C’est le 17 décembre 2021 que le Conseil Fédéral a approuvé le financement nécessaire, 24,7 millions de CHF, s’ajoutant aux 8,9 millions déjà engagés, pour que la Suisse devienne membre à part entière du SKAO* et participe à la construction et aux opérations de ce radiotélescope géant jusqu’en 2030 (fin des travaux de réalisation de l’ensemble qui ont commencé en juillet 2021) ; cette qualité devant lui donner accès en permanence aux données les plus récentes collectées.
*Square Kilometer Array Observatory (après Square Kilometer Array Organization).
Suite à candidature, l’admission de la Suisse comme « full-member » a été formellement acceptée par les sept membres fondateurs de la « collaboration » (communauté scientifique) le 12 janvier 2022. Le nouveau membre (SKA-CH), premier des « non-fondateurs », a tenu à la suite de cette admission, le 25 mai 2022, une table-ronde (dirigée par Olivier Küttel*) dans le cadre du World Economic Forum de Davos, à laquelle participaient les personnes ayant œuvré pour l’admission. Il s’agit de la Secrétaire d’Etat pour l’éducation, la recherche et l’innovation, Martina Hirayama qui a « ouvert les cordons de la bourse » ; la Professeure Catherine Cesarski, astrophysicienne de renommée mondiale, présidente du conseil d’administration du SKAO ; Phil Diamond, astrophysicien, Professeur à l’Université de Manchester, Directeur Général du SKAO ; le président de l’EPFL, Martin Vetterli ; Michel Hübner, « Swiss Industry Liaison Officer » pour les organismes de recherche internationales (SERI/EPFL) ; et bien sûr le Professeur Jean-Paul Kneib, directeur du Laboratoire d’astrophysique de l’EPFL (LASTRO), directeur de son département eSpace et coordonnateur de l’équipe des scientifiques suisses qui utiliseront le SKAO. C’est le Professeur Kneib qui par ailleurs a monté le dossier sur lequel a pu se faire l’admission.
*Olivier Küttel est le Délégué du président de l’EPFL aux affaires internationales.
Ce n’est pas un événement mineur car le SKA est le radiotélescope le plus puissant et le plus sensible jamais construit à ce jour, de par sa surface de collecte (l’équivalent, du fait du nombre et de l’implantation de ses antennes, d’une seule antenne de 1 km2 de surface) et l’échelle des longueurs d’ondes (bande passante) qu’elles couvrira (50 MHz à 15 puis 30 GHz). Son objet principal est la compréhension de la formation des premières galaxies et étoiles. Mais il pourra aussi nous permettre de mieux comprendre le rôle du magnétisme cosmique, la nature de la toujours hypothétique matière noire, celle de l’énergie sombre et de sa force contraire, la gravitation, ainsi qu’éventuellement nous permettre de faire progresser la recherche SETI (au cas où nous capterions une émission radio ayant des caractéristiques ne pouvant être naturelles). L’avantage de la radioastronomie par rapport à la collecte des ondes lumineuses est qu’elle nous permet d’accéder à un niveau d’énergie beaucoup plus bas, donc de percevoir toutes sortes de phénomènes « froids » qui n’émettent pas de rayonnements lumineux (comme les nuages d’hydrogène galactiques et intergalactiques) ou dont les rayonnements lumineux ont été allongés par la distance et par le temps.
Pour être plus précis, voici la liste donnée par Catherine Cesarski dans sa présentation, des grands sujets et questions que le SKAO doit nous permettre de mieux étudier :
1) The Cradle of Life and Astrobiology: How do planet forms? Are we alone?
2) Strong-field Tests of Gravity with Pulsars and Black Holes: Was Einstein right with General Relativity?
3) The Origin and Evolution of Cosmic Magnetism: What is the role of magnetism in galaxy evolution and the structure of the cosmic web?
4) Galaxy Evolution probed by Neutral Hydrogen: How do normal galaxies form and grow?
5) Galaxy Evolution probed in the Radio Continuum: What is the star-history formation of normal galaxies?
6) Cosmic Dawn and the Epoch of Reionization: How and when did the first stars and galaxies form?
7) Cosmology and Dark Energy: What is dark matter? what is the large-scale structure of the Universe?
8) The transient Radio Sky: What are Fast Radio Burst and how can we best utilize them?
Comme vous pouvez le constater, cela touche à tous les domaines de la radioastronomie ! La différence du SKA avec les autres radiotélescopes est encore une fois les moyens dont il disposera. A noter que l’installation des antennes dans le désert du Nord-Ouest australien et le désert Sud-africain du Karoo, a été choisie en raison de l’aridité (l’humidité n’est pas bonne pour l’observation astronomique en général puisqu’elle opacifie l’atmosphère) et l’isolement de ces régions (très faible population et rareté des sources radios que les gouvernements se sont engagé à maintenir en « radio quiet areas »). Il en effet très important de limiter au maximum les « bruits » qui pourraient interférer avec les émissions reçues.
Les autres membres à part entière du SKAO sont les fondateurs (« première pierre » en 1997) : Australie, Chine, Italie, Pays-Bas, Portugal, Afrique du Sud et Grande-Bretagne. La France est le prochain pays qui devrait rejoindre la collaboration (accord préliminaire le 11 avril de cette année). Suivront probablement l’Espagne, l’Allemagne, le Canada, puis l’Inde et la Suède. Les partenaires suisses au sein de SKACH comprennent 9 institutions : la Fachhochschule Nordwestschweiz (FHNW), l’Üniversität Zürich (UZH), l’Eidgenössische Technische Hochschule Zürich (ETHZ), la Zürcher Hochschule für Angewandte Wissenschaften (ZHAW), l’Universität Basel (UniBAS), l’Université de Genève (UniGE), la Haute Ecole Spécialisée de Suisse Occidentale (HES-SO), le Centro Svizzero di Calcolo Scientifico (CSCS). Cela regroupe environ 70 scientifiques.
Avant de devenir membre à part entière la Suisse a déjà contribué, pendant la phase préparatoire (celle de l’« Organisation »), à sept des « Science Working Groups » y compris ceux qui s’intéressent à la cosmologie, aux ondes gravitationnelles et à l’évolution des galaxies. Par ailleurs l’expertise suisse dans le calcul-intensif (HPC), le traitement des données, les antennes et capteurs, la gestion du temps a été très appréciée par la communauté des fondateurs (la coordination de toutes ces antennes pose un défi considérable).
Si le SERI était présent à la table ronde en la personne de Michel Hübner, c’est que l’entrée de la Suisse dans le SKAO induira beaucoup de travail pour de nombreuses industries de pointe en Suisse. Parmi elles on peut à nouveau citer celles qui travaillent sur les horloges atomiques, puisque c’est une spécialité de « mon » Canton de Neuchâtel (le Laboratoire Temps Fréquence du Professeur Gaetano Miletti et Spectratime /Orolia de Pascal Rochat pour les horloges atomiques à maser). Au-delà, comme on entre dans la période des appels d’offres, il faut se préparer à y répondre et la Suisse pays des microtechniques, a un gros potentiel pour profiter des marchés qui se profilent.
Le SKAO est la seconde organisation intergouvernementale (« IGO ») dédiée à l’astronomie régie par un traité international après l’ESO (European Southern Observatory). Le traité qui l’institue a été signé le 12 Mars 2019, à Rome. Le projet a mis 30 ans à murir mais la construction physique n’a commencé, comme dit plus haut, que le 1er juillet 2021. Il comprend deux ensembles d’antennes. L’un, le SKA low array (Australie), aura 131000 antennes, de 2 mètres ; l’autre, le SKA Mid array (Afrique du Sud), aura 197 antennes, de 15 mètres. Ce dernier a incorporé son « précurseur », le télescope MeerKAT (64 antennes de 13,5 mètres). La coordination se fait à Jodrell Bank en Angleterre qui est le siège du SKAO. Et il y aura des centres régionaux (« SKA Regional Centers ») pour gérer les données. Le tout coûtera 2 milliards d’euros de 2020 (1,3 pour la construction et 0,6 pour le fonctionnement jusqu’à cette date – comme déjà dit, 2030). A noter que contrairement à un télescope utilisant les ondes lumineuses, un radiotélescope peut commencer à être utilisé à partir du moment où on dispose de suffisamment d’antennes pour recueillir une image de qualité. On aura donc des données intéressantes bien avant 2030.
Lors de la table-ronde, le Professeur Kneib a insisté sur le traitement des données. C’est en effet un très gros problème car les télescopes en recueilleront environ 650 petabytes tous les ans (un terabyte par seconde !). Il faut dès à présent imaginer des instruments nouveaux (supercalculateurs) et de nouvelles techniques (algorithmes) pour sélectionner et traiter ces informations et ce n’est pas le moindre défi. Heureusement la Suisse dispose de « cerveaux », notamment à l’EPFL, qui pourront s’appliquer à surmonter cette difficulté. Cela rejoint les considérations sur le « crossfeeding » développées par le président Martin Vetterli lors de la table-ronde. Le SKAO constitue un énorme progrès dans les moyens mis à disposition pour la connaissance de l’Univers mais c’est également un moteur de progrès très puissant pour ceux qui y participeront.
Illustration de titre :
Le 22 janvier, le SARAO, (South African Radio Astronomy Observatory) a publié une nouvelle image du centre de notre galaxie produite par le radio télescope MeerKAT (intégré au SKA), montrant les émissions radio sélectionnées à 1,284 GHz qui en proviennent, avec une clarté et une profondeur sans précédent (surface 6,5 deg2, résolution angulaire 4’’) : Le « 1.28 GHz MeerKAT Galactic Center Mosaic ». On ne peut qu’être émerveillé de sa qualité artistique. Crédit : Heywood et al. (2022). Le télescope MeerKAT est géré par le SARAO. C’est un équipement de la « National Research Foundation », une agence du « Department of Science and Innovation » de la République d’Afrique du Sud. La recherche scientifique sous-tendant l’image a été publiée dans The Astrophysical Journal.
NB: (1) pour apprécier la dimension de cette image (6,5 deg2), il faut se rappeler que la sphère de la voute céleste a, dans son ensemble, une “surface” de 41.153 deg2.
NB: (2) Le trou-noir central de notre galaxie (SgrA*) se trouve au centre du point blanc situé au centre de l’image. Nous sommes ici véritablement au centre de notre monde.
Liens :
https://www.admin.ch/gov/en/start/documentation/media-releases.msg-id-86519.html
https://www.skatelescope.org/news/switzerland-joins-skao-as-eighth-member/
https://www.skatelescope.org/news/founding-members-sign-ska-observatory-treaty/
https://archive-gw-1.kat.ac.za/public/repository/10.48479/fyst-hj47/index.html
Lire aussi mon article sur ce blog, du 21 Septembre 2019 : « Le radiotélescope géant SKA, un projet exaltant qui pose des défis à hauteur de son ampleur ».
Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur : Index L’appel de Mars 22 05 25
Magnifique image que ce centre de notre Galaxie ! On dirait presque une oeuvre de Joan Miro…
Mais le trou noir central Sgr A* qui s’y trouve n’est même pas de la taille d’un pixel. Il ne fait que 20 microsecondes d’arc de diamètre, soit 200’000 fois plus petit que la résolution de 4 secondes d’arc de cette image. Sa taille apparente est de 3,14 10^-10 secondes d’arc au carré, soit 3,7 milliardièmes de milliardième de la surface de la photo de 6,5 degrés au carré. C’est grâce au Event Horizon Telescope (EHT), dont le diamètre est quasiment celui de la Terre, qu’on a pu en avoir une première image, publiée le 12 mai de cette année, comme nous en a parlé M. Brisson dans son avant-dernier article du 13 mai.
Cher Monsieur de Reyff, je partage votre enthousiasme pour cette image. Elle est étonnante et en effet elle est magnifique. Etonnante car elle paraît totalement abstraite alors qu’elle n’est que la représentation de la nature, et magnifique aussi car du fait, peut-être, de son centrage sur ce point blanc cœur de notre galaxie, elle est parfaitement harmonieuse du fait de son équilibre. Vous dites Miro, je vois aussi Dali. Comme quoi, comme je l’écrivais à la fin de mon article sur notre trou-noir central, les astrophysiciens sont aussi des artistes, même s’ils le sont involontairement en exprimant rigoureusement la réalité.
De :
https://skyandtelescope.org/astronomy-news/astonishing-radio-view-of-the-milky-ways-heart/ :
“This version of the galactic center image uses color to indicate the spectral slope of the emitted radio waves. Different values correspond to different emission mechanisms. The gray-magenta color shows areas where no spectral slope has been measured.”
Merci pour le lien.
Il est évident que les couleurs ne sont pas “naturelles” mais quelqu’un dont l’oeil serait sensible aux ondes radios verrait sans aucun doute quelque chose de similaire compte tenu des différences entre les émissions perçues (localisation, formes, intensité…).
La coloration est très souvent utilisée en astrophysique, afin de faciliter la lisibilité des images. On peut remarquer ici l’heureuse combinaison qui en résulte.