MELiSSA c’est encore des plantes pour respirer et se nourrir

Dans leur “Compartiment IVb” (celui des plantes supérieures) qui doit fournir en nutriments et en oxygène le Compartiment V (habité), les équipes de MELiSSA travaillent à la culture par hydroponie et en environnement contrôlé, du chou frisé (kale), de la laitue, de l’oignon, du riz, de la tomate et de l’épinard, en plus (depuis 2009) de celle des pommes de terre, du soja, du blé tendre et du blé dur, après avoir commencé en 1997 par le blé, les betteraves et la laitue. Ces cultures sont menées indépendamment de celle des algues unicellulaires, type spiruline ou chlorelle (menée dès 1997 dans le Compartiment IVa). Les parties non comestibles de ces plantes et le gaz carbonique qu’elles produisent par leur respiration (pendant les périodes sans lumière), sont renvoyés au début de la boucle de vie (Compartiment 1) pour être recyclés. A noter que les plantes ont besoin d’une alternance jour / nuit variable selon leur espèce.

La diversité des cultures, choisies évidemment pour leurs propriétés nutritives, la quantité relativement faible de leurs déchets et la facilité de leur contrôle (ne serait-ce que l’encombrement de la plante !), progresse donc constamment. Mais la recherche de contrôle ne peut pas porter que sur les espèces cultivées stricto sensu. En effet, comme pour tout être vivant, l’environnement de la plante est essentiel et doit être également connu et maîtrisé. En 2015 les équipes de MELiSSA ont ainsi abordé l’action des microbes sur la rhizosphère (la pomme de terre ou l’asperge, par exemple, se propagent grâce à un rhizome). Ces microbes sont des partenaires symbiotiques de nombreuses plantes (à rhizome ou à simple racine) ; ils en facilitent ou même en permettent la croissance.

La difficulté de la culture en milieu clos et exigu est avant tout un problème sanitaire. Les plantes, comme tout être vivant, ont chacune des compatibilités (des besoins) ou des incompatibilités avec les autres plantes. Elles sont en compétition et / ou en symbiose entre elles. Elles ont chacune un microbiome qui leur est propre et ce microbiome peut contenir un microbiote dont des éléments (malsains ou même sains) peuvent ne pas être supportés par l’autre. A cet égard l’eau et l’atmosphère peuvent être des vecteurs malheureux. Cela n’a pas beaucoup d’importance dans la nature, sauf pour le jardinier ou le cultivateur mais sur Terre on peut amender le sol, le modifier, planter ailleurs, dériver l’irrigation. Au cours d’une mission spatiale habitée c’est beaucoup plus difficile.

Comme dans le cadre des autres compartiments, les scientifiques de MELiSSA font varier les différents facteurs environnementaux du Compartiment IVb. Le but est évidemment d’obtenir les rendements maximums en masse consommable (un minimum de déchets), en valeur nutritionnelle et en temps. Là encore on constate que les besoins des plantes peuvent varier. Elles ont des exigences différentes concernant l’alternance jour / nuit, l’intensité lumineuse, les dominantes du spectre lumineux, les variations de températures, la composition du sol en minéraux, les alternances humidité / sécheresse, le pH, la composition de l’atmosphère (teneur en gaz carbonique).

La conséquence des risques de contamination et de ces particularités est que l’on a intérêt à séparer les cultivars et à bien prendre en compte la compatibilité des plantes si on les associe. On a également intérêt à ne pas leur procurer une pression atmosphérique inutilement forte (on peut descendre beaucoup plus bas pour les végétaux que pour les animaux, peut-être à 0,3 bar), à bien sélectionner les longueurs d’onde du spectre lumineux (le bleu et le rouge-orangé sont préférés) et à effectuer la récolte au meilleur moment de la maturité pour en tirer le plus de qualités nutritionnelles.

La cuisine moléculaire, tentante a priori pour la variété des goûts qu’elle introduirait dans l’alimentation, n’est pas forcément une bonne idée car elle supposerait l’emport de produits chimiques (molécules!) en masse importante et pas forcément indispensable.

On se pose actuellement beaucoup de questions sur l’orientation de la pousse des plantes en apesanteur. Ce problème n’est important que si on suppose que le voyage se fera dans ces conditions mais, à la Mars Society, nous recommandons fortement de recourir à la gravité artificielle…et pas seulement pour les plantes !

Encore une fois, la culture sur Mars sera beaucoup moins difficile que pendant le voyage (place disponible !). Il ne faudra pas oublier de purifier le sol de ses sels de perchlorates, omniprésents en surface et on devrait d’abord pratiquer la culture hors sol (hydroponie, ultraponie) pour assurer un meilleur contrôle et être économe en eau et en produits nutritifs.

Naturellement la préservation des plantes après cueillette est abordée par MELiSSA car il est essentiel de faire correspondre la mise à disposition des aliments avec les besoins de consommation. Il s’agit d’inactiver l’évolution microbienne dans les plantes en attente de consommation. La meilleure solution (Professeur Alexander Mathys, ETHZ) semble être la combinaison de processus thermique et mécanique, ce qu’on appelle la stérilisation thermique à haute pression (jusqu’à 400 MPa, soit 4000 bars, pendant une très courte période).

Un des problèmes essentiels pendant les missions longues, dans l’espace profond, sera la pauvreté relative des variétés d’aliments. Pour contrer les effets de carence, le professeur Mathys recommande l’introduction d’une variété aussi grande que possible de protéines, ce qui implique celles provenant des algues et des insectes. Vous remarquerez que je ne parle pas d’animaux; leur introduction devant se faire ultérieurement (complexité et interaction des microbiomes animaux et avantage poids et volume des algues et des insectes!).

A suivre! (“MELiSSA” 5/7)

Si vous êtes intéressé par le sujet, outre les travaux du Prof. Mathys, vous pouvez consulter ceux des scientifiques ci-dessous (participants au Workshop MELiSSA des 8 et 9 juin) :

Dr. Roberta Paradiso ; University of Naples.

Prof. Ep Heuvelink ; Wageninguen University ; Pays-Bas.

Prof. Radu Mircea Giurgiu ; University of Agricultural Sciences & veterinary medicine, Roumanie.

Prof. Mike Dixon, Université de Guelph (Toronto)

Image à la Une: The Oxygen Garden dans le film Sunshine, 2007, Crédit DNA Films.

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.