Vivre sur Mars

Vivre sur Mars dans le sens de s’établir sur Mars est pour l’humanité un autre défi que l’explorer même si l’exploration à distance doit évidemment précéder l’établissement physique (et cela a été le cas avec les missions robotiques).

Concernant les motivations, L’esprit est différent ; il faut changer ses paradigmes. Décider de vivre sur Mars pour un scientifique, c’est, au plus proche de ce qu’on a fait jusqu’à présent, réaliser que la Science est certes affaire de réflexion sur des données recueillies par des machines plus ou moins autonomes mais que, à partir du moment où l’on peut y aller, il faut le faire, rien ne valant l’observation directe sur « le terrain ». Décider de vivre sur Mars pour le « commun des mortels » c’est aussi chercher autre chose que d’accroître ses connaissances. C’est réagir au sentiment profond que « l’homme ne peut rester sa vie entière dans son berceau », comme le disait le pionnier de l’astronautique Konstantin Tsiolkovski, puisqu’on peut le quitter. C’est encore accepter avec Baudelaire* de répondre au besoin d’aventure pour aller voir « ailleurs ». C’est enfin considérer que la Terre n’est pas nécessairement le « foyer » de l’homme mais seulement son lieu d’origine.

Concernant les modalités pratiques, envisager concrètement de vivre sur Mars, c’est réaliser que grâce aux technologies dont nous disposons, l’homme peut y trouver les ressources nécessaires à sa propre vie, y entreprendre la transformation de ces ressources avec de l’énergie, au début importée et de plus en plus obtenue sur place, y entreprendre la production de machines de toutes sortes, la construction de tous les habitats, locaux sociaux, entrepôts, ateliers, usines, nécessaires pour se protéger, lui permettre de se nourrir et de mener toutes les activités qui justifient la vie et la rendent non seulement possible mais aussi gratifiante. C’est éprouver une satisfaction intense à l’idée de maîtriser un nouvel environnement difficile, inaccessible auparavant non seulement pour son éloignement mais pour les difficultés à surmonter et les risques à affronter. C’est aussi vouloir y rester sur la longue durée, y engendrer une descendance en ayant confiance qu’elle ne soit pas exposée à des conditions de vie insupportables mais en espérant au contraire que ces conditions adoucies par la technologie, puissent être porteuses de prospérité et de bonheur au milieu d’une communauté innovante et dynamique qui soutiendra les générations futures et participera à construire et maintenir leur prospérité en même temps que leur épanouissement intellectuel et affectif.

En fait vivre sur Mars c’est éventuellement envisager qu’on puisse se passer de la Terre, non que la Terre puisse être jamais absente de la réflexion et de l’affectif des Martiens mais qu’elle devienne davantage une référence, un confort auquel recourir, éventuellement une nostalgie plutôt qu’une nécessité.

Illustration de titre: arrivée d’un Starship de SpaceX sur Mars…dans quelques années. Crédit SpaceX. Traduction de la citation d’Elon Musk:

On veut se réveiller le matin et penser que l’avenir va être formidable. C’est cela que signifie appartenir à une civilisation de voyageurs spatiaux. C’est croire au futur et penser que le futur sera meilleur que le passé. Je ne vois rien de plus excitant que d’aller là-bas et se trouver parmi les étoiles“.

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Index L’appel de Mars 20 06 24

Hommage et supplique au Prince Jean de Patagonie

Jean Raspail est parti rejoindre son souverain, le roi Orélie-Antoine 1er, avant que j’aie eu le temps de lui présenter physiquement et de vive voix mes lettres de créances. Je le fais donc aujourd’hui par l’intermédiaire du Temps. Je fais confiance à mon journal pour qu’il trouve un moyen de lui transmettre mon message même si je sais bien que les principes qui inspirent sa ligne éditoriale ne sont pas tout à fait les « nôtres ».

Je viens d’un pays où le Royaume de Patagonie et ses autorités, auto-désignés par leur force de caractère et leur farouche esprit de liberté, sont tenus dans la plus haute estime. Nous sommes en plein combat pour accéder au respect des autres en cessant d’être l’objet de leurs sarcasmes et plus fondamentalement, pour faire reconnaître notre propre crédibilité, indissociable de notre possibilité de mener à bien notre projet martien. Nous espérons la sympathie du gouvernement patagon (outre, bien sûr, que nous recherchons l’appui de l’opinion publique) pour que, éclairés par son prestige et par sa gloire, nous puissions plus facilement surgir dans la lumière aux yeux de ceux qui sont les mieux équipés pour voir les potentialités de notre monde.

Les Martiens, encore tous physiquement sur Terre, par la force des choses, sont néanmoins déjà effectivement résidents de leur Planète-rouge dans leur esprit et dans leur cœur. Ils y vivent animés d’intérêts et de sentiments que ne devrait désavouer aucun Patagon digne de ce nom.

Nous avons, nous aussi, la passion des grands espaces et du lointain et bien que Mars soit très certainement une terre vierge, nous avons également, nous les partisans de Mars-la-rouge*, la passion de l’« autre », celui qui est différent ou celui qui était « là » avant nous. C’est pour cela que, nous opposant en cela sans compromission aux partisans de Mars-la-bleue*, nous avons immédiatement reconnu la spécificité de la nature de « notre » planète et que nous y portons le plus grand respect. Nous voulons être un complément harmonieux à l’« existant » avec la volonté farouche de le défendre de toute notre âme, contre toute exploitation prédatrice au profit de non-résidents ou des Bleus* qui voudraient la « terraformer ».

*référence à la « trilogie » de Kim Stanley Robinson (Mars la rouge, Mars la verte, Mars la bleue) qui envisage cette confrontation entre les tenants de la terraformation et ceux qui veulent préserver la nature minérale de Mars. Dans ce roman ce sont, hélas, les premiers qui gagnent!

N’ayant aucune tradition monarchique et les circonstances martiennes ne se prêtant pas du tout à cette forme de régime, nous sommes des démocrates convaincus, un peu comme les Vikings qui conquirent l’Islande, le Groenland et l’Amérique, devaient l’être, et un peu comme les Suisses le sont aujourd’hui, fiers de leurs individualités, respectueux de leurs différences, toujours à la recherche du consensus et opposés farouchement au gouvernement d’un seul.

C’est surtout cela qui nous différencie des autorités patagonnes. Nous avons néanmoins la plus grande considération pour son Prince Jean qui a démontré tout au long de sa vie terrestre, sa capacité d’écoute et d’intérêt pour l’« autre ». Nous avons une estime et un respect infinis pour son travail immense, minutieux et surtout sensible, de recensement et d’évocation des cultures et des peuples marginaux, presque-nés ou presque-disparus. En tant que peuple à naître nous nous sentons des leurs et réclamons d’ores et déjà notre reconnaissance.

Nous nous présentons au monde tardivement en ce qui concerne l’Opinion, un peu comme la jeune carmélite de « La Dernière à l’échafaud » de Gertrud Von Lefort (« Le Dialogue des carmélites » de Georges Bernanos), au pied de l’escalier de l’horrible machine qui a tranché la tête de toute ses sœurs et qui chante en montant les marches alors que les voix des autres se sont tues*. Notre sort n’est évidemment pas si terrible car en nous manifestant nous ne risquons pas notre vie comme cette courageuse religieuse. Mais l’esprit de notre expression et la menace qui nous enveloppe sont les mêmes. L’esprit, c’est celui d’une quête au-delà d’obstacles apparents aussi définitifs qu’il est possible d’imaginer. Les écologistes politiques sûrs d’eux-mêmes et arrogants, accompagnés de tous ceux qui voudraient que l’on ne s’occupe plus que des problèmes sociaux sur Terre, nous ont condamnés sans même vouloir nous écouter et ils ont de plus en plus de partisans en ce monde. Je prie pour que le Grand-esprit patagon au sein duquel le Prince Jean a rejoint le roi Orélie-Antoine, entende notre chant alors que nous n’avons plus que quelques marches à monter avant que la menace nous fasse taire à jamais ou que le succès technologique déclenche notre envol. Qu’il nous accueille, ce Grand-esprit, dans sa cohorte des peuples oubliés ou opprimés et nous accompagne dans notre combat, jusqu’à la victoire, c’est à dire la fondation de notre premier établissement sur Mars. En haut des marches, nous voulons un Starship avec son Super-Heavy en état de fonctionnement, non le couperet d’un échec qui pourrait être un refus, une interdiction ou une impossibilité externe imposée, de mener à son terme le projet d’Elon Musk. Nous sommes presque arrivés mais le temps presse.

NB: Entendons-nous bien, cet intérêt porté à l’esprit patagon, n’est pas la recherche d’un appui pour faire un quelconque lobbying auprès de je ne sais qui, c’est plutôt de ma part l’expression du ressenti d’une fraternité, que je voudrais partagé.

*Dans le contexte de notre projet martien, les carmélites mortes sont tous ceux dont les voix se sont tues, soit qu’ils aient abandonné le combat par découragement, soit qu’ils soient effectivement morts (le rêve martien remonte à la création du mouvement Mars Underground dans les universités américaines à la fin des années 1970).

Le Prince Jean n’a pas été admis à l’Académie française; une erreur de cette « vénérable institution » mais ce n’est pas la première. Julien Gracq en est une autre et il y a plus longtemps, Balzac et Stendhal ! Certains parmi les « immortels » cependant disparus de la mémoire collective, y ont été accueillis pour des raisons totalement étrangères à la littérature. C’est dommage pour Jean Raspail et pour nous car il aurait évidemment apprécié d’y être reçu et nous aurions eu droit à un magnifique discours d’acceptation. Il a dû en souffrir dans son amour-propre de maître bijoutier des mots et de ciseleur précautionneux des phrases de notre belle langue. Mais le secrétaire général de l’académie des belles-lettres patagones qu’il était de droit, pouvait-il être actif dans les deux mondes, être l’un des meilleurs écrivains de langue française tout en restant totalement marginal sur le plan des idées ? Sans doute non. Quoi qu’il en soit, le moment venu, je soutiendrai sa candidature à l’Académie des belles lettres martiennes. Je suis certain qu’il se présentera et j’ose espérer qu’il participera en esprit, maintenant que par la force des choses, il repose.

Illustration de titre : Jean Raspail devant ses maquettes et images de bateaux, l’équipement indispensable de l’explorateur des temps anciens. Nous avons nos fusées !

NB: Jean Raspail est notamment l’auteur (1981) de Moi, Antoine de Tounens, Roi de Patagonie. Il s’était déclaré Consul général de Patagonie en France. Il a créé le Bulletin de liaison des amitiés patagones. Il est décédé le 13 juin 2020.

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Index L’appel de Mars 20 06 10

Les missions par vols habités ne peuvent pas nuire au développement de l’exploration robotique

L’exploration robotique est aujourd’hui la principale modalité de l’exploration spatiale. En fait c’est plutôt la seule depuis les missions Apollo des années 1970. La raison en est la fragilité de l’homme et le risque qu’impliquent pour lui le voyage et le séjour hors de la Terre; risque qu’éthiquement on souhaite évidement réduire au minimum.

Il est vrai que l’on peut faire beaucoup et de plus en plus avec les missions purement robotiques et que du fait du support-vie et des protections nécessaires pour une mission habitée, ces dernières sont beaucoup plus complexes et coûteuses.

Par ailleurs, quelles que soient la capacité des systèmes de support-vie et l’efficacité des protections, une limite est imposée aujourd’hui par le danger des radiations galactiques dures (les GCR de type HZE) dont on ne peut pas vraiment se protéger et que l’on ne peut supporter sans danger au-delà d’un certain nombre de mois (correspondant en gros à un voyage jusqu’à Mars). D’autre part il est inimaginable de confiner l’homme, de surcroît dans des volumes viabilisés très petits, pendant des durées dépassant plusieurs mois (soit pratiquement au delà de la durée du même voyage vers Mars). Ces complications que l’on pourrait qualifier de médicale et psychologique empêchent d’envisager les missions habitées impliquant des voyages très longs donc permettant d’aller très loin.

Pour préciser, il faut voir qu’actuellement le seul mode de propulsion qui peut être utilisé est la propulsion chimique et que cela a deux implications limitatives, le volume de charge utile (transportable) et la vitesse du vaisseau spatial. A partir du moment où le volume que l’on doit arracher à la force de gravité terrestre (en prenant l’exemple du dispositif SuperHeavy – lanceur – plus Starship – vaisseau – de SpaceX), inclut les ergols de propulsion, la limite haute de la charge utile est au maximum de 130 à 150 tonnes en orbite basse terrestre pour quelques 4400 tonnes* au sol, et la vitesse au mieux de quelques km/secondes au-dessus de la vitesse de libération. Par ailleurs l’essentiel des ergols sera brûlé pour le positionnement du vaisseau spatial en orbite terrestre de parking et la quasi-totalité de ce qui reste, pour l’injection vers l’espace profond à partir de cette orbite (il doit en rester un peu pour freiner et manœuvrer pendant l’EDL – « Entry, Descent, Landing » sur l’astre de destination). La seule amélioration apportée par Elon Musk qui permettrait quand même de déposer 100 tonnes au lieu de 20 à la surface de Mars, est le « refueling », remplissage des réservoirs vidés après accession à l’orbite de parking. Ce n’est certes pas négligeable par rapport à nos capacités jusqu’à aujourd’hui puisque cela permet une impulsion plus forte parce que plus puissante et plus longue. Mais de toute façon le problème reste du même ordre parce que le volume des réservoirs et la masse des contenants sont limités.

*les 4400 tonnes comprennent environ 3850 tonnes d’ergols (carburant et comburant) et 340 tonnes pour la masse sèche du lanceur Super-Heavy. Cela laisse très peu (220 tonnes) pour là masse sèche du vaisseau spatial et sa charge utile.

Compte tenu de ces contraintes, les scientifiques préfèrent très souvent (pour ne pas dire “pour la plupart”) que nos ressources (techniques et financières) soient consacrées aux missions robotiques plutôt qu’aux missions habitées parce qu’ils ne voient pas l’utilité de remplacer une charge scientifique par une charge humaine (avec les équipements et les consommables qui vont avec) ou, autrement dit, qu’ils préfèrent maximiser la charge scientifique.

On ne pourrait pas les critiquer pour cette attitude si elle ne concernait que l’exploration de tout ce qui est au-delà de Mars puisque de toute façon l’homme en est exclu, étant donné que le voyage pour aller au-delà de Mars durerait plus de 6 mois et qu’il faudrait selon la configuration du positionnement des planètes sur leur orbite, au moins trois ans pour atteindre la « prochaine étape », Jupiter et ses lunes.

Par contre cette même attitude est illogique et regrettable pour l’exploration de la Lune et de Mars puisque (1) la présence de l’homme y est possible : la Lune est accessible « tous les jours » après un très court voyage (de l’ordre de 3 jours) et Mars peut être atteinte en 6 mois pour un départ tous les 26 mois ; (2) la présence de l’homme au côté des robots est plus que souhaitable car elle donnerait un véritable « plus » à l’efficacité de la recherche.

Par ailleurs, la poursuite de l’aventure humaine, requiert évidemment l’envoi d’hommes en dehors de la Terre puisque le but est qu’ils s’y installent et y prospèrent. Le voyage n’est possible que pour aller sur la Lune ou sur Mars et l’installation n’est possible que sur Mars et dans une moindre mesure sur la Lune. Mais on est là dans un autre domaine que celui de l’exploration spatiale et je traite le sujet dans d’autres articles.

Les deux types d’exploration par moyens astronautiques ne sont donc pas du tout incompatibles mais au contraire tout à fait complémentaires. Ils doivent se développer de concert, ce qui d’ailleurs rendra les moyens astronautiques moins coûteux pour chaque mission du fait de la production et du lancement de davantage de lanceurs (principes de modularité, récupération, réutilisation comme clairement démontré par la stratégie d’Elon Musk). Et c’est le seul moyen de rendre le prix des missions habitées abordables pour les clients qui voudront mener sur Mars des recherches scientifiques ou s’y établir.

On peut donc conclure que les missions habitées sont un complément indispensable et enrichissant aux missions robotiques.

Illustration de titre: Un Starship d’Elon Musk dans le voisinage de Saturne. Pour les raisons exposées ci-dessus, il n’est certainement pas habité mais il peut aller se poser sur Titan et y déposer divers équipements lourds pour l’explorer avec des robots. Le même véhicule sera utilisé pour transporter des hommes sur Mars. Crédit: SpaceX.

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Index L’appel de Mars 20 06 10

La société martienne devra vivre dans un contexte sanitaire très exigeant

La pandémie du covid-19 nous a laissé entrevoir ce que serait la vie dans un monde durablement confiné. Imaginer la vie humaine sur Mars nous conduit à envisager les comportements qui seraient les plus adaptés et les plus acceptables, en anticipation indirectement de ce que pourrait devenir les conditions de vie sur Terre et les contraintes auxquelles nous devrions tous nous plier. En effet le milieu viabilisé martien sera très exigeant, poussant à l’extrême des tendances que l’on voit apparaître sur Terre avec la surpopulation et la facilité des déplacements, donc les brassages de population et la multiplication des contacts. 

Les caractéristiques du milieu martien habité seront les faibles volumes viabilisés disponibles, la forte densité de population et le fort isolement par rapport aux sources externes d’approvisionnement (de fait, terrestres !). Cela conduira donc à la construction de structures protectrices de dimensions réalistes compte tenu des différences de pressions entre intérieur et extérieur (soit de 500 à 6 millibars en moyenne), disposant d’une atmosphère respirable créée à partir des gaz disponibles localement) et qui devront être entretenues (résistance, dégradation des matériaux, fuites, etc…). Le résultat c’est que pour très longtemps les « villes » martiennes seront petites, très densément peuplée, d’une population très réduite par rapport à celle de la Terre ; peut-être, au mieux, comme l’Islande aujourd’hui (300.000 habitants). 

Au sein de ce milieu relativement restreint en volume, les hommes mais aussi les plantes et les animaux devront coexister. Or le propre des êtres vivants (à la différence des robots) c’est (1) que chacun d’entre eux « vient avec » son microbiote (l’ensemble de ses hôtes microscopiques qui vivent de l’être vivant, pour l’être vivant, et éventuellement contre l’être vivant), évoluant au sein d’un microbiome (enveloppe au contour flou et mouvant occupé par le microbiote), (2) qu’on ne peut évidemment pas stériliser le microbiome sans tuer l’être vivant qui en est le cœur, (3) que ces microbiomes sont forcément en contact les uns avec les autres quand les êtres vivants sont proches physiquement les uns des autres et que, de ce fait, des échanges de microbes se produisent entre individus ou populations. 

Tous ces microbiotes, on les connaît encore assez mal malgré les progrès de la Science depuis Pasteur. Grace au « Human Microbiome Project », on a certes identifié (sans toutefois parfaitement le comprendre dans son fonctionnement) entre 80 et 99% du microbiote strictement humain mais on ne connait toujours qu’un pourcentage infime (moins de 0,01%) des microbes de l’ensemble de notre environnement, englobant nos plantes, nos animaux, notre sol (peut-être un trillion d’espèces pour la Terre entière). Sur Mars il n’y a très probablement pas de microbe sur le sol ni dans le sous-sol immédiat mais déjà avec les hommes, les plantes et surtout les animaux, on aura quand même une belle diversité. Un autre problème tout aussi préoccupant, c’est que le microbiote est constitué d’êtres vivants et que ces êtres vivants évoluent constamment. Les générations de microbes se renouvellent sur des durées très courtes et le « but » (évidement inconscient) des individus de chaque espèce qui les composent est de se reproduire en s’adaptant constamment par évolution darwinienne pour conquérir une « part de marché » aussi grande que possible. En particulier les bactéries ou leurs cousines archées, tout comme les virus, sont les champions des échanges de gênes à l’occasion de leurs mutations. 

Donc inutile de rêver, on ne contrôle pas un microbiome, a fortiori le microbiome collectif d’une population humaine exposée à de multiples contacts. On le pilote à grande vitesse en essayant d’éviter les crashs. 

Pour le piloter, on dispose de régulateurs : l’hygiène personnelle et collective, les médicaments, les vaccins, les produits antiseptiques. « On » (généralement les médecins, infectiologues, bactériologues, virologues) observe, et si nécessaire on intervient pour éviter la « sortie de route ». Sur Terre on disposait jusqu’à présent d’amortisseur, l’étendue géographique très vaste de la surface habitable. On appelle ça l’effet tampon (« buffer effect ») : un déséquilibre local va se résorber parce qu’il peut être isolé avant de s’étendre à l’ensemble de la planète ; ou bien il va se diffuser et se diluer. Ce n’est plus vrai dans le cas d’une pandémie (un peu comme la vitesse donne de la substance à l’atmosphère que l’on traverse ou rétrécit l’espace) et ce ne sera pas le cas sur Mars où le volume viabilisé sera très restreint. 

Dans ces conditions, la vie sur Mars, sans doute annonciatrice de périodes de plus en plus fréquentes pour la vie sur Terre, sera constamment sous surveillance et très probablement, souvent « confinée ». Mais qu’est-ce que cela implique ? Des précautions, des contrôles, une prophylaxie, des traitements. 

Les précautions, ce seront, outre les capteurs et analyseurs d’atmosphère (type MiDASS de BioMérieux) et des fluides, les contrôles médicaux. On peut concevoir qu’en dehors de tout symptôme, la prise de température de tous les individus soit fréquente, les visites médicales, avec prises de sang, mensuelles et obligatoires. Un deuxième impératif sera l’hygiène, impliquant outre la propreté des individus, le nettoyage complet et fréquent, bien entendu des installations de recyclage des déchets organiques mais aussi de tous les locaux viabilisés. Une personne infectée et contagieuse devra être immédiatement isolée des autres et ses contacts tracés depuis le début probable de sa contagiosité. De même un local sale (présence de bactéries nuisibles ou de champignons) devra être obligatoirement et le plus vite possible, nettoyé (ceci implique lors de la conception des locaux de prévoir que tout endroit viabilisé permette un accès pour nettoyage complet). Dans ces domaines préventifs il ne peut y avoir aucune liberté car on ne peut laisser une personne en contaminer une autre ou permettre dans le domaine privatif d’une personne quelconque, le développement d’une prolifération microbienne qui pourrait nuire à la communauté. 

Une particularité de la communauté martienne sera que les contacts physiques avec les membres de la communauté terrestre ne seront possibles que tous les 26 mois puisque les départs vers Mars ne seront possibles qu’avec cette périodicité du fait de l’évolution synodique de la configuration des planètes. Ceci implique que des mesures de confinement devront être prises à l’arrivée du vaisseau sur Mars pour protéger aussi bien les résidents que les arrivants puisque le contenu des microbiomes respectifs aura pu évoluer différemment pendant la période d’isolement et qu’il conviendra d’éviter toute mise en contact brutale. Sans doute faudra-t-il lors de l’atterrissage des vaisseaux, vacciner les arrivants comme les résidents contre les dernières mutations de coronavirus et autres ! On peut en déduire la réciprocité sur Terre. 

Le confinement est une particularité du traitement d’un dérèglement du microbiome. Il intervient quand on ne sait pas comment le traiter avec effet neutralisant immédiat. C’est une solution d’attente même si l’attente peut être longue (mise au point d’un vaccin, élaboration sur place ou fourniture d’un médicament par la Terre). Dans ce cas, il doit être aussi stricte que nécessaire, en isolant les personnes à risque et en réduisant les échanges physiques avec elles à ce qui est absolument indispensable. Dans cet état d’esprit, la question n’est pas de savoir si un confinement est acceptable mais plutôt faire tout ce qu’il est possible de faire pour qu’il ne soit pas nécessaire et, si on ne peut l’éviter, prendre ses dispositions pour qu’il soit vivable, socialement et fonctionnellement, aussi longtemps qu’il le faudra sans pour autant y mettre fin au seul prétexte qu’un individu ou une partie de la population ne le supporterait pas psychologiquement. Cependant un confinement durant « vraiment longtemps » (plusieurs mois) serait effectivement un échec qui porterait atteinte à la pérennité de la communauté car il nuirait sérieusement à l’interaction nécessaire de ses membres. Il faudra donc toujours évaluer le rapport coût / bénéfice probable de la décision de son application. 

Les palliatifs sociaux sont les contacts entre individus via écrans interposés, en modes video et/ou audio, ou au mieux en respectant simplement les « distances sociales » c’est-à-dire les distances que l’agent pathogène ne peut franchir seul. Eventuellement les contacts protégés avec masque, gants, blouse, etc…sont possibles mais ils sont forcément rares compte tenu de leurs difficultés opérationnelles. En fait dans certaines situations à haut risque, il n’y a pas de bonne solution mais plutôt un choix entre une vie, limitée, et un risque de mort. Pour pousser le raisonnement plus loin, on peut concevoir que certaines personnes assument pour elles-mêmes ce dernier. C’est un choix qui doit être laissé à l’individu ou plutôt aux individus qui manifestent la volonté de le prendre ensemble, mais qui ne peut être généralisé car il pourrait entraîner la non viabilité de l’ensemble de la communauté. En fait cela dépendra de la fonction de la personne souhaitant prendre cette décision au cas où la redondance de la capacité ne serait pas certaine. Sur Mars certaines fonctions techniques devront à tout prix être assurées faute de quoi la Colonie ne serait plus viable (par exemple contrôle des composants de l’atmosphère respirable). 

On peut encore considérer qu’on peut faire respecter un confinement dans une population de petite taille comme sera celle de Mars moins difficilement que dans une population de plusieurs centaines de millions ou de plusieurs milliards d’habitants (faisabilité des contrôles !). Cependant il faut dire que les Martiens jouiront d’un avantage unique. Lorsqu’ils auront besoin de se dégourdir les jambes, ils pourront tout simplement…sortir à l’extérieur de l’habitat viabilisé. Vêtus d’un scaphandre (dont l’intérieur devra être nettoyé après chaque usage) ils ne courront aucun risque à se tenir à moins d’un mètre l’un de l’autre, à rester seul à seul où à retrouver une douzaine de personnes pour partager une excursion ou contempler un coucher de soleil. Et même les rayons ultraviolets se chargeront de nettoyer à fond la surface extérieure de leur vêtement de sortie. Bien sûr il y aura toujours un bon centimètre de tissu et de matériaux isolant entre leurs corps…et la visière d’un masque entre leurs visages mais on a déjà mis au point des gants qui transmettent parfaitement à la peau des doigts le sens du toucher (gants haptiques). 

Dans la base elle-même il faut prévoir, pour pouvoir traiter l’éventualité, la multiplicité des cellules viabilisées, que ce soit les habitats, les dômes sociaux ou les corridors. Il faut pour des raisons de sécurité qui ne seront pas d’ailleurs toujours à caractère sanitaire, pouvoir court-circuiter une partie de la base sans rendre son fonctionnement global impossible. Ce sera un des aspects de la redondance indispensable dans une telle situation et cela « tombe bien » car les particularités du milieu (différentiel de pression entre extérieur et intérieur, irrespirabilité de l’atmosphère) imposeront la modularité et cette multiplicité des espaces viabilisés.

illustration de titre: EBIOS dans le désert des Mojaves, vue d’artiste (crédit Interstellar Lab).