Dans les années 1970, le Dr. Gerard K. O’Neill, physicien, enseignant-chercheur à l’université de Princeton (décédé en 1992), développa le concept de colonies dans l’espace (« The High Frontier : Human Colonies in Space », 1976). Ces colonies seraient logées dans des sphères, des torques, ou d’immenses cylindres qui seraient construits dans l’espace et positionnés aux points de Lagrange terrestres (points d’équilibre gravitationnel*) puis, ultérieurement, plus loin dans l’espace profond. Ce concept avait été imaginé par le scientifique allemand, pionnier de l’astronautique, Hermann Oberth, en 1954 (« Menschen im Weltraum »).
Ces îles sont technologiquement beaucoup plus complexes à réaliser que des bases en surface de Mars mais elles pourraient, un jour, constituer des soupapes de sécurité pour l’expansion hors de la Terre ou pour la survie de l’humanité, en permettant la continuation d’une vie confortable et modulable sur le plan environnemental (et culturel ?) selon les désirs de leurs habitants.
La forme la plus élaborée d’île de l’espace (« Island Three » dans l’historique de la réflexion de Gerard O’Neill) consiste en deux cylindres de 32 km de long et 8 km de diamètre (surface de 800 km2), effectuant leur rotation côte à côte en sens contraire (pour l’équilibre de l’ensemble). Une vitesse de 28 tours par heure permettrait de restituer une gravité terrestre sur les parois intérieures. La surface interne est divisée en six bandes longitudinales égales. Elles alternent sol artificiel (donc 400 km2 habitables) et fenêtres sur l’espace. Les fenêtres ne reçoivent pas directement la lumière solaire (danger des radiations de type SPE de SeP comme indiqué dans billets antérieurs) mais indirectement via de grands miroirs dont l’inclinaison par rapport au cylindre peut varier (jusqu’à fermeture totale). A l’une des extrémités, une couronne de modules abrite des cultures agricoles (l’isolation de l’habitat permet une optimisation au point de vue température, composition de l’atmosphère, humidité, pression, conditions sanitaires). A noter que cette couronne de modules étant d’un diamètre plus grand que le cylindre, tourne à une vitesse plus faible afin de ne pas générer une gravité artificielle intérieure trop forte. Les activités nécessitant la manipulation de masses importantes se ferait au niveau de l’axe de rotation du cylindre puisque à cet endroit la force de gravité artificielle est nulle. Les cylindres fonctionnent sans problème à l’énergie solaire puisque les points de Lagrange bénéficient de la même irradiance que la Terre (vastes champs de panneaux solaires flottant dans l’espace).
Evidemment l’aménagement des îles serait laissé au choix de leurs habitants. Cela inclut choix de relief et de géographie des sols artificiels, choix de température et de saisonnalité (angle des miroirs et durée de leur ouverture), choix de pression, choix d’humidité, choix de végétation, choix d’animaux, choix d’insectes, etc… (dans la limite des conditions d’équilibre d’un environnement quel qu’il soit).
A l’intérieur de ces cylindres les radiations de type GCR (voir billets précédents) seront d’autant plus faibles qu’on aura renforcé en épaisseur la coque extérieure du cylindre.
L’adaptabilité aux besoins environnementaux de l’homme est ce qui fait tout l’avantage de ces îles de l’espace. C’est là où se trouve la différence avec les bases martiennes dans lesquelles il faudra faire face à des contraintes planétaires incontournables telles que la gravité réduite (0,38g). En négatif, on peut dire que vivre dans un tel environnement totalement terraformé ne serait pas vraiment vivre « ailleurs ». On se priverait des paysages martiens, de la vastitude d’une planète entière et de l’intérêt de l’étude d’un milieu différent. A moins d’utiliser ces îles non seulement comme lieu de vie mais comme véhicule pour aller plus loin.
Dans cet esprit, on peut très bien concevoir d’appliquer un module de propulsion aux cylindres afin de les lancer dans l’espace à destination d’astres lointains, les planètes extérieures du système solaire, la Ceinture de Kuiper, le nuage d’Oort. Mais plus on s’éloignerait plus l’atténuation de l’irradiance solaire poserait problème. Il faudrait donc rapidement trouver une source d’énergie autre que solaire (probablement nucléaire mais on se situe dans un futur lointain).
Le concept d’île de l’espace a inspiré nombre d’auteurs de science-fiction « dure », à commencer par Arthur C. Clarke dans sa série « Rama » commencée en 1973 et terminée en 1993. La roue de « 2001 Odyssée de l’espace » s’inspire exactement de ces principes.
Le projet de Gerard O’Neill connut un très grand succès quand il fut lancé au début des années 70. De nombreux scientifiques se joignirent à lui et la NASA finança plusieurs études sur le sujet. La logique est impeccable et tout est prévu dans les moindres détails. Comme vous le savez, l’humanité n’a malheureusement rien entrepris pour confronter la théorie à la réalité et l’enthousiasme est passé. Maintenant, construire des structures aussi grandes et aussi massives n’est évidemment pas tâche facile. Je vous en parlerai dans mon prochain billet.
Les îles de l’espace 1/4
*un point dans l’espace où les champs de gravité de deux corps orbitant l’un autour de l’autre fournissent exactement la même force centripète, maintenant ainsi tout objet qui y est situé, dans la même position relative. Dans le système Terre, Lune, Soleil, il y a cinq points de Lagrange. L4 et L5 sont des régions de stabilité (si on s’en éloigne on a tendance à y revenir) ; L1, L2, L3 sont des points de stabilité (si on s’en éloigne, on a tendance à s’en éloigner davantage). Le futur grand télescope James Webb (JWST) qui doit remplacer Hubble, sera situé en L2 (en opposition à la Terre par rapport au Soleil).
Image à la Une : Island-Three de Gerard O’Neill (illustration de Rick Guidice pour la NASA, credit NASA Ames Research Center).
Image ci dessous : A l’intérieur d’un des cylindres d’Island-Three (Illustration de Rick Guidice pour la NASA, credit NASA Ames Research Center). On distingue bien les 6 bandes du cylindre. leurs tailles inégales en apparence est un effet de perspective car on ne se trouve pas dans l’axe du cylindre mais légèrement en dessous. Au dessus de nous, un des trois miroirs géants réfléchit le soleil vers la bande en dessous de nous. Les mêmes miroirs existent pour les autres bandes et il suffit de jouer sur leurs inclinaisons pour faire “avancer” le soleil de l’aube au crépuscule. Au fond, à plus de 30 km, le cylindre se termine par une demi-sphère autour d’un axe par lequel passe les communications avec l’extérieur. Au niveau de cet axe, la gravité est nulle:
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