CHIME (Canadian Hydrogen Intensity Mapping Experiment) est un nouveau* télescope conçu, construit et installé au Canada (Colombie britannique) par une collaboration canadienne** dont l’objet premier est la « cartographie de l’intensité de l’hydrogène dans l’espace ». Grâce à sa surface de collecte étendue et sa large bande passante, il observera aussi d’autres événements et phénomènes, comme les FRB (sursauts-radio-rapides) ou la « respiration » de certains pulsars (chronométrage), l’ensemble pouvant être complémentaire. Son but ultime est la recherche d’une explication de l’accélération de l’expansion de l’Univers.
*première lumière, septembre 2017 et première collecte scientifique, septembre 2018 ;
**Université de Colombie Britannique, Université McGill, Université de Toronto, Observatoire fédéral de radio-astrophysique.
Dans l’univers primitif tel qu’il naît à la lumière 379.000 ans après le Big-bang, il y avait 75% d’hydrogène et 25% d’hélium. Les « métaux », éléments plus lourds, ne sont apparus qu’après, résultat de la nucléosynthèse dans le cœur des étoiles les plus massives, éléments dispersés ensuite par leur explosion en supernovæ. Pendant les 7 premiers milliards d’années, la force de gravité semble suffisamment forte pour que l’expansion de l’univers décélère. Mais depuis environ 7 milliards d’années l’univers est « passé en mode » expansion accélérée, entraîné par une force non encore identifiée et qu’on appelle, faute de mieux, l’énergie sombre.
L’élément hydrogène est donc capital. En repérant ses zones de concentration, on peut espérer avoir une meilleure approximation de la quantité de matière dans l’univers (baryonique et autres), de l’histoire de l’univers puisque la finitude de la vitesse de la lumière nous donne accès à son passé et, sur ces bases, de nos perspectives. C’est ce qui a motivé la construction du télescope CHIME (on pourrait aussi dire et ce serait plus correct, « observatoire » ou « capteur » puisqu’il n’utilise pas les ondes du spectre lumineux mais les ondes radio mais gardons le mot « télescope » par facilité de langage). Ce télescope donc va rechercher les émissions de longueur d’onde 21 cm, longueur dans laquelle l’hydrogène se révèle, émissions provenant d’avant le passage de la décélération à l’accélération de l’expansion (redshift de 0,8 à 2,5 c’est-à-dire 2,5 à 7 Milliards d’années après le Big-bang). Les données collectées vont pouvoir être rapprochées de celles que l’on a sur la « surface-de-dernière-diffusion »* (avant la création des premières étoiles et des galaxies) imagée par le télescope Planck et aussi sur l’univers environnant (donc « actuel »).
*appelé aussi « fond-diffus-cosmologique » ou « CMB » (« Microwave Background ») parce que les ondes de cette époque ralenties par le Temps, nous parviennent dans cette gamme de longueurs d’ondes.
Les principes de base exploités sont au nombre de cinq :
(1) Les oscillations-acoustiques-des-baryons (« BAO », jolie expression !) circulant dans le plasma primordial (mais pas après), se sont figées dans les anisotropies de la CMB, exprimant les différences de densité alors existantes. (NB: rappelons que les perturbations mécaniques dans un milieu élastique sont associées à des ondes sonores mais évidemment il n’y avait à l’époque aucune oreille pour les entendre!).
(2) Les zones les plus denses ont, à ce « dernier » moment, donné naissance par « découplage » des photons de la matière baryonique, aux « graines » à partir desquelles se sont formées les premières galaxies avec concentration de matière par gravité autour de ces graines, y compris leur environnement gazeux, et avec réémission de photons. Au départ des anisotropies, se formèrent des « coquilles » sphériques dans lesquelles ce découplage s’effectua et ces coquilles s’étendirent à partir de leur centre, jusqu’au découplage effectif puisque la libération photons/matière baryonique ne pouvait intervenir qu’à partir d’une certaine diminution de la densité du plasma primitif (la matière noire, non réactive avec la matière baryonique, restant probablement dans la coquille, « probablement » puisque comme vous le savez, cette matière noire n’a pas été identifiée et n’est connue que par son effet de masse).
(3) Les coquilles doivent avoir toutes les mêmes dimensions puisque leur rayon a été déterminé par l’ « horizon-de-son » des ondes acoustiques partant des derniers BAO, jusqu’à leur disparition (horizon) en raison du découplage résultant d’une même dilution de la densité de la CMB (à l’origine homogène sauf anisotropies déterminées par les BAO).
(4) Ce rayon a dû croître avec l’expansion suivant des vitesses différentes selon la période (décélération puis accélération).
(5) la comparaison des dimensions des rayons selon les périodes doit nous donner les variations des vitesses d’expansion.
Il y aurait une alternative à l’observation simultanée des masses d’hydrogène pour mieux connaître les masses, leur répartition et leur évolution dans l’univers, ce serait de mesurer la position et la distance respectives de chaque galaxie dans un échantillon (donc de les séparer et de les compter), puis d’étendre cet échantillon à l’univers observable. La cartographie avec les données de CHIME sera d’une résolution nettement moins fine mais suffisante pour mesurer l’évolution des BAO. Elle est par ailleurs beaucoup plus rapide et permettra de couvrir plus vite un volume d’espace beaucoup plus grand.
CHIME va aussi permettre, grâce à sa grande surface de collecte, d’observer les FRB et les pulsars. Pour ce qui est des FRB, CHIME non seulement peut apporter une meilleure compréhension du phénomène du fait du nombre d’observations (on espère des douzaines chaque année) mais peut aussi compléter l’observation des nuages d’hydrogène par réception des rayonnements des ondes de 21 cm, en fournissant des données sur la densité des nuages traversés par les FRB, un des éléments évidemment constitutifs de leur masse. Avec les pulsars, dont l’intensité de luminosité peut être évaluée, CHIME va pouvoir disposer de davantage de balises disséminées dans le ciel. Dans le contexte de l’étude de l’accélération de l’expansion de l’univers, ils peuvent être utilisés comme des « standard candles », c’est-à-dire des moyens de mesurer l’éloignement des régions étudiées. Par ailleurs, la cadence élevée des observations fournies par l’instrument permettra d’étudier les propriétés des étoiles à neutrons (source des pulsars) et du gaz ionisé en milieu interstellaire, de vérifier les prévisions de la théorie de la relativité générale ainsi que de percevoir éventuellement des ondes gravitationnelles (décalage dans le temps d’une pulsation à nous parvenir).
Venons-en à l’instrument lui-même.
Il est situé à (en fait il constitue) la DRAO (Dominion Radio Astrophysical Observatory), en Colombie britannique, établissement national pour l’astronomie canadienne, opéré par le Conseil National de Recherche du Canada. L’endroit est isolé (pas très loin du lac Skaha) afin d’éviter les ondes radio parasites provenant de l’activité humaine. Il faut d’abord noter son originalité comme le montre d’ailleurs l’image de titre. Il s’agit de quatre demi-cylindres juxtaposés, de 20 mètres de largeur au total, sur 100 mètres de longueur fonctionnant en interférométrie. Ils sont constitués d’un treillis renvoyant vers un axe focal (la barre dominant le centre des demi-cylindres) comprenant 256 antennes à double polarisation pour chaque demi-cylindres. A noter que contrairement à une antenne « classique » il n’y a aucune pièce mobile mais que l’alignement des antennes permet d’observer un secteur étendu du ciel sans devoir cibler autant le point étudié. Les signaux sont renforcés et clarifiés par des amplificateurs à faible bruit développés pour l’industrie des téléphones portables (excellent exemple d’inter-stimulation des recherches technologiques !). Les 2048 signaux reçus (256 antennes x 2 polarisations x 4 demi-cylindres) sont transmis à un premier moteur (« F-Engine ») qui les retransmet ensuite à un second moteur (« X-Engine »). Les avantages de ce dispositif sont, outre de permettre une très grande couverture simultanée du ciel (200° carrés à tout moment), d’explorer progressivement, du fait de la rotation de la Terre, une bande très large du ciel de l’hémisphère Nord (les demi-cylindres sont orientés Nord-Sud). Dans le même esprit on a choisi une large bande passante.
Le F-Engine, chargé de la collation des données, numérise chaque signal d’entrée analogique, 800 millions de fois par seconde et convertit chaque microseconde de données (2048 prélèvements) en un spectre de fréquences de 1024 éléments allant de 400 à 800 MHz, avec une résolution de 0,39 MHz. Ensuite les données sont réparties par bande de fréquences et transmises au X-Engine. Ce dernier, chargé de la corrélation des signaux dans l’espace, est constitué de nœuds de calculs, chacun traitant 4 des 1024 bandes de fréquence. Les nœuds recueillent les signaux provenant du F-Engine et forment à chaque milliseconde le produit du signal d’entrée de chaque télescope avec celui de tous les autres signaux d’entrée. Ces « matrices de corrélation » sont moyennées sur une durée de quelques secondes et écrites sur un disque avant d’être transformées en carte du ciel.
En dehors de ce dispositif de base, CHIME est comme indiqué plus haut, équipé d’un « outil de recherche de FRB » et d’un « moniteur de chronométrage » de pulsars, tous deux situés en aval du X-Engine. Les 1024 éléments ou faisceaux sont balayés en permanence et chaque faisceau est échantillonné 1000 fois par seconde à 16.000 fréquences différentes par le F-Engine qui les transmets au X-Engine. Après les avoir traitées, Le X-Engine les transmets à l’outil de recherche de FRB, logé sur place. L’équipement comprend 128 nœuds de calcul et chacun sonde huit faisceaux de fréquences. Lorsqu’il est identifié, les données du candidat FRB sont combinées aux informations provenant des 1024 faisceaux pour déterminer sa position, la distance de sa source et ses autres caractéristiques (intensité, puissance…). Une alerte automatique est envoyée à l’équipe CHIME et à la communauté scientifique susceptible d’effectuer un suivi rapide. Comme dit plus haut, CHIME observe aussi des pulsars. Un « instrument de surveillance de pulsars » reçoit dix des faisceaux de suivi du ciel produits par le X-Engine. Ils sont échantillonnés à très haute résolution et transmis du X-Engine au « moniteur de chronométrage de pulsars » qui les traite en temps réel en utilisant dix nœuds de calculs dédiés. L’analyse en est faite par Calcul Canada.
Grâce à nos avancées technologiques et à la finitude de la vitesse de la lumière nous avons la chance de pouvoir étudier l’univers à plusieurs époques de son histoire et ce sur une très grande profondeur. On « attaque » le sujet sous plusieurs angles, l’imagination humaine n’est pas en défaut et heureusement l’ingénierie est « à la hauteur ». Reste les sujets qui fâchent, la matière noire et l’énergie sombre. CHIME nous donnera peut-être une idée de la force réelle de cette dernière…mais de sa nature ? Cela reste à voir.
Image de titre : photo de CHIME. Les demi cylindres fonctionnent par couple, chaque paire de réflecteurs cylindriques renvoyant les données à un F-Engine : crédit collaboration CHIME.
Image ci-dessous :
L’échelle des oscillations acoustiques des baryons représentée par le cercle blanc d’une de leurs « coquilles » à différentes époques : il y a 3,8 milliards d’années, il y a 5,5 milliards d’années et il y a 13,7 milliards d’années (à la surface du CMB, à gauche). Leur volume est de plus en plus important en raison de l’expansion de l’univers. C’est la comparaison dans le temps qui donnera une idée plus précise de l’accélération. Crédit : E.M. Huff, SDSS-III, South Pole Telescope, Z. Rostomian.
Liens:
https://chime-experiment.ca/?ln=fr
https://en.wikipedia.org/wiki/Canadian_Hydrogen_Intensity_Mapping_Experiment
https://en.wikipedia.org/wiki/Baryon_acoustic_oscillations
https://en.wikipedia.org/wiki/Decoupling_(cosmology)
J’ai entrepris ce blog il y a quatre ans, le 4 septembre 2015. Pour y (re)trouver un autre article sur un sujet qui vous intéresse parmi les 222 publiés, cliquez sur:
Vous mentionnez une plage de redshift allant de 0,8 à 2,5 en la reliant au temps écoulé depuis le BB, ou depuis le découplage des photons que l’on peut considérer comme la fin du BB.
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Vu de la Terre aujourd’hui, ce serait donc l’inverse qu’il faudrait dire, des redshift de 2,5 à 0,8, soit pour une période de 2,5 à 7 milliards d’années depuis le BB, soit aussi de 11,3 à 6,8 milliards d’années dans le passé, vu d’ici.
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Cette relation entre redshift et éloignement dans le passé pourrait faire l’objet d’un blog intéressant, sachant que le redshif va croissant : z = 8,6 à 0,6 milliards d’années, z = 11,1 à 0,4 milliards d’année après le BB. Puis, lorsqu’on s’approche du CMB, z aurait une valeur faramineuse de 1089, juste 379’000 années après le BB !
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Mais ce n’est pas fini : si on remonte, encore avant, au découplage des neutrinos, juste 2 secondes après le BB, on aurait un z = 10^10 et, encore bien avant, avec l’émission des ondes gravitationnelles dues à l’inflation , ce serait z = 10^25, entre 10^-33 et 10^-32 secondes après le BB !!!
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Revenons plus près de nous : que s’est-il passé il y a 7 milliards d’années, quasiment à mi-course depuis le BB ?
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Au fond, depuis le BB, dès l’inflation fulgurante, il y a toujours eu un freinage, une décélération de l’expansion, due à la gravitation et, concomitamment, une infime accélération due à la minuscule constante cosmologique (ou à l’énergie sombre) non nulle, présente, mais très modeste, depuis toujours. Cette dernière étant très faible mais constante dans le temps et uniforme dans l’espace a attendu son heure ; la première, la décélération gravitationnelle a peu à peu inéluctablement diminué avec le temps qui passe qui dilue la matière, la densité “critique” de l’Univers décroissant continûment avec le temps qui passe, et la seconde, l’accélération, a alors commencé à prendre le dessus pour devenir prépondérante maintenant jusqu’à être progressivement omniprésente lorsque toute portion de l’Univers se trouvera quasiment vidé de matière, comme déjà dit en commentaire d’un autre blog. L’Univers sera alors devenu un simple univers de De Sitter.