Vous regardez la carte tridimensionnelle la plus détaillée de l’univers connu. Elle s’appelle le Sloan* Digital Sky Survey (« SDSS »). C’est l’aboutissement du travail de scientifiques du monde entier qui viennent de terminer la quatrième phase de cinq ans d’une étude du ciel nocturne mesurant les positions et les distances de plus de 4 millions de galaxies et de quasars. Cette étude commencée en l’an 2000, entre maintenant dans sa cinquième et dernière phase prévue. La carte aidera les scientifiques à progresser dans la compréhension des mystères restants de notre Univers.
*Alfred P. Sloan était un homme d’affaires américain, président de General Motors de 1923 à 1956 et décédé en 1966. La cartographie porte son nom car c’est sa fondation qui l’a financée en large partie. Voir : https://sloan.org/programs/research
Bien au-delà des étoiles locales qui dessinent les constellations familières dans notre ciel nocturne et au-delà de notre propre Voie Lactée, des milliards de galaxies sont réparties dans l’univers observable. En déroulant la vidéo en bas de page vous partirez dans un voyage supraluminique à partir de notre voisinage jusqu’à la plus grande échelle de notre Univers, en passant par ces galaxies et les structures qu’elles dessinent et que l’on perçoit de mieux en mieux aujourd’hui.
Depuis 1998, la communauté scientifique a réalisé que non seulement l’Univers est en expansion mais que son expansion s’accélère. Cette accélération, inattendue, constitue l’une des énigmes majeures de la physique. D’un point de vue théorique, l’accélération peut être expliquée soit en supposant qu’il existe une mystérieuse énergie noire, soit en modifiant la théorie de la gravité d’Einstein appelée “Relativité-générale”. La même année, le Sloan Sky Digital Survey a été lancé pour s’attaquer à cette énigme.
Le Sloan Sky Digital Survey est une vaste collection des positions angulaires* des galaxies observées dans le ciel ainsi que de leurs distances par rapport à nous, déterminées en observant le déplacement systématique de la lumière induit par l’expansion de l’Univers, qu’on appelle le « redshift » (décalage vers le rouge) puisque le tissu de l’Univers étiré par l’expansion, éloigne d’autant plus vite les astres de l’endroit où nous nous trouvons qu’ils sont déjà plus éloignés de nous (effet Doppler/Fizau). Dans cette nouvelle carte de notre Univers, les grandes taches sombres sont pour la plupart des régions obscurcies par la Voie lactée qui de ce fait ne peuvent être observées.
*la position angulaire résulte des coordonnées des astres sur la voûte céleste. Il s’agit de leur « ascension droite » et de leur « déclinaison », l’équivalent des longitude et latitude à la surface de la planète (le redshift leur donne une troisième et une quatrième dimensions).
Au cours des vingt dernières années, au travers de ses quatre premières phases exploratoires, le Sloan Sky Digital Survey a créé une succession de cartes tridimensionnelles, à chaque stade les plus détaillées de l’Univers. Pour y parvenir, la « Survey » s’est concentrée sur différentes classes de galaxies : les galaxies proches ; les galaxies rouges (effet Doppler), vers -6 milliards ; les galaxies formant des étoiles plus éloignées en utilisant les plus lumineuses, les jeunes bleues ; et les galaxies actives distantes super-lumineuses, les quasars, jusqu’à 11 milliards d’années-lumière.
La quatrième Sloan Sky Digital Survey s’est déroulée de 2014 à 2020. Pendant ce temps, le nouveau projet appelé “Extended Baryon Oscillation Spectroscopic Survey”, ou eBOSS pour faire court, a continué la précédente cartographie Sloan du ciel extragalactique et a récemment terminé de mesurer les distances pour un million de galaxies et de quasars. eBOSS a été initiée et dirigée par le Professeur Jean-Paul Kneib, astrophysicien, directeur du LASTRO (Laboratoire d’Astrophysique de l’EPFL). Elle a été présentée dans des conditions spectaculaires le 11 Mai 2022 au Laboratoire pour une muséologie expérimentale de l’EPFL (eM+), au cours du second événement du projet « Archéologie cosmique ».
Ces relevés successifs permettent aux scientifiques de retracer les structures à grande échelle de l’Univers jusqu’à une fraction de son « horizon » représenté par le fond diffus cosmologique, vu ci-dessous comme un motif coloré projeté sur une sphère. Le fond diffus cosmologique est la relique thermique de l’Univers (l’émission reçue est en infrarouge), qui remonte à 380.000 ans après la naissance de l’Univers, également connue sous le nom de Big-Bang.
En ajoutant les données eBOSS aux phases exploratoires précédentes de Sloan un, deux et trois, le Sloan Sky Digital Survey dispose désormais d’une base de données de 4 millions de galaxies et de quasars, assemblant la carte en 3D la plus grande et la plus complète de l’Univers à ce jour. Cette réalisation sans précédent fournit aux scientifiques de nouveaux outils pour faire la lumière (si l’on peut dire !) sur l’énergie noire et aussi pour contraindre la théorie de la relativité générale, ce qui doit conduire à une meilleure compréhension des lois fondamentales qui régissent notre Univers.
Concernant plus particulièrement l’accélération de l’expansion, cette phase IV de la SSDS avec sa cartographie en 3D de l’époque 3 à 8 milliards d’années, nous donne une vue plus précise que jamais sur l’époque de transition située il y a environ 7 milliards d’années, pendant laquelle l’accélération de l’Univers a commencé à se manifester en contrant la force de gravité générée par les masses de matière.
Enfin, la cartographie de la période la plus ancienne permet de mettre en évidence une phase de décélération de l’expansion vers -11 milliards d’années (3 milliards après le Big-Bang). On savait qu’elle avait dû avoir lieu mais on ne l’avait jamais mesurée. Il aurait donc fallu 4 milliards d’années supplémentaires pour voir l’expansion de l’Univers s’accélérer à nouveau sous l’influence de l’énergie sombre
La SSDS est une collaboration qui regroupe des centaines de scientifiques dans des douzaines d’institutions au travers du monde. Les observations ont été faites au moyen du télescope propre de la Fondation Sloane. C’est un appareil doté d’un miroir principal de 2,5 mètres situé dans l’observatoire APO (Apache Point Observatory) au Nouveau Mexique. La dernière publication du programme est la «data release 17 », daté de décembre 2021. SDSS-V a commencé en Octobre 2020.
Illustration de titre : Un des « moments » de la carte tridimensionnelle de l’Univers dessinée à partir des données de la SDSS-IV. On devrait d’ailleurs dire que cette carte est quadridimensionnelle puisqu’elle intègre la dimension temps en plus de celle de la distance. Ceci est une capture d’écran du film réalisé par eBOSS.
Illustration ci-dessous, localisation des données recueillies par SDSS-IV. Le « 0 » se trouve à 13,8 milliards d’années-lumière de nous. La surface bleue est celle du moment où l’énergie sombre a « pris le dessus » sur la force de gravité. La surface extérieure est la surface de dernière diffusion, le dernier instant de l’univers primordial avant que la lumière se libère de la matière, 380.000 ans après le Big-Bang.
Liens:
Laboratoire de muséologie expérimentale de l’EPFL (eM+) : https://www.epfl.ch/labs/emplus/#:~:text=eM%2B%20is%20a%20new%20transdisciplinary,multisensory%20engagement%20using%20experimental%20platforms.
Premières phases du SDSS : https://classic.sdss.org/
Dernière publication de données (17ème) du SDSS (contient la vidéo mentionnée dans l’article) : https://www.sdss.org/surveys/eboss/
Les astrophysiciens comblent le « gap » existant dans l’histoire de l’Univers (Actualités EPFL du 20/07/2020) : https://actu.epfl.ch/news/astrophysicists-fill-gaps-in-the-history-of-the-un/
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Vous écrivez : « D’un point de vue théorique, l’accélération peut être expliquée soit en supposant qu’il existe une mystérieuse énergie noire, soit en modifiant la théorie de la gravité d’Einstein appelée “Relativité-générale”. »
Je ne pense pas qu’il n’y ait que cette alternative.
Le professeur honoraire André Maeder de l’Université de Genève a proposé en fin 2017 une autre explication qui n’implique ni l’existence d’une mystérieuse énergie sombre, ni la nécessité de modifier la Relativité générale. Il s’agit de l’hypothèse très séduisante « de l’invariance d’échelle du vide, ou en d’autres termes, que le vide et ses propriétés ne changent pas suite à une dilatation ou une contraction ».
Voir ici ses explications et le lien vers son article :
https://www.unige.ch/sciences/astro/fr/news/matiere-noire-et-energie-noire-remise-en-question/
D’autre part, en regardant l’emblématique équation d’Einstein contenant le terme incluant la constante cosmologique, le fameux terme « Lambda fois le tenseur g mu nu », on note que ce terme peut se placer soit à gauche, soit à droite du signe égal dans cette équation. À droite, avec un signe négatif, il a bien le sens d’une énergie, étant situé à côté du tenseur énergie-impulsion, mais à gauche, avec son signe positif, il garde son sens purement géométrique (la constante cosmologique Lambda ayant la dimension de l’inverse d’une longueur au carré), à côté des tenseurs décrivant la géométire et la courbure de l’espace-temps. C’est donc ce choix de placer ce terme cosmologique à gauche de l’équation qui est à retenir et a un sens physique, la valeur elle-même de la constante cosmologique devenant une vraie nouvelle constante universelle.
Cher Monsieur, vous avez tout à fait raison de mentionner l’hypothèse de l’”invariance d’échelle du vide” d’André Maeder. Elle est en effet très séduisante puisqu’elle ne suppose pas ces inconnues énormes que sont l’énergie sombre et la matière noire. J’aurais pu/dû la mentionner, même si encore aujourd’hui elle est considérée comme plutôt marginale au sein de la communauté des astrophysiciens.
Voir mes articles du 23/11/2019 sur la matière noire et du 30/11/2019 sur l’énergie sombre.