Les contraintes à l’exploration, barrières incontournables ou lignes d’horizon ? (1/3)

Nous sommes des poussières d’étoiles, des fruits de la Terre et du Soleil, des êtres de chair et de sang produits d’une évolution biochimique prodigieuse déroulée tout au long de 4,567 milliards d’années sur une planète bien particulière, rocheuse, où l’eau – fait rare – est abondante et liquide, orbitant autour d’une étoile moyenne née quelques petits millions d’années avant elle, à la périphérie d’une galaxie spirale ordinaire parmi les innombrables qui peuplent un univers vieux de 13,6 milliards d’années.

Depuis quelques siècles nous nous éveillons à la conscience de ce monde, en ouvrant les yeux de la Science tout autour de nous pour comprendre. Nous observons, nous réfléchissons. Depuis quelques dizaines d’années notre puissance d’observation et de réflexion a été considérablement augmentée par nos découvertes en informatique, par la création d’observatoires de plus en plus puissants et de lanceurs de plus en plus performants, par les mises en réseau d’ordinateurs de plus en plus rapides, par les constructions intellectuelles remarquables résultant d’échanges quasi immédiats entre scientifiques spécialistes.

Notre capacité de progresser n’est évidemment pas épuisée même si, comme souvent au cours de notre histoire, nous semblons contraints à l’intérieur de limites dont certaines paraissent des obstacles infranchissables. En effet des problèmes sérieux nous sont posés par des données physiques ou chimiques dont nous n’avons pas la maîtrise. Ce sont l’immensité de l’Univers, le temps que l’on ne peut que mesurer, la vitesse qui est absolument limitée, la gravité inhérente à toute masse, les radiations dont on ne peut parfaitement se protéger, l’énergie produite ou captée qui est épuisable, la biologie dont les équilibres sont si complexes et si fragiles. Comme vous avez pu ou comme vous pourrez le constater en lisant ces lignes, les problèmes sont redoutables et d’une manière ou d’une autre intrinsèquement liés. Les anciens dieux grecs auraient confié la protection de leurs solutions à la garde d’Erynies assistées d’un sphinx pour déchirer de leurs griffes les aventureux imprudents. Beaucoup se sont affrontés à ces terribles gardiennes ; quelques-uns de nos contemporains les ont fait reculer.

On peut considérer nos limites selon deux points de vue, celui de l’astronomie ou celui de l’astronautique, la première n’impliquant pas le transport de masse (donc de besoin en énergie) que la seconde impose. La première est passive (on reçoit les ondes), la seconde est active (on va vers les astres). Si on ouvre le « tiroir » de l’astronautique on peut encore se placer du point de vue des missions robotiques ou des missions habitées, les premières n’impliquant pas toutes les complexités (et les précautions !) requises par le transport d’êtres humains. Selon ces points de vue les obstacles sont évidemment à des distances différentes et l’astronomie ouvre la voie à l’astronautique tandis que les missions robotiques ouvrent la voie aux missions habitées.

Il est impossible aujourd’hui de dire que les contraintes que ces problèmes non résolus ou apparemment insolubles imposent ne sont pas des barrières fixes incontournables ou des lignes d’horizons mais le « terrain de jeu » ou la « marge de progression » qu’elles nous laissent sont suffisamment vastes. Nous n’avons pas épuisé nos capacités technologiques théoriques. En astronomie nous pouvons déjà envisager des champs de télescopes interférométriques en réseaux dans l’espace.  En astronautique, le projet « Breakthrough Starshot » soutenu par Stephen Hawking, pour envoyer des sondes explorer les étoiles voisines, nous ouvre à nouveau des perspectives extraordinaires. Pour aller toujours plus loin, notre espoir reste entier ; les limites ont été et seront toujours repoussées grâce aux progrès que nous ferons à l’aide de notre intelligence et de nos astuces (nous ne devons pas oublier que nous sommes les enfants d’Héraclès, de Prométhée et d’Ulysse). Evidemment cela est plus vrai dans certains domaines (biologie ou propulsion) que dans d’autres (le temps, la gravité) où actuellement il semble que l’on ne puisse rien faire. Mais laissons notre esprit imaginer et construire ; osons l’audace et considérons nos limites, aussi formidables qu’elles soient, non comme des barrières fixes incontournables mais comme des lignes d’horizons. Nous ne les franchirons peut-être pas davantage mais nous pourrons espérer aller aussi loin que nous le voudrons et que notre capacité d’imagination technologique nous le permettra.

Image à la Une : Image du Fond diffus micro-onde de l’Univers (crédit CEA):

En utilisant les dernières données des satellites Planck et WMAP, le Laboratoire CosmoStat du CEA-IRFU a fourni en janvier 2014 l’image la plus complète et la plus précise du fond diffus micro-onde de l’Univers (“CMB” pour “Cosmic Microwave Background”). Ce rayonnement peut être considéré comme la première lumière de l’Univers, après que les photons ont pu se dégager du plasma primordial du fait de l’expansion, 380.000 ans après le Big Bang. La nouvelle carte du fond diffus ici présentée, a été construite grâce à une nouvelle méthode de séparation de ses composants appelée LGMCA, particulièrement bien adaptée à la séparation des avant-plans galactiques qui brouillent l’image de fond (sur les premières photos l’image du CMB était barrée par celle de notre Voie Lactée).

Suite de cet article: “espace, temps, vitesse”.

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.