Sur Mars, une seule base ou plusieurs ?

Même si on doit prévoir quelques postes avancés, il faudra centraliser au maximum l’habitat martien pour tenir compte de la dureté des conditions environnementales. Cela n’aura que peu d’incidences sur l’activité en surface de la planète compte tenu des possibilités de commande à distance des robots que les colons auront à leur disposition. L’implantation de la Base devra être choisie en fonction de la proximité de gisements de glace d’eau, d’une latitude aussi peu élevée que possible pour éviter un climat trop extrême et d’une altitude aussi basse que possible, pour disposer de la protection d’une atmosphère plus épaisse. Aujourd’hui cela conduit à regarder vers les mesas riches en eau de l’Ouest d’Utopia Planitia.

L’unité de lieu présentera l’avantage de concentrer toutes les ressources importées de la Terre ou fabriquées sur place, permettant ainsi un maximum d’économie d’échelles et les redondances souhaitables pour la sécurité. Jusqu’à présent ces considérations ne jouent pas puisqu’un robot n’est pas suffisamment polyvalent pour utiliser des équipements déjà débarqués autres que ceux strictement prévus pour sa mission. Par ailleurs la possibilité de commander nos robots en temps réel partout à la surface de la planète à partir de cette base alors qu’aujourd’hui nous ne pouvons le faire qu’avec un « time-lag » de 3 à 23 minutes (la distance lumière entre les deux planètes), rendra inutile de lourdes implantations à proximité immédiate de chacun.

Certes l’éloignement des divers champs d’investigation et d’action posera encore des problèmes.

Pour les télécommunications (portant les commandes envoyées aux robots et l’observation de leurs actions), il faudra sans doute utiliser le relais de satellites orbitant autour de Mars car la densité très faible de l’atmosphère empêchera les transmissions par ondes au-delà d’une courte distance. Un réseau de satellites ayant cette fonction principale sera de toute façon nécessaire pour l’établissement de l’équivalent d’un système GPS d’autant que l’absence de champs magnétique planétaire ne permettra pas d’utiliser de boussole.

Pour les transports planétaires il faudra développer un système de dépose des robots d’observation ou d’extraction sur leur site d’intervention puis d’enlèvement des échantillons collectés ou des minerais extraits. Il faudra limiter au strict nécessaire le transport au sol de ces derniers car la progression en surface sera longtemps difficile du fait qu’il n’y a aucune route et que la main d’œuvre que leur création supposerait, sera longtemps inenvisageable en dehors de la desserte de points situés à proximité immédiate de la base. On peut imaginer des pistes, praticables autant que possible, où la progression sera probablement très lente. Trois solutions s’imposent, un maximum d’affinage sur place, des relais viabilisés à faible distance les uns des autres et un transport aérien.

L’affinage sur place sera essentiel puisqu’on s’efforcera de ne transporter que la partie la plus utile des minerais extraits. Cela suppose des installations de concassage, de tri et de conditionnement sur tous les sites d’extractions et sans doute un premier chauffage (jusqu’à fusion) ou un premier traitement chimique mais le travail des métaux se fera essentiellement à la base (purification, alliage, façonnage). Il y aura donc des machines sur chaque site d’extraction et épisodiquement quelques personnes en mission d’inspection ou de réparation, donc des sources énergétiques exploitées et des abris pour les hommes, avec véhicules aériens de secours pour transport(s) en urgence à la base.

L’utilisation d’avions est exclue puisqu’il faudrait de très longues pistes. Ils devraient en effet atteindre une très grande vitesse avant d’obtenir la portance aérodynamique nécessaire (5,5 fois la vitesse en conditions terrestres). La seule solution est clairement le décollage vertical. De ce point de vue, on ne peut pas trop compter sur les dirigeables car la portance aérostatique est également très faible (les dirigeables seront à la limite utilisés pour le transport d’équipements d’observation ou de pièces légères). Il y a cependant une solution, le « gashopper », système ingénieux imaginé par Robert Zubrin en 2000 pour la NASA*. Le principe consiste à pomper le gaz carbonique de l’atmosphère, le concentrer sous forme liquide jusqu’à une pression de 10 bars ; le chauffer alors jusqu’à atteindre une pression de 70 bars ; faire passer le gaz sur un lit très chaud (barrettes de béryllium – matière qui a un très haut point de fusion) vers une tuyère qui l’expulserait en créant une poussée. L’énergie utilisée pour pomper et chauffer serait soit le solaire (cellules photovoltaïques), soit le nucléaire (petit RTG comme pour Curiosity?). L’impulsion serait suffisamment forte pour permettre le décollage (vertical), l’engin étant ensuite propulsé à l’horizontale. La seule difficulté viendrait de la quantité de gaz liquéfié susceptible d’être embarquée comme ergol. Robert Zubrin estime qu’elle devrait permettre de faire des vols de 50 à 100 km. Cependant le plein de carburant pourrait se faire automatiquement après chaque atterrissage (en quelques heures) et donc le gashopper pourrait atteindre n’importe quel point de la planète après avoir effectué le nombre de sauts nécessaire.

Cela n’exclurait pas (1) qu’on envoie de temps en temps des masses importantes avec des MAV* à l’autre bout du monde martien et (2) qu’on envoie des équipements robotisés à partir de la Terre pour les déposer un peu partout en surface. Ces dépôts seraient télécommandés par des opérateurs humains résidant dans la Base, les liaisons « ordinaires » étant effectuées comme indiqué ci-dessus. Avec le temps on pourra peut-être développer des dirigeables martiens en matériaux ultralégers, compatibles avec la faible portance de l’atmosphère ou des drones à ailes battantes, genre entomoptère (mais ces derniers plutôt pour les explorations à courtes distances d’une source d’énergie, un rover par exemple).

Image à la Une: Ce dôme est l’enveloppe externe d’une future base martienne aménagée dans un gouffre volcanique. Il est fait de blocs de glace fixés sur une sphère géodésique. Crédit Pierre Brisson/Manchu/Association Planète Mars.

*MAV = Mars Ascent Vehicle. Ces véhicules normalement destinés à rejoindre l’orbite de parking martienne puis la Terre, pourraient être adaptés pour les vols planétaires. Ils fonctionneraient avec du méthane brûlant dans l’oxygène (obtenus sur place à partir du CO2 de l’atmosphère et de l’hydrogène produit sur place à partir de la glace d’eau, en utilisant la réaction de Sabatier).

Etude sur le « Mars gashopper » (NASA SBIR Contract # NAS3-00074, project summary 8th June 2000). Ci-dessous, schéma du gashopper, crédit Robert Zubrin/Pioneer astronautics.

NB: Pour les personnes intéressées, je donne une conférence demain mercredi 29 mars, de 14h30 à 16h15, à Fleurier (Val de Travers, canton de Neuchâtel), dans le cadre de l’U3A.

Titre: La Planète Mars. Pourquoi? Comment?

lien: https://www.unine.ch/u3a/home/conferences-yc-documents-remis-p/au-val-de-travers.html

Mais que feront donc les hommes sur Mars ?

L’hostilité du milieu et l’absence totale d’infrastructures justifieront l’emploi de multiples machines qui devront permettre de TOUT construire/créer/produire/stocker/recycler. L’éloignement ne permettra pas un approvisionnement constant depuis la Terre (les livraisons ne pourront avoir lieu que tous les 26 mois, en fonction de la position respective des deux astres) et de toute façon les masses transportables seront extrêmement limitées pour des raisons énergétiques et financières (actuellement 20 tonnes par lancement avec le SLS de la NASA en préparation et, avec l’ITS d’Elon Musk, une centaine de tonnes). On ne fera donc venir de la Terre que ce qu’il est strictement impossible de produire sur Mars. Heureusement, cependant, les colons disposeront sur place de quasiment toutes les matières premières requises pour créer/produire les infrastructures et les commodités dont ils auront besoin. Ils auront également accès, par les ondes, à toutes les connaissances accumulées et à toutes les réflexions possibles de l’humanité sur les situations nouvelles qu’ils affronteront.

Les colons devront prendre en compte ces contraintes et ces avantages, et leur établissement sur la planète ne pourra se faire que progressivement en fonction des progrès réalisés dans la construction des infrastructures et la production des premières commodités (atmosphère, eau, nourriture, énergie) puis leur recyclage. La composition de la population et sa croissance seront donc fonction des besoins analysés pour la réalisation de ces infrastructures, la production de ces premières commodités, les contacts avec la Terre ; elles évolueront en fonction des réalisations effectives. Dans l’ordre (avec des chevauchements !), il faudra survivre, vivre, explorer, construire, enfin produire (intellectuellement) pour exporter (c’est-à-dire payer les importations) et pour s’épanouir. Cela implique la présence sur Mars de spécialistes dans toutes sortes de métiers (base d’une université martienne). A noter que Mars souffrira pendant longtemps d’une insuffisance (« shortage ») de population (coût des transports depuis la Terre et difficultés de la vie sur Mars) et que les travaux physiques à l’extérieur des bulles de vie seront à effectuer dans un environnement très dur. Il y aura donc une robotisation maximum de toute activité et les humains seront pour beaucoup des « slashers », c’est-à-dire que la même personne aura souvent plusieurs activités, surtout au début quand certaines spécialités ne seront pas pratiquées tous les jours (chirurgie) compte tenu du petit nombre de personnes présentes.

Dès leur arrivée sur Mars les premiers colons, qui vivront dans des habitats importés de la Terre, devront produire et recycler les commodités (énergie, eau, air respirable, aliments), et parallèlement étudier les conditions d’extraction des ressources nécessaires à la construction des différents éléments de la base, situées à proximité et identifiées au préalable par les satellites qui orbitent en permanence autour de Mars. Il faudra ensuite transformer ces matières premières en produits semi-finis puis en divers équipements plus ou moins sophistiqués. Il s’agit de partir de zéro pour aller au sommet de ce que peut réaliser le génie manufacturier de l’homme. Ce n’est pas rien et cela exigera les compétences les plus fines, les plus complètes et les plus opérationnelles. Les premiers Martiens seront donc des ingénieurs en énergie (fonctionnement du RTG ou des panneaux solaires) ou en chimie, des agronomes spécialistes des cultures sous serre et hors-sol, des géologues, des spécialistes du forage et de l’extraction minière, des biologistes pour s’assurer de l’innocuité des matériaux martiens (la présence d’éventuels facteurs pathogènes), des pilotes de drones/dirigeables explorant pour eux à distance et prélevant des échantillons, des pilotes de rovers pressurisés pour aller sur le lieu des gisements identifiés, des bricoleurs pour assembler et réparer tout ce qui est démonté, cassé ou grippé, des spécialistes des télécommunications et de la robotique, des informaticiens, des électriciens, des plombiers, des opérateurs d’imprimantes 3D, des spécialistes de l’air conditionné, des nutritionnistes pour utiliser au mieux les ressources alimentaires rares, des microbiologistes pour contrôler les populations microbiennes, des médecins (un médecin généraliste, un chirurgien, un orthopédiste, un oncologue, un ophtalmologue, un dentiste protésiste, un pharmacien anesthésiste), quelques infirmières, des spécialistes du recyclage qui superviseront la collecte des déchets, le nettoyage et le fonctionnement des équipements de recyclage, de telle sorte que rien de produit par l’homme ne puisse se perdre et que tout puisse être réutilisé, des spécialistes de la propulsion pour veiller au bon fonctionnement des véhicules de retour sur Terre.

Dans une seconde phase, qui viendra très vite se superposer à la première (dès l’arrivée de la seconde mission), on commencera à construire des abris pressurisées et viabilisés, avec des ressources martiennes. Il faudra des mineurs pour extraire les matériaux des gisements précédemment identifiés, des opérateurs de véhicules de chantier, des chimistes pour évaluer les propriétés des matériaux, des spécialistes de physique des matériaux pour évaluer leur résistance aux conditions extérieures et leurs variations selon ces conditions, des spécialistes du travail des métaux, ou de la production de plastique, ou de verre, des ingénieurs de travaux publics, des architectes pour construire en toute sécurité des habitats soumis à des différentiels de pression extrêmes et prévoir une utilisation aussi intelligente que possible d’un espace habitable rare ; des maçons, des cuisiniers, des couturières et des tailleurs, des logisticiens et gestionnaires de stocks, des chercheurs intéressés par le milieu martien, planétologues, climatologues, exobiologistes, une équipe de cinéastes et journalistes pour rendre compte de l’avancement de la construction de la base et des recherches et faire rêver les Terriens.

Enfin, plus tard, des banquiers, assureurs et toute personne qui pourra s’offrir le voyage et qui pensera pouvoir en tirer profit pour lui-même et pour les autres. De toute façon, la société martienne sera une société du travail et de la responsabilité, les oisifs (touristes, rêveurs divers ?) seront les bienvenus, s’ils ont les moyens financiers, vérifiés (cautionnés ?), d’y séjourner…et puis un jour il y aura des enfants, qu’il faudra prendre en charge et éduquer. Ils seront dans un environnement propice.

Image à la Une : des géologues après collecte d’échantillons de roches, admirent une mini tornade (dust-devil) qui passe entre leur rover et la base : illustration Philippe Bouchet (Manchu) / Association Planète Mars

Outre l’eau et l’atmosphère, Mars dispose des mêmes matières premières que la Terre

Mars a été formée dans la même région du système solaire que la Terre, à partir des mêmes gaz et des mêmes poussières contenant les mêmes éléments chimiques qui devinrent les mêmes roches. Les deux planètes se sont accrétées de la même manière, l’essentiel du fer et des métaux sidérophiles migrant jusqu’au centre de la sphère pour y former un noyau, les roches plus légères (silicates) surnageant dans le manteau et se refroidissant en croûte. Cette croûte fut ensuite, au cours du Grand Bombardement Tardif (LHB), inondée par les averses cométaires venues d’au-delà de la limite des glaces, ces astres apportant également avec eux les métaux plus ou moins lourds qui vinrent se ficher dans la croûte, et des gaz (notamment CO2) pour enrichir en éléments légers l’atmosphère formée dès le début par dégazage interne. Sous cette atmosphère relativement épaisse (plusieurs dizaines de millibars), la température a été suffisamment chaude à cause de la proximité du soleil et de la chaleur interne de la planète (accrétion et désintégration des métaux radioactifs), pour que l’eau soit liquide et hydrate les roches pendant des dizaines de millions d’années tandis que la différence de température entre le manteau et l’extérieur de la croûte provoque un volcanisme intense rejetant périodiquement des quantités énormes de matières transformées par la pression et de gaz, notamment du soufre. Les ruissellements et ce volcanisme ont dû provoquer comme sur Terre les mêmes concentrations de minerais.

On trouvera donc sur Mars toutes les matières premières nécessaires à une industrie locale sauf (1) le charbon et le pétrole, puisqu’il semble bien que la vie, même si elle a pu émerger, n’a pas connu le développement luxuriant qu’elle a connu sur Terre ; (2) le calcaire, car il semble que les océans martiens n’aient pas été suffisamment liquides et pérennes pour que leur eau absorbe le CO2 de l’atmosphère et que son carbone précipite en masse en carbonate de calcium. Est-ce grave ? Pas vraiment. On pourra contourner la difficulté.

Mais avant tout, l’homme sur Mars devra disposer d’énergie. Les sources locales existent et leur développement devra être une priorité. Il n’y aura pas de dépôts carbonés fossiles à brûler, ni d’hydroélectricité, ni d’éolienne (l’atmosphère est trop peu dense malgré le vent) mais il y aura de l’énergie solaire, de l’énergie nucléaire, des piles à combustibles au méthanol et de l’énergie géothermique. Cela devrait suffire. L’énergie solaire fonctionnera tous les jours sauf quand il y aura des tempêtes de poussière, car autrement le ciel est clair et l’irradiance, bien que moitié de celle de la Terre, n’est quand même pas négligeable (entre 492 et 715 W/m2). Pour l’énergie nucléaire, on trouvera les minerais de métaux radioactifs. Pour les piles à combustible, on obtiendra facilement le méthane à partir du gaz carbonique de l’atmosphère et de l’hydrogène de la glace d’eau. Pour l’énergie géothermique, on creusera des puits profonds et on exploitera le différentiel de chaleur existant entre la surface et le sous-sol. Cette énergie sera le levier qui permettra de créer un monde nouveau à l’image de la Terre, une seconde Terre.

On pourra fertiliser la terre stérile de Mars avec les ressources martiennes. On trouvera de l’azote dans l’atmosphère (2%) pour, avec du méthane (provenant du CO2 et de l’hydrogène de l’eau), faire de l’ammoniac et à partir de l’ammoniac, un grand nombre de fertilisants : des nitrates, de l’urée, des engrais azotés. En ajoutant du phosphore et du soufre martiens aux ions ammonium, on obtiendra du phosphate d’ammonium et des superphosphates. Une fois le processus de culture amorcé, la nitrification du sol sera aussi l’œuvre des plantes, en symbiose avec des bactéries capables de fixer l’azote. Et ne vous inquiétez pas pour les bactéries, c’est ce qui sera le moins difficile à importer de la Terre. Evidemment la terre ne pourra pas être cultivée à l’air libre. Comme toutes les autres formes de vie, les cultures devront être protégées sous des dômes construits par l’homme. Mais ne vous inquiétez pas davantage, ces dômes seront de plus en plus vastes, de plus en plus transparents et de plus en plus beaux.

En mouillant et en séchant le sol martien, riche en sels (sulfates de magnésium, chlorure de sodium) et en argiles, on fera du « duricrete », matériau de résistance analogue au béton mais plus susceptible de fracture, défaut qui pourra être corrigé en ajoutant des fibres dans le mélange.

On n’en restera pas à ces matériaux, importants pour la construction, les tarmacs des astroports ou les routes mais lourds et peu maniables. Avec l’hydrogène et le carbone du monoxyde de carbone (notez bien qu’ils sont absents de la Lune), on obtiendra de l’éthylène, base de la production de presque tous les plastiques, polyéthylène, polypropylène, polycarbonate, résines de polyester, et au-delà de toutes sortes de matériaux de construction, de tissus, lubrifiants, isolants, outils divers, emballages, récipients.

Avec l’argile (absent de la Lune) on fera de la céramique, avec la silice, du verre, avec les métaux, notamment le fer (abondant), le cuivre, l’aluminium, tous les produits métalliques que vous pouvez imaginer et tous les alliages dont on peut rêver.

Il ne reste plus qu’à vouloir et à faire !

Image à la Une: Une mine de cuivre au Chili…ou sur Mars?

Non! Il n’est pas inéluctable que les premiers colons martiens meurent après 68 jours.

En 2014, au 65ème International Astronautical Congress (IAC), un groupe d’étudiants du MIT conduit par Sydney Do, doctorant du département d’aéronautique et d’astronautique, a présenté son analyse de la faisabilité d’un établissement humain sur Mars en utilisant les technologies d’aujourd’hui. Pour effectuer cette analyse les étudiants se sont placés dans l’optique des promoteurs du projet « Mars One »* et ils ont considéré plusieurs des éléments importants du support vie (« ECLSS ») dont pourraient bénéficier les colons dans ce contexte particulier. Ces éléments sont principalement la disposition d’une atmosphère respirable et de pièces de rechange suffisantes dans le cadre d’une population régulièrement croissante. Chacun est développé selon des hypothèses conformes au plan de Mars One et l’un des développements, sur des hypothèses très restrictives et peu probables concernant l’atmosphère, conduit les étudiants à conclure que les colons mourraient 68 jours après avoir débarqué sur Mars. C’est une conclusion qui n’a absolument aucun risque de se vérifier dans la réalité car il suffira de ne pas appliquer ces hypothèses extrêmes (et donc absurdes).

*Mars One prévoit un établissement permanent sur Mars avec des vols dont la population croissante à chaque fenêtre de lancement, ne disposerait pas de possibilité de retour sur Terre, parce que ce serait beaucoup moins coûteux. J’ai discuté de ce projet et des principes de la “colonisation” à la RTS le 6 mars (voir ci-dessous).

Il faut reprendre le développement pour bien comprendre : (1) la composition de l’atmosphère peut être connue mais elle ne peut être régulée selon cette composition (on ne peut enlever de l’oxygène sans enlever en même temps de l’azote). En cas de déséquilibre il faut donc en évacuer un pourcentage global jusqu’à ce que la quantité d’oxygène revienne dans des limites acceptables (26 à 28%) par rapport à une atmosphère à 0,7 bars, puis rajouter de l’azote pour revenir effectivement à 0,7 bars. (2) L’oxygène des habitats provient exclusivement des plantes comestibles cultivées, dès l’arrivée sur Mars, en cohabitation avec les êtres humains ; leur production (d’oxygène) est variable dans le temps selon le cycle de la plante ; la quantité produite est particulièrement élevée lorsque la plante arrive à maturité ; cette maturité intervient 30 jours après plantation pour les laitues et 62 jours pour le blé ; ceci conduit donc à des déséquilibres successifs. (3) l’azote est importé de Terre et les réserves s’épuisent au bout de 66 jours du fait des rééquilibrages successifs nécessaires pour faire face aux déséquilibres successifs. (4) Après cela, soit les corrections continuent mais elles ont pour effet de réduire la pression atmosphérique globale pour maintenir un ratio oxygène / azote acceptable ce qui très rapidement conduit à l’hypoxie, soit le système d’équilibrage est arrêté mais le risque d’incendie devient extrême.

Ces hypothèses extrêmes sont évidemment très peu réalistes par rapport à ce que serait une vraie mission habitée sur Mars (indépendamment du projet de Mars One, irréaliste sous bien des aspects). Les auteurs de l’étude le reconnaissent d’ailleurs volontiers car ils font eux-mêmes des hypothèses alternatives. Ce qui est dommage c’est que la plupart des médias se soient arrêtés à ces préliminaires et aux intentions « farfelues » de Mars One. En effet la solution est bien évidemment l’extraction sur Mars de l’eau et des gaz nécessaires à la vie, à partir de la glace d’eau et de l’atmosphère martiennes. Il n’est plus nécessaire de démontrer la présence de la glace d’eau (H2 + O2) un peu partout à la surface de Mars y compris aux latitudes moyennes et outre le CO2, qui implique aussi l’O2, l’atmosphère martienne contient aussi de faibles quantités d’azote (2%). C’est d’ailleurs parce que Mars possède cette eau et ces gaz, qu’envisager de s’y établir est plus intéressant que de le faire sur n’importe lequel des autres astres aujourd’hui accessibles à l’homme. Par ailleurs pour éviter d’avoir à purger l’atmosphère de l’habitat en fonction des poussées de production d’oxygène par les plantes, il suffit de cultiver les plantes dans un local séparé de l’habitat, de stocker l’oxygène et d’alimenter régulièrement l’habitat en fonction des besoins. On sait aussi extraire l’oxygène de l’atmosphère de CO2 avec l’apport d’un tout petit peu d’hydrogène (une partie pour dix-huit selon la réaction de Sabatier, fin du XIXème siècle).

Une autre critique des étudiants est que le niveau de TRL (Technology Readyness Level) pour plusieurs des technologies nécessaires au fonctionnement du support vie n’est pas suffisamment élevé. Certes et cela est dû au fait qu’on a fait très peu de tests préparant à l’établissement de l’homme sur Mars. Cependant il faut bien voir que les technologies requises et considérées dans cette étude ne sont pas extraordinairement sophistiquées et il n’y a peu de doute que le moment venu le TRL convenable puisse être obtenu facilement. Nous proposons de chercher à l’atteindre dès maintenant.

Par ailleurs, les étudiants considèrent que dans le cadre d’une population croissante et étant donné qu’il n’y a pas d’industrie sur Mars, le besoin de pièces détachées pour les équipements permettant le fonctionnement et la survie de la colonie, épuiserait rapidement la capacité totale de lancement dont on disposerait à partir de la Terre. L’objection n’est pas fausse mais revient à supposer qu’on ignorerait ce problème en envoyant plus de gens sur Mars que ne permettrait la gestion des pièces de rechange. C’est quelque chose que Mars One semblent vouloir faire mais que nous voulons, nous, Mars Society, éviter, en anticipant et en refusant d’envoyer dès maintenant des gens sans possibilité de retour. Il semble par ailleurs évident que (1) les colons devront au plus tôt démarrer la production sur Mars de tous les produits semi-finis simples puis de plus en plus complexes à partir des matières premières martiennes, et que (2) les imprimantes 3D devraient nous permettre de fabriquer de plus en plus de produits sophistiqués en utilisant des matières premières locales.

Les gens de Mars One veulent aller sur Mars « n’importe comment », nous voulons y aller raisonnablement. Nous souhaitons le TRL suffisant et ne voulons entreprendre que ce qu’il est possible d’entreprendre. En d’autres termes, ce n’est pas parce que les gens de Mars One veulent aller sur Mars sans beaucoup réfléchir et que les étudiants du MIT critiquent leur projet sur des présupposés excessivement rigoureux, qu’il nous faut y renoncer. Il ne faut pas désespérer, les premiers hommes qui iront sur Mars pourront y survivre plus de 68 jours; ils n’iront pas dans le cadre de Mars One et ils disposeront d’un ticket de retour.

Référence: IAC-14-A5.2.7 “An independent assessment of the technical feasibility of the Mars One mission plan” par Sydney Do et al. (y compris Olivier de Weck, diplomé de l’ETHZ et professeur au MIT). Lien : http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0094576515004294

Image à la Une : l’établissement de Mars One, vue d’artiste (crédit Mars One). NB les premiers colons sont supposés être arrivés en 2023 et on se prépare pour l’arrivée de ceux de 2025.

P.S: Mars Society Switzerland à la Radio

J’ai été invité à participer le 6 mars à l’émission “Versus-Penser” sur la RTS “Espace 2” au cours de laquelle j’ai discuté avec les journalistes Sarah Dirren et Francesco Biamonte des grands principes de la “colonisation”. Il y a été bien sûr question de Mars One (brièvement) mais surtout des motivations et des grands principes de cette “sortie de l’homme de son berceau”. Vous pouvez écouter l’émission en cliquant sur le lien ci-dessous.  En la réécoutant moi-même j’ai eu deux regrets:

(1) avoir fait la (grosse) erreur de présenter la mission TGO comme une mission NASA alors que c’est bien évidemment une mission ESA (plus précisément ESA/Roscosmos) mais le raisonnement qui a introduit ce malheureux “exemple” reste bon: les missions d’explorations sont véritablement multinationales, même si elles sont décidées et organisées par un leader.  D’ailleurs les Etats-Unis sont “pays participant” des suites d’instruments FREND et NOMAD (deux des quatre groupes d’instruments embarqués) de cette mission européo-russe. On peut extrapoler que les missions habitées futures vers Mars seront construites sur les mêmes principes avec un leader (agence ou peut-être consortium privé) et les meilleurs compétences, où qu’elles soient dans le monde.

(2) ne pas avoir mentionné le contrôle microbiologique de l’habitat, à côté de l’apesanteur et du risque radiatif, comme étant un des problèmes majeurs des missions spatiales habitées (j’aurais également dit que ce risque était quand même maîtrisable pour une mission de type martien, compte tenu d’une durée de vol relativement limitée).

J’espère que les auditeurs voudront bien m’excuser, d’autant que je pense que la discussion a mis en évidence des points de vue originaux et donc intéressants ! Lien vers l’émission: https://www.rts.ch/play/radio/versus-penser/audio/versus-penser-objectif-mars?id=8401320