une face sans jour* et froide. Par ailleurs Proxima Centauri est une sorte d’étoile avortée et instable du fait de sa faible masse. Elle n’expulse pas l’énergie résultant de la combustion de son hydrogène par radiations mais par mouvements physiques de plasma. Aussi les mouvements de convection internes génèrent un champ magnétique permanent mais irrégulier et l’énergie magnétique est libérée par des éruptions violentes qui peuvent comporter énormément d’ultraviolets durs (« C ») et de rayons X. Ces émanations et radiations balayent très fréquemment la surface de Proxima-b.

* la lumière parvenant des deux autres étoiles (Alpha Centauri A & B) du système triple dont fait partie Proxima Centauri ne peut pas éclairer fortement Proxima-b et ceci bien qu’Alpha Centauri A soit une étoile de la classe du Soleil, car Proxima Centauri est séparée de ses deux compagnes par quelques 13.000 UA (1 UA = distance Terre / Soleil) soit 2.000 milliards de km (rappelons pour comparaison que la distance moyenne de Pluton à la Terre est de 6 milliards de km).

La configuration de Proxima-b n’incite donc pas à une quelconque mission habitée…d’autant que, avec les moyens d’aujourd’hui, il faudrait 19.000 ans pour l’atteindre dans le meilleur des cas (vitesse de 240.000 km/h acquise par la sonde Hélios 2 de la NASA grâce à la très forte gravité solaire). Pour aller plus vite, la presse a parlé récemment du projet « Breakthrough Starshot » du Russe Youri Milner, cautionné par Stephen Hawking. Il s’agirait de propulser des voiles dans l’espace avec de la lumière provenant de très puissants rayons lasers (lumière cohérente sur de très longues distances), vieux concept imaginé au début des années 1980 par Robert Forward dans son magnifique roman « Flight of the Dragonfly ». On pourrait ainsi atteindre 20% de la vitesse de la lumière et donc faire le voyage en vingt ans. « Petit » problème : il faudrait énormément d’énergie pour générer ces rayons lasers et aussi pour freiner le vaisseau lorsqu’on serait arrivé à destination (et il n’y a personne de l’autre côté !). On est là dans le domaine de la science-fiction même si la science « dure » n’est pas loin.

On sera donc encore longtemps condamnés à simplement observer la planète, faire de l’astronomie et non de l’astronautiquemais ce n’est déjà pas si mal. On le fera certainement de mieux en mieux, ne serait-ce qu’avec les grands télescopes de l’ESO dans le désert chilien, dans l’espace avec le JWST, successeur de Hubble, ou autres (voir ci-dessous*). C’est d’ailleurs cela qui intéresse les astronomes du groupe « Pale Red Dot » qui se sont regroupés pour l’identification et l’approfondissement de nos connaissances concernant Proxima-b. C’est une aubaine pour eux que l’étoile la plus proche gouverne une planète rocheuse à peu près de la taille de la Terre. Cela va leur permettre de tester et d’améliorer leurs moyens d’observation des exoplanètes, indirects et un jour directs.

Autre intérêt : avoir trouvé Proxima-b si près de nous implique que les exoplanètes de ce type ne sont pas rares et que l’on en trouvera bien d’autres dans notre environnement proche (c’est-à-dire juste un peu plus lointain) au fur et à mesure de l’amélioration de la précision de nos instruments d’observation et des théories de nos astronomes. Ce qui serait “formidable” ce serait de découvrir une planète semblable à la Terre juste à côté, dans le monde d’Alpha Centauri A qui est, elle, un vrai “soleil”. Rappelons que Pandora la “planète” du film Avatar de James Cameron, est une lune (pour le moment totalement hypothétique) qui orbite autour de Polyphème, une géante gazeuse (également aujourd’hui hypothétique) située dans la zone habitable d’Alpha Centauri A. Selon James Cameron l’action se déroule en 2154! Si les astronomes débusquent un jour Pandora ou sa sœur, nul doute que ce serait un aiguillon très efficace pour développer les moyens astronautiques nécessaires pour l’atteindre.

Image à la Une : localisation et composition de notre système stellaire voisin, Alpha Centauri. Crédit organisation Pale Red Dot.

Autre image (ci-dessous) : vue d’artiste de Proxima Centauri à partir du sol de Proxima-b. Crédit : ESO.

liens :

vers le projet « Pale Red Dot » :

http://www.palereddot.org

vers l’initiative « Breakthrough Starshot » :

https://breakthroughinitiatives.org/Initiative/3

*NB: Les astronomes du projet « Pale Red Dot » qui, pour le nom, se sont inspirés du « Pale Blue Dot » de Carl Sagan ont utilisé l’instrument « HARPS »  (High Accuracy Radial Velocity Planet Searcher) annexe du télescope de l’ESO de 3,6 mètres de diamètre de l’Observatoire de La Silla au Chili. Ils continuent avec les réseaux d’observatoires de « LCOGT » (Las Cumbres Observatory Global Telescope Network) et de « BOOTES » (Optical Observer and Transient Exploring System).

Vu de Proxima Centauri de Proxima-b_so1629a-1038x576

MiDASS un résultat de la recherche MELiSSA promis à un brillant avenir

MiDASS (« Microbial Detection in Air System for Space ») est l’exemple de ce que la recherche spatiale MELiSSA peut apporter à la vie sur Terre. L’appareil résulte d’une coopération proposée dans ce cadre par l’ESA à BioMérieux, cette société leader mondial des diagnostiques infectieux in vitro (bactéries, champignons, virus) étant évidemment le meilleur partenaire possible (JV 50/50). L’objet premier de MiDASS est le contrôle des équilibres microbiens dans l’habitat d’un vaisseau spatial mais l’intérêt qu’il présente imposera son usage dans tous les milieux clos habités.

Comme nous l’avons vu précédemment, l’un des risques majeurs pour les équipages des missions habitées de longue durée dans l’espace profond, sera les déséquilibres microbiens survenant dans leur environnement. Les sources et les vecteurs possibles sont multiples. Il peut s’agir des membres de l’équipage eux-mêmes, des matériaux divers qui les entourent et qui se seront dégradés, des aliments qu’ils auront pris avec eux, de l’air qu’ils respireront, de l’eau qu’ils utiliseront.

Jusqu’à présent le seul moyen d’identifier un microbe pathogène, c’était d’en faire la culture et on obtenait les résultats, l’identification, dans un délai allant de 48 heures à une semaine (dans la mesure où le microbe était facilement cultivable !). Dans un milieu clos très petit, comparable en fait à une (très) grosse boîte de Petri, ce délai est généralement suffisant pour que la présence du microbe se généralise. La correction reste possible mais elle est tardive et coûteuse (ne serait-ce qu’en termes de masse de produits correctifs à utiliser). MiDASS est le premier système totalement automatisé, de l’échantillonnage au résultat, applicable à l’analyse microbienne de l’atmosphère ou aux surfaces (on parle de « détecter et quantifier la charge bactérienne ou fongique »). Il est basé sur une analyse moléculaire de type « NASBA » pour « Nucleic Acid Sequence Based Amplification », une méthode utilisée pour amplifier les séquences ARN des micro-organismes sélectionnés (après capture et lyse de ces microorganismes). On peut atteindre avec elle des niveaux très fins de début de contamination, à des seuils de risque prédéterminés (évalués en « CFU », pour « Colony-Forming Units », par m3). L’obtention des résultats est extrêmement rapide (moins de 3 heures !) et l’on sait combien le délai de réaction est important vis-à-vis de populations bactériennes qui se reproduisent à très grande vitesse (à noter qu’en plus les conditions d’apesanteur favorisent la prolifération bactérienne). Autre avantage, l’appareil peut traiter une vingtaine d’échantillons par jour.

Il fonctionne aujourd’hui en prototype pour l’atmosphère des habitats spatiaux (instrument, réactifs, consommables et software) avec une très grande sensibilité (une cellule par m!) et on cherche à l’adapter pour l’eau (alimentaire et hygiène). C’est notamment le travail de la doctorante Anne-Laure Béchy (Laboratoire de Biométrie et Biologie Evolutive de l’Université Claude Bernard Lyon 1, en liaison, “UMR”, avec le CNRS et avec Biomérieux). Si elle réussit (ce qu’on lui souhaite de tout cœur), on aura ainsi la possibilité de contrôler les deux vecteurs les plus dangereux dans un habitat confiné.

On voit bien les retombées que cette recherche peut avoir sur Terre pour les locaux hospitaliers, les systèmes d’air conditionnés d’immeubles de bureaux, les canalisations d’eau potables ou sanitaires. On voit aussi que l’expansion de l’homme dans l’espace c’est l’extension de son domaine de vie. Nous nous y transporterons avec notre coquille. Le principe étant que celle-ci doit être la plus petite, la plus légère mais aussi la plus fiable possible, en quelque sorte une quintessence de coquille. Cela n’est possible que si nous en connaissons les composants et que si nous contrôlons leur évolution. Pour être plus précis, à l’intérieur de la coque rigide de l’habitat du vaisseau spatial, il faudrait voir cette « coquille » comme un nuage d’êtres vivants (évidemment microscopiques) qui enveloppe et pénètre chacun des membres de l’équipage en se mêlant à celle de l’équipage tout entier et en se lovant à l’intérieur des parois du vaisseau. Nous voyagerons avec notre microbiote et celui des autres passagers dans notre propre microbiome et dans le microbiome commun. MiDASS sera l’outil incontournable du pilotage de ce microbiome.

(dernier billet d’une série de sept sur MELiSSA)

Image à la Une :  prototypes d’appareil MiDASS pour usage atmosphérique. Ils sont évidemment miniaturisés car ils devront être embarqués ! Crédit ESA/Biomérieux.

Oïkosmos clef de voûte de MELiSSA

Le programme Oïkosmos est mené à l’UniL par Théodore Besson, doctorant, sous la direction du Professeur Suren Erkman, au sein de son groupe Ecologie industrielle (Institut des dynamiques de la surface terrestre, Faculté des Géosciences et de l’Environnement). Théodore va défendre sa thèse sur le sujet en Octobre.

Le principe d’Oïkosmos est de déterminer et de faire progresser / évoluer un agenda de recherches micro-écologiques ayant pour objectifs la préparation d’un habitat spatial autonome opérationnel mais aussi, en parallèle, l’exploitation systématique des résultats pour une meilleure gestion de notre environnement terrestre. Ces recherches devront être menées / testées sur Terre dans un démonstrateur technologique, un « ECA » (pour « Ecosystème Clos Artificiel », ou « ACE » en Anglais), qui simulera les contraintes des habitats spatiaux.

Pour être efficace et coller aux exigences de la réalité visée (vie humaine dans une bulle autonome, dans l’espace ou sur une autre planète), l’approche doit être synergétique et systémique. Elle devra regrouper tous les programmes scientifiques et technologiques évoluant à la frontière des domaines de recherche concernés. Il s’agit d’abord de l’écologie industrielle (gestion durable des ressources, bio-monitoring de la boucle matières organiques, éco-toxicologie, valorisation du gaz carbonique, bio-raffinage). Il s’agit ensuite de la biologie des systèmes (sciences biologiques dites « omiques » : bio-monitoring de la santé, génomique, protéomique –protéines-, métabolomique –métabolisme-, nutrigénomique –nutrition-, science des outils microbiens). Il s’agit enfin des technologies de l’information et de la communication (interactions homme/machine, technologies embarquées, objets connectés, systèmes de contrôle intelligent, télémédecine). La combinaison de ces domaines de recherche est cruciale pour parvenir à fournir le monitoring quasiment en temps réel (si le centre intelligent et réactif se trouve dans l’habitat Martien !), la régulation fine et le contrôle des processus de santé des organismes vivants et des conditions environnementales dans un habitat clos.

On voit bien ainsi qu’Oïkosmos sera la mise en situation des recherches MELiSSA (suite logique des travaux menée jusqu’à présent) et le moyen d’étudier toutes leurs interactions. Pour les applications terrestres, on voit bien également qu’elles viseront la « soutenabilité » écologique des activités terrestres (dans un contexte de raréfaction des ressources naturelles), la lutte contre la diffusion des polluants dans les écosystèmes naturels ou encore l’impact environnemental de la construction.

L’ECA dont MELiSSA a besoin pourrait être une version actualisée du projet FIPES (« Facility for Integrated Planetary Simulations ») étudié en 2006 par le Liquifer System Group (« LGS », Vienne) à la demande de l’ESA/ESTEC. Ce FIPES pourrait être implanté à l’UniL. Il testerait, avec des équipages humains, les technologies MELiSSA au fur et à mesure de leur évolution. Il constituerait un outil beaucoup plus sérieux que l’expérience « Mars 500 » dont les media ont beaucoup parlé. En effet Mars-500 ne pouvait tester que les conséquences psychologiques d’une vie en commun en espace clos sur une longue période. Or la véritable difficulté d’une mission habitée dans l’espace profond, ou plutôt la difficulté première, n’est pas là. Elle réside, d’abord, dans la possibilité pour l’équipage de préserver ses fonctions vitales et ses fonctions opérationnels physiques, pendant le voyage et une fois arrivé à destination. Il s’agit de permettre à l’équipage de survivre sans aucun apport matériel extérieur pendant une longue période (mission sur Mars : deux fois six mois de voyage encadrant un séjour de 18 mois en surface d’une planète stérile) compte tenu du fait que les possibilités d’emport de matières sont, avec les technologies actuelles, extrêmement limitées. Rappelons qu’on ne peut prendre à bord en orbite basse terrestre que 130 tonnes, ne déposer sur Mars qu’une vingtaine de tonnes à la fois et qu’il est irréaliste (coût) d’envisager des missions comprenant de trop nombreux lancements (plutôt deux ou trois lancements par fenêtre de tirs, espacées de 26 mois).

Après cette courte présentation, que j’espère objective et exacte d’Oïkosmos, j’insiste pour dire que ces recherches ne doivent pas être utilisées comme alibi pour reculer l’envoi d’équipages humains dans l’espace profond jusqu’à ce qu’on soit parvenu à faire fonctionner un système MELiSSA parfait, c’est à dire assurant une autonomie complète. Je pense au contraire que nous devrions entreprendre ces vols dès à présent (c’est d’ailleurs l’intention d’Elon Musk) avec des systèmes de support vie (« ECLSS ») hybrides : autant régénératifs que possibles mais également artificiels dans la mesure où le régénératif n’est pas encore suffisamment capable ou fiable. La première conséquence de l’imperfection actuelle de MELiSSA ce sera le fait que nous devrons embarquer plus (mais de moins en moins) de « produits » (agents « nettoyants » d’une part, réserves d’eau, d’oxygène et nourriture d’autre part) et de dispositifs physiques (émetteurs d’UV par exemple) nécessaires au rétablissement des équilibres écologiques déstabilisés. La seconde conséquence c’est (comme déjà dit) qu’il est trop tôt pour envisager des vols plus longs que ceux qui sont nécessaires pour atteindre et revenir de Mars (mais la surface planétaire de Mars doit nous permettre de nous organiser pour y séjourner les 18 mois requis par la mécanique céleste).

A suivre! (“MELiSSA” 6/7)

Image à la Une: Projet d’installation FIPES; Crédit image ESA

lecture: “Vers une écologie industrielle” de Suren Erkman, chez éditions Charles Leopold Mayer (2004).

https://www.letemps.ch/sciences/2014/10/23/aventure-un-voyage-vers-mars-commencait-suisse-romande

MELiSSA c’est encore des plantes pour respirer et se nourrir

Dans leur “Compartiment IVb” (celui des plantes supérieures) qui doit fournir en nutriments et en oxygène le Compartiment V (habité), les équipes de MELiSSA travaillent à la culture par hydroponie et en environnement contrôlé, du chou frisé (kale), de la laitue, de l’oignon, du riz, de la tomate et de l’épinard, en plus (depuis 2009) de celle des pommes de terre, du soja, du blé tendre et du blé dur, après avoir commencé en 1997 par le blé, les betteraves et la laitue. Ces cultures sont menées indépendamment de celle des algues unicellulaires, type spiruline ou chlorelle (menée dès 1997 dans le Compartiment IVa). Les parties non comestibles de ces plantes et le gaz carbonique qu’elles produisent par leur respiration (pendant les périodes sans lumière), sont renvoyés au début de la boucle de vie (Compartiment 1) pour être recyclés. A noter que les plantes ont besoin d’une alternance jour / nuit variable selon leur espèce.

La diversité des cultures, choisies évidemment pour leurs propriétés nutritives, la quantité relativement faible de leurs déchets et la facilité de leur contrôle (ne serait-ce que l’encombrement de la plante !), progresse donc constamment. Mais la recherche de contrôle ne peut pas porter que sur les espèces cultivées stricto sensu. En effet, comme pour tout être vivant, l’environnement de la plante est essentiel et doit être également connu et maîtrisé. En 2015 les équipes de MELiSSA ont ainsi abordé l’action des microbes sur la rhizosphère (la pomme de terre ou l’asperge, par exemple, se propagent grâce à un rhizome). Ces microbes sont des partenaires symbiotiques de nombreuses plantes (à rhizome ou à simple racine) ; ils en facilitent ou même en permettent la croissance.

La difficulté de la culture en milieu clos et exigu est avant tout un problème sanitaire. Les plantes, comme tout être vivant, ont chacune des compatibilités (des besoins) ou des incompatibilités avec les autres plantes. Elles sont en compétition et / ou en symbiose entre elles. Elles ont chacune un microbiome qui leur est propre et ce microbiome peut contenir un microbiote dont des éléments (malsains ou même sains) peuvent ne pas être supportés par l’autre. A cet égard l’eau et l’atmosphère peuvent être des vecteurs malheureux. Cela n’a pas beaucoup d’importance dans la nature, sauf pour le jardinier ou le cultivateur mais sur Terre on peut amender le sol, le modifier, planter ailleurs, dériver l’irrigation. Au cours d’une mission spatiale habitée c’est beaucoup plus difficile.

Comme dans le cadre des autres compartiments, les scientifiques de MELiSSA font varier les différents facteurs environnementaux du Compartiment IVb. Le but est évidemment d’obtenir les rendements maximums en masse consommable (un minimum de déchets), en valeur nutritionnelle et en temps. Là encore on constate que les besoins des plantes peuvent varier. Elles ont des exigences différentes concernant l’alternance jour / nuit, l’intensité lumineuse, les dominantes du spectre lumineux, les variations de températures, la composition du sol en minéraux, les alternances humidité / sécheresse, le pH, la composition de l’atmosphère (teneur en gaz carbonique).

La conséquence des risques de contamination et de ces particularités est que l’on a intérêt à séparer les cultivars et à bien prendre en compte la compatibilité des plantes si on les associe. On a également intérêt à ne pas leur procurer une pression atmosphérique inutilement forte (on peut descendre beaucoup plus bas pour les végétaux que pour les animaux, peut-être à 0,3 bar), à bien sélectionner les longueurs d’onde du spectre lumineux (le bleu et le rouge-orangé sont préférés) et à effectuer la récolte au meilleur moment de la maturité pour en tirer le plus de qualités nutritionnelles.

La cuisine moléculaire, tentante a priori pour la variété des goûts qu’elle introduirait dans l’alimentation, n’est pas forcément une bonne idée car elle supposerait l’emport de produits chimiques (molécules!) en masse importante et pas forcément indispensable.

On se pose actuellement beaucoup de questions sur l’orientation de la pousse des plantes en apesanteur. Ce problème n’est important que si on suppose que le voyage se fera dans ces conditions mais, à la Mars Society, nous recommandons fortement de recourir à la gravité artificielle…et pas seulement pour les plantes !

Encore une fois, la culture sur Mars sera beaucoup moins difficile que pendant le voyage (place disponible !). Il ne faudra pas oublier de purifier le sol de ses sels de perchlorates, omniprésents en surface et on devrait d’abord pratiquer la culture hors sol (hydroponie, ultraponie) pour assurer un meilleur contrôle et être économe en eau et en produits nutritifs.

Naturellement la préservation des plantes après cueillette est abordée par MELiSSA car il est essentiel de faire correspondre la mise à disposition des aliments avec les besoins de consommation. Il s’agit d’inactiver l’évolution microbienne dans les plantes en attente de consommation. La meilleure solution (Professeur Alexander Mathys, ETHZ) semble être la combinaison de processus thermique et mécanique, ce qu’on appelle la stérilisation thermique à haute pression (jusqu’à 400 MPa, soit 4000 bars, pendant une très courte période).

Un des problèmes essentiels pendant les missions longues, dans l’espace profond, sera la pauvreté relative des variétés d’aliments. Pour contrer les effets de carence, le professeur Mathys recommande l’introduction d’une variété aussi grande que possible de protéines, ce qui implique celles provenant des algues et des insectes. Vous remarquerez que je ne parle pas d’animaux; leur introduction devant se faire ultérieurement (complexité et interaction des microbiomes animaux et avantage poids et volume des algues et des insectes!).

A suivre! (“MELiSSA” 5/7)

Si vous êtes intéressé par le sujet, outre les travaux du Prof. Mathys, vous pouvez consulter ceux des scientifiques ci-dessous (participants au Workshop MELiSSA des 8 et 9 juin) :

Dr. Roberta Paradiso ; University of Naples.

Prof. Ep Heuvelink ; Wageninguen University ; Pays-Bas.

Prof. Radu Mircea Giurgiu ; University of Agricultural Sciences & veterinary medicine, Roumanie.

Prof. Mike Dixon, Université de Guelph (Toronto)

Image à la Une: The Oxygen Garden dans le film Sunshine, 2007, Crédit DNA Films.

MELiSSA c’est aussi le recyclage de l’eau et l’atmosphère

En dehors du recyclage des matières organiques solides, le projet MELiSSA est également pertinent pour l’eau et l’atmosphère. Tout comme les premiers, ces deux fluides doivent être recyclés après utilisation dans la boucle de vie et, pour le moment, c’est ce qui “marche” le mieux. Pour leur traitement, on n’a pas besoin de les mélanger avec les déchets, mais on devra récupérer l’eau et les gaz de ces déchets. Dans un vaisseau spatial, il y aura donc deux sources approvisionnement. Sur Mars il y en aura trois car Mars possède de l’eau et une atmosphère (CO2 + azote) qu’il conviendra d’utiliser. Dans tous les cas, outre le recyclage des composants chimiques, il faudra veiller à la « pureté » bactériologique du produit final.

Le spectre de l’eau usée est donc très large. Il comprend des eaux noires et des eaux grises. En surface planétaire une fraction des eaux grises pourra être réutilisée en tant que telles mais pendant le voyage et en fonction de sa durée, tout devra pouvoir être récupéré en eau « propre », pour des raisons sanitaires et pour des raisons d’économie de masse. Pour le traitement on utilise dans la Station Spatiale la technique de « VCD » (pour « Vapor Compression Distillation » ou « distillation par compression de vapeur ») qui présente apparemment quelques difficultés techniques (liées à l’apesanteur ?). Dans MELiSSA on utilise, d’après l’expérience acquise dans la station Concordia en Antarctique, la technique WTUB (Water Treatment Unit Breadboard) qui permet de récupérer 90% du condensat des eaux grises. Elle consiste à combiner la nitrification de l’ammoniac de l’urine par des bactéries spécialisées, avec un dispositif de membranes qui récupèrent l’eau de l’urine nitrifiée mélangée aux eaux grises. On procède ensuite à la distillation de l’eau grise et on obtient d’une part de l’eau pure et d’autre part un fertilisant de bonne qualité.

Mais la nitrification n’est pas si facile car le débit d’urine fraîche doit être en harmonie avec les capacités de traitement des bactéries. Un débit trop élevé apporte un excès d’ammoniac libre qui gêne le « travail » des bactéries nitrifiantes et un débit trop faible introduit un excès de bactéries oxydant l’ammoniac, qui produit trop de nitrites pour les bactéries qui peuvent les oxyder. Les nitrites en s’accumulant épuisent les bactéries susceptibles de les traiter, les bactéries oxydantes de l’ammoniac deviennent tolérantes à l’acidité ce qui fait chuter le pH du liquide et libère divers gaz non souhaités (et qu’il faudrait retraiter !): acide nitreux, oxyde nitrique et oxyde nitreux (anesthésiant et hallucinogène). Il faut donc réguler l’entrée d’urine fraîche dans le système de manière à garder le pH dans une bande étroite, entre 6.3 et 6.35 (sur une échelle 1 à 14). Si le débit d’urine est trop bas (comme indiqué par le taux de pH) il faut arrêter son entrée et empêcher l’oxydation (arrêter l’aération)…Tout ce développement pour montrer que rien n’est simple et que les dérèglements des systèmes de recyclage peuvent avoir de graves conséquences dans un environnement très exigu et avec une « population » forcément réduite dont les rejets métaboliques ne peuvent être lissés par le nombre.

Pour ce qui est de l’atmosphère, on a choisi la régénération du CO2 en O2 par photosynthèse, ce qui est naturel puisque c’est ce qui fonctionne naturellement sur Terre. Elle sera opérée par des micro-algues (bactéries, unicellulaires), spirulines et/ou chlorelles, installées dans des photo-bioréacteurs (savamment conçus pour que la lumière soit diffusée sur un maximum de biomasse). Elles absorberont le gaz carbonique et rejetteront un solde positif important d’oxygène (et seront ultérieurement consommables). Là aussi, la qualité bactériologique doit être constamment contrôlée et pilotée. Plus un déséquilibre sera perçu tôt, plus il sera facile et moins il sera coûteux de le corriger.

Une première retombée de la recherche MELiSSA, a été la mise au point en commun avec BioMérieux d’un appareil de contrôle de qualité bactériologique de l’air, MiDASS (pour Microbial Detection in Air system for Space) qui a l’avantage de pouvoir être commercialisé et donc d’apporter des ressources à MELiSSA. J’en parlerai dans un autre billet.

Comme pour le traitement des déchets organiques solides, on ne devrait pas atteindre rapidement un recyclage total de l’eau et de l’atmosphère mais les pourcentages pour l’atmosphère et les eaux grises sont déjà très élevés (dans les 93% pour l’eau et 75% pour l’oxygène). Chaque progrès effectué donne une plus grande sécurité et permet d’envisager de réduire la masse qu’il sera indispensable de prendre avec soi dans le vaisseau spatial (compte tenu des quantités non recyclables, des risques de défaillance des systèmes de traitement naturels et des produits chimiques nécessaires à un traitement alternatif, non « naturel »). Encore une fois ce qui compte c’est la durée de fiabilité d’une installation de traitement et la capacité d’emport dans les fusées que nous savons construire aujourd’hui. On ne peut ainsi envisager que d’aller sur la Lune et sur Mars. Sur Mars, compte tenu de la durée du voyage et du séjour en surface planétaire, il faudra compter avec l’utilisation des ressources locales.

A suivre! (“MELiSSA” 4/7)

Si vous êtes intéressé par le sujet, vous pouvez consulter les travaux des personnes suivantes :

Dr. Kai Udert (ETHZ / EAWAG). See : www.vuna.ch or www.autarky.ch

Prof. Siegfried Vlaeminck (Uni. Anvers), pour WTUB.

Prof. Jack Legrand (Uni. Nantes) pour l’ingénierie de la photobioréaction.

Liens :

http://www.nasa.gov/press/2014/april/nasa-astronauts-will-breathe-easier-with-new-oxygen-recovery-systems/#.V4Kl1fmLSM8

http://www.universetoday.com/101775/an-inside-look-at-the-waterurine-recycling-system-on-the-space-station/

Image à la Une: Les interactions “naturelles” que s’efforce de reproduire la boucle MELiSSA. Crédit ESA / MELiSSA