Réponses à quelques objections sur les missions habitées pour Mars

Je réponds ci-après à des objections exprimées par Denis Delbecq sur l’utilité de la présence de l’homme sur Mars dans son article du Temps, page « Débat » du 24 Octobre. Je tiens à préciser que ces réponses ne sont porteuses d’aucune animosité personnelle ; elles ne font que saisir les opportunités de mieux exprimer la position des partisans des missions habitées.

Objection : « …la distance impose des délais de communication d’une vingtaine de minutes qui empêchent toute assistance instantanée en cas de problème, les technologies martiennes devront donc offrir une fiabilité encore jamais réalisée. »

Réponse : c’est précisément parce qu’il y a un « time gap » de 3 à 23 minutes lumière (la distance de Mars à la Terre variant de 56 à 400 millions de km) et que donc les commandes en temps réel des équipements envoyés sur Mars sont impossibles, que la présence de l’homme sur Mars constituerait un progrès considérable en permettant cette commande en temps réel. Cela induirait une efficacité grandement améliorée de nos machines. L’homme sur place serait capable d’estimer les dangers du terrain et l’intérêt de telle ou telle action beaucoup mieux et plus vite que n’importe quel robot aussi bien programmé soit-il.

Objections : la médecine spatiale a énormément progressé depuis les premiers longs séjours sur la station soviétique MIR, mais de nombreuses questions restent encore sans réponse sur l’effet sanitaire et psychologique des rudes conditions imposées aux futurs candidats à l’exploration martienne. C’est bien pour cela que la Nasa a rappelé – et c’est sans doute là le premier objectif de la publication de sa feuille de route – qu’elle a un besoin crucial de prolonger la durée d’utilisation de la Station spatiale internationale, au moins jusqu’en 2024.

Réponse : la Station Spatiale prépare essentiellement aux vols en apesanteur alors qu’il faudrait absolument préparer les vols avec pesanteur artificielle résultant d’une gravité artificielle générée par force centrifuge. En effet les astronautes qui arriveraient sur Mars après 6 mois de voyage en apesanteur ne seraient pas prêts physiquement à explorer un monde où la pesanteur exprimerait à nouveau ses lois. La Mars Society prône depuis sa création en 1996 la mise en rotation du dernier étage du lanceur (après combustion !) avec l’habitat (le couple étant relié par un filin) lors de l’injection de transfert interplanétaire. Cette solution devrait être sérieusement travaillée par les grandes agences (une petite étude a été faite par l’Ecole Centrale de Lille sous la direction de l’Association Planète Mars, branche française de la Mars Society). Par ailleurs à l’altitude où elle est située et bénéficiant de la protection de notre magnétosphère, la Station Spatiale ne recrée pas l’environnement radiatif d’un vol dans l’espace profond alors que c’est cet environnement qui pose le problème le plus préoccupant des vols dans l’espace profond.

Du point de vue des vols habités, le maintien de la Station Spatiale est vraiment inutile et coûteux car elle apporte très peu à la préparation de ces vols à l’exception de tests sur le recyclage de l’atmosphère et de l’eau et de la lutte contre les proliférations bactériennes, que l’on aurait pu aussi effectuer dans le cadre de missions plus lointaines (et qui auraient été également utiles de ce fait).

Objection : qui peut croire aujourd’hui qu’un Président américain ira devant le Congrès mimer le discours de John F. Kennedy et annoncer solennellement un nouvel effort national pour poser le pied sur Mars?

Réponse : le second président Bush a bel et bien lancé une telle initiative. Le fait qu’elle ait été avortée par le président Obama, n’empêche pas qu’elle pourrait être relancée, d’autant qu’un lanceur lourd (le « SLS ») est en cours de construction (premier vol prévu en 2018). Ce lanceur ne peut avoir pour objet que l’exploration de l’espace profond par vols habités (surtout dans sa version 130 tonnes en orbite basse terrestre). Une large partie du Congrès (qui peut être majoritaire) en est très demandeuse, l’opinion publique également (comme le montre l’intérêt suscitée par le film « Seul sur Mars »). Par ailleurs plusieurs grands entrepreneurs américains sont très déterminés à la mener à bien et les moyens financiers nécessaires sont presque à leur portée (entre 100 et 150 milliards de dollars sur une période de 10 à 15 ans, soit pas plus de 10 milliards par an).

Objection : …nos savants ont compris que la conquête martienne se poursuivra d’abord, et pour longtemps, avec des machines. La bonne nouvelle, c’est que cela n’empêchera pas la science et la connaissance d’avancer, bien au contraire!

Réponse : la communauté scientifique (dans son ensemble) a certes peur de voir ses budgets de recherche amputés par les sommes qui seraient consacrées aux vols habités. Ce qu’elle ne voit pas c’est que la popularité d’une exploration humaine leur ouvrirait des possibilités de financement bien supérieures à ce dont elle dispose aujourd’hui. D’ailleurs, comme dit plus haut, la présence humaine sur place donnerait à la recherche une efficacité également bien supérieure à ce qu’elle est aujourd’hui. Que fait un homme s’il veut déplacer une pierre ? Il utilise ses bras ou un levier. Que fait une machine si elle ne dispose pas des équipements prévus pour une tache simple de ce type ?

Objection : l’ennemi des démocraties du XXIe siècle a bien changé. Il ne s’agit plus d’un Etat sensible à une quelconque fierté nationale. Cet ennemi s’appelle, et pour longtemps, Al Qaeda, Daesh et autres avatars d’un terrorisme aveugle et meurtrier. Que changerait à cet affrontement la vision d’une empreinte humaine dans la poussière rouge de Mars? Rien.

Réponse : effectivement cela ne changerait rien mais va-t-on s’arrêter de vivre et de se projeter dans l’avenir sous prétexte qu’une bande de fous empoisonne l’humanité ? Va-t-on s’arrêter de peindre, d’écrire, de voyager, d’investir dans les loisirs ou dans une recherche qui n’aurait pas pour but direct d’anéantir ces individus nuisibles ? Je ne le pense pas. Une des réponses aux fondamentalistes religieux musulmans c’est de continuer à vivre, à penser, à évoluer, guidés par notre raison, et à montrer que la vie mérite d’être vécue pour autre chose que des « actions de grâce » à une divinité qu’ils pensent assoiffée de sang.

Image de titre: station installée sur Mars dans un futur proche. Crédit illustration: dessinateur “Manchu”/Pierre Brisson/Association Planète Mars. L’habitat est creusé sous le régolite à partir d’une tranchée circulaire utilisée ensuite comme jardin. Le toit de régolite a pour objet de protéger des radiations. L’énergie principale est fournie par un réacteur nucléaire de type “Megapower” (Dept of Energy des Etats-Unis) ; l’énergie d’appoint est donnée par un jeu de panneaux solaires. NB: si le dessin était effectué aujourd’hui (il a été conçu en 2006) , je ferais ajouter un auvent protecteur contre les radiations au-dessus du jardin.

Les missions habitées sur Mars sont-elles pour demain ?

« Est-il réaliste d’envisager des vols habités sur Mars dans un avenir proche ? » est la question posée ce jour dans la page « Débat » du journal Le Temps. Vous pouvez lire ma réponse, positive, en opposition à celle de Monsieur Denis Delbecq, journaliste scientifique indépendant.

Pour mieux vous pénétrer de la problématique et des solutions qu’on peut y apporter, je vous invite à venir à l’EPFL, assister à une conférence que j’ai organisée avec le Swiss Space Center et le Professeur Claude Nicollier, le 9 Novembre (17h30 à 18h30, campus de Lausanne, auditoire CO2). Le sujet en est « Mars Semi-Direct Revisité, ou comment envoyer des hommes sur Mars avec les technologies d’aujourd’hui ». L’orateur sera le Dr Jean-Marc Salotti, professeur en cognitique de l’Institut Polytechnique de Bordeaux et Secrétaire du groupe de travail de l’Académie Internationale d’Astronautique (« IAC ») chargé de faire le point sur ce type de missions et d’émettre des recommandations aux agences spatiales internationales.

Vous verrez que les contraintes essentielles sont d’une part l’extraction du « puits de gravité » terrestre, d’une masse suffisante pour mener à bien ce type de missions et d’autre part, la descente en surface (« EDL ») de la masse utile nécessaire et suffisante, grâce à l’atmosphère martienne et en dépit de sa ténuité. Ces contraintes sont fortes mais on peut parvenir à s’en accommoder dans des conditions acceptables technologiquement, économiquement et physiologiquement pour l’équipage. Il reste bien sûr à faire aboutir quelques ajustements technologiques en cours d’étude et surtout à mener des tests satisfaisants mais les difficultés encore existantes ne sont pas telles qu’elles puissent constituer un obstacle insurmontable pour une mission habitée qui serait effectuée « demain ».

…et que l’on ne vienne pas objecter que des problèmes soi-disant « psychologiques » se poseraient aux astronautes du fait qu’ils ne verraient plus la Terre que comme un point où qu’ils ne pourraient pas se supporter entre eux. Pour moi ces problèmes ne se posent pas car la population des astronautes est constituée par des gens dont le rêve est précisément l’aventure spatiale. Ils partiront pour Mars avec un enthousiasme qui les balayera comme un ouragan une plume car ils n’existent que dans les esprits timorés des adversaires des missions habitées.

…et que l’on ne vienne pas objecter que priorité doit être donnée à l’amélioration des conditions sociales de l’homme sur Terre. Cette attitude exprime en fait une volonté d’appauvrir la capacité créatrice de l’homme et de le restreindre dans un espace où ne compterait plus que sa survie, d’où serait exclue toute véritable ambition dynamique pour notre espèce. Elle évoque une dérive de type religieux, intransigeante, frileuse et triste, d’où le progrès, l’art et l’aventure sont exclus.

Comme je l’écris dans l’article du Temps, la date de la mission dépend donc d’abord de la volonté de la décider et c’est à vous, lecteur éclairé, de convaincre nos différents décideurs, publics ou même privés, que nous en sommes demandeurs.

Image de titre: illustration de l’annonce du programme NASA de missions habitées sur Mars, crédit NASA

ECLSS, une bulle pour la vie

ECLSS, ce sigle a priori peu « parlant », est l’abréviation de « Environment Control and Life Support System ». Il recouvre la nécessité pour l’homme de se déplacer « avec sa coquille » s’il prétend sortir de l’environnement terrestre, et aussi, implicitement, le fait que l’environnement spatial n’est pas naturellement le nôtre. C’est une clef pour comprendre les possibilités mais aussi les difficultés et les dangers de l’exploration spatiale par vols habités.

La maîtrise de l’ECLSS est donc une condition des vols spatiaux. L’homme a besoin d’une atmosphère contenant certains gaz (environ 21% d’oxygène et 78% d’azote) et pas d’autres (gaz carbonique notamment), d’une certaine pression (entre 0,7 et 1 bar), d’eau liquide au pH neutre et d’une atmosphère au contenu bactériologique contrôlé. Il a aussi besoin de se nourrir selon un régime équilibré qui permette à ses fonctions vitales de se perpétuer. Les vols dans l’espace proche aussi bien que lointain, nous forcent à chercher à répondre à ces exigences en utilisant le minimum en termes de masses et de volumes. Cette nécessité implique la réutilisation, c’est à dire le recyclage.

Le problème est complexe et des progrès, lents, sont faits « tous les jours ». On voit bien l’intérêt que cela représente pour la vie terrestre sur Terre. Parmi les recherches qui sont menées sur le sujet, celles en Suisse de l’UniL (« Oïkosmos » de Suren Erkman et Théodore Besson), au Canada de l’Université de Guelph (CESRF, Mike Dixon) et celles de l’ESA (MELiSSA, Christophe Lasseur) sont sans doute les plus remarquables. Idéalement il faudrait pouvoir recycler 100% de ce que l’on consomme. Le « réacteur biologique » Terre y parvient tant bien que mal jusqu’à aujourd’hui (il semble avoir atteint ses limites, d’où ce qu’on appelle la pollution ou le réchauffement climatique). Cela est évidemment beaucoup plus difficile dans la bulle très restreinte que constitue un habitat artificiel hors de l’environnement terrestre. Aujourd’hui cependant on sait recycler à peu près complètement l’atmosphère et l’eau, moins bien les matières. On sait aussi analyser la qualité microbiologique de l’atmosphère (détecteur MiDASS de EC/ESA/bioMérieux).

Le film « Seul sur Mars » met bien évidence cette problématique mais ne la traite pas de la meilleure façon. En fait une ECLSS efficace doit absolument tirer parti de l’environnement lorsque cet environnement contient des éléments exploitables comme c’est bien le cas de Mars. L’auteur du roman à la base du film commet l’erreur de ne pas envisager l’utilisation de la réaction dite de Sabatier, bien connue et maitrisée, pour obtenir à partir du gaz carbonique martien et d’un peu d’hydrogène, de l’oxygène (pour respirer et pour bruler) et du méthane (pour bruler dans l’oxygène en dégageant de l’énergie permettant de faire fonctionner les machines et les véhicules). Il n’envisage pas non plus, curieusement, d’exploiter l’eau du sol martien que l’on peut obtenir par forage et par chauffage (pergélisol omniprésent).

Mais il ne faut pas non plus « voir trop grand ». Une ECLSS doit être réaliste et respectueuse de l’environnement. Nous avons appris assez récemment que notre planète est un système complexe, cohérent et fragile. Mars l’est aussi. Une ECLSS doit être conçue pour protéger l’homme et lui permettre de vivre, non pour détruire les endroits où il veut s’installer. On ne peut à la légère envisager d’enclencher un processus de terraformation, irrespectueux de « l’autre » et par nature démesuré et donc non contrôlable. La déclaration d’Elon Musk selon laquelle il faudrait faire exploser des bombes thermonucléaires sur les calottes polaires de la planète pour réchauffer et densifier l’atmosphère, apparait à cet égard totalement inacceptable. Ces bombes, outre qu’elles contamineraient la surface de la planète, pourraient certes faire fondre les calottes polaires mais les conditions sur Mars sont telles que, probablement, l’eau retomberait aussitôt en neige plutôt qu’en pluie sur toute la surface et que la poussière et les particules de glace emportées dans l’atmosphère empêcheraient les rayons du soleil de parvenir au sol, déclenchant un hiver très long (à l’échelle humaine). Quel serait l’avantage pour le but recherché ? Par ailleurs, un tel bombardement serait une agression scandaleuse contre un environnement original (riche de ses différences) qu’il convient au moins d’étudier avant de le détruire. Compte tenu de ce que l’on constate aujourd’hui, il y a sans doute eu sur Mars une évolution vers la vie, qui mérite d’être recherchée et comprise. L’homme n’aurait-il rien appris des catastrophes qu’il a à plusieurs reprises causées à son environnement naturel ? Ce serait plus que dommage, un véritable acte de vandalisme.

Image à la Une: le modèle terrestre de la Boucle MELiSSA (crédit ESA/ESTEC/TEC-MCT).

image ci-dessous : la boucle MELiSSA (crédit : ESA/ESTEC/TEC-MCT), les différents compartiments du système MELiSSA (« Micro Ecological Life Support System Alternative ») que l’on pourra un jour utiliser pour les vols spatiaux. Il s’agit de recréer une boucle de vie dans un volume aussi restreint que possible. Vous remarquerez que cette boucle reprend les différentes phases de fonctionnement du lac en image à la Une.

Liens:

http://ecls.esa.int/ecls/attachments/MELiSSA-Phase5/education/ecosystemes.pdf

http://www.unil.ch/idyst/en/home/menuinst/research-poles/natural-and-anthropogenic-ec/industrial-ecology/oikosmos-program-terrestrial.html

http://www.ces.uoguelph.ca/

La Terre, au cœur et à la semelle de nos souliers

Certains pensent que les missions habitées dans l’Espace sont une distraction inutile et coûteuse et que les vrais problèmes de l’humanité, de nature sociale, écologique ou politique, se posant sur Terre, nos efforts doivent être appliqués exclusivement à les traiter.

Je ne suis pas de cet avis.

D’abord parce que la recherche progresse simultanément dans tous les domaines du fait de l’interconnexion des technologies. Des percées dans l’un ont très souvent des retombées sur d’autres, très différents. Par exemple l’informatique a révolutionné la médecine. L’impression 3D va révolutionner l’architecture. La recherche pour l’exploration spatiale par vols habités est porteuse de grands progrès dans les technologies du recyclage, du contrôle de l’atmosphère, de la protection contre les radiations ou encore de la lutte contre l’ostéoporose (apesanteur). Nul doute que si nous installons une petite colonie sur Mars, celle-ci sera, du fait d’un environnement très exigeant, un foyer de recherche et de progrès extraordinaire au bénéfice de tous car l’ingéniosité de l’homme a toujours été stimulée par les conditions de plus en plus difficiles auxquelles il s’est trouvé confronté.

Ensuite parce que nous établir en dehors de la Terre serait une mesure de sauvegarde pour l’homme aujourd’hui captif de sa planète de naissance dont la fragilité est devenue évidente. L’autonomie par rapport à la Terre d’une communauté martienne ou d’une colonie dans l’espace selon Gerard O’Neill*, n’est certes pas pour demain même si on décidait aujourd’hui de l’entreprendre mais, à long terme, elle nous permettrait de mettre à l’abri une fraction de l’humanité des risques de destructions par la guerre, la maladie, une catastrophe nucléaire, la chute d’un astéroïde massif. Sans être adepte de théories catastrophistes, nous ne pouvons minimiser ni écarter à la légère ces éventualités. Moins dramatiquement, notre installation sur une autre planète pourrait nous permettre de sauvegarder un grand nombre de graines et semences terrestres, comme nous avons déjà entrepris de le faire dans le « Svalbard Global Seed Vault »** mais avec une sécurité accrue. Ce besoin n’est pas négligeable quand on voit la capacité de destruction dont nous disposons et que nous exerçons par le déploiement même de notre vie sur Terre.

En fait la possibilité d’autres supports matériels que la Terre pour l’humanité, introduirait dans nos esprits une nouvelle révolution copernicienne. La Terre ne serait plus le seul lieu de vie terrestre possible, elle ne serait plus que l’un de ses multiples foyers. Cela renforcerait non seulement nos capacités de résilience mais aussi notre potentiel de diversification et d’enrichissement. Pendant quelques siècles, les transports n’étant pas aussi évolués qu’ils le sont devenus, l’Amérique et ultimement son Far West, ont joué ce rôle. Le progrès a irréversiblement rétréci le monde et c’est maintenant l’espace qui s’offre à nous comme une « nouvelle frontière ».

De toute façon nous resterons toujours des enfants de la Terre. Nous sommes interdépendants des éléments qui nous ont donné la vie et qui nous permettent de la maintenir. Lorsqu’une très petite minorité d’entre nous (elle restera limitée par notre capacité énergétique d’emport) pourra s’installer ailleurs, elle ne pourra le faire qu’en conservant la structure de notre « coquille » façonnée sur Terre. Et elle le fera en puisant, là où les conditions physiques minimum seront remplies (ce qui est rare), les éléments chimiques dont nous avons toujours été faits sur Terre (ce qui est beaucoup moins rare).

Illustration titre:

A l’intérieur d’une des îles de l’espace imaginées par Gerard K. O’Neil. Un grand cylindre artificiel en rotation sur lui-même, de 10 ou 20 km de diamètre, orbitant quelque part dans la zone habitable de notre système solaire.

Credit image: Donald Davis / NASA Ames research Center; Gerard O’Neill’s Spacecolony.

Références:

https://www.croptrust.org/what-we-do/svalbard-global-seed-vault/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Villes_de_l%27espace

«Seul sur Mars» de Ridley Scott mérite-t-il vraiment tous les éloges?

Mercredi 7 octobre sort Seul sur Mars, un film de Ridley Scott d’après le roman d’Andy Weir, avec Matt Damon en acteur principal.

C’est une belle histoire dans l’espace… de laquelle la vraie Mars est largement absente.

Le film a des qualités et aussi des défauts. Je vais d’abord parler des défauts, pour me soulager des sentiments négatifs qu’ils m’ont inspirés et qui ont quelque peu gâché mon plaisir. Le manque de documentation et beaucoup d’incohérences, en fait beaucoup de négligence et de manque de sérieux, nuisent à cette histoire. Il semble, comme c’est hélas souvent le cas, que l’auteur ait recherché le spectaculaire sur fond martien mais qu’il ne se soit vraiment intéressé qu’à l’astronautique (magnifique vaisseau spatial) et à une certaine ingénierie, très peu à Mars. On a en fin de compte un film d’aventure dans l’espace alors qu’on aurait pu avoir, aussi, la découverte d’un monde nouveau dans toute sa vérité, sa complexité et sa richesse. C’est bien, parce que l’histoire a du «souffle», mais ce n’est pas assez et c’est dommage!

Lire aussi la critique du Temps (LT du 26 septembre 2015)

D’abord il est invraisemblable que la base martienne soit détruite par un ouragan. Il y a des vents très rapides sur Mars mais ils ne sont pas forts. Ils peuvent atteindre aisément 200 km/h mais, l’atmosphère étant très ténue, un tel vent ne serait ressenti que comme une douce brise de quelques 20 km/h. L’auteur aurait pu se renseigner sur ce «détail» qui prend une importance énorme dans l’histoire.

Ensuite on ne peut pas dire que la région d’Acidalia Planitia où est implantée la base d’Arès 3 (dont les coordonnées sont de plus, très précises) soit une vaste étendue plate (ce qu’elle est) et nous montrer un paysage très accidenté, genre Monument Valley. Il n’était quand même pas difficile de se référer aux images du relief martien que nous avons maintenant très nombreuses (notamment les photos de la caméra HiRISE sur l’orbiteur MRO dont la résolution est de 30 cm par pixel). A ce propos, la photo ci-dessous se situe sur les bords d’un cratère de Meridiani Planum (les aiguilles de roche au deuxième plan ne font que 2 à 3 mètres de hauteur).

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Cratère Spirit of Saint-Louis, photographié par le rover Opportunity (Nasa/JPL-CalTech)

Le fait que le différentiel de pression  soit très important entre les locaux viabilisés et l’extérieur (quelques 700 millibars / 0.7 millibar) est à la fois vu et ignoré ; vu lorsqu’il s’agit d’évoquer des accidents de dépressurisations mais ignoré dans le dessin des volumes des véhicules ou de l’habitat. Ceux-ci devraient être sphériques ou très arrondis. Les angles sont des points faibles qui facilitent les ruptures. Il y en a beaucoup trop dans le film. On n’isolera pas non plus de l’extérieur un volume habitable par un film de plastique tenu par du scotch!

Autre point faible, les cultures. On savait, lorsque le livre a été écrit et le film tourné, que le sol de Mars était couvert de sels de perchlorates. On en a trouvé sur le site de Viking, puis sur celui de Pathfinder et sur celui de Curiosity ; les fameuses coulées saisonnières dont la NASA a beaucoup parlé le 28 septembre, sont aussi des saumures de ce sel. On ne pourra donc faire des cultures dans le sol martien qu’après l’avoir soigneusement nettoyé de cet élément chloré très agressif à l’encontre des molécules organiques.

L’importance des masses

Un des problèmes bien connus des séjours sur Mars est la faible protection de la surface contre les radiations en raison de la faible quantité d’atmosphère et de l’absence de magnétosphère. Certes les radiations ne sont pas plus dangereuses sur Mars qu’à bord de l’ISS (à la différence de l’espace profond) mais on cherchera à s’en protéger et on établira des écrans de protection au-dessus et autour des habitats. Ce problème est totalement ignoré et l’habitat est même doté d’un toit en verrière tout à fait improbable.

Je trouve bizarre qu’à une époque où l’on fait très attention aux dépenses, les premières missions martiennes habitées décrites dans le film soient si généreuses avec les masses utilisées. Pour mener à bien ces missions l’économie de masses sera clef et dans ce roman et ce film, il semble que ce ne soit pas un problème. Et bien si, c’en est un, très important! On apportera un minimum de masse et on utilisera largement l’impression 3D qui permettra de fabriquer sur place, à partir du sol martien, la plupart des structures et objets volumineux. Rien de tel n’est suggéré ici.

Les astronautes après avoir installé la base “Arès 3” dans Acidalia Planitia décident d’aller implanter la même infrastructure, “Arès 4”, dans le cratère Schiaparelli, distant de 3200 km. Ce n’est pas raisonnable ! Lorsqu’on aura, avec de grandes difficultés, créé un environnement habitable, on cherchera à le réutiliser. Pour explorer Mars, ce qui compte c’est d’être sur Mars et de pouvoir commander des robots en temps réel partout sur la planète à partir de la surface de Mars, pas de s’installer ici et là.

Et la pollution?

Après être arrivé sur Mars, on aura le choix entre repartir dans le délai d’un mois ou de rester dix-huit mois au sol compte tenu de la position respective des planètes. Il est étonnant que cette histoire qui se passe dans un contexte ou il y a suffisamment de vivres pour un très long séjour hors de la Terre et où l’on peut cultiver le sol martien, n’envisage pas une mission de dix-huit mois sur place. La rentabilisation d’un voyage aussi coûteux l’imposera.

D’ailleurs pourquoi n’envisager le retour du «cycler» (navette) Hermès qu’après quatre années alors qu’il doit rentrer sur Terre suffisamment tôt pour permettre un nouveau départ lors de la fenêtre de tir suivante (26 mois) ?

…et je ne parle pas de la pollution induite par toute cette histoire. Le héros s’en moque totalement!

Ceci dit.

Les couleurs martiennes (ocre rouge) sont belles, les impressions de solitude et d’éloignement sont bien rendues, le vaisseau spatial Hermès est magnifique, digne de la roue de 2001 Odyssée de l’Espace. L’image de la jolie commandante Melissa Lewis volant dans l’axe centrale du vaisseau, restera comme un des plus beaux moments des films du genre. La nécessité d’équiper le vaisseau avec une centrifugeuse pour créer une gravité artificielle pendant le vol n’est pas oubliée. Et surtout, pour la première fois, il n’est pas question de petits hommes verts ni d’intervention surnaturelle. C’est un très gros progrès pour l’imaginaire des Terriens.

Enfin l’histoire est forte. Elle nous dit que l’Homme doit aller sur Mars s’il choisit l’expansion, l’ouverture, l’aventure, l’avenir au lieu de céder à sa frilosité, à ses peurs et accepter sa mort. Seul sur Mars est l’histoire  d’hommes qui ont choisi la première voie, d’hommes qui refusent de renoncer, pour oser et pour faire. C’est l’histoire d’individus qui se «prennent en main» et qui dans des situations difficiles, ne subissent pas mais décident. C’est pour cela que le film est beau, lumineux et porteur d’espoirs. C’est pour cela qu’il faut aller le voir nous-mêmes et encourager nos jeunes à le faire, pour leur montrer que la vie qui mérite d’être vécue est avant tout une affaire de liberté, d’initiatives et de prises de responsabilités.

A écouter aussi: «Seul sur Mars passé au crible de la science», émission CQFD du 7 octobre, RTS la Première

 

Photo de une tirée de Seul sur Mars © 2015 Twentieth Century Fox.

L’homme avec les robots pour partir ailleurs

L’espace est aujourd’hui à la fois attirant et hostile comme autrefois l’Océan. Pour l’explorer, on dispose depuis Galilée des télescopes qui sont devenus de plus en plus sophistiqués jusqu’au Very Large Telescope (« VLT ») de l’European Southern Observatory (« ESO ») dans le désert d’Atacama au Chili, ou au Hubble Space Telescope (« Hubble ») qui sera désorbité vers 2020 après nous avoir comblés d’images extraordinaires et, bientôt, au James Webb Space Telescope (« JWST »), son successeur en orbite terrestre, qui doit être lancé en 2021 (après de nombreux reports).

Pour explorer notre « banlieue », le système solaire, on dispose aussi des sondes robotiques que l’on a envoyées au cours des décennies passées observer de près toutes les planètes et aussi depuis cette année 2015 les planètes naines et même deux petits astres, astéroïde et comète (Itokawa et Churyumov-Gerasimenko). On a été voir ces objets encore de plus près, en faisant se poser sur la Lune puis sur Mars et sur les astéroïde et comète mentionnés, des engins robotisés qui nous ont apporté des informations précises et précieuses sur la formation de notre système solaire, les molécules organiques et leur évolution.

Et l’homme dans tout cela ?

Il est certes allé « marcher sur la Lune » d’où les astronautes et en particulier le dernier, le géologue Harrison Schmitt, nous ont même rapporté de précieux échantillons de roches. Mais depuis la 17ème mission Apollo en 1972, rien. Cela fait 43 ans !

Peut-être effrayés de leur témérité passée, les dirigeants des grands pays maitrisant la science astronautique, se sont contentés de faire faire aux astronautes suivants, personnes de grande valeur intellectuelle et en pleine maîtrise de leurs capacités physiques, formés à grand frais, de nombreux et très peu utiles séjours dans la Station Spatiale Internationale, entre 330 et 420 km d’altitude au-dessus de la Terre.

Peut-on se satisfaire de cette situation ?

Certes non ! Et ce pour trois raisons.

D’abord les robots ont besoin de l’homme, à leur côté sur les astres, pour que leur efficacité soit maximum. Pour la Lune, passe encore que l’homme n’y retourne pas puisque la distance est suffisamment faible relativement à la vitesse de la lumière et qu’il peut y commander ses engins depuis la Terre en temps réel. Mais déjà sur Mars cette commande en direct n’est plus possible puisque la Terre en est éloignée de 3 à 23 minutes lumières. Par ailleurs ce n’est pas faire injure à nos « amis » robots que de dire qu’ils ont une capacité de jugement et de choix moins intelligente et moins adaptable aux circonstances et que cela nous fait sans doute rater de belles opportunités d’observations.

La deuxième raison est que l’humanité est fragile comme le disait Carl Sagan en évoquant notre « pale bue dot » à la surface duquel tous les êtres conscients ayant jamais existé (à notre connaissance) se trouvent aujourd’hui concentrés. Une Terre de repli en cas de catastrophe ne serait donc pas malvenue.

La troisième raison est que l’homme a besoin d’aventure. Il a besoin d’escalader des montagnes, besoin d’aller, comme jadis, au-delà des océans. Ces océans ce sont aujourd’hui les espaces interplanétaires à portée des puissants lanceurs qu’il conçoit. Il est sorti d’Afrique il y a des centaines puis des dizaines de milliers d’années, il a sillonné les mers lointaines au moins depuis le 14ème siècle et aujourd’hui il veut aller encore plus loin. Mars, la planète la plus accessible et la moins hostile de notre système solaire, doit être sa prochaine étape. Ceux qui pensent qu’il ne pourra jamais s’établir sur un autre sol parce que c’est trop difficile et dangereux, pêchent contre l’espérance. Rien n’est joué, l’avenir dépend de nous, du choix que nous allons faire, celui de la frilosité ou celui de l’audace.

La NASA prépare aujourd’hui, assez mollement, le « SLS » (Space Launch System), son nouveau « lanceur lourd » qui ne peut avoir pour objet, vu sa capacité d’emport, que de permettre des missions habitées dans l’espace « profond » (au-delà de l’orbite terrestre). Son premier vol est prévu pour 2018 mais on peut toujours craindre qu’il soit abandonné par la prochaine présidence comme l’a été par le Président Obama, le programme Constellation du Président Georges W. Bush pourtant déjà bien engagé. Il est très important que ce nouveau projet (le SLS) aboutisse et pour cela, le soutien non seulement des citoyens américains mais aussi de l’opinion publique mondiale doit s’exprimer. Nous pourrons avancer ainsi vers une nouvelle ère, celle où l’homme s’affranchira de ses liens avec notre mère la Terre parce qu’il pourra puiser la matière et l’énergie dont il a besoin pour sa vie dans l’environnement spatial, certes très hostile mais aussi extrêmement stimulant.

Le beau film de Ridley Scott qui sort le 7 octobre sur les écrans, réalisé d’après le roman d’Andy Weir, « The Martian », peut, malgré tous ses défauts, relancer l’intérêt et, espérons le, l’enthousiasme pour ce projet. J’ai eu la chance de le visionner en avant première sur invitation de Sarah Dirren de la RTS pour ensuite faire un « CQFD » qui lui est dédié. Je vous en dirai plus le 7 octobre.

Pierre Brisson

Images :

en tête d’article : MCT (Mars Colonization Transport), crédit image : Richard Heidmann. Le concept de MCT a été développé par Richard Heidmann sur une idée d’Elon Musk. Richard Heidmann, polytechnicien et ingénieur en propulsion spatiale, est le fondateur de l’Association Planète Mars, branche française de la Mars Society. Le MCT doit pouvoir transporter 100 tonnes (dont 100 passagers) à la surface de Mars.

Ci-dessous : SLS 70 tonnes, Crédit image: NASA/MSFC. Possibilité de déposer plusieurs tonnes à la surface de Mars.

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